En tant qu'auteur autoédité, je suis un entrepreneur qui n'emploie que lui-même. Je noue bien sûr des partenariats artistiques et commerciaux. Même si je peux mettre en compétition différents prestataires, mon business repose avant tout sur la coopération. Cela me met de facto à l'abri des trois formes de corruption susceptibles de toucher l'entrepreneur. C'est d'ailleurs l'un des avantages de ma situation: me permettre de poser un regard critique sur le monde du travail.
La première des corruptions dont est susceptible d'être victime l'entrepreneur disposant d'employés dans sa compagnie, c'est de se croire supérieur à ses employés parce qu'il les a embauchés. A partir du moment où leur niveau de vie ou leur statut (et notamment pour les cadres) dépend de lui, l'employeur va se sentir intrinsèquement supérieur. Ça n'arrive pas pour tous les employeurs, bien sûr, mais c'est une tendance qui les guette d'autant plus dans les périodes de crise où le chômage est élevé, et où ils sont en situation de monopole ou quasi monopole dans leur branche.
Même dans des cas où le rapport de force est plutôt favorable à l'employé, qui peut démissionner et retrouver du travail ailleurs, le salaire de l'employeur étant plus élevé que celui de l'employé, l'idée de supériorité du patron est toujours à l'arrière-plan. Et d'autant plus si lui-même a tendance à considérer ses employés comme des larbins plutôt que comme des membres de sa famille étendue. A faire preuve de malveillance plutôt que de bienveillance.
La deuxième des corruptions de l'entrepreneur, c'est de se croire supérieur à ses employés parce qu'il peut les virer. A partir du moment où un employeur prend plaisir à virer ses employés, par exemple en paradant dans ses locaux avec un évier comme Elon Musk, on peut être sûr qu'il est victime de cette corruption. Autre élément de preuve, le fait de licencier en si grand nombre que l'on est obligé de réembaucher derrière. Là, on est clairement dans la jouissance du pouvoir sur des vies et des destinées d'employés. Ce pouvoir est d'autant plus manifeste que les salariés se sentent démunis, sans possibilité d'avoir recours à des syndicats ou de démissionner. En d'autres termes, ce pouvoir ne provient que de ce que les salariés sont prêts à concéder à l'employeur. De leur soumission. Le pouvoir n'est jamais à sens unique. C'est un échange dynamique s'inscrivant dans la dialectique du maître et de l'esclave.
La troisième des corruptions de l'entrepreneur, c'est de se croire supérieur non seulement à ses employés, mais aussi au reste de la société. Cela se manifeste par du chantage à l'emploi auprès du gouvernement afin d'améliorer ses marges bénéficiaires. La corruption est telle, à ce stade, que l'entrepreneur va s'engager dans des manœuvres de lobbying afin de faire pression pour, de manière classique, faire baisser les charges et impôts dont est redevable sa compagnie. Ce type d'employeur succombera aussi à la tentation de la collusion d'intérêts avec ses pairs pour fixer les prix à un certain seuil, aux dépens du consommateur. L'un des exemples qui vient à l'esprit est la collusion des éditeurs sur le prix des ebooks.
Quant au chantage à l'emploi, les exemples sont multiples, mais l'un des plus flagrants est celui de l'un des hommes les plus riches du monde, Bernard Arnault, qui a menacé de faire migrer ses entreprises aux Etats-Unis. Imaginez la haute couture à la française, Dior sans aucun employé ou créateur français, mais que des Américains. Ça semble si absurde, la rupture de l'image de marque de ces compagnies serait si complète qu'on a envie de dire à Arnault: "vas-y, fais le mon grand ! Ton départ sera l'opportunité d'un futur concurrent."
Les moyens de lutter contre ces corruptions? Faire en sorte que les gouvernements eux-mêmes soient incorruptibles, et que les candidats à la présidentielle ne bénéficient que de dons de particuliers et non d'entreprises. Faire en sorte de casser tous les monopoles, afin de permettre aux employés de démissionner pour se faire employer par la concurrence dès qu'ils se sentent rabaissés. Favoriser les petites entreprises, auto entreprises et artisans via des charges allégées et un allègement considérable de la paperasse et des formalités. Donner à des agences gouvernementales comme Pôle emploi des compétences syndicales, de défense des employés afin de mieux protéger les travailleurs des PME et des grandes entreprises dépourvues de syndicats. Et pourquoi pas, d'ailleurs, en lien avec l'inspection du travail, la médecine du travail et la justice.
Les entreprises ressemblent encore trop souvent à de mini dictatures où c'est le psychopathe ou le pervers narcissique qui est récompensé et promu. Où règne le harcèlement, parfois jusqu'à conduire des employés au suicide. Il y a énormément à faire pour promouvoir la démocratie en entreprise. Ça passe forcément par un moindre pouvoir, ou un pouvoir plus encadré de l'entrepreneur.
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