lundi 8 décembre 2014

Infantilisation

La montée du chômage provoque, c'est connu, une tension croissante qui rigidifie les mentalités et stratifie les gens dans leur travail, rendant la mobilité de plus en plus difficile. Le pouvoir des "petits chefs" se trouve d'autant plus renforcé quand la peur de perdre son travail augmente. Ce phénomène renforce bien souvent le processus d'infantilisation au sein de l'entreprise. Dans le milieu de l'édition, où les places sont plus chères qu'ailleurs, ce processus d'infantilisation est encore bien plus présent qu'ailleurs.

On pourrait penser que le métier d'auteur publié à compte d'éditeur par l'édition traditionnelle se rapproche de celui d'un libéral, par exemple d'un journaliste pigiste. En effet, les auteurs ne bénéficient pas de la mutuelle d'une société, ni des primes accordées par les sociétés d'édition à leurs employés, ils n'ont pas les avantages liés à un comité d'entreprise (vacances, voyages, tickets restaurant) et n'ont pas les mêmes cotisations retraites. 

L'Agessa, la caisse qui règle la sécurité sociale et les différentes cotisations des auteurs revient plus cher aux auteurs, dont l'immense majorité ne gagne déjà pas sa vie avec l'écriture, que le coût des caisses de cotisations des grosses maisons d'édition aux employés de ces structures. Pour tout dire, l'Agessa n'est pas réputée faire preuve d'une grande générosité envers les auteurs traditionnellement publiés.

Il y a donc un sacrifice important fait par ces auteurs. Logiquement, la contrepartie de ce sacrifice devrait être une liberté bien plus grande, la possibilité par exemple de changer de maison d'édition en un clin d’œil, ou de travailler avec un agent littéraire pour négocier au mieux ses droits. 

J'ai déjà dit ici que les agents littéraires étaient largement contestés aux Etats-Unis, car réputés œuvrer au premier chef pour le bénéfice des éditeurs et non des auteurs qu'ils sont censés représenter. Mais bon, il y a des exceptions, et la démarche de base, vouloir se rapprocher d'une personne (qui peut être aussi un avocat spécialisé dans l'édition) susceptible d'aider l'auteur publié de manière traditionnelle à négocier au mieux ses droits et à changer d'éditeur si le besoin s'en fait sentir, cette démarche est saine.

Malheureusement, on s'aperçoit que la liberté des auteurs dans l'édition traditionnelle est complètement illusoire. Le simple fait de vouloir travailler avec un agent littéraire peut vous contraindre à cesser aussitôt toute relation avec votre éditeur, et ce, même quand vous vous appelez Fred Vargas.

L'éditeur, à partir du moment où il fait vivre l'auteur de sa plume, devient ainsi une sorte de père nourricier auquel l'auteur ne peut rien refuser. Ainsi, seuls quelques rares bestsellers auront le dernier mot quant aux corrections apportées à leur manuscrit. 

Alors que l'on demande à ces mêmes auteurs traditionnels d'assurer eux-mêmes leur propre promo, ils sont la plupart du temps privés de la parole comme un enfant sous l'autorité d'un père ou d'une mère rigide à table, n'ayant pas le droit de dire ce qu'ils pensent du contenu de leur contrat.

Même là où ils pourraient s'exprimer, l'autocensure joue aussi un rôle énorme. L'auteur traditionnellement édité consent donc à d'énormes sacrifices personnels, pour se retrouver avec tous les inconvénients d'un employé soumis à un petit chef. 

L'autoédition représente une masse importante de travail pour un résultat incertain, mais la marge de manœuvre est beaucoup plus importante que dans l'édition traditionnelle, et le deviendra d'autant plus que le marché de l'ebook prendra son essor et permettra de vrais débouchés.

Les effets pervers de l'autorité et de la verticalisation, auxquels on pourrait opposer la décentralisation et l'indépendance, se font sentir à tous les niveaux dans la société. On sait par exemple que les Assédics, qui étaient organisés en différents départements dans la région Ile de France à l'époque où ils portaient ce nom, sont devenus bien moins efficaces depuis qu'ils ont été regroupés au sein de Pôle Emploi. On a cassé quelque chose qui fonctionnait juste pour centraliser les choses. 

Ces notions de verticalité et de marge de manœuvre qu'il faut ou non laisser sont bien sûr issues de la structure familiale, plus ou moins patriarcale. Mais dès l'enseignement, le fait d'ériger les chiffres et la compétition en repères sacrés fait des ravages. L'expérience a été faite de réunir au sein d'une même classe uniquement des élèves surdoués. Eh bien à la fin de l'année, cette classe possédait ses cancres, ses élèves moyens et ses meilleurs élèves. Pourquoi? Parce que l'enseignant, en donnant des notes aux élèves, avait fait ce qu'on lui demandait, c'est à dire qu'il avait établi une hiérarchie dans sa classe. 

L'enseignant le plus habile n'est pas celui qui se crispe sur son autorité et son pouvoir. Les logiques de coopération et de décentralisation sont bien plus favorables à l'individu comme au groupe. C'est souvent la peur de l'inconnu et de l'expérimentation qui empêche les meilleures initiatives.

L'autoédition, qui pourrait apparaître comme le summum de l'égoïsme, fournit au contraire de très beaux exemples d'entraide entre auteurs, et à titre personnel, je me sens beaucoup plus libre depuis que j'ai choisi cette voie. Libre, mais pas forcément isolé.

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