lundi 11 octobre 2021

Elon Musk sans langue de bois

Je viens de terminer la formidable biographie d'Elon Musk d'Ashlee Vance, et je ne peux que recommander chaudement cet ouvrage. Un travail d'investigation de grande qualité, qui explique Elon Musk sans parti pris ni langue de bois. De mon côté, je ne peux prétendre à la même impartialité qu'Ashlee Vance parce que, même si ça peut paraître ridicule dit comme ça, je me sens trop proche du patron de Space X et Tesla. C'est pourquoi cette biographie a été pour moi une grande désillusion et une vraie douleur. Oui, Elon Musk, en contrepartie de susciter de grandes aspirations chez ses collaborateurs, pratique le management par la peur. Oui, il a broyé dans son sillon, non pas ses ennemis, mais certains de ses plus proches alliés et employés. Des personnes qui s'efforçaient de sacrifier autant leur vie à leur travail qu'il le fait lui-même. La pilule est amère. 

Imaginez Pepper Potts qui va voir Tony Stark. "Tony, ça fait des années que je bosse comme une folle à tes côtés. Tu t'es mis à me faire confiance, à tel point que je suis comme devenue un prolongement de toi-même. J'ai eu à prendre des décisions qui allaient très au-delà de ma fiche de poste d'assistante, j'ai bossé sans compter mes heures et la grande majorité de tes collaborateurs s'adressent à moi quand ils veulent te parler. Je pense que je mérite un meilleur salaire. Je crois que mon niveau de salaire devrait être équivalent à celui d'un cadre de ton entreprise."
Tony Stark lui répond: "Je vais examiner ta demande, mais j'ai besoin de temps. Ecoute, tu vas prendre deux semaines de vacances, et pendant ce temps, je vais assumer tes fonctions en plus des miennes, ce qui me permettra d'évaluer plus finement ta charge de travail. Je ne pourrais décider d'une éventuelle augmentation de salaire qu'après ça."
Pepper Potts accepte donc de partir en vacances pendant deux semaines. Pendant son absence, Tony Stark confie son travail à une autre assistante. A son retour, Tony Stark tient le discours suivant à Pepper Potts: "Ton travail peut être accompli par n'importe qui. J'ai donc décidé de te reconduire dans ton poste d'assistante, au même salaire, mais cette fois tu travailleras en tant qu'assistante de notre Directeur des Ressources Humaines."

Se sentant humiliée et trahie, Pepper Potts ne se présente jamais à son nouveau poste d'assistante et finit par être purement et simplement renvoyée. Tony Stark ne lui a plus reparlé depuis. 

Voilà à quelques détails près ce qui s'est passé avec Mary Beth Brown, fidèle assistante des premières heures d'Elon Musk ayant travaillé à Space X. Et voilà comment de nombreux patrons peuvent prétendre ne jamais vous avoir viré, parce qu'ils vous ont placé dans une situation totalement inacceptable pour vous, et que vous avez été contraint à la démission ou à la faute lourde. 

J'ai trouvé, cela dit, Ashlee Vance très bienveillant à l'égard d'Elon Musk. Il a compris toute la portée des changements que Musk cherche à impulser dans notre société. Il a saisi la force de travail et le génie admirable, non seulement de l'ingénieur, mais du stratège visionnaire qui a pour modèle Alexandre le Grand, au point de nommer son premier fils (hélas décédé de la mort subite du nourrisson) Alexander. 

Inventeur, mais aussi recruteur de génie, créateur prolixe et forçat de travail, releveur d'inimaginables défis, Musk mérite l'admiration de Vance, celle que l'on voit poindre à toutes les pages. 

Vance se décrit lui-même comme quelqu'un de cynique, et c'est peut-être ce cynisme qui lui permet de garder sa lucidité la plupart du temps. Il a interrogé les proches de Musk, ses collaborateurs, Musk lui-même. Et il nous dit bien qu'Elon Musk "travaille ses employés jusqu'à l'os". Pour réussir chez Space X? Travailler 16 heures par jour tous les jours pendant des années, comme l'un de ses cadres.

Soit vous résistez, soit vous faites un burn-out, auquel cas vous êtes viré comme un malpropre. Combien de vies brisées dans le sillage de ce géant? Des centaines, des milliers? Il est devenu évident pour moi au fil des pages que pour se sortir du milieu ultraconcurrentiel de la Silicon Valley, de la jungle XXL des start-ups californiennes, celui qui s'est décrit lui-même auprès de sa première épouse comme "le mâle alpha" de la relation s'est comporté à moult reprises en fils de pute. 

Cela a causé chez moi chagrin et dégoût. Celui que je voyais comme un modèle m'a prouvé, de par son parcours, qu'on ne peut réussir à haut niveau qu'en se comportant en mâle alpha, c'est à dire, littéralement, en tueur parmi les tueurs. Mes rêves d'une société plus empathique, plus compréhensive, plus chaleureuse et bienveillante, se sont retrouvés piétinés. Et pourtant j'estime, même maintenant, qu'il y a bien pire qu'Elon Musk dans le petit cercle des patrons multimilliardaires. Musk est resté fidèle à ses nobles objectifs et il a toujours guidé par l'exemple en montrant que les sacrifices qu'il réclamait, il était le premier à les consentir, et plus encore. 

Si ce livre m'a autant touché, c'est qu'à sa lecture, je me suis senti de plus en plus proche de Musk. Au fil des pages, il est devenu un frère. Une âme-sœur. Cela peut faire rire ou sourire, mais il y a des raisons à cela. Musk est:

- un geek, je suis un geek

- né en juin 1971, je suis d'octobre 1971

- petit-fils de très grands aventuriers, qui ont notamment rallié l'Australie en coucou à partir de l'Afrique du Sud, il est né en Afrique du Sud. Mes parents se sont rencontrés au Rwanda. Je suis né à Quito en Equateur, à 3000 mètres d'altitude, et j'ai vécu 4 ans en Côte d'Ivoire, à Abidjan. Mes parents n'étaient pas d'aussi grands aventuriers que les grands-parents de Musk, mais je pense qu'on peut dire qu'ils avaient l'âme aventureuse, ou en tout cas ne correspondaient pas à un profil typique

- Asperger, comme il l'a reconnu lui-même (l'une des erreurs, d'ailleurs, du livre de Vance, qui estimait que Musk ne souffrait pas d'autisme), ce qui fait donc de lui un autiste dont l'empathie est diminuée, avec une très grande force de concentration, une grande créativité et une tendance à être "dans la lune" préjudiciable aux échanges sociaux. Je suis moi-même créatif et ai souvent été dans la lune dans mon enfance. Je ne suis pas autiste à proprement parler, mais je pense partager avec lui certains gènes de l'autisme ou de la schizophrénie, une partie de ma famille proche ayant des antécédents très lourds côté schizophrénie

- un ex-adolescent dont la vie a été mise en danger par des abrutis psychopathes qui ne supportaient pas sa différence, qui l'ont fait chuter d'un escalier et l'ont battu. Au collège, les autres élèves me reconnaissaient aussi comme différent, et j'ai moi aussi failli mourir puisqu'en me faisant poursuivre dans un couloir, je suis tombé la tête la première sur un radiateur. Celui qui me poursuivait le faisait plus par jeu qu'autre chose, mais il est clair que je n'étais pas l'élève le plus populaire. Dans mon quartier, je me faisais casser la figure par des voyous

- fils d'un père abusif. De mon côté, j'adorais mon père, mais tout n'a pas été rose avec ma mère, comme je le décris dans la Lettre à moi-même

- très grand lecteur et notamment d'auteurs comme Asimov et de son cycle de Fondation, sa première épouse était une romancière de Fantasy. J'ai beaucoup lu quoique moins qu'Elon, et je suis entre autre auteur de Fantasy

- attiré par l'espace, il veut coloniser Mars. Je rêve aussi du jour où l'homme mettra les pieds sur Mars, et je trouve les objectifs de Musk très inspirants

- créateur de véhicules électriques. Je suis l'heureux possesseur d'une Tesla Model 3   

Alors oui, il y a aussi d'importantes différences. Je ne suis ni ingénieur, ni matheux, ni programmeur. C'est mon frère le chercheur en astrophysique médaillé de bronze du CNRS. Je suis néanmoins aussi auteur de Science-Fiction et amateur de technologies nouvelles. 

Je ne suis pas du tout un bourreau de travail contrairement à Musk. En revanche, j'ai en quelque sorte monté ma petite entreprise informelle, puisque je suis auteur autoédité. Je pense sincèrement que les quelques gènes autistes que j'ai en moi m'aident à supporter les séances de dédicace de 10h à 19h dans des centres commerciaux comme les Auchan, séances du week-end que j'organise depuis plus de 10 ans, et qui m'ont permis de vendre plus de 10 000 livres papier. Je ne pense pas que mon travail, sur la durée, soit à la portée de tous.

Ce qu'il faut voir avec Musk, c'est que le manque d'empathie envers les autres, Musk l'a aussi envers lui-même. S'il avait plus d'empathie envers lui-même, il ne serait pas capable de s'imposer les terribles sacrifices qui sont les siens. 

Il ne faut pas croire en lisant cet article que j'en veux à Elon. C'est juste que j'espérais contre tout espoir, au fond de moi-même, que la noblesse des objectifs de Musk aurait rejailli sur la manière dont il gère ses employés. Qu'on aurait enfin des entreprises plus humaines et qui ne favoriseraient pas la prédation. Je ne pense pas qu'il prenne autant de plaisir à virer des gens qu'un Trump, par exemple, mais Musk garde tout de même quelque chose d'humain: il sait quand il fait du mal et il sait aussi jouir de son pouvoir, et notamment du fait que les gens autour de lui aient peur de perdre leur poste. 

Il se décrit lui-même comme simple ingénieur mais il a tout fait pour être PDG de ses boîtes, et ne pas en être détrôné comme ça avait été le cas de X.com/Paypal. J'espère qu'il le restera en dépit de tous ses défauts, parce que c'est le seul moyen d'atteindre des objectifs comme celui d'aller sur Mars, qui sont vraiment précieux et qu'il semble seul à même d'accomplir. 

Il n'empêche, je pense aux collaborateurs de Musk, à tous ces gens qui se sacrifient. Des gens comme Mary Beth Brown. C'est l'un des grands mérites d'Ashlee Vance d'avoir cité leur nom et de leur avoir ainsi rendu un hommage vibrant. 

Est-ce que les choses doivent vraiment se passer comme ça pour réussir au plus haut niveau? Est-ce qu'il est par définition impossible de se sortir de notre condition de prédateurs? J'espère que ce billet suscitera un peu de réflexion sur la manière dont notre société fonctionne et la façon dont elle récompense le mérite, et non un simple balayage du revers de la manche du style, "on ne fait pas d'omelette sans casser d'œufs". 

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