mardi 30 octobre 2018

Enfer et bonnes intentions

"L'enfer est pavé de bonnes intentions", disent les tenants du système économique dominant à l'heure actuelle, en évoquant le revenu universel inconditionnel. Le capitalisme, à l'inverse, serait plus vertueux, car calqué sur la nature. Sur le plan des idées comme en pratique - le diable étant dans les détails - la notion de partage des ressources va devoir faire ses preuves en ce XXIème siècle. 

Dans son cycle de l'Epée de Vérité, l'auteur de Fantasy Terry Goodkind appelle cela la "deuxième leçon du sorcier", celle des conséquences inattendues. On pourrait aussi parler d'entropie au sens de "fonction d'état extensive", chaque acte ayant des conséquences. 

Un exemple contemporain assez classique est celui du SDF qui fait la manche, et auquel, pour soulager votre conscience, vous donnez de l'argent. S'il se sert de cet argent pour se saoûler et traverse la rue au mauvais moment, se faisant écraser, vous aurez contribué à son autodestruction alors que votre geste partait d'une bonne intention.

Un autre dicton qui viendrait compléter cet "enfer pavé de bonnes intentions" est celui-ci: "mieux vaut apprendre à un homme à pêcher plutôt que de lui donner du poisson." 

De la même manière, un revenu universel inconditionnel entraînerait des conséquences destructrices: dépendance, démotivation, paresse, immobilisme, désapprentissage, vulnérabilisation de la population. 

A l'opposé, le système capitaliste serait vertueux, puisque comme dans la nature, il entraîne un dynamisme: il faut se bouger les fesses pour obtenir son beefsteak - ou son steak au soja si l'on est végane - la compétence et l'activité intense sont récompensées par l'accumulation de profits et de capital. 

Donc, pour résumer, le revenu universel inconditionnel serait une mauvaise chose en raison des conséquences fâcheuses qu'il entraîne, mais pas le capitalisme, puisque celui-ci est calqué sur la nature, qui est vertueuse. 

C'est une vision qui pourrait être parfaite, et très confortable, si la nature elle-même ne la démentait. En effet, un prédateur beaucoup mieux armé que tous les autres, qui ferait le vide autour de lui dans la nature, serait condamné à se retourner contre ses congénères et à mourir de fin. 

Or, quel prédateur est mieux armé que l'Homme, aujourd'hui pour tout éliminer autour de lui? Lisez par exemple cet article sur la disparition actuelle des vertébrés. 60% des vertébrés disparus en 44 ans, ce n'est pas rien.

La compétition portée à un haut niveau est donc elle aussi victime de conséquences inattendues, par les déséquilibres qu'elle provoque. La deuxième leçon du sorcier.

Sans même parler de compétition, l'humanité a de tout temps cherché à améliorer sa capacité de production de ressources en procréant davantage, pour des raisons économiques. Ce n'est plus le cas dans de nombreux pays développés, mais c'est encore en vigueur dans des pays qui ne le sont pas. 

Le fait de vouloir se multiplier à des fins économiques risque d'engendrer une surpopulation mondiale qui peut s'avérer dangereuse, et conduire à des guerres. 

De la même manière, dans la nature, ce n'est pas toujours la puissance d'un prédateur qui fait la différence. Le nombre peut aussi compter. Ainsi, pour reprendre un exemple biblique, les nuées de sauterelles. 

On sait que la peur de manquer est une vraie motivation pour la procréation. Le manque d'éducation est également un facteur prépondérant. Un revenu universel inconditionnel mondial permettrait de remédier à ce double problème. Il permettrait aussi de gérer les déséquilibres écologiques actuels en répartissant les ressources.

Mais bien sûr, il faudrait aussi s'occuper des conséquences inattendues. Le système économique actuel étant inadéquat, il faudrait le remplacer, ou en tout cas le compléter, par autre chose. 

J'écris de la Science Fiction comme de la Fantasy ou du Thriller, on me pardonnera donc de recourir à des expériences de pensée. J'aime aussi jouer aux jeux vidéo, et je pense qu'il ne faut pas sous-estimer le côté joueur de l'humanité. 

J'ai pensé à un système de points qui viendrait s'ajouter au revenu universel inconditionnel mondial, et au sytème économique actuel. Ces points que l'on pourrait gagner permettraient d'engranger une somme mensuelle supplémentaire. Cette somme pourrait être plafonnée à un certain nombre de points, mais pourrait s'augmenter si vous gagnez différentes catégories de points (avec un plafonnement global).

Le but serait bien sûr d'accroître la motivation et le dynamisme. 

Par exemple, vous mangez de la nourriture bio, ou bien vous achetez un produit entièrement biodégradable, vous gagnez des points verts. Même chose si vous allez ramasser des déchets dans la nature, refaites l'isolation de votre maison, ou encore, installez des panneaux solaires

Vous faites du bénévolat, ou bien aidez à la réinsertion d'un SDF, vous gagnez des points rouges. Vous travaillez votre condition physique, vous gagnez des points jaunes, puisque vous contribuez de la sorte à votre meilleure espérance de vie en bonne santé, et faites économiser de l'argent à la société. 

Vous écrivez un article de blog inspirant pour la société, ou bien informatif, ou un livre, vous gagnez des points gris (comme matière grise). Même chose si vous réalisez un cycle d'apprentissage de nouvelles connaissances, ou une traduction par exemple. 

Vous réalisez une prestation divertissante, vous gagnez des points bleus. 

On ne serait pas obligé de gagner chaque sorte de point. Mais ça pourrait être une sorte de jeu qui permette aussi d'améliorer sa qualité de vie, qui donne des points de repère.

A l'inverse, les produits les plus polluants, ou à base de plastique, devraient être toujours plus taxés. C'est ce que fait le gouvernement à l'heure actuelle avec le gasoil et l'essence, mais le problème, c'est qu'il n'y a pas de solution alternative à la même échelle que ce qui existe pour le diesel et l'essence au niveau transports. Et il n'y en aura pas tant que l'Etat ne parviendra pas à contraindre les entreprises au même niveau que les individus, ou au moins à les inciter de manière très convainquante. C'est ce qui donne l'impression d'un matraquage, d'une écologie punitive, alors que dans le même temps, on autorise Total à aller forer au large de la Guyane, et on fait bénéficier le même Total d'une exonération fiscale quand il met de l'huile de palme dans les carburants. 

Question d'équilibre.

mardi 2 octobre 2018

Mes valeurs

En cette année 2018, à 46 ans (presque 47), je réalise pour la première fois de ma vie que je suis né avec une cuiller en argent dans la bouche. Pourtant, mes parents sont issus de la classe moyenne française. 

Je suis né en Equateur en 1971, à Quito. A l'époque, mon père était chef d'escale chez Air France. Un métier qui rapporte de quoi vivre, mais nettement moins que pilote de ligne. Ma mère, belge de naissance, était sage-femme. 

Malgré tout, en comparaison avec le niveau de vie moyen des habitants de Quito, nous étions fortunés. J'avais une cuiller en argent dans la bouche. 

Après ma naissance, nous ne sommes restés que deux ans à Quito. Mon père a démissionné de son poste pour devenir dessinateur industriel. 

Vers la seconde moitié des années 70, nous nous sommes retrouvés à Abidjan en Côte d'Ivoire. Nous y sommes restés quatre ans. Et là de nouveau, notre niveau de vie était incomparable par rapport à celui des habitants. Nous avions un boy, un serviteur ivoirien qui jouait le rôle de nounou. 

La différence de milieu social et de niveau de vie érigeait un mur entre mes deux frères, ma sœur et moi et les autres enfants africains autour de nous. 

Le retour en France (dans les Alpes de Haute Provence, à Volx) a entraîné un vrai changement de niveau de vie et de statut. Le fait que mon père soit devenu dessinateur indépendant, ni Dieu ni maître (une formule, mon père était croyant) est évidemment quelque chose qui m'a marqué. Les choses sont devenues plus laborieuses, même si nous n'avions pas à nous plaindre. 

Quand je compare ma trajectoire à celle de Johnny Halliday et de Charles Aznavour, les deux grands chanteurs morts en 2018, et pour lesquels j'ai un immense respect, je mesure l'abîme qui nous sépare. 

Leur carrière, leur énergie, leur talent. Le milieu social dont ils sont issus, surtout Aznavour, et l'incroyable longévité de ce dernier, alors même que l'extrême célebrité véhicule de terribles dangers pour l'artiste. Partir de si bas et arrriver si haut... Je développe d'ailleurs cela dans mon article Mortelle célébrité

Immense, immense respect. Deux artistes qui avaient une générosité, un cœur énorme. Et un portefeuille dans le cœur.

Attention, je n'ai pas dit qu'ils avaient un portefeuille à la place du cœur. Leur cœur était assez grand pour y loger un portefeuille. Tous deux ont été des exilés fiscaux. Tous deux ont voté Sarkozy. 

Ils ne s'en cachaient pas d'ailleurs, et c'est tout à leur honneur. Pas d'hypocrisie. 

Le décès de Charles Aznavour, quelque part, me fait remettre pas mal de choses en perspective. Et quand je repense à ces deux chanteurs, Charles et Johnny, je ne peux m'empêcher de penser à un autre artiste, le grand Jacques Brel. 

Les bourgeois, Monsieur le commissaire, c'est comme les cochons. Plus ça devient vieux, plus ça devient con! 

Admirable chanson que ces Bourgeois. Elle décrit à la fois la lutte des classes, lutte sociale, et la lutte entre générations. Le jeune fauché et rebelle, limite bohême, le vieux bourgeois, riche et respectable. En haut de l'affiche? Mais surtout, surtout, le cycle sans fin. L'un qui devient l'autre. 

Je ne peux, bien sûr, m'empêcher d'y voir une illustration de la vie de Johnny Halliday et de Charles Aznavour, et peut-être, du destin qui nous attend tous. 

Mais je n'ai pas voté Sarkozy. Le dernier pour lequel j'ai vraiment voulu voter, c'est Benoît Hamon, et le revenu universel inconditionnel

Jean-Luc Mélenchon a eu beau parler de "boîte de Pandore" pour ce revenu, je continue à penser qu'il doit être mis en place. 

Revenons un instant sur Johnny Halliday et Charles Aznavour. En dépit de leur carrière extraordinaire, ils sont restés dans le système. Ils en sont aussi devenus, qu'ils le veuillent ou non, les vitrines. Pour deux artistes de ce niveau, combien au talent tout aussi incroyable restés dans les oubliettes de l'Histoire, qui n'ont jamais pu développer leur art?

J'aurais pu être l'un de ces oubliés forcés de prendre un boulot alimentaire, dans mon domaine. J'ai réalisé à temps que je n'avais aucune chance de vivre ma vie avec le système de l'édition traditionnelle, et j'ai pris une autre voie en devenant auteur autoédité. Bien m'en a pris. 

De la même manière, le revenu universel inconditionnel est une autre voie pour notre société, bien éloignée de celle de la croissance infinie qui mènerait au plein emploi, que prônent les économistes. Une croissance dont on sait aujourd'hui qu'elle n'est qu'un mythe. 

Il faut des pauvres pour avoir des riches dans une société. Il faut aussi des pays pauvres pour avoir des pays riches. Tout le système est biaisé. 

Si la France était le seul pays à adopter le revenu universel inconditionnel, on pourrait parier que la volonté d'y émigrer serait encore plus grande pour des ressortissants de pays moins favorisés. 

De la même manière, un seul Etat ne peut à lui seul décider d'instaurer la coopération plutôt que la compétition entre nations, indispensable pour lutter contre le réchauffement climatique, et faire face aux enjeux vitaux de l'avenir. 

Tout est lié. Il faut donc des décisions au niveau mondial. Un revenu universel inconditionnel, c'est universel, c'est à dire, mondial. 

Un revenu universel ne saurait être autre chose qu'inconditionnel, sous peine d'entraver les citoyens du monde sous les chaînes de la domination plutôt que de vouloir les émanciper.
Il faut, peu à peu, une harmonisation des niveaux de vie à l'intérieur de chaque pays et entre les nations, ainsi qu'une décroissance, une moindre consommation.

J'aimerais que les murs auxquels je me suis heurté dans mon enfance, ceux de niveaux sociaux différents, soient abaissés pour le bien commun. Mais je suis sans doute un doux rêveur. Doux, dur et dingue, comme dirait Clint Eastwood.