mardi 13 avril 2021

Carriérisme

Le carriérisme existe sous différentes formes dans le monde du travail. Mais qu'en est-il chez les auteurs ?  S'il existe, comment se manifeste-t-il ?

La peur du chômage aidant, le milieu du travail, en France notamment, se caractérise par son manque de mobilité. La plupart des gens ne cherchent à changer de boîte que contraints et forcés, ou bien si de réelles opportunités se présentent. La mobilité professionnelle va donc le plus souvent se faire en interne, avec des promotions basées sur le nombre d'années d'expérience. Mais les choses peuvent être différentes suivant le type d'entreprises et ce que l'employeur cherche à privilégier chez ses salariés.

Il y a différents profils de carriéristes:

- le sociopathe professionnel. Celui-ci, vous pouvez le retrouver à la tête d'une entreprise. Il ou elle est un professionnel du rapport de force, de l'intimidation et de l'intrigue. Narcissique, son but est de se valoriser avant tout et de faire croire aux autres qu'il ou elle est indispensable à l'entreprise. Son empathie et sa reconnaissance du travail accompli par ses collaborateurs est proche du zéro absolu, puisque tout se rapporte à lui. Si la personne est à la tête de l'entreprise, elle ne va nommer comme cadres que les personnes dont elle veut s'assurer du dévouement le plus total. Elle va se créer sa propre cour. Tenter de monter les uns contre les autres, par les jeux d'alliance. Les cadres ou employés jugés défavorables seront condamnés à la mort lente, placardisés, ou bien directement dégommés et accusés d'incompétence, démoralisés. Si jamais il doit rendre des comptes, la compétence et l'abnégation du sociopathe seront parfois mises en scène au travers de l'affichage de nombreuses heures de travail, en réalité improductives. C'est un maître de la mentalité "cover your ass". Souvent dangereux pour l'entreprise en raison de leur incompétence, les chefs d'entreprise arrivés à ce niveau ne peuvent se maintenir à flot qu'en raison d'employés ou cadres proches qui vont prendre sur eux la charge de travail et faire preuve d'initiatives heureuses. Le sociopathe n'aura aucun scrupule à les conduire jusqu'au burnout, sauf s'il sent que son propre poste est menacé en raison des réactions de ces personnes. S'il n'est pas à la tête de l'entreprise, le sociopathe tentera d'y parvenir par le jeu du dénigrement et de l'intrigue, via les jeux d'alliance

- le carriériste opportuniste. C'est le carriériste classique, qui tirera parti des opportunités d'avancement et saura manœuvrer pour obtenir une promotion ou un poste, en ayant aussi une bonne connaissance des réseaux de pouvoir. Contrairement au sociopathe, sa compétence n'est pas à remettre en cause, mais il a besoin d'autres armes que la simple compétence pour avancer plus rapidement en carrière

- l'anticarriériste, ou carriériste passif. L'espèce la plus répandue des trois. C'est l'employé prêt à toutes les concessions ou presque pour conserver son poste. Contrairement à la définition classique du carriériste, il ne veut pas forcément avancer dans la hiérarchie ou prendre des responsabilités: il veut juste garder son poste, préserver sa carrière à tout prix. Quand des collègues seront victimes d'injustice, il ne prendra parti pour eux que du bout des lèvres, et à la condition que les responsables hiérarchiques ne soient pas présents. De même, il ne se mettra jamais en grève. Il sera même prêt à se retourner contre les rebelles, quitte à les poignarder dans le dos, s'il estime cela indispensable à sa survie dans la boîte. Même si l'entreprise devait être mise en péril à cause d'un responsable incompétent, il trouverait des raisons pour le défendre jusqu'au bout, quelles que soient les conséquences, car il aurait ainsi le sentiment de préserver son poste. Le courage est un mot inconnu dans son vocabulaire

Le chef d'entreprise incompétent va bien sûr jouer sur les différents profils de carriéristes afin de se maintenir en place. L'égoïsme, le chacun pour soi et l'absence de sens du sacrifice ou de courage dans une entreprise sont pour lui le moyen de ne jamais avoir à assumer les conséquences de son incompétence. Jusqu'au dépôt de bilan, lequel ne figurera jamais sur son CV, vous pouvez en être sûr.

Dans le milieu de l'autoédition, le carriériste va repérer les lieux de pouvoir et chercher à se faire bien voir. Il s'agira de réseauter aux bons endroits, c'est à dire par exemple d'entretenir de bonnes relations avec les plates-formes de vente ou avec les blogueurs les plus influents. Le travail étant plutôt solitaire, et la compétence d'écriture s'avérant décisive pour les ventes, il est tout de même difficile de trouver des auteurs autoédités qui réussissent dans ce milieu et qui sont totalement incompétents -- à moins de parler des arnaques sur les sites de vente qui consistent à propulser des livres en tête des algorithmes en payant des gens pour les acheter par exemple, mais là on ne parle plus vraiment d'auteur autoédité, cela peut être n'importe qui. 

Dans le milieu de l'édition traditionnelle, j'ai connu une romancière qui m'a révélé sous le sceau de la confidence avoir été violentée par un éditeur très largement distribué en librairie. Malgré #metoo, malgré les mouvements féministes, et bien que ne travaillant pas pour cet éditeur, elle ne l'a jamais dénoncé publiquement. Le sociopathe dont elle a été victime se sert sans doute de cette forme de complicité involontaire de sa victime pour continuer. Et il est vrai que les choses sont compliquées, parce que personne n'a envie de se coller l'étiquette de "victime" sur le front.

Mais peut-être cette étiquette est-elle d'autant plus visible, en réalité, qu'elle est cachée? Peut-être cette volonté de montrer une apparente soumission à l'autorité, parfois parce que l'ego prend le dessus, et que l'on pense qu'on n'a pas d'autre choix pour faire carrière que de cacher ses blessures profondes, peut-être cette volonté est-elle ce qu'il y a de plus destructeur sur le plan personnel?

Il faut bien sûr se garder de juger ses pairs, mais j'assimile au minimum à du carriérisme passif le fait de ne jamais vouloir brûler de ponts, de garder ouvertes toutes ses options à tout prix. La violence exercée à votre encontre dans les milieux artistiques comme ailleurs peut bien sûr avoir des conséquences sur vous-même et votre vie familiale. Le fait de ne jamais dénoncer les gens de pouvoir fait bien évidemment que l'on reste dans le statu quo, et que les choses se perpétuent. 

#Metoo nous a appris que d'autres voies étaient possibles, à condition d'avoir l'âme un peu combattante. 

Et vous? Quel carriériste êtes-vous? Vous reconnaissez-vous dans l'un de ses profils, ou l'un de vos collègues? 

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