Depuis peu, l'offre Kindle Unlimited est arrivée en France. Elle permet de télécharger en illimité "plus de 700 000 titres, dont 20 000 en français, pour 9,99 € par mois." Avec en tête de liste des romans comme Harry Potter à l'école des sorciers, de J.K. Rowling, Mémé dans les orties, d'Aurélie Valogne, Troie, de David Gemmel, ou le tout récent Projet Anastasis, de Jacques Vandroux. Une offre très intéressante pour les lecteurs, qui a l'avantage de mettre sur le devant de la scène les ebooks... mais nettement moins intéressante pour les auteurs autoédités.
Sois toi-même ton concurrent le plus féroce, et pour cela, Ne crains pas de chambouler ton propre modèle, tels pourraient être les deux adages suivis par Jeff Bezos, le patron d'Amazon. Qui nous en offre de nouveau une belle illustration avec l'offre Kindle Unlimited (KU).
Dans la lignée d'offres illimitées comme celles de Netflix pour les films, et de la montée en puissance du streaming (lecture en continu sur Internet) KU a l'avantage de remettre le livre, et l'ebook en particulier, sur le devant de la scène. Le livre n'a en effet jamais été autant concurrencé, que ce soit par les jeux vidéos ou par les films et séries TV, que de nos jours.
En tant qu'amoureux des livres et romans, je me réjouis donc de cette nouvelle perturbation qu'introduit Jeff Bezos dans un univers qui a tendance à un peu trop ronronner. Je m'en réjouis d'autant plus que par contraste, cette offre révèle l'absurdité, et la tendance à la rigidification, causée par la loi sur le prix unique du livre numérique en France.
Certains acteurs, comme le président du Centre National du livre Vincent Monadé, se demandent en effet à juste raison comment une telle offre pourrait être compatible avec cette loi sur le prix unique du livre numérique. Elle ne l'est sans doute pas, mais à mon sens, cela remet davantage en cause cette loi protectionniste et rigide plutôt que cette offre.
Mais Amazon est-il vraiment le précurseur de ce type d'offre? Ou ne vient-il que concurrencer certains services qui existent déjà? Après tout, France Loisirs ne date pas d'hier.
D'autres acteurs réagissent, comme le Tiers livre, avec son pass 20€ pour accéder de manière permanente à l'ensemble de ses ebooks.
Alors pourquoi, alors même qu'en tête d'article, je citais deux romans autoédités, Projet Anastasis, le nouveau thriller de Jacques Vandroux (n°1 de la boutique Kindle à l'heure où j'écris ces lignes) et Mémé dans les Orties d'Aurélie Valognes (n°3 de la boutique Kindle), deux romans qui marchent donc très très fort, pourquoi est-ce que j'ose prétendre que Kindle Unlimited n'est pas favorable aux auteurs indépendants?
Parce que, pour leur immense majorité, c'est le cas.
Amazon sait très bien jouer de l'effet marketing que permettent des positions de leader, mais l'immense majorité des auteurs indépendants ne possèdent aucun roman dans le top 100 des livres. Pour avoir son œuvre sur Kindle Unlimited, l'auteur indépendant, contrairement à l'auteur traditionnellement publié, doit rendre disponible en exclusivité ce livre en format numérique sur Amazon. Or, si votre livre ne figure pas dans le top 100, il y a de très fortes chances que vous perdiez de l'argent en ne le rendant pas disponible sur d'autres plates-formes comme Kobo ou Apple.
Aux Etats-Unis, où l'on possède la distance nécessaire pour juger des effets de Kindle Unlimited, la dernière étude d'Author Earnings, qui date d'octobre 2014, établit exactement cela: dans l'immense majorité des cas pour les auteurs indépendants, à moins de "fonctionner" déjà avec KDP Select (les ebooks en exclusivité chez Amazon), il n'est pas rentable de mettre ses livres sur Kindle Unlimited.
Pire encore, de nombreux auteurs indépendants américains habitués à fonctionner en exclusivité avec Kindle, reconnaissent qu'ils perdent de l'argent avec Kindle Unlimited, y compris l'un des plus ardents défenseurs d'Amazon, l'auteur Joe Konrath (il l'a dit en passant et son billet ne portait pas sur KU, mais tout de même). Les sommes perçues par les auteurs sont en effet fixes, et encore faut-il que plus de 10% des ebooks aient été lus pour que leurs auteurs perçoivent ces sommes, souvent inférieures au prix habituel du livre lorsqu'il n'était pas présent sur Kindle Unlimited.
L'auteur Jacques Vandroux a déjà laissé un commentaire sur ce blog. S'il accepte de nouveau de le faire, il pourra sans doute témoigner que Kindle Unlimited lui est profitable, et je n'ai aucun doute là-dessus.
Si Kindle Unlimited n'était pas lié à la notion d'exclusivité, j'aurais moi-même volontiers essayé ce nouveau service pour au moins l'un de mes romans. J'estime en effet qu'il peut amener un regain de visibilité, mais je l'aurais fait à titre expérimental, en étant persuadé que pour moi, auteur dont les ebooks ne figurent jamais dans le top 100, ce service n'apporterait de toute façon pas grand-chose.
Je l'aurais fait parce que mes ventes d'ebooks ne sont pas ce qui me fait vivre, cette année par exemple, j'ai vendu largement plus du double de livres en format papier.
Et je pense que pour certains éditeurs traditionnels qui le font, comme Mango Jeunesse ou Fleurus, cela peut être un plus.
Si j'étais éditeur d'une petite maison d'édition et que l'un de mes auteurs soit susceptible d'accrocher le top 100, étant donné qu'il n'y a pas de notion d'exclusivité pour les maisons d'édition, je tenterais le coup avec l'accord de l'auteur en question, bien sûr.
Est-ce que ce genre d'offre risque d'entraîner une perte de valeur des ebooks, et de renforcer la notion que tout ce qui est numérique doit être gratuit ou presque? Le débat est ouvert, mais je vais tout de même "me mouiller".
Je pense que la plupart des lecteurs qui adhèrent à ces offres sont des lecteurs voraces ou des curieux, et qu'ils savent pertinemment qu'ils ne bénéficient pas d'un choix aussi large que les autres. Les abonnés de France Loisirs que je rencontre en dédicace savent qu'ils ne retrouveront pas mes livres en catalogue.
Je pense donc qu'avec ce type d'offre, on développe un autre type de lectorat tout en donnant un coup de projecteur aux livres, et dans l'ensemble, je suis persuadé que c'est favorable au livre en général.
En tant qu'auteur indépendant, je n'utiliserais néanmoins pas cette formule tant qu'elle se présentera sous cette forme, c'est à dire sous condition d'exclusivité.
[EDIT] Un premier retour d'expérience de l'auteur Jacques Vandroux pour son roman Projet Anastasis. Jacques a eu la gentillesse de laisser un commentaire sur ce blog (cliquer sur "les plus récents d'abord"). Voir aussi le blog de Jacques, KDP Select or not KDP Select?
Pour les anglophones, un retour d'expérience datant d'Octobre 2014 de l'auteur K. Matthew. Je n'avais pas lu l'article auparavant, mais ses conclusions rejoignent en grande partie les miennes. Avec un ajout de taille, tout de même: Kindle Unlimited peut être intéressant pour les histoires courtes (nouvelles).
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