Coup de tonnerre dans le petit milieu de l'édition française: mis en cause dans l'affaire de harcèlement sexuel révélé par Médiapart (voir l'article de ce blog du 26 avril), Stéphane Marsan démissionne de la présidence de Bragelonne, ainsi que de son poste d'administrateur. Le communiqué de presse a été publié notamment sur le compte Facebook de Bragelonne le 6 juillet 2021. Une annonce qui a un goût de revanche pour les personnes qui ont eu à subir ce harcèlement, et qui a dû être accueillie par l'incrédulité des gens qui pensaient Marsan indéboulonnable (parfois les mêmes personnes, d'ailleurs).
Oui, cela vaut la peine de se battre ! Non, les affaires de type #metoo ne servent pas qu'à brasser du vent ! Nul, dans le milieu de l'édition, ne peut se prétendre tout puissant. C'est un peu la leçon qu'il y a à retenir de toute cette affaire.
Il faut savoir qu'aucune plainte n'avait été déposée contre Stéphane Marsan. Le sentiment étant, dans le milieu de la Fantasy, que quel que soit le nombre de témoignages, cela ne suffirait pas à "faire tomber" Marsan. Des décennies de femmes victimes de violences verbales ou physiques impunies, et ce en dépit de plaintes légalement déposées mais qui ont abouti à des non lieu, ont forgé la conviction que les prédateurs s'en tiraient toujours.
L'affaire Weinstein n'a pas encore suffi à changer les mentalités, en France.
En plus de cela, les enjeux pour les autrices qui ne souhaitaient pas se griller dans le milieu étaient très forts: l'écriture est à la fois une passion et un art de vivre. Dans cette sphère de l'édition traditionnelle, on a l'impression qu'un simple pas de travers sera irrémédiablement sanctionné. Rien ne fait plus peur à un auteur ou une autrice traditionnelle que l'idée de figurer sur une liste noire des éditeurs.
C'est pourquoi on ne peut que rendre un vibrant hommage aux huit autrices qui avaient décidé de ne plus travailler avec Bragelonne tant qu'une enquête interne ne serait pas menée, et qui, ce faisant, ont fait bouger les lignes. Enfin! Voici l'article d'Actualitté à ce sujet.
On peut penser que Marsan a vécu et est mort (symboliquement) sur cette idée de liste noire. Il devait user de cette épée de Damoclès pour remporter les rapports de force l'opposant aux autrices (principalement) et auteurs. Mais par ses abus répétés, il s'est mis de lui-même sur cette liste noire.
Même si vous êtes président d'une maison d'édition, si plus personne ne veut travailler avec vous dans un milieu professionnel, il y a de fortes chances que vous finissiez par être débarqué.
Au Moyen-Age, le seigneur local qui abusait du droit de cuissage pouvait finir avec sa tête au bout d'une pique. Toutes proportions gardées, c'est un peu ce à quoi on a assisté avec Bragelonne: l'équivalent d'une révolte paysanne. La justice ne semblait pas avoir les armes pour gérer des cas comme celui de Marsan. Peut-être parce qu'il faut croire un minimum en la justice pour qu'elle devienne un outil efficace.
Pour autant, est-ce que tout est réglé? Que nenni! Dans le communiqué de presse de Bragelonne, la maison d'édition évoque son "engagement en faveur de la lutte contre toute forme de discrimination en entreprise", et parle d'évaluation "des risques psychosociaux dans l'entreprise". A aucun moment ne sont mentionnées celles qui ont rendu tout cela possible: les autrices.
On a l'impression que le problème est uniquement interne, alors qu'il provenait essentiellement des rapports entre le président d'une maison d'édition et des autrices. Il est vrai qu'il est difficile de trouver une qualification administrative aux autrices et auteurs: personnes en CDD renouvelables, prestataires ponctuels, intermittents du spectacle?
Il n'empêche qu'une maison d'édition n'est rien sans ses autrices et auteurs. Mais comme les unes et les autres n'ont pas d'appellation administrative précise, le résultat c'est que sur le papier, elles et ils cessent d'exister. Ce qui est plutôt ironique, étant donné notre profession.
On peut aussi se poser une ou deux questions sur l'avenir de Bragelonne. Bernard Chaussegros, le nouveau président, n'a pas toujours laissé de bons souvenirs là où il est passé. Expert comptable, économiste, homme de l'audiovisuel, il a fait de la politique et c'est avant tout un homme de pouvoir, de réseau et d'influence. Est-ce le cursus indispensable pour être président d'un groupe éditorial? On a l'impression qu'il n'est pas nécessaire d'avoir des compétences propres au milieu de l'édition. Comme s'il suffisait juste d'être un nabab pour occuper un poste de nabab, en quelque sorte. Et de préférence, d'être un homme.
Pour le moment bien sûr, là n'est pas l'essentiel pour nombre d'autrices, qui doivent pousser un gros soupir de soulagement.
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