S'il y a une chose dont on
peut être sûr, c'est que l'amour ne s'achète pas. Pour le succès et la
gloire, il semble bien qu'il en aille autrement. Dans le
milieu de la grande édition notamment, l'auteur Soren Kaplan décrit dans un billet
ravageur comment il a acheté pour son ouvrage Leapfrogging une place dans la liste des best-sellers du New-York Times. Pour cela, il a utilisé les services d'une société, Resultsource, habituée à travailler pour les grands groupes d'édition, selon ses dires.
C'est un énorme éléphant malodorant de dix mille livres dans la salle de conférence que chacun s'applique de son mieux à ignorer,
selon les propres
termes de Soren Kaplan. En d'autres termes, tout le monde le sait
dans le mileu de l'édition. En y mettant suffisamment d'argent, un
auteur esseulé (cela a été le cas pour Soren Kaplan) ou une
entreprise d'édition peut payer une société comme Resultsource pour
que le livre soit acheté et apparaisse dans la liste des best-sellers du
New York Times et du Wall Street Journal.
Il suffirait d'après Kaplan que le
livre soit acheté 3000 fois dans une courte période pour apparaître dans
la liste du Wall Street Journal, et 11000 fois (dans les
points de vente et librairies appropriés) dans la même période pour
que le livre apparaisse dans la liste des best-sellers du New-York
Times.
L'intérêt ? Aux Etats-Unis,
apparaître dans ces listes est un véritable tremplin pour la carrière de
n'importe quel auteur. Il peut alors inscrire sur la couverture
de son prochain livre la mention "New-York Times bestseller".
Cela ne signifie pas pour autant que
le bouche-à-oreille ou les goûts du public n'ont aucune incidence, ou
qu'un livre vraiment mauvais puisse rester très longtemps
dans ces fameuses listes. Mais vous êtes vous déjà demandé pourquoi
un livre qui vous paraissait médiocre devenait best-seller ? Vous avez
la réponse.
On savait déjà, depuis l'affaire John
Locke aux Etats-Unis, qu'un auteur pouvait payer pour bénéficier de
commentaires sur Amazon.
On savait déjà que les grandes
maisons d'édition payaient pour que les livres de leurs auteurs les plus
vendeurs figurent en évidence, face avant sur les meilleurs
tables des libraires.
On savait déjà qu'environ un tiers
des livres sortis en librairie étaient écrits par des nègres
littéraires, ou ghostwriters, rémunérés par les grandes maisons
d'édition.
On savait déjà, pour la France, qu'il
existe des arrangements entre maisons d'édition sur la désignation des
prix littéraires (qui sont notre équivalent des listes
de best-sellers du New-York Times).
On savait déjà que des grandes
maisons d'édition comme Penguin n'hésitaient pas à racheter une
entreprise comme Author's Solution, entreprise d'édition à compte
d'auteur notoirement reconnue pour tirer parti de la naïveté
d'auteurs.
On savait déjà qu'il existait une
forme de loi de silence dans le milieu de l'édition, loi qui permet de
faire en sorte d'éviter que la plupart des faits ci-dessus
exposés ne soient connus du grand public.
On se doute aussi qu'il existe des
listes noires afin de faire en sorte que certains auteurs trop critiques
envers le milieu de l'édition ne puissent être publiés
par de grands éditeurs.
On sait donc à présent jusqu'où peut aller l'emploi du mot "business" quand il est accolé à celui d'"édition".
Il ne s'agit pas ici de dire que tous
les éditeurs sont pourris et les auteurs (notamment autoédités) de
blanche colombes. John Locke est par exemple un auteur
autoédité. Il ne s'agit pas non plus de dire que les règles du jeu
sont systématiquement truquées et que ça ne vaut pas le coup d'essayer
de faire son trou. Elles le sont en grande partie, oui.
Et elles le resteront.
Le but de ce type d'article est
d'éveiller la conscience du public. Eh oui, je ne pense pas que ce genre
d'affaire fera la une du 20H. Heureusement, Internet est en
train de devenir un média puissant.
Si cela peut permettre de faire un
peu moins confiance aux listes des bestsellers et un peu plus au
jugement propre de chacun, je crois que l'on s'en portera mieux.
Pas vous ?
[Edit 07/03/2013 : à lire aussi pour les anglophones, l'article du Wall Street Journal sur le sujet.]
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