dimanche 19 septembre 2021

Vaccination covid-19: le témoignage d'une infirmière

Je peux comprendre que tout le monde n'aie pas comme critère premier de décision la science ni les avancées médicales. Je peux accepter que des personnes aux Antilles ou dans les DOM-TOM préfèrent se soigner avec des thés plutôt que de faire de la prévention avec la vaccination, parce que la tradition est le premier critère pour ces personnes. Mais je me demandais comment les infirmières pouvaient être en France en nombre si important à refuser la vaccination au virus du covid-19, étant donné leur formation. J'ai posé la question à ma mère, qui a été sage-femme, et elle n'a pas su répondre. Puis, j'ai eu au téléphone une amie d'enfance qui est infirmière, et qui m'a expliqué pourquoi elle refusait cette vaccination. Elle sait que je tiens un blog, et a accepté que je relate notre conversation, sous le couvert de l'anonymat. Je ne l'ai pas enregistrée, mais voici ce que j'en ai retenu, et mes réactions au fur et à mesure. 

"Il faut savoir que lors de la première vague du covid, alors que pas mal de collègues avaient la fièvre et étaient à 40°, les responsables de l'hôpital leur demandaient de venir travailler. Oui, quand même. Au début, nous les infirmières n'avions pas droit aux masques FFP2. Seuls les chirurgiens et médecins y avaient droit. On n'avait pas l'impression d'être toujours très bien protégées, loin de là."

Je demande à mon amie d'enfance si les massages cardiaques sur les patients covid étaient autorisés. J'avais vu dans une série, Chicago Med, qu'ils ne l'étaient pas. En France, ou en tout cas dans son hôpital, cette interdiction n'existait pas.

"On a même eu un infirmier qui a donné un coup de poing dans la côte d'un patient qui faisait un arrêt. Il lui a cassé la côte, mais son geste a permis à son cœur de redémarrer à temps. C'est un geste interdit, mais si on avait attendu de le brancher sur une machine, ça aurait été trop tard et le patient serait devenu un légume. Mais du coup, le patient l'a attaqué en justice. Alors que l'infirmier lui a sauvé la vie. C'est comme ça que ça se passe la médecine de nos jours."

Et sa vie quotidienne, au boulot, avec le pass sanitaire, tout ça? Quelle est l'ambiance? 

"Là je suis en arrêt maladie. Mais l'ambiance n'est pas bonne, ça se tire dans les pattes entre vaccinés et non vaccinés. A côté du tableau des prochaines gardes, il y en a un autre avec le nom du personnel vacciné et non vacciné. C'est contraire à la loi."

Après notre conversation, j'ai évoqué cela avec ma femme, et elle m'a dit que le mieux était de prendre une photo de cet affichage et de faire un signalement auprès de la CNIL. C'est en effet une pratique illégale, en entreprise comme à l'hôpital. 

 "Les gens qui ne veulent pas se faire vacciner sont qualifiés de meurtriers. Le gouvernement a créé une nouvelle instance officielle pour chapeauter l'ordre des médecins, et faire pression. Du coup, les médecins qui ferment leur cabinet ne le font pas par choix, mais parce qu'ils y sont poussés. Alors que je connais des médecins qui sont des gens intègres, des gens bien. Ce ne sont pas des métiers comme les autres. C'est le même niveau d'intensité et d'implication que des pompiers, par exemple. Les professionnels de la santé qui ne veulent pas se faire vacciner ont parfois donné énormément d'eux-mêmes pour sauver les autres, pendant leur carrière. Et ils se retrouvent d'un seul coup, comme ça, au banc des accusés."

A ce stade de notre conversation, j'étais hésitant. Ma première intuition était que mon amie ne voulait pas se faire vacciner. Cette intuition était confirmée par son discours, hormis le fait qu'elle parlait de "ceux qui ne veulent pas se faire vacciner" comme si elle n'en faisait pas partie. Comme je ne voulais pas lui demander directement si elle l'avait été, ce qui aurait sonné trop accusateur à mes propres oreilles, je lui ai demandé si elle avait eu des effets secondaires indésirables. C'est là qu'elle m'a dit ne pas vouloir se faire vacciner. 

"Mes parents sont vaccinés, et j'ai fait vacciner ma fille. Elle a fait une forte fièvre, et de la tachycardie, et elle a été malade pendant deux jours."

Comme elle me disait avoir eu de nombreux discours l'accusant d'irresponsabilité, surtout dans sa situation de soignante, je n'ai pas voulu en rajouter une couche. Elle est consciente que de nombreux collègues refusant de se faire vacciner se retrouvent suspendus, mais ce n'est pas un souci immédiat car elle-même s'est mise en arrêt de travail, suite à un problème physique lié à son travail épuisant. 

L'impression que m'a laissé son discours est celle d'une personne victime de nombreux abus professionnels. Manque de reconnaissance, horaires délirants, exigences inhumaines de la hiérarchie, salaire misérable... De manière générale, j'ai le sentiment que quand vous pratiquez un métier de passion, à moins d'être au top et complètement irremplaçable, ce qui arrive rarement, la société vous le fait payer en vous exploitant jusqu'au trognon. Surtout dans le public.

J'ai bien conscience que la hiérarchie n'est pas la seule à être mise en cause, étant elle-même victime du manque de moyens affecté à l'hôpital public.

J'ai été longtemps dans l'écoute de mon amie, mais nous avons quand même eu un débat concernant le pass sanitaire. Elle pense qu'il viole tout à la fois le droit à disposer de son corps et les droits de l'homme, et que ce sont les seuls paramètres à prendre en compte. 

Mon avis, c'est que nous sommes dans une situation où le gouvernement est forcé de se comporter de manière machiavélique -- dans le sens de Machiavel. C'est à dire qu'il faut parfois sacrifier dix hommes pour en sauver cent. Les arbitrages impossibles du pouvoir.

Plus précisément, dès le discours de Macron début juillet, d'une part j'ai trouvé ça extrêmement brutal, et d'autre part, j'ai réalisé qu'il s'agissait d'un énorme coup de bluff, puisque début juillet, le gouvernement n'avait pas les doses pour que les Français soient vaccinés à 80%. On vient seulement d'avoir les doses nécessaires au moment où j'écris cet article, à la mi-septembre 2021. 

C'était comme si Macron demandait à tous les Français, ou au moins 80%, d'être vaccinés dès la fin juillet alors que l'Europe n'avait de toute façon pas donné suffisamment de doses à cette période pour que les choses se fassent si vite. 

Non seulement le pass sanitaire était plus que limite sur les droits de l'homme, mais là pour le coup, c'était très injuste. 

Le gouvernement a rétropédalé sur le pass sanitaire des adolescents 24h plus tard, heureusement. Sa méthode très brutale a néanmoins provoqué un électrochoc dans la population, et, alors que les courbes de vaccination auraient dû s'affaisser pendant l'été, elles se sont maintenues, et la France est devenu l'un des pays les mieux vaccinés en Europe. 

En y réfléchissant, j'en ai conclu que les Français avaient besoin d'un coup de pied aux fesses, peut-être pas tous, mais beaucoup d'entre eux. Ils avaient besoin d'un chef, ce que personnellement je trouve assez déplorable dans la mesure où cela signifie que le peuple, dans son intégralité, n'a pas la maturité suffisante pour prendre les bonnes décisions, et ce malgré les nombreuses sources d'information scientifiques. 

A la place de Macron, j'aurais agi avec honnêteté intellectuelle, en attendant d'avoir les doses pour mettre en place le pass sanitaire, en n'essayant pas de me venger d'avoir été laminé aux régionales en faisant cette annonce de manière brutale, alors même que les Français avaient déjà pris leurs dispositions pour les vacances d'été. Je serais beaucoup plus allé dans la diplomatie. 

Mais j'ai beau ne pas porter ce gouvernement dans mon cœur, je ne suis pas sûr du tout que ma méthode aurait été aussi efficace pour entraîner les gens vers la vaccination. Et l'efficacité, dans une situation digne de Machiavel comme celle-ci, est primordiale. Deux mois de gagnés, ce sont des centaines, peut-être des milliers de personnes de sauvées.

Ce que j'ai dit à mon amie, c'est : "tu peux maîtriser ton discours sur la liberté et les droits de l'homme, mais tu ne maîtrises pas la biologie de ton corps". Ce qui revenait à dire en gros que la nature n'en a rien à faire des droits de l'homme. Et qu'on était dans une situation où il fallait se caler sur la nature, pas sur les droits de l'homme. En gros, il faut choisir ces combats, et ce combat-là n'était pas le bon pour faire avancer les droits de l'homme. 

Mon amie n'était pas d'accord, bien sûr. 

Malgré ses révélations, mon opinion sur elle n'a pas changé. Je la considère toujours comme une amie. Je ne suis pas là pour la juger. 

En revanche, j'ai mon opinion sur son profil psychologique. Je pense que c'est une dure à cuire qui a un grand cœur. Elle a été victime de choses super dures sur le plan professionnel. Elle a été abusée par sa hiérarchie. Mais elle a tenu, parce qu'elle avait un idéal, mais aussi sans doute, parce que c'est un métier où l'on est porté par l'adrénaline, et que mon amie est une femme d'action. 

Son discours était parfois paradoxal, parce qu'à un moment, elle me dit que sa hiérarchie la mettait en danger avec le covid, et ensuite, elle me révèle qu'à l'hôpital, pendant la deuxième vague, ils n'ont eu que deux patients covid. A ce moment de son discours elle semble vraiment remettre en cause la dangerosité du virus.

Et pourtant, et pourtant elle me dit qu'à l'heure actuelle, elle n'essaie pas d'obtenir le pass sanitaire en se faisant tester, elle préfère rester confinée, ne pas sortir et ne mettre en danger personne. Nouvelle contradiction. 

En fait, elle se met en situation d'être inattaquable puisqu'elle prend sur elle pour ne faire prendre aucun risque à la population. 

Quand elle me dit ça, quand elle m'indique que les gens se font peut-être vacciner par peur, parce qu'ils ont peur du covid, je me dis que si la population devait suivre son exemple, il faudrait tous que nous fassions comme elle et que nous attendions dix ans pour voir si ce vaccin n'aurait pas vraiment des effets très indésirables. 

Or, ce n'est évidemment pas jouable sur un plan sociétal. Sur le plan économique, ce serait la catastrophe. Sur le plan psychologique, toute la société n'est pas composée d'individus qui sont des durs à cuir comme mon amie. 

Je n'oublie pas non plus qu'elle a fait vacciner sa fille, bien sûr, ce qui indique que mon amie n'est pas une antivax. 

En réalité, je crois que sur le plan psychologique, nous sommes à la fois dans l'affirmation de soi et dans la rétribution. 

L'affirmation de soi parce qu'on s'affirme en disant "non". Et quel meilleur moment pour dire "non" que celui ou tout le monde doit se faire vacciner sous peine d'être marginalisé? Vous devez me prendre en compte, prendre en compte ma différence, voilà le discours sous-jacent. 

Et là, de la part d'une infirmière, bien sûr, on est aussi dans la rétribution. Nous avons été abusés par la société, et donc, la société va cesser de nous oublier car nous allons refuser de jouer le jeu. 

J'ai d'ailleurs terminé la conversation avec mon amie en lui disant: "résiste, prouve que tu existes".

Cela pour lui montrer que je comprenais son état d'esprit. Moi, j'ai la possibilité de dire que je choisis mes combats, et que le combat contre la vaccination est un mauvais combat, que je n'aurais jamais choisi. Mais il est envisageable que sa personnalité et son vécu aient irrésistiblement poussé mon amie vers cette décision.

Et nous devons prendre conscience que c'est seulement à présent que nous avons suffisamment de doses pour 80% de vaccinations complètes en France. Soyons tolérants envers les hésitants. Il est encore temps de changer d'avis. Surtout lorsque l'on constate l'efficacité de la vaccination en Europe et en France, par exemple, par rapport aux Etats-Unis. Les Etats-Unis ont encore eu près de 3400 morts en 24h le 16 septembre 2021. A la même date, la France a eu 65 morts en 24h, soit 52 fois moins. La France est entièrement vaccinée à 70%, les Etats-Unis à 53,75%. 

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