jeudi 13 avril 2023

Artiste-auteur et URSSAF : un exemple concret

Au mois d'avril, l'URSSAF demande aux artistes-auteurs dont c'est la première année d'activité de déclarer une estimation de revenus pour l'année en cours. Il est ainsi possible d'entrer plusieurs estimations pour se faire une idée. L'URSSAF envoie ensuite les sommes à payer en format PDF dans la messagerie. Il faut faire attention, car le premier versement aux URSSAF doit être vite effectué, avant le 14 avril. Pour cet article, j'ai donc pris un exemple précis parmi ces estimations. Cela me permet d'obtenir une réponse plus précise et officielle que celle de mon article précédent sur le sujet, basée sur un forfait de début d'activité. 

Pour cet essai, j'ai indiqué la somme de 9500 € de bénéfices net sur l'année entière. Aussi ma surprise a-t-elle été très grande quand le document URSSAF est arrivé. Celui-ci indique ainsi des revenus estimés en bnc (bénéfices non commerciaux) de 10 925 €, soit une forte majoration par rapport à ce que j'ai indiqué. J'en ignore la raison.

Selon le principe du versement à l'URSSAF des cotisations dès le premier euro gagné, la somme totale à verser en un an est de 1770 €.


Ce sont donc les fameuses cotisations vieillesse, maladie, contribution sociale généralisée, contribution au remboursement de la dette sociale et contribution à la formation professionnelle. 

Quand j'étais salarié, je me souviens, je n'étais pas soumis à l'impôt sur le revenu en travaillant pour Pôle emploi, car mes revenus étaient trop faibles, de l'ordre de 1300 € par mois. 

En me mettant à mon compte, si je touche environ 11 000 € dans l'année, je dois verser environ 1800 € de cotisations. Vous voyez la différence? 

"Mais Alan," me direz-vous, "Pôle Emploi reversait à l'URSSAF l'équivalent de ton salaire en cotisations! Toi, en tant qu'indépendant, tu es favorisé, tu dois reverser beaucoup moins!"

Une grande faveur en effet que celle-ci. Une grande fierté aussi pour certains, de participer eux-mêmes à cette grande et glorieuse machine française de l'assurance vieillesse, et en particulier de l'assurance vieillesse dédiée aux auteurs, j'ai nommé la magnifique Agessa, qui bien sûr n'a jamais fait l'objet du moindre scandale financier

A condition bien sûr que cet argent que l'on vous prend ne vous serve pas à vivre. A manger, à vous vêtir, à vous soigner, à vous transporter d'un lieu à l'autre... A condition de ne pas toucher au vital. 

En admettant que Pôle Emploi ne puisse plus payer les cotisations URSSAF. En admettant que ce soient aux salariés de les payer. Vous pensez qu'ils le feront? 

Non, bien sûr, parce qu'ils ne pourraient plus vivre. Ce serait ou bien la révolte, ou le suicide collectif. Qu'est-ce que cela signifie? Que les entreprises paient de grosses cotisations parce qu'elles le peuvent. Elles dégagent des chiffres suffisants pour le faire. C'est ce qu'on appelle se baser sur la réalité, et non sur une théorie ou un dogme.

Pourquoi y a-t-il un deux poids deux mesures par rapport aux gens qui n'ont pas à payer l'impôt sur le revenu en raison de revenus trop faibles, et les gens à leur compte qui doivent payer des charges contributives, quel que soit leur revenu? Parce que les gens à leur compte sont des indépendants? Trop indépendants? Et que l'indépendance, ça se paye?

Parce que là j'ai pris l'exemple de 9500 € en un an, mais imaginons une année où ça se passe plus mal que ça au niveau des ventes. Genre, une année covid. Imaginons une année où le bénéfice net sur l'année soit de 4750 €, soit moins qu'un RSA. Eh bien dans ce cas de figure, les cotisations seront aussi divisées par deux, avec 885 € à payer. 

Allez dire à quelqu'un au RSA de verser 885 € de cotisations à l'Etat sur une année, vous allez voir comment vous allez être reçu...

Nous sommes donc dans une formule dogmatique qui ne pourra évoquer aux médiévistes parmi nous qu'une époque: les temps féodaux. Des temps où le seigneur envoyait son percepteur vous prendre deux sacs de farine, même si vous n'aviez que douze sacs de farine pour tenir l'année entière. Même si, en cas de mauvaise récolte, vous n'en aviez que six... 

A croire qu'il y aurait pour les gens du gouvernement différentes catégories de personnes. Les actionnaires majoritaires qui appartiendraient à la grande bourgeoisie ou à la noblesse, les salariés qui appartiendraient à la classe moyenne, et le bas peuple des artisans et gens au RSA. 

Une catégorisation qui ne fait bien sûr que renforcer, dans mon esprit, l'impératif d'un revenu universel inconditionnel, tant les différences peuvent se creuser dans notre société de manière tout à fait dogmatique, par la perversion d'un système qui, à l'origine, se voulait généreux et solidaire.  

[EDIT 24 avril 2023] : si vous êtes dans le statut artiste-auteur, attention aux arnaques sur l'enregistrement de votre société. Celle-ci ne coûte rien, comme le stipule le site officiel, dans le cadre d'une micro-entreprise comme une entreprise d'autoédition. La requinerie étant ce qu'elle est, vous risquez de recevoir par courrier postal une demande annuelle de cotisations de 275 € d'une soi-disant société indépendante d'enregistrement qui vous permet de recevoir une newsletter trimestrielle.

Article précédent sur le même sujet : Combien ça coûte un n° de SIRET d'artiste-auteur?

 

jeudi 6 avril 2023

Démocrature

Gestion de la crise des gilets jaunes, de l'hôpital, de la réforme des retraites, usage démesuré du 49.3, affaire McKinsey, droits de l'homme en France, nombre de membres des gouvernements Macron traduits en justice, recul de la France dans le classement des pays les moins corrompus, montée dramatique, historique de l'extrême droite, les signes sont nombreux à montrer que la France est entrée en démocrature. De deux choses l'une, ou bien il s'agit d'une démocratie qui bascule dans la dictature, ou bien d'une dictature qui se donne des airs de démocratie. Le fait que Macron soit le dirigeant européen qui ait le plus longtemps cherché à appeler Poutine au téléphone, même après les horreurs de Boutcha, n'est pas là pour rassurer. Jusqu'à son voyage pour la Chine où il prend pour prétexte la résolution de la guerre en Ukraine, en amenant avec lui Ursula Von der Leyen comme caution morale, mais aussi et surtout un aéropage de soixante chefs d'entreprises.

Entre dictateurs, on se connaît: Macron sait très bien qu'il n'obtiendra pas de la Chine qu'elle arrête de commander des millions de tonnes de pétrole à la Russie pour alimenter son effort de guerre. Il sait aussi que même s'il obtient de Xi Jinping qu'il passe un appel téléphonique à Volodymyr Zelensky, ce sera uniquement de l'affichage et ça ne servira rigoureusement à rien. Il sait que la Chine, l'ami indéfectible de la Russie, ne peut être un négociateur dans la guerre en Ukraine.

Alors oui, il est possible que la Chine n'arme pas directement la Russie, Pékin cherchant à se montrer en force stabilisatrice et non en pays fauteur de guerre. Mais le fait est que la Chine est en train de surarmer la plus puissante dictature au monde, la nouvelle surpuissance à émerger sur Terre: la Chine.

C'est à dire que l'Empire du milieu tire parti du commerce international, en particulier avec l'Europe et les Etats-Unis pour s'armer de manière disproportionnée. Dans les années 90, il pouvait y avoir encore une comparaison entre le budget de l'armée française et celui de la Chine. De nos jours c'est fini, la France est larguée. 

S'il y a bien une leçon que l'on doit tirer de la guerre en Ukraine, c'est celle-ci: si vous commercez avec des dictatures, si vous leur fournissez des milliards de dollars, vous alimentez votre prochaine guerre. L'Allemagne le sait bien. L'Europe aussi. 

Plutôt que d'amener des chefs d'entreprise en Chine, notre traître national, Macron, devrait faire le contraire. Les dissuader de commercer avec l'Empire du milieu. Leur faire comprendre que la Chine n'a bafoué les droits de l'homme que depuis trop longtemps. Qu'on ne peut plus cautionner un tel modèle. Que l'on ignore tout des horreurs commises en Chine à cause de la chape de plomb sur l'information. Mais bien sûr, on sait tous où Macron se met les droits de l'homme...

Il est impératif que l'Europe toute entière réorganise son modèle économique de fond en comble. Avant la guerre, on pensait impossible de se passer du gaz et du pétrole russe. La réalité prouve que nous avons su nous en passer. Evidemment que ce sera extrêmement dur. Mais ce sera toujours mieux qu'une guerre. Il est où le temps où l'on disait que les imprimantes 3D pouvaient remplacer l'ouvrier chinois? 

Il n'y a pas que les Chinois qui produisent des puces pour les smartphones: il y a Taïwan, la Corée du Sud, Singapour... Et ce ne devrait pas être impossible de faire nos propres smartphones en Europe, non? Les gens vous répondront qu'on est dans le domaine du Yakafokon. Jusqu'à ce qu'il y ait une guerre. Alors, on s'aperçoit que ce que l'on croyait impossible devient tout à coup envisageable. 

L'Europe doit se préparer à une guerre avec la Chine. Une guerre qui engloberait grosso modo La Russie, la Chine, la Corée du Nord, l'Iran, l'Arabie Saoudite et peut-être l'Inde contre le bloc occidental et peut-être certains pays d'Asie qui nous rejoindraient. Xi Jinping veut la guerre. Il est en train d'armer la Chine comme quelqu'un qui a décidé qu'il y aurait la guerre. Le seul moyen d'espérer le faire fléchir dans sa résolution, c'est de lui retirer les barreaux de l'échelle qui lui permettent de se hisser en tant que superpuissance. Il ne tient qu'à nous.

dimanche 2 avril 2023

Ursula montre la voie

Il faut toujours suivre la Grande Ourse pour trouver son chemin. En 1974 dans son roman The Dispossessed, bien avant que l'autoédition ne devienne aussi populaire, la romancière de Science-Fiction Ursula Le Guin a montré la voie à tous les auteurs autoédités. 

He was therefore certain, by now, that his radical and unqualified will to create was, in Odonian terms, its own justification. His sense of primary responsibility towards his work did not cut him off from his fellows, from his society, as he had thought. It engaged him with them absolutely. -- Ursula Le Guin, The Dispossessed, 1974

Il était par conséquent certain, à présent, que sa volonté radicale et sans réserves de créer était, en termes Odoniens, sa propre justification. Son sens de la responsabilité première envers son œuvre ne le coupait pas de ses semblables, de la société, comme il l'avait cru. Il l'engageait absolument avec eux. -- Ursula Le Guin, Les Dépossédés, 1974

Tel est donc le magistral coup de pied qu'Ursula Le Guin envoya au syndrome de l'imposteur dans son roman du cycle de Hainish Les Dépossédés, en 1974. Bien sûr, la phrase est prise en dehors de son contexte: elle s'applique ici au théoricien scientifique Shevek et non à un auteur. Néanmoins, on peut facilement l'étendre à tous les auteurs autoédités, ce que je m'empresse ici de faire. 

C'est peut-être parce que mon frère aîné est chercheur en astrophysique, mais j'ai toujours assimilé notre travail d'auteur à un travail de recherche. Depuis que je connais l'existence des expériences de pensée d'Einstein, j'ai tendance à rapprocher fortement ce processus de notre processus créatif, à nous autres auteurs. 

Shevek se rapproche pour moi par certains côtés d'un auteur autoédité: il s'agit d'un scientifique de haut vol dont la science ne sert à rien à la société, car le niveau technologique de son monde ne lui permet pas de mettre en pratique ses découvertes théoriques par le truchement de l’ingénierie. Et du coup, sa société a tendance à l'employer à des tâches bassement matérielles, sans exploiter son véritable potentiel. C'est pourquoi Shevek va devoir s'exiler pour se réaliser.

Nous autres auteurs autoédités sommes reconnus pour notre travail et notre vaillance par une grande majorité de lecteurs. Ce n'est donc pas tant au niveau de la société que le bât blesse qu'au niveau de nos pairs qui font le choix de l'édition traditionnelle. Et bien sûr de l'édition traditionnelle elle-même et par extension, d'une bonne partie des professionnels de la chaîne du livre.

La société est en effet bâtie de telle manière que ce sont les branches professionnelles qui se structurent afin de filtrer les membres de chaque profession par la sélection, de manière à légitimer auprès de la société ceux qui sont censés être les plus doués.

C'est cette fonction de légitimation, de gardien du portail, que l'autoédition enjambe allègrement pour rapprocher les auteurs de leur public. 

Ce que ne nous dit pas Ursula Le Guin est en l'occurrence aussi important que ce qu'elle nous dit. Elle ne nous dit pas que la justification de la volonté de créer de Shevek est le fait que Shevek soit doué, qu'il soit un chercheur talentueux. Elle ne nous dit pas, en d'autres termes, que Shevek a le droit de créer parce qu'il est doué ou compétent. Non. Elle nous dit que la volonté de création emporte sa propre justification.

Et ça, chers amis victimes du complexe de l'imposteur, doutant de votre propre talent ou bien de la reconnaissance par vos pairs, ou par la société, de votre talent et de vos compétences, c'est la clé. Et j'ajouterais personnellement que cette justification, pour interne qu'elle puisse paraître, devra bien un jour ou l'autre être reconnue officiellement par la société.