vendredi 24 mai 2019

Déni de démocratie

La notion de "vote utile" dans le sens: "votez pour moi parce que de cette manière, votre voix comptera, parce que j'ai le plus de chances de gagner" est un déni de démocratie. Cette notion introduit le droit du plus fort en politique: "votez pour le plus fort." Or, dans une démocratie digne de ce nom, on ne vote pas pour le plus fort, mais pour des idées. Quelle est la solution? Pour moi, elle est radicale: supprimer entièrement les sondages dès lors qu'il y a vote du public pour élire des représentants nationaux ou européens. Les interdire, car ce sont les sondages qui introduisent la notion de rapport de force et de compétition en politique. 

La dérive de chaque élection vers une sorte de compétition de type show télévisé ou sportif ne pourrait exister à ce point sans les sondages. Imaginez des journalistes qui n'auraient plus accès à aucun sondage: ils seraient forcés d'analyser les idées et les programmes des candidats, sans pouvoir sensationnaliser chaque élection à la manière d'une course hippique. 

"Mais Alan, les sondages existeront toujours: si on les interdit en France, on aura des sondages en provenance de Suisse ou de Belgique, parce que les gens veulent savoir à l'avance."

Pour moi, c'est une question d'éducation: si chaque personne qui reçoit un appel d'un institut de sondage est suffisamment éduquée et informée pour répondre qu'elle ne souhaite pas dire pour qui elle va voter afin de ne pas influencer le vote, et ce faisant ne pas privilégier une forme de droit du plus fort pour privilégier le débat d'idées, alors, on aura fait un vrai pas vers une société plus avancée démocratiquement. Les instituts de sondage politiques seront forcés de déposer le bilan.

Cela signifie que chaque petit candidat aura sa chance. 

"Oui, mais Alan, comment on fait pour le financement des partis? On sait qu'il faut atteindre un certain seuil pour être remboursé."

Oui, dans le système actuel, il faut atteindre un certain seuil de votes. De votes, et non d'intentions de vote. C'est à dire que les sondages n'ont rien à voir là-dedans. 

Je pense que chaque élection devrait être organisée sur le principe du crowdfunding, avec interdiction pour les entreprises, nations étrangères ou les groupes d'influence de financer les candidats. Chaque candidat devrait monter sa propre campagne sur internet pour se faire financer. 

"Est-ce que ça ne va pas favoriser les personnalités les plus en vue ou les artistes?"

C'est une possibilité. Néanmoins, les gens font-ils confiance aux artistes pour leurs idées? Je crois qu'ils savent faire le distingo entre les idées constructives pour la société et la simple notion de popularité.

Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, mais je suis sûr d'une chose: les sondages favorisent l'aspect compétition, l'aspect rapport de force, et cela n'a pas lieu d'être pour une société qui cherche à élire les gens qui ont les meilleures idées pour l'ensemble de la société. 

Seule la notion de "vote utile, parce que ce vote sera utile à la société" doit être retenue. La prochaine fois qu'un homme politique vous dira de voter utile, si c'est dans le sens de voter pour le plus fort, sachez qu'il vous demande en fait de voter comme des moutons de Panurge, qui se rangent derrière l'avis du plus grand nombre. 

Demandez-vous si cela vous grandira d'agir ainsi. 

jeudi 16 mai 2019

Le Paradoxe de l'Auteur

Dans le système actuel, tous les auteurs, quels qu'ils soient, sont en compétition pour le Temps Disponible de Cerveau des lecteurs. En cela, ils s'inscrivent dans un système beaucoup plus global qui comprend aussi bien des artistes que des non-artistes: après tout, même un scientifique cherchant à faire publier un article est à la recherche de Temps Disponible de Cerveau. 

Le plus dur pour un auteur, c'est de survivre à la sortie de ses livres. C'est ce que je disais encore l'autre jour sur Facebook, et je parle bien sûr d'expérience. L'espoir que l'on va projeter dans l'écriture d'un livre, le temps que l'on y passe, l'investissement que ça demande, tout cela peut se retourner contre nous si l'on se met en position d'attente. 

Même en essayant de baliser le terrain, même en se créant un groupe avancé de bêta lecteurs chargés de vous lire avant tout le monde, des gens que vous avez déjà rencontrés, dont vous êtes sûr qu'ils ont acheté au moins l'un de vos livres précédents et qui se sont portés volontaires pour lire le suivant avant tout le monde, même ainsi, on court le risque d'être déçu, si l'on se met en tête que l'objectif de ce genre de groupe n'est pas de limiter la casse. Il faut attendre très très peu de ses écrits pour éventuellement bénéficier de bonnes surprises, et savoir se contenter de petites victoires qui viendront avec le temps. 

C'est ce que me dit mon expérience, en tout cas. 

Comment pourrait-il en être autrement, quand vous voyez des réductions de plus de 70% sur des jeux géniaux sur PS4? Quand vous voyez que telle ou telle appli super innovante, et gratuite, va révolutionner le quotidien d'une personne? Quand vous voyez les myriades de promo sur une myriade de livres? Mais aussi de films? 

Quand vous voyez des photos si admirables sur Instagram ou Snapchat? Quand il existe un nombre extraordinaire de tutoriels sur Youtube, ou de vidéos de divertissement, de quoi en regarder de sa naissance jusqu'à la mort sans discontinuer, et sans épuiser le stock? 

Quand il existe des millions de sites web parfaitement léchés (vous avez vu celui de Robert Galbraith)? Bref, quand vous voyez que l'humanité entière se bat pour grappiller de précieuses minutes du Temps Disponible de Cerveau de chacun, avec des moyens dont l'auteur indépendant ne peut que rêver? 

Dans le livre Le Secret, dont je parlais dans mon précédent billet, l'auteur Rhonda Byrne conseille de se concentrer sur l'abondance et non sur la rareté. Le fait de se voir dans une compétition est mauvais, car cela envoie des ondes négatives. 

Il n'empêche, le constat est là: le Temps Disponible de Cerveau est loin d'être infini. Le seul système qui pourrait garantir à chaque individu de ne pas nourrir de pensées de rareté ou de pauvreté serait un système où le Revenu universel inconditionnel existerait, ce qui permettrait d'avancer de manière beaucoup plus sereine dans la vie.

Et vous savez quels sont mes rêves, en tant qu'auteur? Je ne pense pas être très original en cela, je pense que de nombreux d'auteurs de fiction en rêvent aussi: 

- de voir mes romans adaptés au cinéma (j'avoue que c'est aussi ainsi que je justifie d'avoir traduit ou fait traduire en anglais les trois tomes du cycle d'Ardalia: pour conserver cette part de rêve)
- de voir mes romans adaptés en bande dessinée
- de voir mes romans adaptés en manga
- de voir mes romans adaptés en jeu vidéo


Vous voyez où je veux en venir, avec mon Paradoxe de l'Auteur? Si tous mes vœux se réalisent, je vais me priver pour mes prochains romans, et priver aussi les autres auteurs, de Temps Disponible de Cerveau. 

Pire, si l'un de mes romans inspire un auteur, si cet auteur se met à écrire et à connaître le succès, c'est la cata en termes de disponibilité du lecteur. Un peu comme si chaque mot que j'écrivais, y compris sur ce blog, me construisait un avenir de plus en plus désastreux. 

Bon, je ne vais pas vous laisser sur cette note légèrement négative, voire déprimante. Je crois que les auteurs, et en particulier les auteurs de fiction, sont dans une position artistique unique: ce sont des sources. Nous sommes tous des sources en fait, tout ceux qui ont accès à l'écrit et ont la capacité d'écrire des histoires. 

Vous allez me dire:
- oui mais Alan, la musique d'Interstellar provoque plus d'émotion et raconte mieux l'histoire encore que le scénario
- tu as vu les scénarios rédigés par les commerciaux de Disney pour les derniers Star Wars? 


A cette dernière question, je répondrais que certaines sources peuvent être frelatées. Et à la première, que la musique est sans doute, sur certains points, supérieure à l'écrit. 

Mais cette idée selon laquelle nous sommes des sources ne signifie pas selon moi une supériorité de l'écrit sur les autres formes d'art. C'est juste que c'est plus pratique de travailler sur une adaptation cinématographique ou même sur un jeu vidéo de type jeu de rôle en se fondant sur des écrits. Si le roman est de qualité et que l'auteur s'y connaît suffisamment pour participer par exemple à l'adaptation en film, cela peut même devenir un gage de réussite du long métrage.

Les novélisations de films ou de jeu vidéo existent aussi, et il existe peut-être même des novélisations de musique, mais ce ne sont pas des débouchés naturels, et le succès est plus rarement au rendez-vous. 
Cette capacité de chaque être humain d'être une source est infiniment précieuse. A elle seule, j'y vois la justification d'un revenu universel inconditionnel qui nous permettrait de sortir d'un contexte de compétitivité assez monstrueux, finalement, pour des civilisations dites avancées, pour nous tourner vers un contexte de coopération. Enfin! 

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