Après la centralisation du paiement des factures, le groupe Auchan est passé à l'étape suivante en demandant aux auteurs un numéro de Siret. Je n'avais pas souhaité en fournir un au moment de la centralisation, je viens de recevoir un email avec menace de déréférencement de mes romans pour le 9 janvier 2023 par la centrale Auchan.
Il s'avère que si je n'ai jamais choisi de faire de ma petite entreprise d'autoédition une entreprise dans le sens officiel du terme, c'est que mon étude de marché m'a indiqué que le seuil de rentabilité n'était pas suffisant pour cela. Trop d'investissements, bénéfices trop réduits, concurrence exacerbée. Mieux valait me contenter de déclarer mes revenus artistiques sur une feuille d'impôt spécifique (le formulaire 2042 C-Pro pour ceux qui savent) afin de régulariser ma situation.
Survient le décret n° 2020-1095 du 28 août 2020 relatif à la nature des activités et des revenus des artistes-auteurs, qui entend forcer tous les artistes-auteurs à faire la démarche pour avoir un numéro de Siret. C'est sur ce décret que s'appuie Auchan pour réclamer aux auteurs un numéro de Siret. Cela me pose évidemment un énorme problème.
Pour ceux qui se souviennent, j'avais déjà posté ici un article sur les problèmes occasionnés par la centralisation de la facturation du groupe Auchan. Cette nouvelle étape d'incitation à la déclaration des entreprises d'autoédition sous peine de déréférencement est propre à Auchan. Je travaille avec d'autres enseignes, et aucune n'a pris cette initiative. Par exemple :
Auchan m'a donc envoyé l'email suivant:
Bonjour,
Vous avez été référencé en tant qu'artiste local le 1/3/2022.
Aux fins de réactualiser votre dossier, nous vous prions de nous communiquer votre SIRET, information manquante à ce jour.
Si vous n'avez pas de numéro de siren/siret, il vous appartient de vous mettre en conformité avec les obligations fiscales et sociales liées à votre activité.
Vous devez vous inscrire en tant qu' auto-entrepreneur ou autre statut qui vous permettra d'être en règle avec la loi.
Vous trouverez ci dessous un lien pouvant vous aider dans vos démarches
Voilà pour l'email. Le gouvernement fournit plusieurs liens d'explications dont celui-ci expliquant ce statut d'artiste-auteur. Il existe aussi un simulateur vous permettant de calculer combien vont vous coûter vos cotisations par année. En gros, 123€ pour 1000 € de recettes brutes, ou 186 € si vous choisissez de déclarer uniquement vos bénéfices.
Pour moi, cela revient à entre 1500 € et 2500 € par an, selon mes recettes chaque année. Pour 2021, j'étais à 9116 € de bénéfices. Mettez-vous à ma place: vous recevez 9116 € de revenus liés à vos ventes en un an, et on vous demande de verser 1500 € pour cotiser pour les arrêts maladie, la retraite et la CSG.
Et là, vous vous dites: depuis que j'ai commencé mon activité à plein temps en 2014, j'ai pris combien de jours d'arrêt maladie? Zéro, bien sûr, puisque chaque jour de dédicace où je serais en arrêt maladie représenterait pour moi une perte sèche.
Quand je serai à la retraite... ah, mais non, je gagne bien trop peu pour envisager de me mettre un jour à la retraite! Donc je cotise pour quoi, en fait? Pour mes soins dentaires? 1500 € le détartrage chaque année, c'est un peu cher, quand même...
Ne soyons pas ridicules, mes amis du gouvernement! Chers amis, qui pensez que les auteurs autoédités sont des parasites: est-ce que nous pesons tant que ça sur l'assurance maladie, alors que nous n'avons pas le droit d'être malade? Est-ce que nous pesons tant que ça sur les caisses de retraite, quand nous n'avons pas le droit de prendre notre retraite?
Quand quelqu'un achète un numéro de Siret, c'est qu'il a fait son étude de marché. Il sait qu'il va prendre des risques, mais il sait aussi qu'il y a des débouchés. Il va pouvoir embaucher. Et à plusieurs, on devient plus forts, on dégage beaucoup plus de bénéfices. Là, c'est comme si le gouvernement me demandait d'industrialiser ma petite activité artisanale qui me fait survivre: je devrais imprimer en offset, louer des entrepôts de stockage, multiplier les séances de dédicace. Au risque, d'ailleurs, de tuer ma créativité d'auteur en multipliant les préoccupations d'entrepreneur.
Avec pour conséquence, bien sûr, que peu d'auteurs parviendraient à relever le challenge. Nous ne sommes déjà pas si nombreux à en vivre, mais ce genre de mesure ne peut qu'inciter à une plus grande concentration, un nombre moins grand d'auteurs qui en survivent. Un peu comme dans l'édition traditionnelle, tiens donc.
Justement, vous pourriez être tenté de me conseiller l'édition traditionnelle. Mais vous devriez vous douter, puisque je suis l'un des rares auteurs qui vit de sa plume, et que je suis assez fier de ma capacité d'analyse, que j'ai déjà fait une analyse assez poussée de l'édition traditionnelle (j'ai d'ailleurs été édité brièvement). Mon analyse et mon expérience de terrain m'ont amené à conclure que je n'arriverais pas à vivre de ma plume en empruntant cette voie.
Et il y a aussi la préoccupation écologique. Nous vivons à une époque où il faudrait aller vers la décroissance, et éviter les gaspillages liés à l'industrialisation systématique. Je rappelle que contrairement à l'édition traditionnelle, qui pilonne 50% de ses livres, aucun des exemplaires que je commande n'est pilonné. S'il y en a en trop mauvais état, je les mets à disposition dans des boîtes à livres gratuites.
Merci de laisser répandre dans la société nos idées qui vont germer et donner naissance à de nouvelles opportunités. Merci de nous permettre de distraire les gens afin de les rendre plus efficaces ensuite, quand ils se remettent au travail.
Nous savons qu'en retour, notre société prend grand soin de ses
auteurs, et nous l'en remercions chaudement. Mais merci de ne pas
vouloir trop nous soigner.
Tant de soins vont finir par nous tuer.
[EDIT 13/12/2022] : juste un petit mot pour dire mon attachement au système de solidarité en France, qu'il s'agisse de la Sécurité sociale ou de la retraite.
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