mercredi 3 février 2021

Cinéma

Le cinéma est-il l'un des milieux les plus pourris qui soient? Ou bien est-ce au contraire le plus vibrant d'humanité? Est-ce le secteur le plus exclusif? Ou au contraire le plus inclusif? Le Bien et le Mal sont les deux faces d'une même pièce, mais une chose est sûre: entre l'émergence de nouveaux acteurs très puissants dans l'industrie du spectacle comme Netflix et Youtube et l'impact du coronavirus, le cinéma est en train de subir une vraie mutation. 

S'il y a une chose que le cinéma sait faire ressortir, c'est l'humanité de ses personnages. Et dans certains cas, dans des films comme Intouchables, d'Olivier Nakache et Éric Toledano (film inspiré d'un roman intitulé Le Second Souffle de Philippe Pozzo Di Borgo) on peut même parler d'humanisme. Le cinéma nous fait vibrer et nous insuffle de puissantes émotions. Il peut être militant, aussi, et changer la société à coups de films comme Erin Brockovich, La liste de Schindler ou Pentagon Papers. Il peut nous faire rêver à un avenir porteur d'espoir malgré d'immenses difficultés, comme dans Interstellar.

On peut être tenté de reprocher au cinéma ses choix jeunistes, et de privilégier, de manière quasi eugéniste, les personnages possédant les plus forts charismes: plus belle gueule, voix la plus marquante, personnalité la plus magnétique, physique le plus séduisant. Ce refus de la vieillesse au point d'aller jusqu'à mutiler les visages et les corps (d'actrices, le plus souvent), à coups de chirurgie soi-disant esthétique. 

Mais si l'on fait entrer dans l'équation les figurants, alors le cinéma devient la forme d'art la plus inclusive et populaire: les directeurs de casting ne vont-ils pas parfois démarcher les gens dans la rue pour les recruter pour un film? Quel autre art ne demande aucun CV pour participer à un tournage qui coûte des millions? 

Le point commun, malgré tout, que je vois entre le cinéma mainstream et le monde de l'édition traditionnelle, c'est le goulot d'étranglement. Pour le cinéma dans sa forme la plus traditionnelle, celui-ci est dix fois, cent fois plus resserré que dans le monde de l'édition: c'est le nombre de salles en France dans lesquelles le film sera diffusé. Pour l'édition traditionnelle, ce sont les librairies et points de vente de livres. 

Ces goulots d'étranglement, par leur nature même, ne peuvent que générer des contraintes et des injustices monstrueuses. Avec en plus, la notion, pour le cinéma, de budget de tournage, qui rend la contrainte temporelle encore beaucoup plus importante que dans l'édition. Chaque minute de tournage coûte beaucoup d'argent.

Ma théorie, c'est que ces entonnoirs ont en quelque sorte canalisé le pouvoir de ceux qui décident qui sera à l'écran et qui sera en librairie. Ils font d'eux, en quelque sorte, des rois et des reines. Des despotes. Ils les invitent à former des systèmes féodaux, des mafias, en instituant de grandes familles du cinéma et de l'édition, des familles où l'on pratiquera l'omerta, la loi du silence sur ce qui se passe derrière le décor. Népotisme, entre-soi, droit de cuissage et consanguinité, c'est un miracle permanent de voir la compétence d'artistes survivre à tout cela. Certains prétendront avec cynisme que le talent des artistes en est justement sublimé. Comme s'il fallait détruire pour créer...

"Dis-moi qui te dirige, et je te dirai qui tu es." Harvey Weinstein était l'un des producteurs les plus puissants aux Etats-Unis avant l'affaire #metoo. En France, on a de grandes figures qui n'ont certes pas été à l'origine de scandales aussi retentissants: notre caïd national, Gérard Depardieu, Catherine Deneuve, Luc Besson... Depardieu est le pote de Poutine le dictateur-empoisonneur, Deneuve s'est élevée vent debout contre le mouvement me too. Luc Besson, quant à lui, est quelque peu retombé de son piédestal depuis quelques années, rattrapé par sa réputation. J'avais d'ailleurs écrit cet article à son sujet. 

Quant à la vie quotidienne des acteurs, c'est le darwinisme de la course aux cachets, où il faut jouer des coudes, de débrouillardise et de son réseau au moins autant que de son talent pour s'en sortir. Par rapport au côté humain d'un film comme Intouchables, il y a une vraie dissonance cognitive. En fait, si l'on veut un film qui se rapproche du quotidien des acteurs, il faudra plutôt aller chercher du côté de Revenant. Les comédiens et acteurs devront faire preuve d'à peu près autant de pugnacité et de résilience que le personnage joué par Di Caprio dans Revenant pour s'en sortir. Et d'autant plus s'ils connaissent le succès. Il y a un vrai enjeu à se remettre de son succès, à renaître de ses cendres à la manière de Mickey Rourke dans The Wrestler.

Et les sacrifices ne sont pas que personnels dans ce métier. J'ai déjà évoqué l'amoindrissement de l'espérance de vie des artistes dans mon article Mortelle célébrité. Mais si vous avez la mauvaise fortune d'être enfant de couple d'acteurs, il y a fort à parier que vous serez le premier à trinquer. Pensez Drew Barrymore, pensez Michael Douglas. Les addictions à la drogue, à l'alcool... Les parents acteurs n'ont pas le temps de donner beaucoup d'amour. Si les enfants n'ont pas de parents de substitution, il y a fort à parier qu'ils vont chercher à combler leurs manques de manière chimique dès qu'ils en auront la possibilité. Sans compter que les actrices qui veulent concevoir vont souvent attendre d'avoir au moins 40 ans pour le faire, afin de préserver l'éclat de leur beauté nécessaire (indispensable?) à leur carrière. Une grande différence d'âge avec son enfant n'est pas toujours synonyme de complicité. 

Mais les choses bougent. En tant qu'industrie de loisir, le cinéma a été supplanté par le jeu vidéo depuis un bon moment. Et les sociétés technologiques comme Netflix et Google, qui possède Youtube, rebattent les cartes. Ce n'est sans doute pas plus mal. Cela amène beaucoup plus de diversité dans le milieu du cinéma, une dilution du pouvoir, de la même manière qu'Amazon, autre GAFA, a quelque peu démocratisé l'édition en faisant exploser la visibilité d'auteurs inconnus du public. 

Il était temps, ça commençait à sentir sérieusement le moisi.

On va me dire, les GAFA concentrent elles-mêmes beaucoup de pouvoir. C'est vrai, et il est possible que comme la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf, ces nouveaux acteurs finissent par exploser. Mais les technologies et cet espèce d'immense brassage numérique qui est leur apanage sont là pour rester.

On a beaucoup décrié la surabondance des CGI dans le cinéma, les images générées par ordinateur qui sont l'équivalent en moins statique de Photoshop. Mais si un jour, cela permet à des actrices âgées de continuer à travailler sans passer par le charcutier du coin, ce sera peut-être pas plus mal, non? Le progrès aidant, elles pourraient même envisager de tourner en étant enceinte sans que ça se voie.

C'est sûr, rien ne sera plus comme avant, et peut-être, peut-être est-il permis d'espérer que les belles valeurs de l'humanisme puissent un jour se rencontrer aussi derrière le décor.

 


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