mardi 25 novembre 2014

[Archive 5 août 2009] Droit de préférence : abusif dans le cadre de l'édition numérique

Si le droit de préférence, clause de priorité portant sur les prochains ouvrages d'un auteur, apparaît comme abusif dans le cadre de l'édition numérique, ou édition à petits tirages, c'est tout simplement qu'il n'a pas été conçu pour ce mode particulier d'édition que permettent les nouvelles technologies d'impression. Pourquoi les éditeurs ont-ils recours au droit de préférence? Pourquoi celui-ci est-il plus adapté à l'édition faisant appel à la technologie offset d'impression ? Explications.
Les éditeurs ont parfois recours au pacte de préférence, pour un à cinq ouvrages au maximum, entendant ainsi ne pas se faire ravir un auteur qui connaîtrait le succès par une maison d'édition rivale aux moyens plus puissants, susceptible de proposer un contrat ou des à-valoirs (avances sur les droits d'auteur) séduisants à cet écrivain ayant trouvé son public.  En effet, pour un petit éditeur ayant décidé de faire une mise en place des ouvrages de l'auteur conséquente en librairie, c'est à dire lui garantissant une véritable exploitation dans les points de vente, l'investissement va sans problème atteindre plusieurs milliers d'euros. "Mise en place conséquente ?" Une mise en place de combien d'ouvrages au fait ?

Eh bien en 2004, d'après le Centre national du livre, on recensait 2500 à 3000 points de vente qui avaient le livre pour activité principale. Même si le nombre de points de vente a diminué, il faudrait donc au bas mot une mise en place dans ces points de vente de 2000 exemplaires pour assurer une véritable exploitation au livre. Ce tirage très important requiert donc un investissement à la hauteur, et ce, d'autant plus si l'on prend en compte les frais annexes de stockage des livres, les frais de distribution et de retours de libraires, et les frais de promotion. On comprend mieux qu'avec de tels investissements, un éditeur soit en droit d'essayer de s'assurer une certaine continuité de  travail avec son auteur. Et d'inclure un pacte de préférence au contrat qu'il lui fait signer.


 
Une imprimerie offset


Avec l'"édition numérique", on change radicalement d'échelle, puisqu'il s'agit d'éditer des livres à petits tirages à l'aide de la technologie numérique, qui se rapproche de celle des photocopieuses en plus perfectionnée. Les tirages vont entre 1 et 1000 exemplaires. A partir de 1000 livres et plus, c'est l'impression en offset qui va être privilégiée.  Un éditeur utilisant la technologie numérique va le plus souvent opter pour des tirages réduits de 50, 100 ou 200 exemplaires, dans le but bien sûr de minimiser le risque financier.


Une imprimerie numérique
 
Pour savoir si le droit de préférence est adapté à l'édition numérique, faisons un petit calcul. Si l'éditeur assume un tirage de 100 exemplaires, cela va lui revenir à 4 à 5 euros pour un ouvrage de 200 pages, et cela peut même monter à 7 euros l'exemplaire si l'ouvrage fait environ 400 pages. Donc un investissement, disons de 700 euros. A cela peuvent s'ajouter des frais annexes : frais de référencement du livre chez Dilicom, la base de données des libraires, par exemple, frais de promotion. Il sera rare, toutefois, que l'investissement de l'éditeur excède un SMIC mensuel. Maintenant, prenons l'auteur auquel on va demander de s'engager sur, par exemple, ses trois prochains exemplaires. Le travail sur ces trois exemplaires sera très rarement inférieur à un an, et cela peut demander beaucoup plus selon les auteurs. Donc en échange d'un investissement d'un SMIC mensuel, cet auteur garantirait à un éditeur le fruit de plus d'un an de travail  ?  Et n'oublions pas que les perspectives de vente seront évidemment limitées puisque le livre ne pourra être présent dans tous les points de vente.

En conséquence, l'application d'un droit de préférence pour l'édition numérique semble tout sauf équitable. On peut même parler d'une clause abusive du contrat, puisque c'est une clause empruntée à un mode d'édition se faisant sur une bien plus grande échelle.

La même chose peut être affirmée, et avec plus de force encore, concernant la cession des droits, qui ne devra jamais être dans l'édition numérique "tout le temps que durera la propriété littéraire de l'auteur", c'est à dire à vie plus 70 ans, mais de préférence pour une durée ne devant pas dépasser, à mon avis, 5 ans renouvelable tacitement.


Marc Autret, l'auteur de 150 questions sur l'édition, a une position claire à ce sujet : l'édition numérique est un univers où les parties devraient toujours se garantir mutuellement contre des contrats aliénants et longue durée. Il faudrait, bien au contraire, privilégier la flexibilité maximale. Cela n'empêche pas un contrat d'être précis et bien balisé.

J'ajouterais qu'à partir du moment où les enjeux financiers demeurent restreints, il paraît naturel que ce soient des liens de confiance réciproques qui animent les deux parties, beaucoup plus qu'un contrat. Si l'éditeur fait son travail de conception de l'objet-livre, direction littéraire, promotion et mise en valeur dans les salons, il n'y a pas de raisons que l'auteur ne lui accorde pas sa confiance pour un autre livre à l'avenir. Ce n'est qu'un avis personnel, bien sûr.

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