Imaginez,
vous êtes auteur autoédité aux Etats-Unis, et Amazon vous approche avec
cette offre: plutôt que de vous donner 70% du prix de votre ebook, ils
vous en donnent 100%, même si vous fixez le prix de l'ebook entre 10 et
20$. Votre ebook fera partie d'un groupe de titres vendus dans le cadre
du programme Kindle Unlimited: pour 9,99$ par mois, les lecteurs
inscrits dans ce programme peuvent télécharger un nombre illimité
d'ebooks. Il suffit que chaque lecteur lise 10% de votre livre ou plus
pour que vous touchiez 100% de la somme que vous avez fixée (même si
l'ebook est à 15 $). Vous refuseriez, vous? Eh bien c'est ce que les
éditeurs américains ont fait. Ils ont refusé, pour protéger les prix
élevés des ebooks. Alors même que pour ce qui les concerne, ils
n'avaient pas à vendre exclusivement leurs ebooks sur Amazon dans le
cadre de cette offre (ils pouvaient continuer à vendre sur Kobo, Apple,
Google et les autres plates-formes).
On ne prête qu'aux riches, comme Amazon vient de le démontrer de manière éclatante avec cette offre aux éditeurs, mais aussi à certains auteurs bestsellers autoédités comme Hugh Howey (offre limitée à un mois pour ce qui concerne ces auteurs autoédités). En effet, Kindle Unlimited est aussi proposé aux autres auteurs autoédités, non bestsellers, mais en ce qui les concerne, ils ne peuvent en bénéficier qu'à la condition de vendre les ebooks concernés de manière exclusive sur Amazon. Et pour leur part, on ne leur offre pas 100% du prix de leur ebook, mais environ 2$ par ebook!
Vous ne me croyez pas? Lisez donc l'article d'Hugh Howey concernant Kindle Unlimited.
Comme le dit très bien Hugh Howey dans son article, ce système, qui rappelle les systèmes de streaming d'ebook Oyster et Scribd, ou, pour la vidéo, Netflix (qui débarque en France en décembre, je crois), ne saurait être rentable pour Amazon. C'est une carotte pour donner envie à plus de gens de se mettre à l'ebook, et en cela, Amazon joue son rôle d'acteur innovant sur la technologie, mais aussi d'acteur contribuant à démocratiser le prix des ebooks (même si, en l'occurrence, on pourrait arguer qu'il est plutôt le suiveur d'Oyster et Scribd).
J'avais lu quelque part que dans les grandes corporations, votre main droite ne savait pas toujours ce que faisait votre main gauche, et c'est un peu cette impression que me fait Amazon en ce moment, celui d'une société schizophrène. D'un côté, Amazon fait une offre mirobolante aux éditeurs, de l'autre, la société de Jeff Bezos se bat pour obtenir de meilleures marges.
Vous avez peut-être le sentiment, si vous lisez les médias, qu'Amazon essaie de mettre à genoux Hachette, ou bien que les propositions d'Amazon équivaudraient, si Hachette les acceptait, à un suicide commercial.
En tant qu'auteur autoédité, j'ai une vision très différente : les gros éditeurs ont depuis toujours la possibilité d'avoir leurs ebooks dans la bibliothèque de prêt d'Amazon, ou de faire des promotions, y compris gratuites, sans condition d'exclusivité. Alors que les auteurs indépendants, auteurs qui ne sont pas, comme le dit si bien Hugh Howey sur son blog, de deuxième zone mais de troisième zone pour Amazon, se trouvent, à l'exception de quelques best-sellers, soumis à ces conditions d'exclusivité. Les auteurs indépendants ne bénéficient pas de boutons de pré-commandes, l'un des sujets de dispute entre Amazon et Hachette (les précommandes sont en revanche possibles pour les auteurs indépendants sur Apple ou Kobo).
Etant donné l'argent qu'Amazon est prêt à offrir aux gros éditeurs dans le cadre de cette offre Kindle Unlimited, il paraît raisonnable de penser que ces mêmes éditeurs ont des leviers de négociation très importants à l'heure actuelle, et ne sont en rien des agneaux menés à l'abattoir comme on pourrait le croire en lisant les médias officiels s'intéressant au sujet.
Si vous examinez le dernier rapport author earnings, qui porte sur les 120,000 ebooks qui se vendent le mieux, un chiffre non négligeable il me semble, vous verrez que les cinq plus gros éditeurs auxquels il faut ajouter les petits ou moyens éditeurs représentent encore à l'heure actuelle 75% du chiffre de vente en gros sur Amazon (Daily Gross $ Sales of Amazon bestsellers). Les autoédités ne représentent encore que 17% de ce même chiffre.
Alors, certes, si l'on prend, non pas les revenus des éditeurs, mais ceux des auteurs, qui sont une chose bien différente, puisque les éditeurs aspirent pour eux-même une très large part des revenus totaux, nous sommes, comme constaté à la fin de l'article author earnings, à environ 40% des revenus totaux versés aux auteurs qui reviennent aux auteurs autoédités. Ce qui signifie bien sûr que l'avenir est aux auteurs autoédités... mais aussi le présent, puisque les chances de gagner au moins un modeste pécule, voire plus, sont considérablement plus élevées en s'autoéditant.
Il est légitime de penser que si les éditeurs n'étaient pas à ce point privilégiés par Amazon, les auteurs autoédités obtiendraient bien plus que les simples 17% des sommes totales versées par Amazon dans le cadre de la vente d'ebooks. C'est d'ailleurs justement cela qui fait peur aux éditeurs, et c'est pourquoi je pense que Jeff Bezos n'aurait pas souhaité voir révélés les chiffres d'author earnings.
Pour terminer en ce qui concerne Kindle Unlimited, je vais l'essayer pour mon ebook A brief story of Ardalia, qui n'est qu'une nouvelle, ayant pour pratique de ne pas mettre de roman complet en exclusivité sur Amazon. L'expérimentation fait partie de notre lot, à nous autres auteurs autoédités, et nous avons tout intérêt à tendre du côté de l'innovation, même si elle a parfois un goût amer.
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