mardi 16 juin 2015

Auteurs : les interventions hors dédicace

Comment réagir lorsque, en tant qu'auteur, on vous sollicite pour des interventions extérieures? Certes, on s'intéresse à vous et cela peut sembler flatteur. L'auteur averti aura pourtant tout intérêt à mettre son égo de côté pour entrer dans des considérations bassement matérielles. En d'autres termes, si vous faites de l'écriture votre activité à plein temps, faites-vous rémunérer!

Lorsque j'étais tout jeune auteur, si un membre du corps enseignant m'avait abordé en me demandant d'intervenir dans sa classe pour parler de mes livres, j'aurais réagi en demandant à cette personne combien je devais la payer pour que cela arrive. 

A présent, lorsqu'un enseignant me pose la même question, ce qui m'arrive de temps en temps en tant qu'auteur jeunesse, je montre un intérêt poli, mais je ne donne jamais suite.

Une part de moi en éprouve de la culpabilité: je comprends qu'en communiquant la passion qui m'anime à de jeunes esprits, je peux donner un autre sens à leur vie, leur faire entrevoir la richesse de la langue française, l'épanouissement d'une activité créative, la sensualité de l'écriture, le souffle exotique de l'imagination, les vibrations incroyablement positives quand ce que vous couchez sur le papier (ou l'écran) entre en résonance avec un autre esprit... 

Une autre part de moi, celle de l'auteur capable de se glisser dans la peau d'un personnage, y compris dans la vraie vie, va se mettre à la place de ce professeur de collège qui s'approche de ma table de dédicace. 

"Cet auteur, là, il a l'air de s'ennuyer à mourir à sa table. Il n'y a personne autour de lui. Plutôt que de perdre son temps ici, il ferait mieux de venir dans ma classe. Il pourrait montrer l'intérêt d'apprendre la langue française. Qui sait, susciter des vocations. Et même si ce n'est pas le cas, il pourrait apporter un témoignage sur sa vie d'artiste. Etant donné que les jeunes n'ont pas de tabous dans leurs questions, ça pourrait être intéressant de savoir comment il fait pour sa sécurité sociale, sa mutuelle et sa retraite. Surtout s'il est à plein temps. Et puis ça me conforterait dans mes propres choix professionnels, moi qui ait toujours rêvé d'écrire un bouquin..."

Je caricature? Peut-être, mais quand vous pratiquez l'autoédition à temps plein dans votre vie et que vous commencez à prendre de la bouteille, vous envisagez d'abord le pire avant de penser au meilleur.

Les questions que l'on peut vous poser peuvent être gênantes, d'une part en vous donnant l'impression d'étaler votre misère, d'autre part en vous plaçant dans une position défensive, face à des interrogations d'ordre certes rationnel, liées à la vie quotidienne. 

Or, une passion, ça ne se justifie pas. Ça se vit. 

La société et son aspect rationnel ne vous pousseront jamais dans le sens de votre passion. Vous êtes auteur. Vous allez contre l'ordre établi et la pression sociale, ne l'oubliez pas. Vous aurez beau protester ne pas faire de politique, cela n'y changera rien.

Si vous deviez expliquer toutes les galères que vous avez vécues avant d'arriver à vivre de votre passion, il y a de fortes chances que votre discours devienne dissuasif, et que vous vous mettiez donc à aller dans le sens de la pression sociale. Il est fort possible que vous vous mettiez à recommander de trouver un boulot alimentaire à côté, alors que vous savez toute la frustration que cela peut engendrer quand on a vraiment le feu sacré.

Mais d'un autre côté, vous êtes quelqu'un d'honnête et vous ne désirez pas embellir votre activité de manière artificielle, serait-ce par omission. 

Bref, vous vous retrouvez dans une situation impossible.

Si vous êtes à temps plein sur l'écriture sans être un auteur best-seller et que vous n'ayez pas de fortune personnelle, il y a de fortes chances que votre période d'activité soit une période "à risque" pour vous: une période où, contrairement à l'enseignant qui vous fait cette demande, vous ne générez pas de revenus additionnels pour la retraite, vous ne cotisez pas pour une mutuelle et autres "menus détails".

Ce que je veux dire, c'est que même si vous passez votre temps le nez en l'air à rêver à vos personnages, votre temps est précieux. La situation étant bien sûr différente si vous avez du travail à temps partiel (là, tout dépend de votre motivation à vivre ou non de l'écriture).

Si l'on vous demande d'intervenir dans un milieu professionnel ou scolaire, à vous de savoir négocier. Pour moi, étant donné l'interruption que peut causer ce genre d'intervention, je ne demanderais pas moins de 300 € par demi-journée, sachant que toute demi-journée entamée est due (en gros, même si je ne reste qu'une heure c'est 300 €). Hors défraiement. Le chèque doit vous arriver avant intervention, systématiquement.

C'est bien sûr juste une indication. Si vous avez 3000 € de loyer par mois à payer, vous demanderez sans doute davantage. 

Le cas est évidemment différent si vous êtes jeune auteur et prêt à tout pour vous faire connaître. La passion, encore et toujours. Ce qui me permet de boucler la boucle...

[EDIT Charte des auteurs et illustrateurs]: Selon la Charte des auteurs et illustrateurs, le tarif pour une intervention est de 413 € brut pour la journée de rencontres, 249 € brut pour la demi journée.

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