dimanche 1 octobre 2023

L'auteur de SF précurseur de la bombe atomique

L'un des premiers hommes à avoir l'idée d'une réaction en chaîne au niveau atomique, réaction qui sera utilisée de manière modifiée pour produire une bombe atomique n'est autre que le père de la Science-Fiction, j'ai nommé John W. Campbell. Nul autre que celui qui a dirigé le magazine Astounding Stories et donné leur chance à des auteurs aussi célèbres qu'Isaac Asimov ou Robert Heinlein, entre autres. Nul autre que l'un des créateurs du genre de la Science-Fiction. Attention, cet article contient des spoilers du recueil The Space Beyond, de Campbell, et notamment de Marooned et The Space Beyond.


Vous aimez le type de héros à la MacGyver, capable de se tirer de n'importe quelle situation à l'aide d'une invention rapidement mise au point, mais souhaiteriez voir ce que cela donne en Science-Fiction ? Non, je ne vais pas vous parler de la série StarGate, mais bien des romans de John W. Campbell.

En tant qu'auteur notamment de Science-Fiction, quand j'écris mes romans, j'ai souvent l'impression d'avoir mon frère aîné Tristan Guillot qui regarde par-dessus mon épaule de son œil féroce. Non pas que je fasse appel à lui pour mes romans, non. C'est juste une impression qui me vient sans doute de mon enfance et de mon adolescence et du rôle qu'il a joué dans celles-ci.

Pour vous donner une anecdote, le premier film que je sois allé voir au cinéma, à Manosque à l'époque, était l'Empire contre Attaque, de George Lucas, réalisé par Irvin Kershner. J'étais allé le voir avec mon frère. Le film m'avait complètement retourné. Une révélation. Je le trouvais génial, incroyable. Pour moi, même maintenant, ça reste le meilleur de la trilogie. 

Quelle surprise, en partageant mon enthousiasme à mon frère, quelle douche froide de lui voir à peine attribuer la mention "pas mal" au film! Quel coup de poing dans l'estomac! Plus tard, en tant que conseiller emploi à Pôle enploi spectacle, j'ai eu le plaisir de voir que le scénario de l'Empire contre Attaque de Leigh Brackett et Lawrence Kasdan, d'après une histoire de George Lucas, était cité en exemple dans au moins un guide professionnel destiné aux scénaristes. Et à juste titre, selon moi.

Tristan est devenu depuis chercheur astrophysicien au CNRS, spécialisé dans l'étude des couches internes de Jupiter. Alors quand j'ai lu Marooned (Naufragé), issu du recueil The Space Beyond, de John Campbell, il m'a été difficile de ne pas être pris de fou rire. 

The Space Beyond est un recueil paru en 1976, mais Marooned a été écrit entre 1934 et 1935. Dans l'époque futuriste (2133) qu'évoque la novella, un métal révolutionnaire, le synthium, a été inventé. Le synthium est d'une résistance quasiment infinie et ne subit aucune altération, quelle que soit la pression. Il faut savoir que les héros scientifiques de John Campbell sont des sortes de mâles alpha scientifiques et ingénieurs. On est sur du velu, très velu. 

Ni une ni deux, l'un des scientifiques millionnaires, Bar Corliss, décide de mettre sa fortune sur deux vaisseaux spatiaux dont la carlingue serait de synthium, afin de brûler la politesse à tout le monde pour explorer Jupiter. Ces vaisseaux sont pourvus d'ailes rétractables qui elles ne sont pas en synthium. Je vous le donne en mille, le vaisseau de Bar Corliss voit ses ailes arrachées par l'énorme pression des couches internes de Jupiter. 

Et là, Corliss de s'exclamer: "nous avons voulu faire trop vite! Nous aurions dû étudier la structure interne de Jupiter avant de lancer l'expédition." Ah ben oui, c'est ballot. Je n'ai pas pu m'empêcher de m'imaginer la tête de mon frère s'il avait lu ce passage. 

A noter quand même que dès cette époque des années 30, Campbell avait pronostiqué l'existence d'une atmosphère sur Ganymède, l'une des lunes de Jupiter. Hypothèse qui ne sera confirmée que dans les années 70. J'ai beau me moquer gentiment de lui, le bonhomme avait de l'intuition. Une sacrée intuition, même. Nous y reviendrons.

Le vaisseau à la dérive de Corliss parvient sur l'un des pôles de Jupiter, endroit où il y a beaucoup moins d'interférences, ce qui permet à Corliss d'entrer en contact avec le second vaisseau et de lui donner l'ordre de ne pas chercher à lui venir en aide, sous peine d'avoir à son tour les ailes arrachées. 

Et comment réagit le commandant du second vaisseau? Il se dit que Corliss est devenu fou et continue sa descente. A son tour, il a les ailes arrachées. Les explorateurs ont l'air fin... 

Les personnages de Campbell sont des MacGyver, mais à la puissance 100 : c'est à dire qu'ils sont aussi brillants théoriciens qu'ingénieurs. Et là, Corliss, en bon Géo trouve-tout, va inventer un générateur qui, en se servant d'une simple petite batterie, génère une puissance infinie. Avec Campbell, c'est toujours quand la pression est extrême que l'on travaille le mieux. 

Comme l'équipage n'a pas le droit de sortir du vaisseau en raison de l'atmosphère mortelle à l'extérieur, Corliss va aussi concevoir des sphères qu'il va gonfler de l'intérieur, et grâce à la puissance infinie de son générateur, va rejoindre l'autre vaisseau auquel il aura donné les indications pour réaliser les mêmes inventions. C'est normal qu'ils se retrouvent si facilement malgré les perturbations et l'impossibilité de guider la trajectoire des vaisseaux, Jupiter étant une toute petite planète, c'est bien connu. Et ensemble, ils vont s'en sortir. Ben voyons.

Dans une autre histoire, The Space Beyond, un premier équipage met au point une nouvelle technologie, une Flamme aux effets complètement inattendus. Le vaisseau spatial change de dimension pour rejoindre le centre de l'univers, bien au-delà de notre galaxie. Le point de rencontre de toutes les galaxies, le point central. Le vaisseau se retrouve environné de soleils géants. Un second scientifique comprend ce qu'il s'est passé est met au point une expédition pour aller chercher le premier. 

Mais devinez quoi? Le scientifique est tellement velu et mâle alpha qu'il ne pense même pas au moyen de revenir sur Terre! Heureusement qu'un autre de ses collègues participant à l'expédition avait prévu le coup..

Vous trouvez que je suis irrespectueux de ce grand mâître qu'était John W. Campbell? Voici ce que nous dit Isaac Asimov, en VO puis en VF, de la science de John Campbell. 

A great deal of Campbell's science is sheer gobbledigook that you must not take seriously. You have to read it as a foreign language that the characters understand and for which the action and the astronomical background serve as a translation. In some places, Campbell is deliberately and bullheadedly wrong and one can never be sure whether he actually believes the nonsense, or whether he is doing it just to irritate and provoke readers into thinking hard. 

J'adore, chers amis lecteurs de ce blog, ce mot de "gobbledigook". Passons à la traduction.

Une grande partie de la science de Campbell est du pur charabia qu'il ne faut pas prendre au sérieux. Il faut la lire comme une langue étrangère que les personnages comprennent et pour laquelle l'action et le contexte astronomique servent de traduction. À certains endroits, Campbell se trompe délibérément et de façon éhontée, et on ne sait jamais s'il croit réellement à ces absurdités ou s'il le fait simplement pour irriter et inciter les lecteurs à réfléchir sérieusement.

Ce que nous dit aussi Asimov, c'est que « les hommes balaises de Campbell construisent des armes balaises en quelques jours. Des armes qui n'ont aucun défaut sérieux, ou en tout cas, aucun défaut qui ne puissent être corrigés de la manière suivante: "Hmm... il y a quelque chose qui ne va pas - oh! je vois- bien sûr." Puis, en deux heures, quelque chose serait construit à la va-vite pour réparer la technologie conçue à la va-vite. »

Difficile, donc, de prendre quelqu'un comme cela au sérieux. Et pourtant, Campbell, avec son extraordinaire imagination, a grandement influencé les auteurs majeurs de Science-Fiction, y compris un auteur comme Asimov comme il le reconnaît lui-même dans la préface de The Space Beyond. Y compris, avec la novella "All", quelqu'un comme Robert Heinlein et son Stranger in a Strange land, Etranger en terre inconnue. Asimov parle aussi d'une autre novella de Heinlein appelée "Sixième colonne", très proche de "All."

Je dirais que la grande différence entre Campbell et moi, c'est qu'il ne semblait pas avoir de grand frère qui se penche au-dessus de son épaule. Il n'avait pas, en d'autres termes, un risque aussi fort de s'autocensurer. Ce qui pouvait, chez Campbell, mener au meilleur aussi bien qu'au pire. 

Dans sa préface, Isaac Asimov évoque la manière dont Campbell dans The Space Beyond, écrit au milieu des années trente, va préfigurer la technologie de la bombe atomique. Rien de moins.

Dans The Space Beyond, Campbell mentionne que le lithium bombardé par des protons produit des particules alpha et que le béryllium bombardé par des particules alpha produit des protons, et que les deux mélangés peuvent s'entretenir mutuellement dans une "explosion atomique auto-entretenue".
 

En réalité, ce n'est pas le cas. Il faut un proton de haute énergie pour déclencher la réaction du lithium et le béryllium libère des protons de faible énergie ; en tout cas, des protons de trop faible énergie pour décomposer le lithium. Il en va de même, en sens inverse, pour les particules alpha.

Néanmoins, la suggestion est remarquable. Elle a été faite au milieu des années trente et il est certain que peu de gens pensaient alors à la possibilité d'une réaction nucléaire en chaîne, ce que Campbell suggérait. Finalement, peu d'années après la rédaction de The space beyond, une réaction nucléaire en chaîne pratique a été découverte, celle de la fission de l'uranium. Elle était pratique précisément parce qu'elle fonctionnait sous l'impulsion de neutrons de faible énergie. 


La clarté avec laquelle Campbell a perçu l'importance de la réaction nucléaire en chaîne pourrait bien expliquer la plus remarquable de ses visions prédictives : pendant la Seconde Guerre mondiale, il n'a cessé d'insister sur le fait que l'énergie nucléaire serait développée avant la fin de la guerre. Après avoir entendu parler de la découverte de la fission de l'uranium, sa compréhension des réactions nucléaires en chaîne lui a permis de considérer la bombe atomique comme une conséquence naturelle. 

J'avais déjà évoqué, dans l'article Elon groks the fullness? l'importance d'un auteur de science-fiction nommé Robert Heinlein dans la chute de l'Union soviétique. Vous pourrez d'autant mieux concevoir qu'un auteur comme Campbell se soit montré inspirant pour la bombe atomique en sachant que l'armée française avait il n'y a pas si longtemps lancé un appel à texte d'auteurs SF avec pour sujet les technologies d'armement du futur. 

Y a-t-il de quoi tirer de la fierté de l'importance des auteurs de Science-Fiction quant à la conception de nouvelles armes plus destructrices ? Sans doute que non. Néanmoins, si vous réfléchissez à la manière dont des auteurs de SF ont pu influer sur des événements historiques et sur l'évolution de l'humanité, vous devrez sans doute reconnaître que la rétribution financière desdits auteurs n'est pas réellement proportionnée à leur apport dans la société. Loin s'en faut, me semble-t-il. D'autant qu'il n'y a pas que la technologie. La SF, par exemple celle d'Ursula Le Guin, peut aussi évoquer des évolutions sociétales ou de mœurs. Les sujets de recherche ne se résument pas à la technologie.