mercredi 23 avril 2025

L'Essence des Sens : épilogue

Et nous arrivons finalement à l'épilogue de mon dernier roman de Science-Fiction, L'Essence des Sens. Une expérience de partage d'écriture qui n'aura occasionné aucune remontée des ventes du roman. Dans un univers de surabondance culturelle, c'est une nouvelle preuve que ce qui n'est pas directement monétisé est souvent considéré, consciemment ou non, comme n'ayant aucune valeur. Je pense que pour faire prendre conscience aux gens de ce qui compte pour eux, il faudrait supprimer Internet pendant au moins une journée. On pourrait appeler cela la Journée des Créateurs. De la prise de conscience massive qui s'ensuivrait, l'idée déjà bien présente selon laquelle il faudrait se diriger vers un revenu universel inconditionnel, seul à même de démultiplier les richesses gratuites présentes sur Internet, pourrait se renforcer grandement. 

Epilogue 

Le petit cube doré était étonnamment lourd au milieu de sa chaîne. Après lui avoir mis autour du cou le cubar miniature, Belganov fit l’accolade à Lucinda. 

« Quand nous nous sommes rencontrés il y a deux ans et demi, dit-il, je n’avais que peu d’espoir que vous seriez à même de m’aider dans ma tâche. Citoyenne d’honneur Lucinda Vels, sachez que vous avez dépassé toutes mes espérances. Vous m’avez donné le pouvoir d’endormir par simple contact les nanites ektrim. Mieux encore, le casque que nous avons mis au point ensemble a protégé durablement le citoyen Jaynak, de la 574e strate. Le héros qui allait nous permettre, en mettant nos efforts en commun, d’identifier enfin ce parasite ektrim. Et avec l’aide de la Confédération des Planètes Unies, nous avons ensuite pu réaliser une contre-mesure efficace. Vous avez changé à jamais le destin de notre peuple, c’est pourquoi ce titre de citoyenne d’honneur n’est qu’un faible témoignage de notre reconnaissance. » 

Les drones-cam qui retransmettaient la scène dans tout le système flottaient autour de Belganov et Lucinda dans la salle du trône du Palais de la Première Strate. Six mois s’étaient écoulés depuis la Bataille de la Libération de Nadar. Les pertes nadariennes avaient été si lourdes que la société en était transfigurée. 

« Premier Coordonnateur, répondit Lucinda, vous me faites un très grand honneur. Je chérirai ce titre de citoyenne d’un peuple qui a montré le plus admirable des courages devant l’adversité. 

– Nous aiderez-vous encore, citoyenne ? Depuis que nos compatriotes ont réalisé l’ampleur de la trahison des Ektrims, une trahison qui les a touchés dans leur intimité la plus profonde, celle de leurs pensées, beaucoup ont peur de l’avenir. Ils craignent de se retrouver victimes du même complot pernicieux, un jour ou l’autre. Nous aiderez-vous en fondant une succursale de votre société Vels & Compagnie sur Nadar ? Pour nous permettre de nous protéger, aujourd’hui comme demain ? 

– Je vous le promets, Premier Coordonnateur. A vous et à tous vos concitoyens, que je considère désormais comme mes frères et sœurs. » 

Lucinda afficha un sourire rayonnant. La question posée par Belganov n’était bien sûr pas une surprise — tout avait été préparé. Les plans pour la succursale étaient prêts. Lucinda, avec l’accord de Belganov, travaillait depuis plusieurs mois déjà sur le projet. 

Le traumatisme collectif infligé par les Ektrims et les Fengirs aurait sans doute provoqué un dramatique repli sur soi des Nadariens, si la Confédération des Planètes Unies ne s’était portée à leur secours. La peur de se retrouver manipulés de nouveau à leur insu affectait toutes les strates de la société. L’argelen, cette roche merveilleuse, incroyable, ne suffisait pas. Les citoyens désirant se prémunir contre l’intrusion de nanites en s’implantant d’autres nanites, dont ils maîtriseraient toutes les fonctions, s’avéraient beaucoup plus nombreux qu’on ne l’aurait cru au début. Il y avait là un vrai marché. Ce n’était pourtant pas la course aux crédits qui attirait Lucinda — elle était déjà démesurément riche. Le sentiment de redonner le contrôle de leur destin aux Nadariens était un puissant aiguillon. 

Belganov lui souriait, et elle hocha la tête en lui rendant son sourire. Qui aurait cru qu’elle aurait pu nourrir ce genre de pensées, elle la « Tradi », si attachée à sa propre intégrité physique et surtout intellectuelle ? La vie était décidément pleine de paradoxes. 

*** 

« Tu crois que Merek a exagéré son récit ? demanda Naldeia. Deux jours à la dérive dans l’espace ! 

– Il a dit vrai sur ce coup-là, répondit Jaynak. J’avais vérifié les données auprès de Shaella elle-même peu après la bataille. Son Retaliator avait bien été désactivé par un canon à ion peu après qu’il ait détruit un Zarin. Plus aucune communication. Comme il était parti à la dérive, il a été jugé inoffensif par les belligérants. Les débris sont ensuite devenus tellement nombreux qu’il a fallu du temps, et de la chance, pour le retrouver en vie. Son système de survie vivait ses derniers moments, et lui aussi, du coup. » 

Jaynak contempla Ulicron la bleue, qui emplissait tout le cockpit du transporteur à présent. Naldeia et lui avaient passé la soirée de la veille chez Merek, évoquant la Bataille de la Libération telle que chacun l’avait vécue six mois plus tôt. Jaynak n’avait pas eu grand-chose à dire en ce qui le concernait. Belganov avait tenu à ce qu’il reste sur Nadar, estimant qu’il avait épuisé ses réserves de chance au cours de ses aventures précédentes. Il avait donc observé depuis la console de ses parents, focalisé en particulier sur les relevés du Rapier, où se trouvait Naldeia. Leurs retrouvailles après la victoire avaient été inoubliables, et les célébrations sur la planète, euphoriques. Nadar était maintenant candidat officiel à l’intégration dans la Confédération des Planètes Unies, et bénéficiait de démarches administratives accélérées. Les arrivées d’autres espèces sur la planète, parmi lesquelles celle des humains, se faisaient plus fréquentes. Comme il leur était difficile de visiter les cités elles-mêmes en raison de leur gravitation particulière, des centres touristiques avaient été bâtis aux emplacements où se trouvaient certains des bâtiments des Fengirs. 

Le transporteur se posa dans le spatioport d’Uls. La lune possédait une atmosphère compatible avec le système respiratoire des Nadariens, qui y bénéficiaient d’une gravité moins forte et pouvaient évoluer par bonds. Naldeia et Jaynak traversèrent les couloirs du spatioport avant de rejoindre par navette la cité minière. Autour d’eux, il n’y avait que droïdes, drones et androïdes. Depuis le Grand Dévoilement — ainsi avait été baptisée la révolution nadarienne —, Ulicron exploitait toujours son tirinium, mais sans plus se servir de prisonniers reconvertis en esclaves. L’ambiance était industrieuse, mais froide. 

Le glisseur déposa Naldeia et Jaynak devant le Centre du Recueillement. Surmonté d’une double coupole, le bâtiment était aussi imposant que lumineux. A l’intérieur flottait une odeur de sengré allégé. Jaynak avait sélectionné un nom sur sa tablette. Lui et Naldeia avaient ensuite pris place dans un bipode. Celui-ci fila le long des corridors, prit des embranchements à vive allure, avant de ralentir, puis de s’arrêter. 

Jaynak sentait sa compagne nerveuse. Il serra sa main dans la sienne, et ensemble, ils franchirent le seuil. Comme la plupart des salles de ce qui était un véritable musée, celle-ci possédait des appareils de minage authentiques, ainsi que des blocs de tirinium. Elle était également équipée des différents projecteurs permettant de simuler une réalité virtuelle. Pour l’heure, les fonctions holographiques n’étaient pas activées. Le personnage qui se tenait à quelques pas était bien réel, et il sembla à Jaynak qu’il avait perdu de sa carrure. Son séjour dans le Cœur d’Argea devait y être pour quelque chose. Surveillé en permanence par trois drones de surveillance-répression, Grendchko les toisait avec sa malveillance coutumière. 

L’individu avait perdu une chose en plus de son poids — son arrogance, remplacée par de la servilité. Naldeia retira sa main de celle de Jaynak et croisa les bras, se plaçant en face du Premier Coordonnateur déchu et le fixant dans les yeux. « Comment se passe ton stage de Remise sur la Voie ? » demanda-t-elle.  

Grendchko se contenta d’un geste impuissant. 

« Tu n’as pas envie de me violer ? Je ne suis pas armée, vas-y ! 

– Je… ce n’est pas permis », croassa-t-il. A son timbre de voix, il était évident qu’il n’avait plus l’habitude de parler. 

Jaynak soupçonnait que si le billet pour Ulicron n’avait pas été si onéreux, ses anciennes victimes auraient fait la queue pour venir lui rendre visite. Les drones SR ne servaient pas seulement à surveiller Grendchko, mais aussi à neutraliser tous ceux qui auraient été tentés de se faire justice. 

Jaynak s’approcha d’une console, et composa le nom de Lorckcho. « Journée typique », articula-t-il. Aussitôt, leur ancien compagnon d’infortune apparut. Aminci, les yeux exorbités, la bave aux lèvres, sous emprise, il marchait dans le couloir d’une mine, son extracteur à la main. Grendchko, Naldeia et Jaynak ne voyaient que lui, avaient l’impression d’être Lorckcho tout en le contemplant de l’extérieur, tant la simulation était immersive. Quand Grendchko essayait de fermer les paupières, une décharge électrique en provenance d’un drone les lui rouvrait. Lorckcho titubait, parfois. Ses yeux étaient entièrement jaunes. Les trois Nadariens suivirent chacun de ses mouvements pendant des minutes qui ressemblaient à des heures. Parvenu à un gisement de tirinium qu’éclairait un drone, Lorckcho activa son extracteur. Il découpa, et une fois les blocs détachés, le drone qui l’accompagnait les emprisonna dans un champ magnétique, puis les plaça dans une large hotte que portait le misérable détenu. En dépit de la gravité moindre, les jambes de celui-ci fléchirent sous le poids. Puis il s’écroula. Il mit plusieurs minutes à réussir à se relever en haletant, plus hébété que jamais. 

Naldeia et Jaynak avaient les larmes aux yeux. Grendchko, quant à lui, considérait la scène avec une moue méprisante. Lorckcho se mit à marcher péniblement sous sa charge. La holosim semblait devoir se prolonger indéfiniment. 

Naldeia et Jaynak n’eurent pas le cœur de poursuivre jusqu’à la mort par overdose de leur compagnon. 

« Tu sais qui est ce prisonnier ? demanda Jaynak. 

– Non, citoyen, répondit Grendchko. 

– Quelle politesse, de ta part ! dit Naldeia. Je suppose que ce sont ces charmants drones qui se sont chargés de te l’inculquer. 

– Il s’appelait Lorckcho et était l’un des citoyens condamnés à ton fameux Stage de Remise sur la Voie pour s’être trouvé dans les Cavernes d’Ambre d’Argea au mauvais moment, l’informa Jaynak. Souviens-toi bien de son nom. Ton Adepte, Ymeo, l’avait jugé inapte et l’avait fait transférer dans les mines d’Ulicron. 

– C’est à elle que vous devriez vous en prendre, alors. Pas à moi ! 

– Oui, tu es innocent du crime dont on t’accuse, bien sûr, dit Naldeia. 

– On dit qu’on peut mesurer le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses prisonniers, fit Jaynak. Tu as été jugé coupable de la plupart des charges retenues contre toi, dans les procès auxquels tu as eu à faire face. Condamné à devenir guide touristique ici, gardien de la mémoire des tourments que toi et tes sbires avez infligés. J’espère que tu mesures bien la différence avec ce qu’était devenue la civilisation de Nadar sous ta direction. J’espère que tu comprends où se trouve la vraie grandeur. 

– Je crois que tu espères beaucoup, mon amour », dit Naldeia. 

Jaynak prit la main de sa compagne, et ils firent demi-tour. Peu avant de franchir la porte, Jaynak se retourna en direction de Grendchko. « Nous ne te souhaitons pas bonne chance dans ta nouvelle vie. »

Le résumé de ce chapitre, commenté

par deux voix de l'IA en anglais.

 

 

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