samedi 31 décembre 2022

Poutine : quand les étoiles se désalignent

Quand les circonstances deviennent favorables au-delà de ce que l'on pouvait espérer dans une carrière, on dit que les étoiles s'alignent. On peut parler de chance, et on peut aussi dire qu'il faut forcer la chance, la provoquer. Les étoiles se sont alignées tout au long de la montée en puissance de Poutine, avec des revers qu'il a su transformer en opportunités, ce qui démontre une certaine résilience de sa part. Néanmoins, dans son cas, on peut penser que les étoiles sont entrées en désalignement dès le mois de février 2014.

Après Rasputin, le rat Poutine. Le dirigeant russe, qui a longtemps eu une face de rat avant d'avoir recours au botox sur les conseils de son ami Berlusconi, a d'ailleurs dû fuir un rat dans son enfance. Simple anecdote, bien sûr, mais qui révèle peut-être son totem. 

Trêve de plaisanteries. A quel moment se sont alignées les étoiles pour Poutine pour la première fois? Je pense que cela remonte à 1968, date à laquelle Poutine se fait embaucher, à l'âge de 16 ans par le KGB pour la première fois. C'est très important, parce que ça va lui donner une connaissance précise des rouages du système, même s'il ne va occuper qu'un poste peu important en Allemagne de l'Est. 

Cela va aussi lui permettre de se donner une image d'espion, sorte de James Bond russe, valorisante aux yeux de nombre de ses compatriotes.

La deuxième fois que les étoiles s'alignent remonte à 1989, la chute du mur de Berlin. Un véritable traumatisme pour Poutine, mais qui va provoquer des conditions très favorables pour lui. A l'issue de cette chute, il y avait au moins deux issues possibles pour la Russie:

- l'accélération de la corruption qui était celle de l'ex URSS en Russie en l'absence d'un leader fort

- la diminution de la corruption et une politique plus libérale, si ce n'est démocratique, grâce à un leader suffisamment fort et cohérent

C'est la première hypothèse qui a prévalu, l'accélération de la corruption. Le leader qui a succédé à Gorbatchev, Eltsin, beaucoup trop porté sur la boisson, était loin, très loin d'être incorruptible. Cela, déjà était un premier alignement d'étoiles, puisque cette corruption va s'étendre encore plus à tous les niveaux de la société russe, mais aussi dans des pays alliés tels l'Ukraine ou la Biélorussie. 

Grâce à cette corruption rampante, en 1991, Poutine, rapatrié en Russie, va pouvoir faire ses preuves du côté de St Petersbourg, en s'appuyant sur son expérience de petit caïd de banlieue ayant travaillé pour le KGB. Le maire extrêmement corrompu de St Petersbourg, Anatoli Sobtchak, le prend en effet sous son aile. Il va compter sur lui pour dévier toutes les enquêtes gouvernementales au sujet des malversations à St Petersbourg. Une partie des habitants de St Petersbourg vivent alors dans une pauvreté extrême. 

Quand Anatoli Sobtchak va perdre la mairie en perdant de manière loyale les élections, Poutine perd aussi son poste. Il va en concevoir une haine de la démocratie. Sous son règne, chacune des élections sera truquée en sa faveur. 

Le fait que Poutine ait perdu son poste et en retrouve un nouveau à Moscou, au Kremlin, adjoint de Pavel Borodine, le directeur du Département de l'administration des propriétés présidentielles en 1996, va constituer un nouvel alignement d'étoiles. Je ne prétend pas que tout soit lié à la chance, bien sûr. C'est parce que Poutine était un truand plutôt doué, insensible aux émotions humaines, sans scrupules, qu'il a su gravir les échelons. En 1997, il entre dans l'administration gouvernementale, avant, d'être, en 1998, carrément nommé Directeur du FSB (ex-KGB). Il s'appuie sur des réseaux mafieux, certains datant peut-être de son époque de St Petersbourg. Il joue sur les deux tableaux, et comme le FSB n'a pas suffisamment de moyens de contrôle, pas suffisamment de fonctionnaires incorruptibles, il est gagnant.

Autre événement déterminant, autre alignement d'étoiles, le règne de plus en plus chaotique d'Eltsine le mène à une procédure d'impeachment, au moment même où Poutine est devenu le chef du FSB. En 1999, donc, Eltsine est menacé de destitution par Yuri Skuratov, le procureur général de la fédération de Russie, lequel enquête sur des actifs en Suisse qui lui appartiennent ainsi qu'à ses proches et qui ont été utilisés pour acheter des biens de luxe. Poutine va alors sauver la mise d'Eltsine en produisant une vidéo sulfureuse, sextape sur laquelle on voit un homme ressemblant à Skuratov, ayant des relations sexuelles avec deux jeunes femmes. Skuratov sera acculé à la démission. 

Eltsine, reconnaissant, va alors faire de Poutine son successeur. Poutine va ensuite organiser des attentats attribués aux tchétchènes sous faux drapeau pour renforcer son influence. C'est là qu'il va fameusement déclarer vouloir "buter les terroristes tchétchènes jusque dans leurs chiottes". La même année, le dernier jour de 1999, Boris Eltsine démissionne au profit de Poutine. Incroyable alignement d'étoiles, là encore, après de nombreuses manœuvres de Poutine.

Je passe sur de nombreux autres épisodes, notamment les empoisonnements célèbres, volontairement spectaculaires, dont le dictateur s'est rendu coupable en toute impunité, les élections honteusement truquées ainsi que l'exécution d'un opposant, tué de plusieurs balles dans le dos sur le pont le plus surveillé de Russie. Si le premier désalignement d'étoiles s'est produit au moment de l'organisation des JO de Sotchi par la Russie en 2014, c'est en raison de la Révolution de Maïdan en Ukraine. Cette révolution au moment même de ses JO va rendre Poutine fou furieux et conduire à l'invasion de la Crimée toujours en 2014, puis à la tentative d'invasion de l'Ukraine en 2022.

L'affaiblissement des démocraties de par l'influence russe dans le monde, et en particulier aux Etats-Unis au moment de l'élection de Trump en 2016, pouvait ressembler, là encore, à une sorte de voie royale pour Poutine. Il avait la Crimée en 2014, et l'improbable alliance avec les Américains (ou du moins Trump) en 2016. Il pensait avoir le champ libre, son ego s'est mis à enfler, enfler. Bien que son allié Trump soit battu en 2020 par Biden, la défaite des Américains contre l'Afghanistan, déjà signée par Trump, va achever de le convaincre que le moment est venu pour lui d'envahir l'Ukraine.

Mais dans cette victoire apparente qu'était la Crimée en 2014, se dessinait déjà en creux ce qui allait constituer le début de la défaite pour Poutine. On a vu ce qu'il en était avec les épisodes de Kharkiv et la reprise de Kherson par les Ukrainiens. On sait que Moscou a subi un train de sanctions jamais vu jusqu'alors. On a vu l'aide gigantesque des Etats-Unis pour l'Ukraine, et celle, considérable de l'Europe en la faveur de la résistance ukrainienne. La Russie en est maintenant réduite à mendier l'aide de la Chine, laquelle reste sur sa réserve. 

Et le sort de Poutine et de son régime semble bel et bien scellé, dans un délai assez court.


mercredi 21 décembre 2022

1150 livres

Retour à la normale, ou presque. Après les deux années de Covid qui auront marqué une forte baisse de mon activité, 2020 et 2021, cette année 2022 m'aura permis, avec 1150 livres papier vendus, de retrouver un niveau de vente plus habituel. Pas de quoi s'enrichir, bien sûr, tout juste survivre, mais l'essentiel pour moi a toujours été de vivre de ma passion. 

Imaginez cent mille Alan Spade. Juste cent mille auteurs autoédités en France qui vendent plus de 1000 livres en un an. Cela ferait plus de 100 millions de livres vendus qui échapperaient à l'édition traditionnelle chaque année. Soit entre un quart et un cinquième de la vente totale de livres en France en un an (2021 avait été une année exceptionnelle pour l'édition, avec 480 millions de livres vendus). 

Et encore. Si on ne compte que les romans de fiction, je suis sûr que plus de 100 millions de romans de fiction vendus en autoédition, ça donnerait un poids bien supérieur à un quart ou un cinquième du secteur pour l'autoédition. 

Mais bien sûr, c'est juste une fantaisie. Il n'y aurait pas assez de place en dédicace pour 100 000 auteurs: les lieux sont limités, les temps de dédicace aussi. C'est juste un exercice de pensée, mais qui garde son intérêt, pour montrer que l'édition traditionnelle n'est pas invincible, y compris dans ce qu'elle considère comme ses bastions. 

Je continue de penser que seul le revenu universel inconditionnel est adapté pour les artistes et auteur. Et bien sûr, si ce revenu universel inconditionnel existait, il ne serait pas soumis aux cotisations Ursaff, puisque ce serait un revenu de subsistance: on n'ôte pas le pain de la bouche des gens avec des cotisations! Ces cotisations pourraient être versées sur les sommes gagnées par les auteurs et artistes en plus de ce revenu universel inconditionnel.  

Et je pense que ce revenu doit être universel, et non réservé aux seuls auteurs et artistes, pour de simples raisons d'équité sociale: les auteurs et artistes ne sont pas meilleurs que les autres, ne méritent pas plus de vivre que les autres. En faisant en sorte que les personnes qui sont en emploi perçoivent ce revenu universel, on maintient intacte la motivation pour le travail. Ce revenu universel doit aussi s'accompagner d'un logement universel afin de rendre les gens d'autant plus indépendants.

J'ai vendu ces 1150 livres sur une seule région, l'Ile de France. Sur ces 1150, à peine une dizaine ont été vendus par Amazon, les autres signés en dédicace. En raison de trop grandes difficultés de règlements facture, j'ai abandonné toute collaboration sur les livres papier avec la Fnac. Si j'avais eu les moyens de me démultiplier, de vendre sur les 13 régions françaises métropolitaines, je serais peut-être à plus de 10 000 livres papier vendus. Mais avec des "si", bien sûr...

Ce qu'il faut savoir, c'est que je n'ai nullement l'intention d'industrialiser mon activité: passer en offset, avec des tirages à 800 ou 1000 exemplaires pour chaque titre, ce serait beaucoup d'investissement, du stockage en entrepôt, davantage de temps de déplacement et de frais de déplacement, une logistique plus complexe. Et donc, beaucoup de risque en plus. 

Je préfère conserver l'aspect artisanal de mon activité, avec des tirages entre 100 et 500 exemplaires.

Je suis en train d'écrire mon septième roman destiné à la publication, de nouveau un roman de Science-Fiction, mais quelque part, c'est un crève-cœur pour moi de me dire qu'avec l'augmentation du nombre de titres, je vais forcément devoir en laisser de côté, ou réaliser une sorte de système de tournante pour permettre à chaque titre d'être vendu, au moins sur l'année si ce n'est à chaque séance. Parce que la place sur une table de dédicace n'est pas extensible à l'infini. 

Et ce ne sont pas les ebooks qui m'offrent de réelles perspectives: j'en ai vendu dix fois moins que de livres papier, 150 cette année. Et encore, c'est en raison d'une promotion que j'avais faite en fin d'année 2021, sans quoi je serai à 100 ebooks. 

J'ai en effet décidé de laisser tomber complètement cette année la pub Facebook et Amazon, ainsi que la promotion de mes titres en anglais via des newsletters américaines. Plus de pub du tout, en fait. Parce que ce n'est plus rentable pour moi, tout simplement. Et je ne vous dis pas de faire la même chose si vous êtes auteur: calculez en fonction de ce que ça vous rapporte.

Je vais vous faire une confidence: je déteste me mettre au service d'un algorithme. Surtout en sachant que ce dernier peut être modifié à tout moment.

La fin des confinements et de la plupart des restrictions liés au covid a donc permis un regain de mon activité. Néanmoins, les choses sont plus difficiles que par le passé, je trouve. Certains endroits qui recevaient des auteurs ont profité des restrictions pour garder leurs portes fermées aux auteurs, même après la fin des restrictions. C'est compliqué.

Le titre qui s'est le mieux vendu à mon catalogue est Memoria, avec plus de 360 exemplaires, suivi du Souffle d'Aoles et de Passager clandestin, avec respectivement 190 et 177 exemplaires. 

Depuis mes débuts de manière réellement suivie dans l'autoédition en 2010, j'en suis à plus de 12500 livres papier vendus, et 5300 ebooks. Mieux que rien, quand on n'est pas présent dans les rayons autres que numériques.

J'ai eu l'impression que Memoria méritait un bon accueil du public, et j'ai été heureux de voir les réactions de gens en dédicace. Je suis bien conscient, croyez-moi, de tenir mes ventes à bout de bras, et de n'avoir aucune maîtrise sur ce qu'on pourrait appeler "l'étincelle du bouche-à-oreille". Mais comme on dit, c'est le voyage qui compte, pas la destination. Enjoy!

lundi 12 décembre 2022

Auchan exige un numéro de SIRET

Après la centralisation du paiement des factures, le groupe Auchan est passé à l'étape suivante en demandant aux auteurs un numéro de Siret. Je n'avais pas souhaité en fournir un au moment de la centralisation, je viens de recevoir un email avec menace de déréférencement de mes romans pour le 9 janvier 2023 par la centrale Auchan. 

Il s'avère que si je n'ai jamais choisi de faire de ma petite entreprise d'autoédition une entreprise dans le sens officiel du terme, c'est que mon étude de marché m'a indiqué que le seuil de rentabilité n'était pas suffisant pour cela. Trop d'investissements, bénéfices trop réduits, concurrence exacerbée. Mieux valait me contenter de déclarer mes revenus artistiques sur une feuille d'impôt spécifique (le formulaire 2042 C-Pro pour ceux qui savent) afin de régulariser ma situation. 

Survient le décret n° 2020-1095 du 28 août 2020 relatif à la nature des activités et des revenus des artistes-auteurs, qui entend forcer tous les artistes-auteurs à faire la démarche pour avoir un numéro de Siret. C'est sur ce décret que s'appuie Auchan pour réclamer aux auteurs un numéro de Siret. Cela me pose évidemment un énorme problème.

Pour ceux qui se souviennent, j'avais déjà posté ici un article sur les problèmes occasionnés par la centralisation de la facturation du groupe Auchan. Cette nouvelle étape d'incitation à la déclaration des entreprises d'autoédition sous peine de déréférencement est propre à Auchan. Je travaille avec d'autres enseignes, et aucune n'a pris cette initiative. Par exemple : 

- Amazon ne me demande pas de Siret sous peine de déréférencer mes livres et ebooks
- Apple, La Fnac/Kobo, Google Play ne me demandent pas de Siret sous peine de déréférencer mes ebooks
- YouTube ne me demande pas de Siret sous peine de déréférencer mes vidéos…

Auchan m'a donc envoyé l'email suivant:  

Bonjour, 

Vous avez été référencé en tant qu'artiste local le 1/3/2022.

Aux fins de réactualiser votre dossier, nous vous prions de nous communiquer votre SIRET, information manquante à ce jour. 

Si vous n'avez pas de numéro de siren/siret, il vous appartient de vous mettre en conformité avec les obligations fiscales et sociales liées à votre activité. 

Vous devez vous inscrire en tant qu' auto-entrepreneur ou autre statut qui vous permettra d'être en règle avec la loi. 

Vous trouverez ci dessous un lien pouvant vous aider dans vos démarches

 
Dès obtention de votre SIRET (numéro à 14 chiffres) , celui-ci sera vérifié par nos services.
 
Cela nous permettra également d'être conforme à nos propres obligations légales en matière de réception de factures.

Sans réponse de votre part avant le 9 janvier 2023, nous nous verrons dans l'obligation de désactiver votre référencement.
 
Merci et bonne journée.
 
Bien cordialement,
 
Service référencement fournisseurs

Voilà pour l'email. Le gouvernement fournit plusieurs liens d'explications dont celui-ci expliquant ce statut d'artiste-auteur. Il existe aussi un simulateur vous permettant de calculer combien vont vous coûter vos cotisations par année. En gros, 123€ pour 1000 € de recettes brutes, ou 186 € si vous choisissez de déclarer uniquement vos bénéfices.

Pour moi, cela revient à entre 1500 € et 2500 € par an, selon mes recettes chaque année. Pour 2021, j'étais à 9116 € de bénéfices. Mettez-vous à ma place: vous recevez 9116 € de revenus liés à vos ventes en un an, et on vous demande de verser 1500 € pour cotiser pour les arrêts maladie, la retraite et la CSG. 

Et là, vous vous dites: depuis que j'ai commencé mon activité à plein temps en 2014, j'ai pris combien de jours d'arrêt maladie? Zéro, bien sûr, puisque chaque jour de dédicace où je serais en arrêt maladie représenterait pour moi une perte sèche. 

Quand je serai à la retraite... ah, mais non, je gagne bien trop peu pour envisager de me mettre un jour à la retraite! Donc je cotise pour quoi, en fait? Pour mes soins dentaires? 1500 € le détartrage chaque année, c'est un peu cher, quand même... 

Ne soyons pas ridicules, mes amis du gouvernement! Chers amis, qui pensez que les auteurs autoédités sont des parasites: est-ce que nous pesons tant que ça sur l'assurance maladie, alors que nous n'avons pas le droit d'être malade? Est-ce que nous pesons tant que ça sur les caisses de retraite, quand nous n'avons pas le droit de prendre notre retraite? 

Quand quelqu'un achète un numéro de Siret, c'est qu'il a fait son étude de marché. Il sait qu'il va prendre des risques, mais il sait aussi qu'il y a des débouchés. Il va pouvoir embaucher. Et à plusieurs, on devient plus forts, on dégage beaucoup plus de bénéfices. Là, c'est comme si le gouvernement me demandait d'industrialiser ma petite activité artisanale qui me fait survivre: je devrais imprimer en offset, louer des entrepôts de stockage, multiplier les séances de dédicace. Au risque, d'ailleurs, de tuer ma créativité d'auteur en multipliant les préoccupations d'entrepreneur. 

Avec pour conséquence, bien sûr, que peu d'auteurs parviendraient à relever le challenge. Nous ne sommes déjà pas si nombreux à en vivre, mais ce genre de mesure ne peut qu'inciter à une plus grande concentration, un nombre moins grand d'auteurs qui en survivent. Un peu comme dans l'édition traditionnelle, tiens donc.

Justement, vous pourriez être tenté de me conseiller l'édition traditionnelle. Mais vous devriez vous douter, puisque je suis l'un des rares auteurs qui vit de sa plume, et que je suis assez fier de ma capacité d'analyse, que j'ai déjà fait une analyse assez poussée de l'édition traditionnelle (j'ai d'ailleurs été édité brièvement). Mon analyse et mon expérience de terrain m'ont amené à conclure que je n'arriverais pas à vivre de ma plume en empruntant cette voie.

Et il y a aussi la préoccupation écologique. Nous vivons à une époque où il faudrait aller vers la décroissance, et éviter les gaspillages liés à l'industrialisation systématique. Je rappelle que contrairement à l'édition traditionnelle, qui pilonne 50% de ses livres, aucun des exemplaires que je commande n'est pilonné. S'il y en a en trop mauvais état, je les mets à disposition dans des boîtes à livres gratuites.

Merci de laisser répandre dans la société nos idées qui vont germer et donner naissance à de nouvelles opportunités. Merci de nous permettre de distraire les gens afin de les rendre plus efficaces ensuite, quand ils se remettent au travail.

Nous savons qu'en retour, notre société prend grand soin de ses auteurs, et nous l'en remercions chaudement. Mais merci de ne pas vouloir trop nous soigner.

Tant de soins vont finir par nous tuer.

[EDIT 13/12/2022] : juste un petit mot pour dire mon attachement au système de solidarité en France, qu'il s'agisse de la Sécurité sociale ou de la retraite.

 
Ce système est issu des trente glorieuses, d'une période de reconstruction. 
 
Un système conçu pour des entreprises qui vont générer suffisamment d'argent pour qu'une partie de cet argent soit redistribuable au plus grand nombre. 
 
Un système de solidarité qui n'a pas empêché 5% de Français d'être plus riches que tous les autres réunis. 

Un système de solidarité qui n'a pas empêché le secteur de l'édition de se concentrer à mort, précarisant de plus en plus les auteurs et permettant à des Antoine Gallimard de jouir d'une fortune de plus de 150 millions d'euros.  

Le secteur de l'édition est sans doute le plus concentré de l'industrie française. C'est le seul secteur où il existe un système de retour des invendus par les libraires, et où les conditions de ventes sont donc aussi difficiles pour les différents acteurs, en particulier ceux qui ne maîtrisent pas toute la chaîne de production/diffusion/distribution. 
Ce système de solidarité n'est en aucun cas conçu, calibré, pour l'autoédition, dont les ressources sont trop faibles, les débouchés trop peu importants pour permettre à ceux d'entre nous qui en vivent à temps plein de faire acte de solidarité. 
Cela étant, si vous avez un autre métier à côté, ou si vous gagnez suffisamment en autoédition pour ne pas mettre votre vie, votre santé ou celle de vos enfants en danger, je vous encourage bien sûr à vous inscrire et à demander votre numéro de SIRET. 
 
[EDIT 02/02/20123] :  Un email en provenance du Cultura de Claye-Souilly m'informe que désormais, les Cultura réclament aussi le numéro de SIRET.

mardi 6 décembre 2022

Vaccination universelle annuelle

La crise du covid 19 pourrait représenter une opportunité: celle de lutter simultanément contre la grippe et contre le covid avec un vaccin unique comprenant les deux injections. Or, on constate que pour l'instant, on n'a même pas le choix de ce "deux en un" sur Doctolib, au moment de la prise de rendez-vous. 

Tout d'abord un petit mot sur la vaccination des personnels soignants. Bien qu'ayant une amie d'enfance infirmière et qui refusait, en septembre 2021, de se faire vacciner, je considère que la vaccination doit être obligatoire pour les personnels soignants. 

Le covid a fait près de 160 000 morts en France en trois ans. Même compte tenu d'un chiffre plus élevé au début quand il n'y avait pas le vaccin, à son rythme actuel, c'est entre un peu moins de 20 000 morts par an et 36 000 morts. Plus les morts annuels de la grippe. C'est trop.

Les chiffres exacts des covid longs sont difficiles à obtenir, mais on est peut-être au-delà des deux millions de personnes affectées en France.

Si vous avez fait le choix de soigner et que vous ne croyez pas suffisamment en la science pour vous faire vacciner, malgré le recul qu'on a maintenant sur les vaccins, malgré toutes les preuves de son efficacité, vous pouvez encore faire votre métier, mais en cabinet privé. Pas dans l'hôpital public, ça me semble clair. Il y a une incompatibilité majeure, car ce qui fonde la médecine, c'est la science. Chaque personnel soignant devrait être au clair par rapport à sa vision de la science et de ce qu'elle peut apporter. Si on refuse les preuves scientifiques, si on préfère aller sur des infos supportées par peut-être 5% des scientifiques, c'est un choix, mais qu'il faut assumer.

Sans état d'urgence permanent, la vaccination universelle annuelle ne peut être obligatoire. Et un état d'urgence permanent, ça n'existe pas, c'est une dictature. Donc, selon moi, la vaccination annuelle ne peut être obligatoire pour la population. 

Par ailleurs, il y a toujours les cas particuliers de personnes qui ne peuvent être vaccinées pour raisons médicales, qu'il faut bien sûr prendre en compte. 

Mais actuellement, on a tendance à mettre la pression sur les personnes les plus âgées, 80 ans et plus, pour qu'elles se fassent vacciner tous les 3 mois. Et tous les 6 mois pour les plus de 60 ans. 

C'est une pression sociale discriminatoire. Cette pression devrait se faire de manière uniforme, pour tous les citoyens, et une fois par an. 

Avec les nouveaux vaccins plus efficaces contre les derniers variants associés avec le vaccin contre la grippe en une seule injection, nous avons moyen de motiver puissamment le citoyen pour se faire vacciner, et enfin désemplir les hôpitaux. Pas forcer. Motiver.

L'Etat devrait envoyer à chaque citoyen, une fois par an, une invitation à se faire vacciner. 

Pour le moment, quand on veut prendre rendez-vous pour une vaccination sur Doctolib, on ignore:

- si on aura droit à un double vaccin, comprenant à la fois la grippe et le covid, en une seule injection
- à quel type de produit on va avoir droit
 
Il y a peut-être moyen de savoir, mais il faut avoir franchi toutes les étapes de validation, et on ne le sait qu'au moment où c'est trop tard, où on s'est engagé à honorer le rdv. Non!
 
On devrait le savoir bien avant, ça éviterait d'appeler les centres de vaccination à chaque fois. 
 
Les autorités se plaignent du faible nombre de vaccinations, mais elles ne jouent pas cartes sur table. 
 
Organisons une vaccination universelle, pour le moment annuelle, en espérant que les futurs vaccins verront leur durée s'accroître au fil des ans, et nous aurons moyen de réduire les conséquences sur la société de ce double fléau qu'est la grippe et le covid. Sans pour autant ne mettre la pression que sur nos aînés. C'était déjà injuste avec la grippe, ça l'est d'autant plus avec le covid.  

mercredi 23 novembre 2022

Isaac Asimov : mes divergences

Excellent documentaire d'Arte sur Isaac Asimov et le message qu'il laisse au monde. Moi qui pensais le connaître au travers de ses écrits l'ai découvert différemment. Et je me suis rendu compte que mon opinion est différente de la sienne sur certains points.

Je recommande de regarder cette vidéo au sujet d'Isaac Asimov sur YouTube pour mieux comprendre ce dont il va être question dans l'article.

Faut-il être un saint pour être en mesure de délivrer un message relatif au futur de l'humanité? Sans doute que non. Pour l'anecdote, Asimov n'en était pas un. Je connais une romancière de SF qui l'a côtoyé à plusieurs reprises à l'occasion de salons littéraires de son vivant, et m'a révélé qu'il était un "serial groper". Il aimait palper, mais pas seulement l'argent, et pas toujours avec consentement mutuel, loin de là.

En dédicace, il cherchait à mettre à profit sa célébrité pour obtenir certaines faveurs de la gent féminine.

A l'époque, ça passait encore. De nos jours, Asimov serait accusé de harcèlement sexuel, et sa parole aurait sans doute moins de poids. 

Il n'empêche que les romans d'Asimov sont géniaux, excellents. J'ai adoré Fondation, notamment. Le reportage sur Arte met bien en valeur l'impressionnante bibliographie de l'auteur. 

J'ai toujours eu le sentiment qu'Asimov était un optimiste. Presque un positiviste. De ce fait, il a été une grande inspiration pour moi, et l'est toujours. J'adorais dans ses romans le fait qu'ils ne soient que rarement post-apocalyptiques, mais qu'ils mettent en scène un futur de l'humanité en prenant souvent l'option du développement, voire du rayonnement de celle-ci dans l'univers. 

C'est pourtant sur un passage en particulier de la vidéo que je voudrais revenir. Une interview dans laquelle Asimov dit qu'il est certain que des robots pourront un jour éprouver des émotions. Pour lui, notre cerveau est constitué d'atomes et de molécules, et toutes les fonctions de ces atomes et molécules pourront non seulement être copiées mais améliorées à l'avenir. 

Asimov voit d'autant plus volontiers un avenir où l'homme sera supplanté par sa création qu'il exprime dans cette interview son aversion pour une humanité qui pollue, détruit son environnement et massacre les espèces animales. Cette version future, améliorée de l'homme, ne pourrait finalement être qu'un bienfait selon lui.

Asimov est tout à fait conscient du rôle ambivalent des scientifiques au sujet de la pollution et du bien-être animal, même si dans son œuvre, il s'est écarté de l'image de docteurs Frankenstein ou Mabuse, de scientifiques déments et inconscients qui menacent le futur de l'humanité souvent utilisée dans les pulps des années 40. Néanmoins, il estime en définitive qu'il faut écouter les scientifiques. Il n'est pas sûr que le côté lumineux de la force l'emportera, mais il l'espère. 

Difficile d'avoir une réflexion sur le futur scientifique et technologique de l'humanité sans se remémorer deux citations qui sonnent comme des mise en garde :

- science sans conscience n'est que ruine de l'âme (Rabelais)

- le progrès technique est comme une hache dans les mains d'un psychopathe (Einstein)

L'un de mes points de divergence avec Asimov vient de l'idée selon laquelle l'homme sera un jour capable de créer technologiquement des êtres aussi évolués émotionnellement et psychiquement que lui-même.

Vous allez me dire, moi-même en tant qu'auteur, ou en tout cas des confrères plus doués que moi, sont capables de créer des personnages plus vrais que nature, qui évoluent au fil des romans, ressentent des émotions, réagissent de manière autonome, vont même jusqu'à suggérer à l'auteur leurs prochaines actions. Qui sait si après ma mort, des réseaux neuronaux ne seront pas capables de reprendre en charge le développement de mes personnages? Qui sait si l'on ne sera pas capable de prolonger la vie d'une personne disparue en enregistrant de son vivant toutes ses réactions et actions, en les faisant interpréter par des réseaux neuronaux, et en simulant leurs actes futurs? 

Peut-être. Mais on ne saura jamais si ces réseaux neuronaux sont réellement fidèles aux personnages vivants ou fictifs, on pourra juste indiquer un niveau de vraisemblance. 

Asimov parle de molécules et d'atomes au sujet du cerveau humain. On sait que c'est plus complexe que ça. On sait, en fait que la complexité du cerveau est effarante, à tel point qu'on ne peut être sûr dans pénétrer un jour tous les mystères. Il y a probablement des réactions quantiques à l'œuvre dans le cerveau humain, et on sait à quel point le domaine du quantique pose des difficultés, des défis incroyables à la science.

On sait aussi que ce n'est pas seulement une question d'atomes et de molécules, et de neurones, ou même de réactions chimiques. On sait qu'il y a des interactions entre le cerveau et les organes humains, et qu'en ne voulant que récupérer un cerveau flottant à l'image du professeur Simon dans Capitaine Future, adapté en dessin animé sous le nom de Capitaine Flam en France (porté par Grag dans la version d'origine d'Edmond Hamilton), on priverait ledit cerveau d'une partie sans doute essentielle de son humanité. 

Je suis, par choix, agnostique. Il en va de même de mon agnosticisme envers la science qu'il en va de mon agnosticisme envers Dieu: j'attends que la science me démontre qu'elle est capable de recréer la vie sans la dénaturer, de la même manière que je ne me prononcerai pas sur l'existence de Dieu avant d'en avoir eu la preuve. Peut-être que la science poussée à son paroxysme est l'équivalent de Dieu. Mais dans ce cas, est-ce que ça ne veut pas dire que la créature capable de pousser la science à son paroxysme est elle-même au moins l'équivalent de Dieu? J'ai des doutes à ce sujet. 

Autre point de divergence, l'idée selon laquelle l'homme, finalement, est mauvais. J'ai été extrêmement surpris de découvrir ça dans l'interview d'un Asimov sans doute vieillissant et désenchanté, qui estime qu'un robot ne pourra finalement qu'être meilleur que l'être humain. 

C'est vrai que ça ressortait notamment dans la série des Robots d'Asimov. Mais j'avais sans doute fait une projection, en me disant qu'Asimov était optimiste par rapport à l'homme, puisqu'après tout, c'est l'homme qui créé ces robots supérieurs. Et j'étais jeune quand j'ai lu la série.

Il apparaît en fait que chez Asimov, les robots sont une version sublimée de l'homme. Et là, franchement, j'ai des doutes. N'est-ce pas reporter un idéal quasiment religieux sur les robots? 

Les hommes, d'ailleurs, sont-ils foncièrement mauvais? Si on donnait l'intelligence à des lions, est-ce que pour autant, les lions seraient capables d'éliminer beaucoup plus vite que nous nos instincts de prédateur et d'agression? Des instincts qui rappelons-le, sont indispensables à la survie dans une nature sauvage, mais qui peuvent se retourner contre chaque espèce en cas de surpopulation, de déséquilibre écologique. 

Des instincts agressifs qui sont sans doute indispensables à la naissance de la science, car celle-ci ne viole-t-elle pas souvent les lois de la nature pour en percer les secrets? L'accès à la connaissance n'est pas toujours tendre. Il est souvent violent en fait, comme l'ont démontré les progrès liés aux guerres. 

S'il y avait des lions plus intelligents, dotés de membres préhensiles, qu'ils aient causé un déséquilibre écologique en raison de leur ingéniosité, qu'ils se voient au bord de l'extinction, il y a fort à parier qu'ils se mettraient eux-mêmes à se détester pour ne pas avoir eu la sagesse d'éviter leur propre anéantissement. Rien ne dit que les lions dotés d'une intelligence équivalente aux humains évolueraient différemment par rapport à ces derniers.

Quand l'homme déteste l'homme, pour moi, il remet en cause ce don d'intelligence et de connaissance qui lui a été fait, puisque c'est par ce don qu'il a créé les déséquilibres écologiques. Il fait alors le choix, en se détestant lui-même, de régresser pour revenir vers un état de sauvagerie lui permettant de se réinsérer en tant qu'acteur aveugle de l'écologie. Ou bien, comme Asimov, il s'en remet à des robots plus intelligents que lui-même, parce qu'il trouve que nous avons trop de défauts. Asimov donne là l'impression d'essayer d'évoluer vers le transhumanisme. Il estime que cette évolution fait partie de l'évolution naturelle.

Pour moi, ni l'une ni l'autre des solutions n'est la bonne. Ces dons qui nous ont été faits ne sont sans doute pas là par hasard. Il faut donc les embrasser et en tirer le meilleur parti. Oui, il y a différents stades. Il y a un stade où nous sommes des borgnes ayant réussi à percer certains secrets de la nature sans découvrir immédiatement les nouveaux secrets qui permettront de contrebalancer l'impact des premiers. 

Il y a de nombreuses périodes où l'impact des technologies fait naître l'idée qu'on ne cesse de se créer de nouveaux problèmes avec ces nouvelles technologies, qui vont nous obliger à en découvrir d'autres pour compenser, qui vont à leur tour déclencher des problèmes, etc. Tout cela peut nous donner l'impression d'être des Shadoks poursuivant une fuite en avant sans fin. Il y a des moments où la recherche de repères et de stabilité, y compris en réaction à des progrès sociétaux comme le wokisme, peut donner envie de se raccrocher aux traditions, de ne surtout pas évoluer. De dire stop.

Action-réaction. Barack Obama, président noir est élu, le président suivant est Donald Trump. Le mur de Berlin tombe et la Russie devient (ou fait semblant de devenir) démocratique, le président russe suivant est un dictateur sanglant nommé Poutine.

Mais pour moi, il y a au moins un but à tout cela, un sens, qui est petit à petit de mieux connaître l'univers, et de mieux se connaître soi-même. Un sens sans doute pas si éloigné de la psychohistoire inventée dans Fondation. Au travers de ce documentaire, j'ai donc été surpris de me découvrir plus optimiste et plus humaniste qu'Asimov, finalement.

samedi 19 novembre 2022

Dictature et territoire, démocratie et wokisme

Y a-t-il un rapport entre la taille d'un pays et le fait que ce pays soit une dictature? Vouloir unifier de très vastes contrées sous un seul et même gouvernement ne peut-il se faire que par beaucoup de répression? Une nouvelle fois, poser la question, c'est y répondre.

Le plus grand pays du monde, et de loin, est la Russie, avec ses plus de 17 millions de km2 (apparemment trop peu pour Poutine).
 
Le Canada est deuxième avec près de 10 millions de km2, les Etats-Unis et la Chine arrivent ensuite avec 9,6 millions de km2, et le Brésil et l'Australie sont à 8,5 millions et 7,6 millions de km2. ensuite, c'est nettement moins. 
 
Les Etats-Unis, le Canada, l'Australie, le Brésil sont l'héritage des puissances coloniales européennes qui ont d'abord composé avec les populations locales pour ensuite leur prendre leurs terres par la force, commettre des génocides, et dont les populations immigrées, parlant grosso modo la même langue et de culture commune, étaient tellement nombreuses qu'elles ont pu se substituer en grande partie aux populations locales. Il y avait une homogénéité de culture et de religion, avec de petites différences çà et là, comme le fait que les populations issues de l'immigration française, italienne, portuguaise et espagnole étaient catholiques, là où celles anglo-saxonnes étaient anglicanes ou protestantes.
 
La Russie et la Chine ont aussi eu des stratégies de peuplement, mais ont surtout eu des formes de gouvernement basés sur la domination d'autres ethnies ou peuples. 
 
Il est possible qu'en raison de l'évolution très différente des rapports de force à l'intérieur de ces deux pays si vastes, la démocratie n'y soit possible qu'en les démantelant en unités moins vastes, et autonomes. Parce que même si la Russie, par exemple, est un état fédéral, ce n'est pas un fédéralisme basé sur la démocratie mais bien sur les rapports de force et de domination. 
 
Evidemment, la géographie ne fait pas tout, et l'évolution culturelle est aussi en cause. On sait très bien que la dictature existe aussi dans un nombre très grand de petits pays. Des pays qui sont souvent extrêmement refermés sur eux-mêmes comme la Corée du Nord et la Birmanie. Des pays qui peuvent être le jouet de dictatures plus puissantes, comme la Corée du Nord celui de la Chine, ou bien l'Erythrée celui de la Russie. 
 
Mais on aurait tort, je crois, de n'examiner que l'évolution culturelle de ces pays.
 
Je pense que si je devais écrire un roman de SF où la Chine et la Russie soient des démocraties, ces deux nations se décomposeraient sans doute en plusieurs pays, et n'existeraient plus en tant que telles.
 
Démocratie, droits de l'homme et wokisme
 
La démocratie athénienne ne pouvait pas survivre non seulement parce que le monde alentour n'y était pas prêt, mais aussi parce que cette démocratie ne s'appuyait pas sur les droits de l'homme. 
 
La démocratie moderne, issue du siècle des lumières, a donné naissance à la laïcité, au pouvoir parlementaire, à la justice moderne qui comprend les droits de la défense et de l'accusé, à la presse libre et indépendante. La démocratie a réuni les conditions pour nous sortir des âges sombres en libérant la science de ses entraves. Sans démocratie, pas d'électricité, pas de puissance atomique, pas de vaccins, pas de confort moderne. Pas de révolution industrielle.
 
La science peut progresser dans une certaine mesure dans la dictature, à condition d'être aiguillonnée par la guerre ou le nationalisme. On l'a bien vu avec les nazis et les V2, ou à l'heure actuelle avec la Chine et sa conquête spatiale. Mais on peut penser qu'à moyen ou en tout cas à long terme, la science ne peut survivre aux dictatures sans concurrence extérieure: en effet, les scientifiques des dictatures sont motivés par la concurrence avec les scientifiques des démocraties. Et la dictature va donner une liberté suffisante à ses scientifiques à condition qu'ils puissent rivaliser avec les scientifiques démocrates. 
 
Vous pensez peut-être que les scientifiques chinois ne regardent jamais les publications de leurs homologues américains ou européens? Les mathématiques sont un langage universel. 
 
Cependant, la science ne peut exister sans liberté de pensée, sans la possibilité de remettre en cause ses acquis que permet cette liberté de pensée. Dans la mesure où tous les pays du monde deviendraient des dictatures, la restriction sur les libertés finirait fatalement par s'étendre aux scientifiques eux-mêmes, qui seraient alors réprimés. Et les pays finiraient par retourner aux âges sombres. 
 
L'exemple de l'armée russe, très corrompue à force de "backscratching", complètement égarée par sa propre propagande est probant. L'armée russe connaît à l'heure actuelle un face à face avec la réalité très brutal. Le retour à la vérité est toujours très brutal pour quiconque vit dans le mensonge. 
 
L'exemple du covid né en Chine parce que les contre-pouvoirs n'y étaient pas suffisants pour encadrer davantage les laboratoires, avec la naissance d'une pandémie qui a entraîné davantage de restrictions sur les libertés dans l'empire du milieu qu'il n'y en a jamais eu, est un autre exemple probant. 
 
La démocratie n'a pas empêché la colonisation, l'esclavagisme, les génocides d'autres peuples, le patriarcat. Mais l'importance croissante des droits de l'homme dans la démocratie a donné naissance au wokisme, qui quant à lui interdit la colonisation, l'esclavagisme, les génocides, l'exploitation de la femme par l'homme, l'exploitation de l'homme par l'homme, l'exploitation des enfants par l'homme, la dictature sur la sexualité en général, sur les mœurs et en fonction des différences de couleur de peau, d'origine, de culture. 
 
C'est pourquoi le wokisme est l'ennemi non seulement de Poutine et de Xi Jinping mais aussi du chef d'entreprise qui tient à exploiter ses salariés.
 
Evidemment, le wokisme poussé à son extrême peut aussi être une dictature en soi, en instaurant une forme de politiquement correct interdisant de reconnaître la réalité des choses, la vérité scientifique, afin de ménager des susceptibilités. Le wokisme peut être paralysant. Il n'est pas non plus immunisé contre la tentation de l'inquisition à partir du moment où il devient trop dogmatique. Là sont les limites du wokisme, qui lui aussi doit subir cette épreuve du face à face avec la réalité pour prouver sa validité. 
 

mercredi 26 octobre 2022

Demain, les antispécistes ?

Détenteur de 5 prix Hugo, d'un prix Nébula et de l'International Fantasy Award, ce dernier décerné pour Demain les chiens (City, 1953), Clifford Donald Simak est un monument de la Science-Fiction. En préface de Demain les chiens, Asimov reconnaît qu'il doit énormément à Simak pour le style d'écriture. L'une des choses que j'ai trouvées les plus étonnantes est l'extraordinaire intuition de l'auteur qui lui a fait développer, dès les années 40, des thématiques majeures de la Science-Fiction. Dans ce recueil de nouvelles qu'est Demain les chiens, on trouve aussi un message suffisamment fort pour avoir donné naissance, volontairement ou non, à l'antispécisme. Bien avant l'heure...

Les huit nouvelles qui composent Demain les chiens ont été écrites entre 1944 et 1951. Le genre de la nouvelle, de par sa densité, son aspect évocateur et surtout suggestif, renferme en quelque sorte l'essence de la science-fiction. A titre personnel, je préfère les romans, aussi bien à la lecture qu'à l'écriture, néanmoins, je reconnais volontiers que les nouvelles encapsulent davantage de puissance (elle est pas belle, ma formule?). 

[ATTENTION SPOILER]

La première des nouvelles, qui donne son titre au recueil en anglais, s'appelle City. On y ressent une forme d'amertume par rapport à la ville qui peut faire penser à la défiance par rapport à la civilisation d'un Robert E. Howard, le créateur de Conan. Dans le cas de Simak, cette amertume semble bien être liée à la Seconde Guerre Mondiale. Il y a l'idée sous-jacente qu'en se rassemblant de plus en plus dans les villes, les hommes créent les conditions nécessaires à des guerres de grande ampleur, qui ne se produiraient pas en l'absence de villes. 

L'univers de Simak est celui, futuriste, d'un monde où l'on a créé des robots "au cerveau de métal", et où l'énergie atomique domine toute la technologie. N'allez pas y chercher les mots "intelligence artificielle" ni même "ordinateur", les concepts n'existaient pas à l'époque. 

Si vous vous appelez Tristan Guillot et que vous êtes astrophysicien au CNRS, vous risquez de vous arracher les cheveux en constatant, dans l'une des nouvelles, que l'homme a bâti des dômes à la surface de Jupiter, où l'on trouve aussi des falaises rocheuses. Mais il faut se souvenir qu'à l'époque où Simak a écrit ses nouvelles, il n'y avait sans doute pas de scientifiques qui étudiaient la structure interne de géantes gazeuses comme Jupiter. C'était l'époque où un certain Asimov, dans ses propres nouvelles, dotait encore les vaisseaux spatiaux d'éperons avec lesquels ils s'entre-éperonnaient joyeusement. Si, si! 

Il ne faut donc surtout pas juger ce recueil selon nos critères actuels si l'on veut découvrir l'étonnante richesse des intuitions de Simak. 

Songez donc: dès les années 40, il a cette idée de robots humanoïdes qui vont peu à peu s'humaniser à tel point qu'ils se grattent le menton à la manière humaine. On découvre dans cette proximité avec l'homme certaines problématiques que l'on retrouvera bien plus tard avec Data dans la série Star Trek: Next Géneration. A certains égards, le robot Jenkins est le précurseur de Data. 

On découvre des rebelles à la société qui personnifient en quelque sorte l'idéal de l'aventurier de la conquête de l'ouest. Des gens tellement intelligents, tellement débrouillards qu'ils vont devenir des mutants capables de régler n'importe quel problème, même si leur misanthropie et leur individualisme forcené les éloigne des humains. Des télépathes en plus, là encore, un vrai concept de SF en avance sur son temps. Et pourtant, il aurait été tellement facile d'envisager une dégénérescence de ces aventuriers, loin de la civilisation, qui seraient devenus quelque chose comme ça: 


Mais au contraire, avec Simak, ces aventuriers deviennent des mutants dignes des X-Men, dont ils sont les précurseurs. Que dis-je, bien meilleurs encore! Ils vont bâtir des châteaux à l'intérieur desquels chaque porte mène dans une autre dimension, sur une autre planète. Plus besoin de vaisseaux spatiaux! 

Encore que... chez Simak, ces portails dimensionnels coexistent bel et bien avec les vaisseaux spatiaux, les humains "classiques" ayant la volonté de coloniser Alpha du Centaure à l'ancienne... comme dans les jeux vidéo Civilization! Oui, le recueil sacrifie parfois la cohérence et la logique interne à la créativité.

Parallèlement, les Webster, une famille dont on suit l'évolution des différentes générations, apprennent aux chiens à parler, et les rendent plus intelligents. Chaque nouvelle est d'ailleurs présentée par des chiens de manière assez drôlatique, parce qu'on constate qu'il leur manque malgré tout de larges pans de connaissance. C'était voulu par les Webster, afin qu'ils tracent leurs propres sillons sans être parasités, pollués par la pensée humaine. Là, on est dans la thématique des modifications génétiques et cybernétiques, sauf que ces deux domaines n'avaient pas encore été inventés.

Dans Demain les Chiens, une partie des robots va aussi devenir "sauvage", ce qui en fait logiquement le précurseur de Terminator. Sauf que dans le recueil, les robots se séparent simplement de l'humanité et ne lui font pas la guerre, mais accomplissent leurs propres projets, et bâtissent aussi des fusées pour explorer d'autres étoiles et planètes.Oui, malgré la présence de portes dimensionnelles à la Stargate.

Il faut dire qu'il est arrivé une ou deux broutilles à l'humanité. Dans un premier temps, Simak décrit une forme d'exode des cités. Paradoxalement puisque Simak avait l'air de suggérer que les villes étaient sources de problèmes, l'humanité semble être plus démunie, plus étiolée qu'auparavant en raison de cet exode. 

Mais surtout, surtout, nouvelle intuition géniale de Simak, l'homme devient capable de transférer son esprit dans un autre corps. Eh oui, Demain les chiens est aussi le précurseur d'Avatar de James Cameron! Quand je vous disais que les nouvelles rassemblent l'essence de la SF. Dense, très dense. Et là, l'homme se transfère dans des créatures capables de résister aux pressions hallucinantes à la surface de Jupiter (oui, on est d'accord, il n'y a pas de surface sur Jupiter). Ils semblent mourir, mais en fait, c'est le contraire: la vie devient pour eux formidable, larger than life, une fois qu'ils sont transférés dans ces créatures. 

C'est là que l'on aborde l'aspect science-fiction du point de vue de la philosophie. Car l'homme a fait des progrès sociaux lui permettant de proscrire le meurtre, notamment, mais aussi, se rapproche d'une découverte révolutionnaire au niveau philosophique. 

Cette découverte, qui va aboutir grâce au concours d'un mutant nommé Jack, va permettre aux hommes une compréhension parfaite les uns avec les autres, de nature à éviter tout conflit.

Et là dans cette SF idéalisée, à la technologie très avancée, je vois le précurseur du cycle de la Culture, de Iain Banks. C'est dire que Simak brasse large. 

Mais cette découverte d'une nouvelle philosophie va en réalité précipiter la fin de l'humanité. Et là on est clairement dans une SF apocalyptique, puis post-apocalyptique. Car les hommes pouvant comprendre parfaitement ce qu'ils échangent, ainsi que toutes leurs expériences (bien qu'il ne s'agisse pas de télépathie), ils vont boire le récit de l'un des leurs transformé en créature jupitérienne avant de redevenir homme, qui décrit le paradis qu'est la vie sous cette nouvelle forme. Et tout le monde va vouloir connaître ça. Devenir comme ça. 

Pour reprendre un concept développé par Ian Banks, on va être dans la Sublimation massive de l'humanité. Sublimation qui bien sûr n'est qu'une forme de suicide: puisque si vous vous transformez en quelque chose d'autre que l'humain, vous mettez fin à votre humanité. Et là, bingo, on est dans le transhumanisme. Mais tout cela suggéré, bien sûr. Avant que ces concepts n'existent. 

Une chose, au sujet du recueil, c'est la place quasi inexistante des femmes. Et c'est très important de s'en souvenir pour une œuvre aussi fondatrice de la SF. Le ton est donné, la SF sera avant tout masculine. Le problème, c'est qu'il y a nettement plus de lectrices que de lecteurs. Beaucoup de personnes considèrent que la SF a eu tendance à se mettre dans un ghetto. Je dirais que nous avons sans doute là une cause très importante de cette marginalisation, la SF par les hommes pour les hommes. Bien sûr, et heureusement, il y a eu de nombreuses romancières formidables qui ont émergé en SF par la suite. Mais pas encore suffisamment, même de nos jours, pour redresser la barre. 

J'ai beaucoup parlé de la SF fondatrice de Simak, très peu des chiens eux-mêmes et du caractère antispéciste avant l'heure de son œuvre. Simak, j'en suis sûr, a dû avoir un chien, ou au moins un ami qui en avait un. Il connaissait le caractère si fort de l'amour que peuvent nous vouer les chiens, si fort qu'il en devient inhumain, dans ce sens où aucun homme ne semble capable d'un amour et d'une loyauté équivalente à celle des chiens. 

Pour quelqu'un qui a subi le pire de ce que l'homme peut infliger à l'homme pendant la Seconde Guerre Mondiale, les chiens et l'amour qu'ils nous portent peuvent facilement faire figure d'idéal à atteindre. Cela transparaît dans le recueil. 

Je me figurais naïvement que toute la SF des années 40 était positiviste, voyait la technologie comme une solution. En réalité, on peut penser que Simak va préfigurer toute la SF pessimiste et noire qui va suivre. Ainsi quand l'homme dénommé Fowler et son chien sont transformés en créature de Jupiter nommées Lopers (j'ai lu le roman en anglais), voici la réflexion qui vient à Fowler: Peut-être que nous sommes les crétins de l'univers. Peut-être que les cerveaux des choses naturelles de la Terre sont lents et brumeux. Peut-être que nous sommes figés et que nous devons faire les choses à la dure. Car il a l'impression de connaître beaucoup plus de choses, d'être beaucoup plus intelligent en tant que Loper. 

Il poursuit ainsi: Nous commençons tout juste à apprendre quelques-unes des choses que nous devons savoir - quelques-unes des choses qui nous ont été cachées en tant qu'êtres humains, peut-être parce que nous étions des êtres humains. Parce que nos corps humains étaient des corps inadéquats. Mal équipés pour penser, mal équipés de certains sens que nous devrions connaître. Peut-être même dépourvus de certains sens qui sont nécessaires à la vraie connaissance.

On voit là une vraie critique de l'homme en tant que tel. Tel qu'il a été créé. Il faut noter que l'aspect religieux est totalement absent de Demain les chiens. Mais évidemment, la nature ayant horreur du vide, l'aspect spirituel va bien se retrouver quelque part. Et ici, on a une sorte d'inversion du péché originel, qui était celui de la connaissance, qu'il s'agisse de la pomme de la connaissance croquée dans le jardin d'Eden, ou du feu prométhéen volé aux Dieux. Chez Simak, les hommes sont trop ignorants par eux-mêmes, naturellement. Tel est leur péché. 

L'évaluation que fait Simak de l'homme va se préciser au travers du discours d'un chien en préambule de la cinquième nouvelle, Paradis. L'homme s'est lancé dans une course effrénée au pouvoir et à la connaissance, mais on ne trouve nulle part la moindre allusion à ce qu'il entendait en faire une fois qu'il les aurait atteints. Selon la légende, il est sorti des cavernes un million d'années auparavant. Et pourtant, ce n'est qu'un peu plus de cent ans avant l'époque de ce conte qu'il a réussi à éliminer le meurtre comme élément fondamental de son mode de vie. Voilà donc la véritable mesure de sa sauvagerie : après un million d'années, il s'est débarrassé du meurtre et il considère cela comme un grand accomplissement.

Là, on a un vrai jugement posé sur l'homme par les chiens. Un jugement dont il est difficile de ne pas penser que c'est celui de Simak lui-même. En tout cas, au moment où il a écrit la nouvelle. Car Simak, comme on va le voir, va brouiller les cartes dans d'autres nouvelles, de manière à ne pas envoyer de message de manière trop claire. Néanmoins, pour un antispéciste, quelqu'un qui estime que l'homme est coupable d'une multitude de meurtres, le passage sur l'élimination si difficile du meurtre par l'être humain ne peut que résonner de manière claire et nette. 

Cela sous-entend bien sûr une chose: les chiens nous sont largement supérieurs. Les chiens dotés d'une intelligence humaine auraient éliminé le meurtre bien plus vite que l'humain. Difficile de ne pas voir là-dedans une idéalisation du chien qui vient du fait que celui-ci est devenu un animal de compagnie loyal, capable d'un amour inhumain. Mais un amour qui dépend bien sûr de la main qui vous nourrit, qui n'est pas si désintéressé que ça. Le véritable amour, d'ailleurs, ne peut-il pas exister réellement que quand il y a égalité entre les êtres? Et non quand il y a un rapport de domination de l'un sur l'autre? Comment pouvoir mesurer quelque chose, quand la relation est aussi inégale? Et comment pouvoir prétendre qu'une espèce est moralement supérieure à l'autre? 

Dans la nouvelle Paradise, on retrouve le sense of wonder propre à de si nombreux anglo-saxons, mais qui se sert de l'homme comme d'un repoussoir. Ainsi, c'est sous la forme du Loper que ce sense of wonder intervient. Ici, Fowler se demande comment il va faire comprendre à un humain tout ce qu'il ressent en tant que Loper, et qui est merveilleux. Comment expliquer, se demandait-il, la brume qui flottait sur la terre et le parfum qui était un pur délice. D'autres choses ils comprendraient, il le savait. Qu'on ne devait jamais manger, qu'on ne dormait jamais, qu'on en avait fini avec toute la gamme des névroses dépressives dont l'Homme était victime. 

On voit à quel point l'homme tel qu'il est conçu est rejeté par le narrateur à cet instant. Le fait de manger, de boire et de dormir est ressenti comme de terribles entraves, et les sens de l'humain décrits comme terriblement imparfaits comparés à ceux du Loper. On parle même de névrose permanente au sujet de l'humain. Là, on est complètement dans la préfiguration du transhumanisme. Le fait de vouloir se départir de la partie animale qui nous est propre, pour aller vers quelque chose de plus idéal et plus parfait. La névrose que le narrateur impute à l'espèce humaine toute entière est en fait la sienne propre, celle de ne pas se sentir bien dans son corps et sa condition d'être humain. On peut penser, là encore, que Simak partageait une bonne partie de cette opinion, et était lui-même victime de cette névrose. Un cas de projection classique.

Dans la nouvelle six, Hobbies, Simak va brouiller les cartes. Un chien nommé Ebenezer était en train de jouer avec un lapin juste avant le début de la nouvelle. Dès le début, un loup se tient avec le lapin mort dans sa gueule. On comprend qu'il vient de le tuer, et il offre le lapin au chien Ebenezer. Voici ce que dit ce dernier à son compagnon, Shadow. "Il ne tentera rien," dit Ebenezer. C'est un de nos amis. Ce n'est pas sa faute pour le lapin. Il ne comprend pas. C'est sa façon de vivre. Pour lui, un lapin n'est qu'un morceau de viande. Comme c'était le cas pour nous avant que le premier chien ne vienne s'asseoir avec un homme devant un feu de l'entrée d'une grotte - et pendant longtemps après cela. 

Là, tout à coup, la terminologie de meurtre appliquée à l'homme quand il chasse les animaux devient différente avec les chiens. Dans des temps reculés, les chiens ne pouvaient s'empêcher de chasser les animaux parce que ça faisait partie de leur nature. Alors que l'homme, plus intelligent, plus conscient, aurait dû cesser ces meurtres bien avant. Là, le loup qui a tué le lapin n'est pas coupable, parce qu'il n'a pas encore reçu l'enseignement des chiens. Cet enseignement consiste en l'interdiction par rapport aux meurtres des êtres vivants - ce qui va venir plus tard dans l'histoire. En fait, chez Simak, l'homme a rendu les chiens plus intelligents en les dotant de la parole, et comme ils ont un meilleur "cœur" que l'être humain, ils se rendent compte des déficiences monstrueuses de celui-ci sur le plan moral. 

Le problème dans cette configuration, c'est que Simak ne juge le "cœur" des chiens que dans leur relation par rapport à leur maître, l'homme. Il y a donc forcément une idéalisation de l'amour dont sont capables les chiens par rapport à celui dont est capable l'homme. On ne voit pas du tout la manière dont pensent les chiens les uns par rapport aux autres, à l'état sauvage. Pour cela, il faudrait se référer à un Appel de la Forêt ou à un Croc blanc de Jack London, beaucoup plus réalistes. Mais c'est ce genre de raisonnement de Simak qui était tout à fait propice à la naissance de l'antispécisme. Et je ne dis pas que ce soit Simak à lui seul qui ait lancé l'antispécisme. Simplement, la domesticité accrue de l'animal ne pouvait que donner lieu à ce type de mouvement, non seulement envers le bien-être animal, ce qui est normal, mais à une forme d'anthropomorphisme de l'animal, appelé non humain par les antispécistes, et qui doit tout à coup s'inscrire dans des lois que l'homme établit par rapport à d'autres hommes, parce que mis sur un pied d'égalité théorique. Comme tous les artistes, Simak a su saisir quelque chose qui était dans l'air pour le coucher sur le papier.

Et dans ce tribunal qui est celui de Demain les chiens, nous en venons maintenant à une nouvelle accusation contre l'être humain portée par Simak, par le biais du robot Jenkins. Dans la septième nouvelle, Aesop. Mais maintenant je sais que j'ai raison. L'arc et la flèche en sont la preuve. Un jour, j'ai pensé que l'Homme avait pu faire fausse route, que quelque part dans la sombre sauvagerie qui a été son berceau et son lieu de croissance, il avait pu partir du mauvais pied, prendre la mauvaise direction. Mais je vois que j'avais tort. Il n'y a qu'une seule route que l'Homme peut emprunter - celle de l'arc et des flèches.  

Le jugement est terrible, définitif. L'homme, de par sa nature, est dédié à la violence. Et ce qu'il faut comprendre, bien sûr, contrairement à l'animal. Ou en tout cas, contrairement à l'animal qui serait doté d'une intelligence similaire à l'homme. 

Alors bien sûr que l'on sait que des dauphins, aussi très intelligents, tuent les poissons pour s'en nourrir. Les dauphins, peut-être aussi futés que nous, ne sont ni véganes ni non-violents.

Je vous disais que l'on trouvait toujours la spiritualité quelque part. Qu'elle ne disparaissait jamais complètement. Comment ne pas voir quelque chose d'éminemment religieux dans ce jugement au sujet de l'Homme? Il se sert de sa connaissance pour faire le mal, pour tuer. 

A ce point de la lecture du recueil, on pourrait se dire que Demain les chiens est presque le début d'un enseignement, d'un dogme antispéciste. Mais Simak va de nouveau brouiller les cartes, avec les fourmis. Bien avant celles de Bernard Werber... Dans l'une des nouvelles, le mutant Joe, encore lui, apprend aux fourmis à bâtir des demeures et des cheminées. Il leur permet de dépasser un stade de l'évolution où les fourmis étaient bloquées. Celles-ci se mettent à construire un bâtiment, de plus en plus immense. Vers la fin du recueil, il ne reste plus d'humains, ces derniers étant en stase permanente - les rares qui ne sont pas allés sur Jupiter se transformer en Lopers. Le bâtiment est devenu tellement immense qu'il est sur le point de remplir la Terre entière.

L'ironie est assez profonde quand on songe que les mutants, qui détestaient les villes, ont donné le pouvoir à l'espèce insectivore qui construit déjà à l'état naturel ce qui ressemble un peu à des villes, de construire un bâtiment englobant le monde entier, comme une immense ville. Bien avant Trantor d'Isaac Asimov! 

Jenkins, le robot quasi éternel, s'affole car il se rend compte qu'à ce rythme, ses amis les chiens ne pourront plus rester sur Terre. Plus de place! Il va jusqu'à réveiller l'un des Websters de sa stase éternelle. Il le contacte télépathiquement en lui demandant quelle est la solution au problème. Webster lui parle tout bonnement d'insecticide. Jenkins, contre le meurtre, ne peut s'y résoudre. Les chiens sont contraints de franchir les portes dimensionnelles et de s'enfuir sur d'autres mondes. 

Si Simak brouille les cartes, c'est qu'il nous suggère qu'une interdiction absolue du meurtre ne sera pas viable si une espèce prend le pas sur l'autre. Surtout une espèce dont l'intelligence est impénétrable à toutes les autres, comme les fourmis. Ou alors toutes les autres sont sacrifiées, au profit ici de la fourmi. Il accrédite donc le fait que la solution qu'il semblait préconiser a aussi ses failles. Et du coup, son recueil devient nettement moins dogmatique au sujet de l'antispécisme. 

A noter que dans l'épilogue, seules les souris semblent avoir survécu sur Terre au règne des fourmis. Ainsi que Jenkins, qui s'occupe toujours de la maintenance de la maison des Websters, bien que ses maîtres aient disparu depuis longtemps. Les fourmis elles-mêmes sont toutes mortes, elles n'ont pas survécu à leur domination absolue. Les robots qui étaient partis vers d'autres planètes viennent retrouver Jenkins et repartent avec lui pour de nouvelles aventures.  

L'épilogue a cependant été écrit trente ans après le reste, et je considère que la véritable fin du recueil se trouve à la fin de la huitième nouvelle, quand Jenkins se rend compte que limité par son avancée civilisationnelle qui empêche le meurtre, il ne peut rien faire contre l'ultra domination des fourmis. Une fin ironique à souhait, qui permet à l'auteur de remettre en cause ses préceptes et invite le lecteur à faire preuve d'intelligence. C'est en tout cas une interprétation possible. 

[EDIT 27/10/2022] : Le concept fondamental de Directive Première en Science-Fiction, élaboré dans Star Trek, veut que l'être humain du futur, suffisamment éclairé, n'intervienne pas auprès de peuples extraterrestres moins évolués, afin de les laisser évoluer à leur guise. Une directive, soit dit en passant, qui devrait être enseignée à Science Po, ça éviterait à des leaders comme Mitterrand de commettre l'énorme bourde d'armer les Hutus, leur permettant d'accomplir leur génocide contre les Tutsis. On ne donne pas du pouvoir à des peuples qui n'ont pas développé la maturité pour user de ce pouvoir à bon escient. Eh bien ce concept a peut-être bien été esquissé par Simak dans Demain les chiens. Au début, Simak va complètement à l'envers de cette directive: les Websters interviennent sur les chiens en leur donnant le don de la parole, ce qui ne peut manquer d'avoir des implications sur leur don de raisonnement. Mais ensuite, les Websters, et leur successeur Jenkins, font en sorte que les chiens oublient les humains, afin qu'ils puissent évoluer en toute liberté, sans être parasités par la pensée humaine. Là, on est dans la Directive Première. Pas encore formalisée en tant que telle, mais c'est une ébauche.   

vendredi 23 septembre 2022

Gouvernement mondial

Beau discours de Mitterrand en 1992, à l'occasion du traité de Maastricht. J'apprécie tout particulièrement le passage ci-dessous. Mais en même temps, je trouve qu'il faut aller plus loin, tout en reconnaissant que les obstacles sont immenses.   

« Allons-nous fabriquer, construire une Europe pour la guerre, au bénéfice du futur vainqueur (mais lequel?), ou pour la paix? Il arrive un moment où l’on se lasse des guerres, où l’on se lasse aussi des paroles toutes faites. D’une génération à l’autre, nous avons appris que la France avait des ennemis héréditaires; mais ce n’étaient pas les mêmes! La France a compté comme ennemis héréditaires à peu près tout le monde en Europe. Le temps de l’Angleterre est bien connu, mais celui de l’Espagne pas si lointain; et l’Empire austro-hongrois, la Prusse, l’Union Soviétique et l’Allemagne, disons le Reich, cela fait beaucoup d’ennemis héréditaires, et même un peu trop si l’on veut pouvoir s’y reconnaître. Je me souviens d’avoir fait le compte: en vérité, il n’y a qu’un seul pays en Europe avec lequel nous n’ayons jamais fait la guerre. Le seul pays avec lequel nous n’avons jamais été en guerre – c’est l’occasion de le rappeler, et on ne va pas la faire –, c’est le Danemark!

Bref, la France a été la plupart du temps un voisin incommode. On ne devrait pas le dire, eh bien moi, je m’autorise à le dire: un voisin incommode. Mais les autres aussi. »

Tiré de cet article du site Il faut sauver l'Europe, où vous pouvez retrouver l'intégralité du discours.

Dans ce discours, il apparaît en filigrane que l'Europe de Maastricht, bâtie pour la paix, reste une Europe conflictuelle en matière économique: c'est un rassemblement d'Etats dans le but de peser économiquement, de pouvoir résister aux grands blocs de l'Est, de l'Asie et des Amériques. C'est une communauté d'intérêts économiques.

On voit malheureusement de nos jours avec le conflit avec la Russie que l'économie n'est pas une île. L'économie ne peut être tout à fait dissociée des notions politiques, des notions de démocratie et de dictature ni même des notions militaires.

Le rapprochement des pays d'Europe au sein d'une même entité répond en premier lieu à des données d'emplacement géographique: des pays proches les uns des autres. Ensuite vient l'idée de ne plus se faire la guerre, corrélée aux intérêts économiques de compétitivité par rapport au reste du monde. Puis vient la culture et la religion. La condition de tout cela est que ce rapprochement d'un grand bloc qu'on appelle l'Europe se fasse sous un régime démocratique limitant la corruption.

C'est cette condition à laquelle ne répond pas la Russie post-soviétique ni vraisemblablement la Hongrie, malgré l'incongruité de sa présence dans l'Europe.

Ces grands blocs économiques sont souvent critiqués pour leur aspect technocratique, et ont quelque chose d'artificiel. Ce qui n'a rien d'artificiel, en revanche, c'est la différence entre pays démocratiques et autocratiques. 

Comme on le voit avec la faiblesse de l'ONU, avec son conseil de sécurité qui ne sécurise pas grand-chose, les pays autocratiques sont aujourd'hui le principal obstacle à l'établissement d'un gouvernement mondial, où des notions finalement rétrogrades de domination économique, et de concurrence de grands blocs les uns par rapport aux autres, cèderaient la place à une plus grande coopération entre les peuples, sans pour autant étouffer les différentes cultures.

Le passé a aussi ses chaînes, dont il faut pouvoir se libérer. Cela prendra sans doute beaucoup de temps, malgré le facteur accélérant que peut constituer un outil comme Internet.

dimanche 11 septembre 2022

Un boulet nommé Boeing

« Pour 2,2 milliards de dollars, t'as plus rien! » C'est ce que pourraient s'exclamer les pontes de la NASA, qui évaluent à cette somme le simple lancement du Space Launch System, la fameuse fusée SLS devant donner le coup d'envoi de la mission Artémis sur la Lune. La fusée, dont le premier étage et les moteurs sont construits par Boeing, ne cesse de subir retard sur retard, augmentant sans cesse les coûts. En faisant le choix de l'hydrogène liquide comme carburant, Boeing a pris une option de nature à faire exploser les coûts, et à ne préparer en aucun cas l'avenir. Là où son concurrent Space X, en choisissant le méthane comme carburant pour son futur Starship, mise au contraire sur la fiabilité, la réduction des coûts et l'avenir. 

Je n'ai abordé véritablement les défis du spatial, en consacrant l'article à Space X qu'une seule fois sur ce blog, en 2016. Et encore, à l'époque, j'avais privilégié l'angle de la médiatisation, qualifiant le mensonge par omission que constitue Space X dans les médias de Plus grand scandale médiatique de ces dernières années. 

Ah 2016! Que de choses se sont passées depuis! Ou, en termes plus familiers, bordel, qu'est-ce que le monde a changé en 6 ans! Nostalgie... Space X s'est mis à envoyer des astronautes sur la station spatiale internationale et à les faire revenir sur Terre. La constellation Starlink, qui n'était qu'à l'état de projet au mieux en 2016, compte maintenant plus de 3000 satellites, tous envoyés par des fusées Falcon 9 dont le premier étage s'est quasiment systématiquement reposé sur la terre ferme, ou le plus souvent sur des barges automatisées dans l'océan. Le coût de l'abonnement Starlink a été divisé par deux en France, à 50 € par mois, et il est maintenant possible de se connecter de n'importe où sur l'hexagone si l'on dispose de l'abonnement et de l'équipement approprié.

A noter que les fusées Falcon, avec leurs réacteurs Merlin, ces modèles de fiabilité, utilisent du kérosène et non de l'hydrogène liquide comme carburant. (Je ne parlerai pas ici de comburant pour limiter la complexité de l'article.)

Depuis 2016, le projet Starship a grandement avancé. Les scientifiques ont cru qu'Elon Musk était tombé sur la tête quand il a dit qu'il comptait récupérer le Starship à l'aide de bras articulés, ce qui ne s'est jamais fait dans l'histoire de la conquête spatiale. Mais en même temps, ces mêmes scientifiques spécialisés dans les technologies spatiales ont cru la même chose quand le même Musk avait parlé de faire atterrir des étages de fusées... Voire, avec Starship, une fusée entière. 

 

La leçon à en tirer? C'est peut-être en réussissant des paris impossibles qu'on fait le plus progresser la technologie. A condition toutefois que ces paris ne soient pas juste un tour de force du moment, mais qu'ils ouvrent la voie à quelque chose d'industrialisable, et donc, de nature à faire baisser drastiquement les coûts. Disruption, quand tu nous tiens...

La plupart des auteurs autoédités comme moi connaissent certains modes de pensée assez courants chez les auteurs traditionnellement édités. Le fait par exemple que parler de l'argent, c'est vulgaire, ça ne se fait pas. C'est limite salissant. Eh bien on peut se demander si chez les scientifiques spécialisés dans le spatial, on n'a pas la même dérive, en fait. 

Après tout, le spatial étant financé par la manne de l'argent public, il n'y a pas à se préoccuper d'argent, n'est-ce pas? Le rêve avant tout. Dépensons sans compter l'argent du contribuable!

Sauf que le Congrès américain, en son temps, n'a pas hésité à couper les vivres à la navette spatiale, non seulement pour des raisons de fiabilité, mais surtout pour des raisons de coût. Ce qui a entraîné la dépendance envers la technologie russe, à une certaine période, pour l'accès à la Station spatiale internationale. Eh oui, les reality checks, des fois, ça fait mal...

Revenons donc à cette histoire de carburant. L'hydrogène liquide est l'un des éléments de l'univers qu'il est le plus difficile d'isoler et de maîtriser, il ne faut donc pas s'étonner que d'énormes quantités d'hydrogène liquide utilisés comme carburant par Boeing dans la fusée SLS provoquent des fuites à répétition... ces mêmes fuites qui, si elles atteignent un certain seuil, vont provoquer des explosions. L'hydrogène liquide, qui semble à la base avoir des coûts raisonnables, dans le cadre du spatial, induit donc des coûts cachés qui sont redoutables. Et d'autant plus pour des fusées très puissantes, qui doivent se mettre en orbite autour de la lune, et qui vont donc en utiliser beaucoup plus que pour le simple envoi de satellites. Plus vous en utilisez, moins c'est maîtrisable.

Le méthane ne garantit pas l'absence d'explosion, comme on l'a vu avec l'un des essais sur le starship, mais s'avère beaucoup plus stable. Et dans le cadre de la conquête future de mars, le méthane est bien évidemment la solution à privilégier, puisqu'il sera possible d'en produire directement sur la planète rouge. L'atmosphère y étant principalement composée de CO2, grâce à l'installation de centrales solaires sur mars, il serait possible de mettre en œuvre le processus Sabatier en provoquant l'électrolyse du carbone mélangé à de l'eau glacée trouvée sur la planète. Ce qui produirait du méthane, sur place. 

Il existe même des méthodes expérimentales pour se passer d'hydrogène et convertir directement le CO2 de mars en méthane, grâce au zinc. 

L'autre alternative, l'envoi des quantités nécessaires de carburant sur place pour permettre à une fusée de redécoller s'avère prohibitif en coût, en énergie et en complexité.

Là où Space X va progressivement réduire le coût d'envoi et de réutilisation de ses Starships, à la condition bien sûr que la société parvienne à récupérer les fusées sans que l'atterrissage n'occasionne de dégâts sur les fusées Raptor, grâce aux bras articulés, là où la compagnie a fait le choix de la fiabilité du carburant, on voit donc que Boeing nous propose une technologie nettement plus aléatoire, et qui ne permettra de toute façon pas de faire redécoller les fusées sur mars. Qui prépare le mieux l'avenir, à votre avis? Alors même que la mission Artémis est censée préparer mars...

Oui, je sais Space X ne pourra pas directement accueillir ses Starships sur mars à l'aide de bras articulés, il y aura certainement des modèles intermédiaires de starships qui proposeront des pieds pour atterrir, ou amarsir, de manière classique. Mais qui peut le plus peut le moins. Si la technologie de rattrapage marche sur Terre, elle devrait aussi fonctionner à terme sur mars. 

Et les fusées Ariane, dans tout ça? Elles n'utilisent pas de méthane, mais du propergol solide, et je vous le donne en mille, de l'hydrogène liquide comme carburant. La fusée Ariane 6, qui sortira si tout va bien en 2023, bien que moins coûteuse en carburant, ne sera toujours pas réutilisable. Il en va de même, bien sûr, pour le Space Launch System.   

Pour reparler de Boeing, il nous reste tous à espérer que la Nasa ait blindé son contrat avec eux. En cas d'échecs répétés du SLS, la Nasa devrait être capable de réattribuer le contrat à un autre opérateur qui permettra de gagner du temps et de l'argent. 

Alors, bien sûr, le Starship n'est pas encore prêt. Starship qui présente à priori une triple évolution par rapport au Falcon 9: 

- il n'y a que deux étages

- les deux étages seront réutilisables

- le mécanisme de type Mechazilla, ou "chopsticks", ou bras articulés, permettra de récupérer le booster principal (premier étage)

Néanmoins, Space X a beaucoup progressé. Dans sa volonté de réduire drastiquement les coûts, l'entreprise n'est bien sûr pas non plus exempte d'erreur, comme en a témoigné un tir statique récent des six raptors de l'étage supérieur. Comme Space X avait rogné sur le déluge d'eau pour noyer les réacteurs, et comme la société n'avait pas été autorisée à débroussailler les environs en totalité, des broussailles ont pris feu, cela s'est propagé, et les pompiers ont dû s'employer à éteindre l'incendie. 

De quoi entraîner de nouveaux retards, mais Space X apprend de ses échecs et va vers toujours plus d'efficience au niveau de l'ingénierie. Et donc, il est très possible, presque prévisible en fait, si le SLS prend du retard sur plusieurs mois, que le Starship finisse par le rattraper et devienne, de loin, la meilleure option. En attendant, c'est avec un certain scepticisme que je vais assister à la prochaine tentative de lancement de la mission Artemis et du SLS le 23 (ou le 27) septembre. 

[EDIT 20/09/2022] : L'article de Numérama sur le sujet, qui ne m'a pas convaincu. C'est en effet dans les mois à venir que l'on saura si Space X a eu raison ou non de s'engager dans la voie du méthane. Et mon petit doigt me dit qu'ils sont sur la bonne voie...