C'était entre 1992 et 1995. J'étais jeune étudiant à l'Ecole de Journalisme (Paris Tolbiac) à l'époque. Je me trouvais sur le quai en courbe d'une station du RER B à Paris. Je crois bien que c'était Denfert-Rochereau.
Je regardais sans rien voir comme souvent, jusqu'à ce que mes yeux se posent sur une jeune femme blonde étrangement proche du bord du quai. Beaucoup trop proche.
Elle devait être à une quinzaine ou une vingtaine de mètres de moi. Il y avait d'autres voyageurs entre nous. Je la fixai, et c'est à ce moment que j'ai vu son corps osciller.
Personne ne semblait avoir conscience d'elle aux alentours. Le RER ne devait plus tarder à entrer en gare. Je n'en revenais pas de ce qui semblait sur le point de se passer à l'insu de tous sauf moi. La vie pouvait-elle être si stupide?
Je ne cessai de la dévisager, et enfin elle tourna vers moi son visage. Celui-ci était baigné de larmes.
Nos regards se sont croisés, et je lui ai fait un signe de tête négatif. Elle est restée comme accrochée à mon regard, et enfin elle a reculé.
Aujourd'hui encore, je regrette de ne pas être allé la voir dans son compartiment pour lui demander ce qui n'allait pas dans sa vie. La cloche de verre dont s'entourent la plupart des Parisiens et banlieusards, et surtout, ma grande timidité d'alors.
A tort ou à raison, j'ai eu, et j'ai encore aujourd'hui, le sentiment d'avoir interféré dans la vie de cette jeune femme. Je suis sorti de mon devoir de réserve et de ma cloche de verre l'espace d'un instant chargé d'une incroyable intensité.
Je n'avais absolument pas conscience à ce moment de n'avoir fait que mon simple devoir de citoyen (mais peut-on vraiment parler d'action?). Si je m'étais contenté de la regarder d'un regard vide, ou de l'ignorer, j'aurais été sous le coup de la loi de non assistance à personne en danger.
Peut-être d'ailleurs, le fait de n'avoir agi que par le regard et un mouvement de tête me fait-il malgré tout tomber sous le coup de cette loi.
Ce n'est pas cette loi qui a commandé mon action alors, mais je réalise à présent que l'on ne m'a jamais formé à prendre les transports en commun.
Eh oui, je pense qu'il devrait y avoir une formation pour les collégiens ou lycéens afin qu'ils sachent comment réagir en situation d'urgence, précisément dans les transports.
Que dit cette loi de non assistance à personne en danger? Selon Wikipédia:
La non-assistance à personne en danger est l'engagement de la responsabilité pénale d'une personne qui n'interviendrait pas face à une personne courant un danger.
L'engagement a lieu si :
- la personne a connaissance du danger ;
- elle est en mesure d'agir ;
- l'action ne présente pas de danger pour la personne ni pour un tiers.
Evidemment, si l'agresseur est armé, intervenir présenterait du danger. Evidemment, on ne peut pas toujours savoir si un agresseur est armé. Il existe aussi des agresseurs tellement balèzes qu'ils n'ont pas besoin d'être armés pour présenter un danger. Ils peuvent aussi agir en bandes.
Mais bon. Il y a toujours moyen d'actionner un signal d'alarme si on se sent dépassé. J'ai déjà vu plusieurs personnes réagissant de concert contre un ou plusieurs agresseurs, et dans l'écrasante majorité des cas, sauf situation vraiment extrême où les agresseurs sont armés, les voyous prennent la fuite sans même qu'il y ait besoin de tirer le signal d'alarme.
Mine de rien, malgré son appellation digne d'un Père Fouettard, cette loi de non assistance à personne en danger fait de chacun de nous l'ange-gardien de son prochain (le saviez-vous? Aux Etats-Unis et au Canada, il y a une loi dite du bon samaritain qui protège contre d'éventuelles poursuites les gens qui essaient de réanimer un blessé.).
Je crois que nous aurions intérêt d'avoir cette loi de non assistance à personne en danger à l'esprit en prenant les transports. Ainsi que les gestes de premiers secours. Non pour renforcer la psychose, mais au contraire pour la combattre, en sachant que même si nous abritons en temps normal notre intimité derrière des cloches de verre, nous ne sommes pas seuls face à l'adversité.
Et aussi, parce qu'un homme averti en vaut deux.
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