En
se rendant en Californie pour enquêter sur une compagnie de
biotechnologie, Vick Lempereur ne se doute pas qu’il va devoir
affronter le plus
redoutable
adversaire qui ait jamais croisé son chemin, ni que sa route va
finalement l’emmener sur la piste de Bluenak. Pour survivre,
une aide aussi bien physique que surnaturelle ne
sera pas de trop.
Celle
des
Nouveaux Gardiens, et de leurs compétences très spéciales.
Sortie du roman papier et numérique
(en français) le 28 octobre
Format 14 x 21 cm - 380 pages
ISBN : 979-10-90571-36-5 Prix : 19 €
La version
de démonstration contient les cinq premiers chapitres du roman en
version française et anglaise.
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Avertissement :
Le
livre que vous avez sous les yeux est un récit de pure fiction.
Toute ressemblance avec des faits réels ou des personnes existantes
ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.
*****
1. Réception sur Broadway
La Chevrolet Camaro faisait entendre le vrombissement de son
moteur V8 en se faufilant dans la circulation de la Golden City.
Un modèle aussi sportif était évidemment tout sauf adapté à la
conduite dans une ville comme San Francisco, mais Ryan Cochrane avait
toujours exigé d’avoir du répondant — aussi bien des jouets tel
le bolide entre ses doigts que de ses subordonnés. Donnant sur
Broadway, la villa d’Allen se situait dans l’un des rares coins
de verdure de Russian Hill, à proximité du parc Ina Coolbrith. Les
voituriers se relayaient pour prendre en charge les véhicules.
« Faites-y attention », intima Ryan au Noir à la
silhouette menue et aux traits efféminés auquel il remit la clé de
contact en même temps qu’un billet de cinquante dollars. L’homme
en livrée galonnée réagit en souriant, puis en inclinant la tête.
Des projecteurs balayaient la devanture, comme si la bâtisse avait
voulu clamer qu’elle était le centre de San Francisco ce soir-là.
Debout en face du porche coloré, Ryan promena son regard sur la
façade style victorien flanquée sur la droite de sa tour ronde,
rayonnante de blancheur. Il faisait froid en ce mois de décembre,
mais relativement sec. Le vent agitait par intermittence les larges
feuilles de palmiers. Des conversations enjouées lui parvenaient, en
provenance de couples comme lui en tenue de soirée, pénétrant d’un
pas enthousiaste dans le hall d’accueil. Lui ne pouvait se défaire
d’un sentiment de malaise. La semaine d’un cadre supérieur d’une
entreprise de smartphones comme Bluenak, dont la capitalisation
dépassait les 150 milliards de dollars, était la plupart du temps
mouvementée, et celle-ci s’était avérée tout particulièrement
fiévreuse — et énervante. Malgré tout, le fait qu’il ne puisse
se souvenir à quel moment il avait rencontré Allen au milieu de
tous ses autres rendez-vous le troublait. Les mots de son ami,
pourtant, étaient restés gravés dans sa mémoire. « Je sais
que tu vas avoir des ennuis très prochainement. Je donne une petite
réception vendredi soir, sur Broadway. Passe me voir. » C’est
seulement en recevant confirmation de l’invitation à cette soirée
par email que la scène lui était revenue à l’esprit. En dépit
de tous ses efforts, la chronologie exacte de cette demande
d’entrevue lui échappait, et c’était bien ce qui le
chiffonnait.
Ryan fit résonner le marbre du hall de ses chaussures Valentino à
plus de mille dollars. Typique du politicien qu’était Allen, de le
convier à ce genre de festivités pour prendre contact. Sa position
alliée à sa fortune — son père avait bâti un empire dans le
pétrole — en faisaient un homme extrêmement influent. Il avait
des yeux et des oreilles un peu partout, mais se savait également
observé. Si Allen Fortiler, juge fédéral au Département de la
Justice, avait ouvertement reçu Ryan Cochrane, responsable
import-export de Bluenak, leur passé commun — leurs études à
Harvard, durant lesquelles ils s’étaient rencontrés —
n’auraient pas pesé lourd dans l’esprit d’un observateur. Le
spectre du conflit d’intérêts aurait d’autant moins pu être
ignoré que les entreprises de la Silicon Valley telles Bluenak
étaient censées faire l’objet d’une étroite surveillance de la
part du gouvernement. La montée en puissance des GAFA, mais aussi
les dernières élections présidentielles, avaient amplement fait la
preuve que les vrais enjeux de pouvoir s’étaient déplacés vers
le numérique.
Malgré tout le poids de son ami, Ryan n’aurait peut-être pas
donné suite à l’invitation, si la veille, Cheryl Clark ne l’avait
averti d’un air pincé qu’une réunion extraordinaire du conseil
d’administration aurait lieu dès le lundi. Le ton employé, et
pire encore, l’absence d’explication de la part de la Directrice
des Ressources Humaines avaient fait retentir un signal d’alarme
dans son esprit. Lequel signal n’avait fait que s’amplifier au
fil des réponses des autres membres du conseil — ses éminents
collègues avaient joué la surprise, ou prétendu ne pas en savoir
plus que lui. Les bruits de pas que Ryan avait cru percevoir dans la
soirée du lundi, dans un moment où il pensait les bureaux de
Bluenak déserts, ne cessaient depuis de le tarauder.
Il avait merdé. Il avait salement merdé ce soir-là, et on allait
lui présenter l’addition. Peut-être même plus tôt que dans la
journée du lundi. Peut-être même dans les heures qui suivraient.
Allen avait beau être un ami, tout cela sentait mauvais.
Ryan plissa les paupières et serra les lèvres, comme lorsqu’il
s’apprêtait à jouer un coup particulièrement délicat au billard
— expression fugitive, qu’il remplaça sans tarder par un air
badin de circonstance. Il y avait un bureau en bois laqué à la
réception, devant lequel les invités présentaient leur smartphone.
Ryan sortit le sien, et ouvrit l’email où figurait le flashcode.
Tout sourire, l’un des employés aux cheveux grisonnants lui
désigna le scanner. L’opération effectuée, l’homme jeta un
coup d’œil à son terminal avant de lui prendre son manteau qu’il
alla ranger dans le vestiaire. Ryan s’avançait déjà vers le
couloir où scintillaient les lumières des chandeliers, quand une
armoire à glace se présenta devant lui. L’individu devait le
guetter depuis un moment.
« Veuillez patienter, je vous prie », fit le gorille en
sortant son smartphone. Il se tourna de côté, et Ryan, qui avait
l’ouïe fine, perçut une sonnerie malgré le bruit ambiant.
Bientôt, le gaillard aux épaules de quaterback murmura : « Il
est arrivé... D’accord ». Puis, pivotant vers lui :
« Veuillez me suivre, Monsieur. Monsieur Fortiler vous
attend. »
Ryan haussa les sourcils. Allen étant la plupart du temps fourré à
Washington, ils ne s’étaient rencontrés que deux fois depuis
leurs études. Cependant, jamais à l’occasion de leurs brèves
entrevues, son ami ne l’avait fait passer avant tous ses autres
rendez-vous. Or, si Bluenak avait pris de l’importance avec la
montée de son cours à Wall Street, Ryan n’en était que le
directeur import-export et non le PDG. Il y avait là quelque chose
d’inhabituel, et seule la formation en communication non verbale
qu’il avait suivie trois semaines plus tôt empêcha sa main
d’aller rajuster son nœud de cravate. Le vigile lui fit emprunter
un escalier en marbre dont le centre était couvert d’une épaisse
moquette grenat. A en juger par les murs en courbe, l’escalier
devait se trouver dans la large tour du bâtiment. Ryan eut
confirmation de son hypothèse lorsque le costaud aux cheveux coupés
à ras sur sa nuque adipeuse l’introduisit dans une salle de forme
ovale, dont la fenêtre surplombait la rue devant l’entrée
principale. Le vigile avait sans doute reçu des instructions, car il
se retira aussitôt, laissant Ryan seul dans la semi-pénombre de la
pièce éclairée par une unique lampe. Le bureau style secrétaire
en acajou sur lequel celle-ci était perchée présentait des dorures
plutôt clinquantes. La lampe elle-même s’avérait d’un goût
douteux, avec son chérubin potelé sonnant d’une trompette le long
de la tige. Le sol était recouvert de moquette, avec des motifs peu
visibles.
Ryan ressentit une crispation dans l’estomac, ce qui n’était
jamais bon signe chez lui. Si son ami se trouvait derrière la porte
latérale sur la droite du bureau, comme il le soupçonnait, pourquoi
ne venait-il pas l’accueillir ? Il se préparait à l’appeler,
lorsqu’un courant d’air glacial traversa les lieux, le faisant
frissonner tout en accentuant le durcissement de son estomac. Les
jambes soudainement cotonneuses, Ryan cligna des paupières,
cherchant à comprendre ce qui lui avait échappé pendant ces
quelques fractions de seconde.
L’homme qui s’était matérialisé avait le visage plus empâté
que le sien, s’avérait plus râblé également, là où le
responsable import-export avait la silhouette fine. Sa tendance à
l’embonpoint était déjà assez marquée, mais ses traits, yeux
larges et fossettes profondes derrière son sourire, étaient ceux
d’un trentenaire dans tout l’éclat de sa réussite. Ses cheveux
bouclés, blancs en dépit de sa jeunesse, lui conféraient un
certain charme auprès de la gent féminine, de même que son
apparente bonhomie et sa joie de vivre. C’était bien l’homme
qu’il connaissait, c’est pourquoi quand Allen tendit sa main dans
sa direction, Ryan s’empressa de la saisir — ou chercha à
la saisir.
Sa main ne rencontra que le vide.
« Tu étais l’un des agents de Krabinay, mais tu dois
maintenant devenir plus que cela. »
Le visage d’Allen Fortiler se transforma. La noirceur de ses
prunelles s’étendit à tout le contour des yeux. Les pupilles se
rapprochèrent, grossirent, s’agrandirent de manière impossible,
pour se fondre en une ombre qui environna Ryan. L’ombre adopta la
forme d’un masque démoniaque saisi d’une hilarité perverse.
Vouloir connaître la cause de cette gaieté obscène, chercher à
comprendre tout simplement était déjà s’enfoncer dans les
abysses de la démence. La conscience de Ryan s’amenuisa, se
rencogna au tréfonds de son être. Tandis qu’il titubait, ses yeux
se révulsèrent et son corps fut pris d’un spasme. Ses genoux
fléchirent et il s’étala sur le ventre. De la bave se mit à
couler à la commissure des lèvres. Ses traits se figèrent dans une
expression de douleur, et il demeura ainsi, inerte. Lorsqu’enfin,
le corps de Ryan se redressa, sa physionomie était redevenue neutre.
Nulle étincelle ne brillait dans ses yeux et sa démarche était
contrefaite, grotesque, comme si la chose qui l’habitait n’avait
su qu’imparfaitement commander à ses membres. Dans l’escalier,
il n’évita la chute qu’en se raccrochant à la rampe. Ses pas,
cependant, se raffermissaient peu à peu, et quand il repassa devant
les invités et employés de la réception, il ne suscita pas d’émoi
particulier sinon quelques regards intrigués.
Le sourire du voiturier se figea
quand il réclama son véhicule. L’employé s’empressa d’aller
le chercher, désireux de ne pas rester un instant de plus qu’il ne
fallait en la compagnie d’un homme qui semblait faire baisser la
température par sa seule présence. Une fois au volant de la Camaro,
celui qui avait été Ryan parut redevenir plus humain. On aurait pu
retrouver une partie de la personnalité du directeur import-export
de Bluenak dans sa manière de conduire. L’effet ne fut cependant
que transitoire. Dès qu’il eut gagné le duplex du cadre
supérieur, l’homme se mit à agir de façon étrange. Toute
lumière éteinte, sans un regard pour la magnifique vue sur le port
de San Francisco au travers des larges baies vitrées, il ouvrit son
ordinateur portable et l’alluma. La tête inclinée de côté, il
patienta quelques instants, comme à l’écoute d’instructions ou
d’informations spécifiques. Ses yeux, animés d’une lueur
malveillante, se plissèrent. Il pianota sur le clavier, manœuvra la
souris d’abord avec hésitation, puis de manière plus assurée. Si
le Ryan réduit à sa plus simple expression, recroquevillé dans un
recoin de sa conscience, s’était aperçu de ce que l’autre
faisait, sans doute aurait-il cherché à s’y opposer de toutes ses
forces. Ce Ryan, cependant, n’avait pas plus de force qu’une
larve, et la seule émotion qu’il était encore capable de
ressentir était la terreur.
Les doigts s’immobilisèrent, l’ordinateur s’éteignit. Dans le
luxueux appartement, rien ne bougeait à présent. Durant les deux
jours et deux nuits qui suivirent, l’être qui occupait le corps de
Ryan demeura dans l’obscurité. La plupart du temps figé, il
alternait néanmoins les positions assises et debout dans l’unique
but de garder un certain dynamisme à ce réceptacle, et d’en
satisfaire les besoins élémentaires. Il ne répondit à aucun appel
et ignora les suppliques de l’enveloppe charnelle, qui réclama
d’abord de la nourriture, puis d’être allongé et de clore ses
paupières. Tout juste s’il consentit à boire un verre d’eau à
deux reprises durant ce week-end.
Le lundi matin, les piétons de San Francisco, ainsi que les
automobilistes bloqués dans le trafic, auraient pu apercevoir, s’ils
y avaient prêté attention, un homme au teint cadavérique dans sa
puissante Camaro. Ses yeux étaient rougis par le manque de sommeil
et il portait une barbe de trois jours. L’hôtesse d’accueil du
gratte-ciel de la société Bluenak, si elle ne s’était aussitôt
détournée, troublée par le regard étrangement fixe, aurait pu
surprendre la lueur de folie dansant au fond des prunelles. Les rares
collaborateurs de Ryan qui le croisèrent ou le saluèrent furent
intrigués par son absence de répondant, et certains se sentirent
même gagnés par l’inquiétude devant sa carnation blafarde et sa
mine décomposée. Quelque chose, cependant, une sensation
indéfinissable de malaise, les empêcha de s’enquérir de son
état. Eux aussi préférèrent se détourner et vaquer à leurs
occupations sitôt qu’ils en eurent l’occasion.
Le téléphone dans la poche de la veste de Ryan émit un jingle
agréable, sans pour autant provoquer de réaction de la part du
destinataire du SMS. L’homme à la démarche raide venait d’entrer
dans son bureau. Il ne considéra que quelques instants les quatre
écrans ultraplats et le fauteuil, confortable et ergonomique. Sa
tête s’inclina de cette façon si caractéristique au nouvel
occupant de ce corps. Non sans brusquerie, il fit demi-tour et
ressortit. Il dépassa plusieurs bureaux avant de stopper net devant
celui d’Edward Holder. Il ouvrit la porte d’un geste vif, faisant
sursauter une jeune femme blonde. La mémoire de son hôte l’informa
qu’il s’agissait de la secrétaire d’Edward. Le siège du
vice-président senior du design industriel, l’un des principaux
concurrents de Ryan dans l’entreprise, était vide.
« On ne vous a pas prévenu ? fit la secrétaire d’une
voix qui dissimulait mal son trouble. La réunion du conseil
d’administration a été avancée. » Elle fronça les
sourcils en observant Ryan se pencher latéralement, se demandant
s’il avait des gouttes dans l’oreille. Mais celui-ci se redressa
soudain et sortit sans un mot, d’une démarche mécanique.
Il parcourut les corridors, reprit un ascenseur, puis de nouveaux
couloirs. Le vigile devant la porte de la salle Eisenhower le
reconnut et le laissa entrer. Elles étaient toutes là, les têtes
pensantes de Bluenak.
« Il ne manquait plus que vous », fit le dirigeant du
groupe d’un ton bourru. Chad Ecker portait un costume gris de coupe
italienne, avait le crâne rasé, et le profil d’un oiseau de
proie. « Veuillez prendre place. »
Il y eut des échanges de regards entendus devant la mine défaite du
responsable import-export. L’intéressé ne sembla pas les
remarquer, fit le tour de la vaste table ovale et s’assit à sa
place, le visage fermé. Tandis que le réquisitoire commençait, il
scrutait les différents intervenants.
« Je me suis longtemps demandé, disait Steve Perkins, le
vice-président de l’ingénierie hardware, pourquoi Ryan avait tenu
à ce que son ordinateur soit exclusivement relié au serveur le plus
puissant de Bluenak. Ce n’est que récemment, après avoir eu un
entretien avec Edward, que j’ai décidé de creuser la question. Il
se trouve que notre ami a installé dans son système un programme de
cryptage extrêmement gourmand en ressources, doublé à un
brouilleur d’adresse IP et de relocalisation aléatoire.
– Quel est le rôle de cet
appareil, exactement ? s’enquit le président de Bluenak.
– D’échapper à toute
identification et géolocalisation. Lors d’une conversation vidéo
par exemple, il devient impossible, pour un service de renseignement
ou un logiciel espion, de remonter à la source de l’émission du
signal.
– Dites-nous donc quelle a
été la teneur de votre entretien avec Edward.
– Il m’a fait une
révélation très surprenante. Je crois qu’il vaut mieux qu’il
vous l’explique lui-même. »
Edward, qui se trouvait à trois sièges de Ryan, remua sa crinière
blanche et rajusta ses larges lunettes rectangulaires, mal à l’aise
devant le regard de ce dernier. Le responsable du design avait du mal
à reconnaître Ryan Cochrane depuis qu’il avait pénétré dans la
salle de réunion. Démarche différente, attitude qu’il ne lui
connaissait pas, il ne semblait plus le même homme. « Nous
savons que Bluenak a été accusée par certains journaux télévisés
de favoriser la corruption en République démocratique du Calango.
Afin de continuer à bénéficier des prix avantageux sur les
minerais rares du Calango, et d’échapper à la pression
médiatique, vous aviez donné la consigne, Monsieur le Président,
de garder un profil bas et de faire le moins de vagues possible.
Lundi dernier, j’ai travaillé plus tard que d’habitude sur le
Bluenak XII. En passant dans le couloir, moi qui me croyais
seul, j’ai eu la surprise de voir que le bureau de notre directeur
import-export était encore éclairé. J’ai ouvert la porte pour le
saluer, mais je me suis interrompu quand j’ai vu qu’il était en
pleine conversation vidéo. Je regrette d’avoir à vous en
informer, mais je l’ai entendu dire que “N’Kanlo ne devait plus
poser de problèmes”, et que son interlocuteur “devait s’en
occuper”. Je n’ai pas pu voir à qui il parlait, parce que
l’angle de son bureau ne le permettait pas, mais il a ensuite été
question d’un versement de deux millions de dollars.
– Versement qui a bien été
effectué dès le lendemain par l’une de nos sociétés offshore
aux Caïmans, intervint Nick Janssen, le directeur financier.
– J’étais tellement choqué
que je suis parti sans demander mon reste, fit Edward. Je ne pouvais
pas croire ce que j’avais entendu.
– Et c’est pourquoi vous ne
vous en êtes ouvert à moi, ou à Steve, qu’après l’assassinat
de N’Kanlo. » Le président embrassa du regard les autres
membres du conseil. « Pour ceux qui se posent la question,
ajouta-t-il, N’Kanlo est le principal opposant politique de notre
ami, le président Koudrisse. Ou plutôt, était. »
Edward se préparait à acquiescer, quand le fauteuil sur lequel
était assis Ryan Cochrane roula en arrière. Avant même qu’il
n’ait eu le temps de rebondir sur la verrière, Ryan s’était
précipité sur Edward, enserrant sa gorge des deux mains.
Le premier à réagir fut le cadre supérieur directement en face
d’Edward. Il saisit son smartphone et se mit à filmer, ce que nul
ne remarqua dans la confusion générale.
Cheryl Clark, la Directrice des Ressources Humaines, était une
petite femme nerveuse et sèche. Placée juste à côté d’Edward
ce fut sans doute elle qui lui sauva la vie ce jour-là. Elle avait
suivi des cours de self-défense, et son coup de genou dans les
parties génitales de Ryan, s’il ne lui fit pas complètement
lâcher prise, l’obligea à desserrer son étreinte. Peut-être
honteux de voir une femme réagir avant eux, les cadres les plus
proches se jetèrent à son tour sur Ryan, au milieu des cris effarés
et des appels désespérés de Chad Ecker, le président, à la
sécurité. Entraîné par Ryan, Edward se retrouva au sol. Une pile
grotesque de cinq hommes se trouvait entassée sur Ryan sans pour
autant qu’aucun ne parvienne à lui faire lâcher prise. Il fallut
attendre l’intervention de deux vigiles pesant chacun plus d’un
quintal pour qu’enfin les mains du forcené soient écartées. La
gorge d’Edward avait pris une coloration bleutée.
Le râle inhumain que poussa alors Ryan donna la chair de poule à
tous ceux qui assistaient à la scène. L’effort gigantesque qu’il
produisit rejeta deux des cadres supérieurs de côté, mais les
autres, encouragés par la présence des vigiles, l’agrippaient
toujours. A cet instant, la lueur habitée par la folie disparut des
yeux du directeur import-export. Son expression était devenue celle
d’un homme en proie à la terreur. « Ce n’était pas moi »,
haleta-t-il. Il hoqueta en cherchant son souffle, et parvint à
libérer l’une de ses mains qu’il pressa contre son cœur. Le
soupir qu’il poussa ensuite fut le dernier.
Parmi les personnes présentes, plusieurs affirmèrent par la suite
avoir vu une silhouette floue s’extraire du corps de Ryan avant de
disparaître. Tout le monde s’accorda à dire qu’un courant d’air
glacial avait traversé la pièce.
2. Septième ciel
Vick Lempereur n’avait hérité de sa mère ni son grain de peau ni
sa chevelure rousse. Lui avait la chevelure châtain et le visage
dépourvu de taches de rousseur. Pourquoi se trouvait-il à ses côtés
en train de pique-niquer près d’un lac, il n’aurait su le dire.
Elle souriait en lui ébouriffant les cheveux. Ce geste lui rappela
quelque chose. Cela remontait à une période heureuse si lointaine
que Vick croyait l’avoir oubliée. La joie de sa mère, le lustre
de son visage rayonnant, l’éclat dans ses yeux clairs étaient
insoutenables. Elle renvoya d’un geste insouciant un frisbee et
éclata de rire quand celui-ci atterrit dans le lac, éclaboussant
l’homme chargé de le réceptionner. Elle était jeune, vive,
alerte. Son sourire éclairait le monde, son rire le faisait danser.
Plus que tous les autres, Vick chérissait ces moments intimes où,
le soir elle venait le border, replaçait avec tendresse une mèche
de cheveux tombant sur ses yeux d’enfant, prenait un livre de
contes et commençait à lui raconter une histoire de sa voix qui,
souvent, montait dans les aigus.
Le décor demeura le même — sa chambre d’enfant — mais la joie
dans le cœur de Vick avait fait place à une anxiété diffuse.
Eclats de voix. Ses parents se disputaient. Depuis quelque temps, son
père s’était mis à rentrer tard le soir, et Vick ne comprenait
pas pourquoi sa mère lui reprochait de boire. Boire, c’était
naturel, non ? Et puis un soir, Vick avait entendu un bruit
sourd dans la salle de bain. « Maman ? » avait-il
appelé. Elle s’y trouvait, il en était sûr, mais elle n’avait
pas répondu. Lorsqu’il s’était engagé dans le couloir, la
silhouette paternelle s’éloignait rapidement. Il était entré
dans la salle de bain et avait pris peur en voyant sa mère allongée
par terre, s’efforçant de se redresser. Du sang coulant le long de
la bouche. « J’ai... j’ai glissé », avait-elle
expliqué d’une voix rauque qu’il n’avait pas reconnue.
Des mois plus tard, Vick avait compris ce que ça voulait dire,
« boire », dans le cas de son père. Sa démarche
chaloupée, son haleine empestant la vinasse. Ses coups. Vick en
avait récolté sa part, mais sa mère...
Et à présent, elle se tenait là, devant lui, semblant l’implorer
de faire quelque chose, de l’aider. Son visage, année après
année, avait perdu son éclat, irrémédiablement terni. Ses bras,
ses mollets, ses cuisses marbrés de taches bleues. L’étincelle
d’espoir et de vie avait disparu de ses yeux, éteinte par
l’oppression du quotidien. La peur était devenue le résident
permanent de ce visage maternel, ces paupières trop souvent
plissées, ces épaules se voûtant sous les coups. La violence
terrible, implacable, imprévisible, avait fait de sa mère un être
craintif. Et le sentiment de révolte, toujours plus fort, avait pris
racine au creux de l’estomac de Vick.
Il se réveilla, la gorge nouée. Ce n’était pas un fantôme qu’il
venait de rencontrer, à moins que ces derniers ne se manifestent
aussi dans les cauchemars. L’idée même d’être confronté un
jour à l’esprit de sa mère, qui n’aurait pas trouvé le repos
en raison de sa mort violente, mettait Vick profondément mal à
l’aise. « Ça fout les boules », articula-t-il d’une
voix rocailleuse en s’asseyant sur son lit. Il n’y avait jamais
vraiment réfléchi depuis l’époque où ce don, ou bien cette
malédiction s’était imposée à lui, en Afrique — la
possibilité de sentir les morts, de découvrir par leur entremise
certains épisodes passés. Le danger, aussi, de se voir tout à coup
investi, possédé par l’un d’eux, soumis à ses moindres
caprices.
Torse nu, Vick se rendit dans la salle de bain pour y soulager sa
vessie, se laver les mains et faire ses ablutions. Il se demanda en
observant les murs décrépis de son appart miteux si ce cauchemar
n’était pas lié à une angoisse sous-jacente. Même si le loyer
était plutôt modéré ici — Ivry-sur-Seine était loin d’être
la banlieue la plus huppée de Paris, et cet appart n’était
clairement pas le Ritz — son boulot de détective privé
connaissait, comme la plupart des métiers en freelance, des hauts et
des bas. Là, il se trouvait dans une période de creux. Il lui
faudrait réactualiser ses annonces sur le net et auprès des
commerçants du coin, perspective qui ne lui souriait guère à en
juger par la mine maussade que lui renvoyait le miroir du lavabo. Les
mains toujours mouillées, il lissa sa tignasse châtain, zébrée
d’une ligne blanche. Sa mâchoire carrée révélait son caractère
énergique, mais Vick savait à présent que la plus belle énergie
pouvait se retrouver engloutie dans le marasme d’un quotidien trop
routinier. Il évitait l’alcool, prenait soin d’entretenir son
corps et se grisait même de quelques bouffées d’adrénaline en
pratiquant le kickboxing, mais cela lui semblait artificiel en
comparaison de certains épisodes de son passé.
Il s’empara de la mousse à raser, s’en barbouilla le visage et
se mit à jouer du rasoir avec dextérité. Les torches les plus
brillantes, il le savait, étaient celles qui brûlaient le moins
longtemps. Il aurait pu être l’une de ces torches si la vie ne lui
avait enseigné autre chose. Cela ne signifiait pas pour autant qu’on
devait se complaire dans la médiocrité.
Après ses séances de musculation et de jogging, Vick revint dans
l’appartement et alluma son ordinateur portable, direction le Grand
Foutoir du Net. Un bazar fluctuant, que ses dossiers et marque-pages
peinaient à organiser ou à dévoiler. Aucun boulot ne pointait le
bout de son nez, et son téléphone restait désespérément muet. Sa
messagerie se contentait pour sa part de renvoyer automatiquement les
pourriels dans le dossier « indésirables ». Vick décida
de visiter les sites d’info, comme souvent dans ses moments de
flottement. Outre sa fonction utilitaire, la navigation sur Internet
pouvait devenir pour lui un autre voyage, une nouvelle errance. Il se
retrouva sur le site de CNN. La vidéo qui défila sous ses yeux, en
haute définition, avait dû mettre le stabilisateur d’images du
smartphone à la torture, tant elle était chaloupée. On y voyait un
jeune cadre dynamique s’efforçant d’étrangler un autre individu
en costard cravate. Il y avait une lueur de folie dans les yeux du
jeune cadre, mais le reste de son visage était froid et calme. Le
bonhomme agissait avec méthode, inébranlable dans sa résolution.
Une expression de douleur apparut soudain sur son faciès, puis
différentes personnes — des hommes — se jetèrent sur lui, et la
vidéo se transforma en une mêlée confuse. Le décalage avec
l’aspect solennel des lieux et des costumes était à la fois
insolite et comique. Selon le présentateur, si la victime de ce coup
de folie, un certain Edward Holder s’en était sortie avec une
hospitalisation pour écrasement de la trachée, Ryan Cochrane,
l’agresseur, avait quant à lui succombé à un arrêt cardiaque.
Juste avant son pétage de câble, ce Ryan s’était vu accusé par
le conseil d’administration d’avoir fait exécuter un opposant
politique du président du Calango nommé...
La sonnerie cacochyme de l’appartement retentit tout à coup. Vick
se leva et alla ouvrir. Ces jolis yeux verts pétillants
appartenaient à Valérie Bastel — nulle autre que l’héritière
du groupe Dactel, qui avait pu prendre les rênes de l’entreprise
paternelle à la faveur d’une erreur monstrueuse de son géniteur.
Ses chaussures à talons à deux mille euros ne devaient pas avoir
l’habitude de fouler le plancher d’un taudis comme le sien, et
pourtant, la princesse entra d’un pas leste, un sourire ironique
sur ses lèvres fines. Sans se formaliser du désordre ambiant, elle
lui tendit son manteau long à col en fourrure synthétique, assorti
de son sac à main.
Vick l’évalua du regard. Les cheveux auburn de la jeune femme,
pour une fois détachés, retombaient sur son tailleur, et sa
mini-jupe moirée mettait en valeur le galbe de ses jambes
parfaitement proportionnées. Le temps pour lui d’étendre le
manteau sur le haut de son canapé et de poser le sac, et Valérie
s’était déjà tournée vers son ordinateur.
« Tu regardes CNN ? s’étonna-t-elle. Et tu comprends ?
– Bonjour, rétorqua-t-il avec agacement. Moi aussi, je suis
content de te voir.
– Bonjour bonjour, fit-elle. Je sais que tu n’as jamais été
très doué pour les formules de politesse.
– Quand même. Il en faut un
minimum.
– J’aime quand tu es
bougon, fit-elle en lui plaquant un index sur les lèvres. Tu n’as
pas l’air débordé de travail en ce moment ? »
Vick se composa un visage impassible. « En dehors de mes quatre
rendez-vous d’ici la fin de la journée, tu veux dire ? »
Il sourit en la voyant mettre les mains sur les hanches, l’air
surpris. « Qu’est-ce qui t’amène dans mon palace ?
demanda-t-il.
– Quand est-ce que tu as
appris l’anglais ? »
Valérie le connaissait. Elle n’ignorait pas que sa scolarité
avait été écourtée. Qu’il était parti un beau jour, encore
ado, sur des routes dont peu étaient revenus.
« Quand on voyage, il vaut mieux savoir l’anglais,
répondit-il. Surtout quand tu vas dans les cybercafés, et que tu te
branches sur les infos du coin. Ou quand tu essaies de te faire
comprendre parce que tu ne maîtrises pas le dialecte local. »
Tandis qu’il prononçait ces paroles, des images de la Mauritanie,
et de l’un des trains les plus longs du monde, repassèrent devant
ses yeux. Il avait acquis certaines notions, de wolof notamment, mais
l’anglais était souvent une béquille essentielle.
« Intéressant, commenta-t-elle. Tu aurais quelque chose à
boire, pour moi ? »
Sans répondre, Vick passa dans le réduit qui faisait office de
cuisine. Il ouvrit un placard, duquel il sortit un flacon de vodka,
et amena deux verres.
« Au bon temps », fit Valérie en lui adressant un large
sourire.
Ils burent, et Vick laissa le feu liquide descendre dans sa gorge,
coulée de lave qui lui fit oublier pour un instant les courants
d’air hivernaux de son appart mal isolé. « Qu’est-ce qui
t’amène ici ? insista-t-il.
– Plus tard », fit-elle
en se rapprochant de lui. Son parfum subtil était presque aussi
enivrant que la vodka, et ses yeux rivés aux siens étaient autant
d’aimants au magnétisme inexorable. Elle posa son verre, puis
plaça ses mains le long des hanches de Vick, l’attirant à elle.
Il mit les siennes sur les épaules de Valérie, et la repoussa. « Tu
ne peux pas faire ça, dit-il.
– Quoi ?
– Venir ici, et juste...
t’amuser avec moi. Je ne suis pas ton sex toy ! »
Elle retira ses mains mais se maintint à la même distance, à
quelques centimètres à peine des lèvres de Vick. « Parce que
ça ne t’est jamais arrivé de faire ça ? De t’amuser avec
une femme de passage, que tu n’as jamais revue ?
– Si, mais... » Il
s’interrompit, cherchant un argument.
« Mais c’est toi le mâle alpha, et tu veux maîtriser les
règles du jeu ?
– C’est un peu ça, oui,
concéda-t-il. Je n’aime pas être mené par le bout du nez. »
Vick savait que Valérie avait épousé sa boîte. Tant qu’elle s’y
investirait autant, il ne pourrait que jouer le rôle de figurant
dans la vie de la prestigieuse héritière.
« Ou par le bout d’autre chose, fit-elle en posant carrément
la main sur son entrejambe. Et pourquoi tu ne profiterais pas juste
de l’instant présent ? Tu as peur que je te brise le cœur ? »
Vick fit la grimace, sans pour autant chercher à la repousser de
nouveau.
« On est au-delà de ça, tous les deux, maintenant, non ?
lui susurra-t-elle dans le creux de l’oreille. On sait à quoi s’en
tenir. Et pour une fois, ça te ferait du bien de laisser tomber ton
armure. De te laisser guider. Ne me dis pas que tu n’as jamais
appris à saisir l’occasion, dans ta vie d’aventurier. »
Tout en prononçant ces mots, sa main le massait expertement, et Vick
sentait son sexe se tendre, durcir.
Il lâcha un grognement et l’attira contre lui. Son baiser fut si
vigoureux que leurs dents s’entrechoquèrent, et elle poussa un
petit cri en reculant la tête. Aussitôt après, cependant, comme il
esquissait un « désolé », ce fut elle qui referma ses
lèvres avec les siennes. Leurs langues s’effleurèrent, puis se
touchèrent avec une volupté grandissante. Les doigts agiles de
Valérie remontèrent le pull de Vick, tirèrent son tee-shirt
au-dessus de son pantalon. Ses doigts, alors, se glissèrent, soyeux
et frais, sur son abdomen, le parcourant.
Vick ne perdait pas non plus son temps, il avait entrepris de
déboutonner la veste de la jeune femme, avant d’enchaîner avec
son chemisier. Très vite, ils se retrouvèrent tous deux entièrement
nus, le cœur battant sous le plaisir partagé aussi bien
qu’anticipé. Vick fit glisser un tiroir de sa table de nuit, mais
Valérie, devinant son intention, l’arrêta.
« Inutile, je prends la pilule. Et j’ai confiance. »
Elle lui massa le sexe, l’entoura d’une lingette retirée de son
sac à main, le nettoya et alla jusqu’à le prendre en bouche,
agitant sa langue avec une douceur inexprimable. Alors, Vick oublia
tout, et la laissa faire quand elle le repoussa dans le lit, puis se
mit à le chevaucher, fière amazone s’attribuant enfin sa
récompense. Toujours aussi souple, elle l’aspirait et le malaxait.
Elle fit durer le plaisir au moins aussi longtemps que la dernière
fois, entraînant Vick à plusieurs reprises au bord de l’extase.
Elle ralentissait ses mouvements à temps, plus à l’écoute de ses
sensations qu’il ne l’aurait cru tout d’abord. Vick avait
l’impression d’être un instrument dont aurait joué une
magicienne, mais se laissa faire, jusqu’au moment où il fut balayé
par une déferlante de plaisir qui les laissa tous deux en sueur et
haletants.
« Wow ! fit Vick.
– Sans maîtrise, la
puissance n’est rien, dit-elle en s’appuyant de sa main sur son
torse velu, et en lui caressant le visage de ses cheveux. C’est ma
devise. » Elle lui fit un clin d’œil.
Vick sourit devant ce rappel du slogan publicitaire.
Elle se releva et se dirigea vers la douche exiguë, exhibant son
fessier lisse et musclé. Une fois tous deux nettoyés, rhabillés et
remis de leurs émotions, Valérie aborda l’objet de sa venue.
« Tu sais que Dactel a une filiale aux Etats-Unis, spécialisée
dans la production de viande ?
– Non, j’ignorais.
– Je te l’apprends. Il
s’agit de Future Meat. L’entreprise se trouve dans la Silicon
Valley. Elle produit de la viande entièrement synthétique. »
Vick haussa les sourcils.
« Tu sais, de la viande in vitro, à partir de cellules
souches. A la pointe de la technologie. Enfin en principe,
soupira-t-elle.
– Je croyais que tu voulais
passer au bio.
– L’un n’empêche pas
l’autre. Disons que c’est une manière différente d’aborder le
problème. Je ne t’apprendrais rien en te disant que les Américains
sont de fervents consommateurs de viande. Le souci, c’est que leur
manière d’élever le bétail — la manière intensive — a
tendance à concentrer le méthane.
– Les pets des bovins,
interrompit Vick. Ouais, j’en ai entendu parler. Paraît que c’est
l’une des causes du réchauffement climatique.
– Ou
en tout cas, un facteur aggravant. Toujours est-il que nos cousins
d’Amérique ne vont pas changer des habitudes qui remontent à
plusieurs siècles du jour au lendemain. Le mieux est donc de
s’adapter, en leur proposant un produit conforme à leurs habitudes
gustatives, on va dire, mais limitant les rejets dans l’atmosphère.
– Et
c’est là qu’intervient Future Meat.
– Tout
juste ! Le souci est évidemment de retrouver la même texture
et le goût à partir de cellules souches de muscles — je t’épargne
les détails.
– Merci.
– Cela
revient encore très cher, et il y a pas mal de tests à réussir
avant de passer à la production de masse. Le problème, c’est que
depuis quelque temps, les travaux se sont mis à stagner dans cette
filiale. On fait du surplace, et du coup, on prend du retard sur le
calendrier.
– Tu
voudrais que j’enquête là-dessus ? » Vick comprenait
pourquoi Valérie se nouait les cheveux en queue de cheval
d’habitude. Ainsi détachés, elle perdait le look
« strict-rien-qui-dépasse » propre au PDG de l’un des
plus grands groupes agroalimentaires de France, l’une des très
rares femmes à la tête d’une entreprise du CAC 40. Elle devenait
cette autre facette d’elle-même, une créature sexy.
« J’ai étudié de près les explications que l’on m’a
fournies, fit-elle, et j’ai trouvé des incohérences. Nous avons
les meilleurs spécialistes, et pourtant nous sommes en train de nous
faire dépasser par nos concurrents en Hollande. Il y a quelque chose
de pas net du tout là-dessous.
– Quelle
sera ma paye ?
– Cinq
mille euros par mois tous frais payés.
– Tu
me fais une avance sur la moitié du premier mois ?
– Pas
de souci. »
Vick eut un sourire radieux. « J’aime bien voyager. »
Elle le dévisagea d’un air soupçonneux. « A condition que
ce soit toi qui t’envoles, dit-elle en lui touchant le torse du
doigt. Pas tes frais.
– Tu
me connais. Je sais être raisonnable. »
Elle parut se demander un instant s’il ne se moquait pas d’elle.
« Tu as fait tes preuves, reconnut-elle finalement. Nous
resterons en relation tout au long de ton enquête. J’ai déjà
fait la demande de visa de travail auprès de l’ambassade
américaine. »
Vick avait le regard rêveur à la pensée qu’ils venaient de
s’envoyer en l’air avant qu’elle ne l’envoie là-haut, dans
le ciel.
3. L’invasion d’un profanateur
Les mains de Vick relâchèrent leur étreinte sur les accoudoirs de
son siège. L’Airbus A330 d’Air France, après un
atterrissage sans bavure, quoiqu’un peu brutal, se mit à entamer
ses manœuvres d’approche sur le tarmac de l’aéroport JFK à New
York. Etait-ce de la condescendance dans le regard de l’hôtesse,
ou bien la susceptibilité de Vick le rendait-elle parano ? Son
passé de vagabond avait fait de lui un voyageur, certes, mais il
n’avait encore jamais pris l’avion. Même lorsqu’il avait
quitté le continent africain pour son retour en France, il avait
préféré le bateau, plus discret à son goût.
L’hôtesse de l’air le frôla et poursuivit son chemin le long de
l’allée centrale, répandant une odeur de jasmin derrière elle.
Vick entremêla ses doigts et s’étira les bras. Il avait eu
l’estomac noué tout au long du voyage, et savait que son visage
n’avait pas encore repris ses couleurs. Plusieurs des passagers
avaient leur téléphone en main. Vick sortit le sien de la poche de
son jean et le ralluma. D’un coup d’œil, il vérifia sa
géolocalisation sur l’appli GPS Tracker, celle qu’utilisait
aussi son contact à New York. Une fois la connexion établie, le
profil de Jeffrey Henderson apparut non loin sur la carte. Avec ses
cheveux mi-longs coiffés vers l’arrière, son front busqué et ses
joues rebondies, son aspect était celui du cadre se fondant dans la
masse, très vite oublié tant ses traits n’avaient rien de
mémorable. C’était un ami d’enfance de l’un des ex de
Valérie, fils d’un couple franco-américain divorcé, qui avait
rejoint son père aux Etats-Unis après le lycée. Son emploi à la
NSA, l’agence de surveillance américaine, ne lui permettrait que
de donner des coups de main ponctuels dans l’enquête à venir,
mais Vick avait bien senti que Valérie le considérait comme un
atout dans son jeu. Il ignorait ce que Jeffrey obtiendrait en échange
de ses services, mais il soupçonnait que ce genre de personnage
n’agissait jamais gratuitement. L’argent, d’ailleurs, n’était
peut-être que secondaire dans le marché qu’ils avaient passé, le
réseau d’influence de Valérie jouant aussi en sa faveur.
Au-dehors, de lourds flocons de neige s’abattaient. La météo peu
clémente avait contraint l’appareil à effectuer d’interminables
rotations avant d’être autorisé à atterrir. Se retrouver ainsi
bloqué dans un embouteillage aérien, quand le but d’un avion
était de faire gagner du temps à ses passagers, avait donné
l’impression à Vick d’être un shadok, l’un de ces volatiles
idiots dont la vie était régie par l’absurdité. Il avait hâte
de se dérouiller les jambes, et ce fut d’un bon pas qu’il prit
le chemin vers l’aérogare, une fois la passerelle arrimée. Comme
prévu, Jeffrey le rejoignit dans la salle d’attente de sa
correspondance. Il était plus grand que Vick, plus corpulent aussi
que ce dernier ne se l’était imaginé après leur conversation sur
Skype, laquelle remontait à deux jours auparavant.
« Hello, fit Vick.
– Bonjour,
cher ami ! répondit le bonhomme en lui serrant
vigoureusement la main. Nous n’avons qu’un quart d’heure avant
votre correspondance. Allons nous asseoir. »
Jeffrey l’entraîna vers des sièges inoccupés, suffisamment
éloignés des autres voyageurs pour leur assurer une relative
discrétion. Des appels retentissaient de temps à autre.
L’atmosphère était celle, fiévreuse et bourdonnante, de ce type
de lieux de transit.
« J’ai besoin que vous me confirmiez les yeux dans les yeux
que votre employeuse souhaite mettre Monsieur Roger Lindbaum sous
surveillance. »
Roger était le Directeur général de Future Meat, le scientifique
responsable de la filiale de Dactel aux Etats-Unis. De par ses
prérogatives étendues, Valérie le considérait comme le suspect
numéro un dans la stagnation de l’entreprise high-tech. Bien
évidemment, Vick devrait élargir ses recherches si cette première
piste ne donnait rien.
« Je vous le confirme, dit Vick.
– Bien.
Nous sommes discrets, bien sûr, mais il y a toujours un risque pour
que ce genre de surveillance se retourne contre le commanditaire.
J’agis à titre complètement officieux, et la NSA niera toute
implication dans cette affaire.
– Je
ne vous ai pas rencontré », assura Vick.
L’agent sortit de sa poche un objet qu’il lui présenta. « Cette
clé USB contient les informations que nous avons sur cet homme. Vous
y trouverez aussi l’adresse du dossier dans le cloud où vous
pourrez récupérer les données concernant son activité
quotidienne.
– Merci »,
fit Vick en empochant la clé. Il savait que leur rencontre dans cet
aéroport, pas plus que cet objet n’était nécessaire. Ce Jeffrey
aurait pu lui transmettre par email un lien menant vers ces données
— dissimuler ses traces sur Internet ne posait aucun problème à
un agent de la NSA. S’il avait souhaité cette rencontre, c’est
que l’homme voulait évaluer l’importance de cette mission aux
yeux de Valérie Bastel, et jauger le détective qu’elle avait
envoyé. Ils n’allaient sans doute plus se voir de sitôt, c’était
somme toute naturel.
« Ce sont les données brutes de son ordinateur de travail
auxquelles vous allez avoir accès. A vous de les éplucher. Si vous
avez besoin d’autre chose, vous pouvez me contacter, mais vous
comprendrez qu’il faut que ce soit suffisamment précis et que ça
ne me demande pas trop de temps.
– Bien
sûr, fit Vick. Merci pour votre aide. »
Ils se saluèrent, et Vick se demanda en observant Jeffrey s’éloigner
dans son manteau noir si lui et Valérie n’avaient pas conclu un
pacte avec le diable. Ce ne serait sans doute pas le premier dans sa
vie, mais il se souvint d’une période pas si distante où il
s’était retrouvé du côté opposé de la barrière. Une période
durant laquelle il n’aurait pu envisager ce type de collaboration
sans un sentiment de révulsion.
Vick accomplit les quelque six heures de vol restant jusqu’à San
Francisco en se concentrant sur des grilles de mots croisés et
autres sudokus. Cela ne l’empêchait pas de se contracter à chaque
trou d’air, mais il n’eut plus l’impression que son voisin de
siège le considérait avec nervosité comme ça avait été le cas
au départ de Paris. Le décalage horaire rendait le trajet assez
perturbant. Le temps semblait se ralentir, ou s’étirer, puisque
les quatorze heures de vol au total ne faisaient reculer l’horloge
que de cinq heures. Il était minuit quand l’appareil se posa sur
l’aéroport de San Francisco. Les formalités de contrôle
effectuées, Vick s’occupa de ses bagages avant d’aller récupérer
à l’automate la clé de contact et les papiers de sa Ford Edge de
location. Il l’avait prise couleur anthracite, dans l’idée de la
rendre la plus anonyme possible.
Bien qu’il ait repéré les lieux au préalable sur Internet, par
sécurité, Vick régla le GPS. Il se dirigea vers le nord de San
Francisco avant de s’engager sur l’immense pont de la baie
d’Oakland, qui lui fit longer Treasure Island, et atteignit très
vite son objectif, l’hôtel Courtyard d’Emeryville. Un
quatre étoiles, c’était le minimum pour lui faire oublier sa
situation trop proche de l’Interstate 80, l’autoroute qui
remontait vers Berkeley et Richmond. D’autant que la
carte bancaire que lui avait procurée Valérie s’avérait dotée
d’un plafond journalier agréablement élevé.
Les lettres vertes « Courtyard », visibles de très loin
dans la nuit, faisaient figure de signe de ralliement. Même à la
seule lueur des étoiles et des réverbères, la masse de l’édifice
était écrasante. En cette saison, l’hôtel était peu fréquenté,
Vick n’eut donc aucune difficulté à garer la Ford. En dépit du
froid ambiant, l’air marin lui chatouillait les narines tandis
qu’il se dirigeait vers l’entrée du bâtiment. Avec son lustre
en forme de coupole renversée, son habillage simili bois et ses
nombreux spots, la réception dégageait une impression d’espace,
de sérénité et de modernité. L’Asiatique qui officiait malgré
l’heure plus que tardive remit à Vick la carte magnétique donnant
accès à sa suite avec vue sur la mer. Le papier peint de sa
luxueuse chambre du huitième étage représentait des nuages dans le
ciel, ce qui tombait bien puisque Vick marchait quasiment sur des
coussins d’air depuis qu’il était entré dans cet hôtel.
C’était à se demander si son immonde piaule d’Ivry était une
insulte à la dignité humaine, ou si, au contraire, ce n’était
pas cette suite avec écran mural surmontant le bar qui, du haut de
sa somptuosité arrogante, crachait sur tous les êtres qui n’avaient
pas les moyens d’entrouvrir les portes de cet Eden. Vick avait
conscience que l’hôtel ne représentait pas le summum du luxe,
cependant, la différence avec son quotidien — pour ne pas parler
de son passé — était trop flagrante pour ne pas lui sauter aux
yeux.
« Tu devrais m’envoyer plus souvent en mission tous frais
payés, Valérie », marmonna-t-il.
Il brancha le portable ultrafin
qu’elle lui avait offert pour l’occasion et lui envoya un message
pour lui signaler son arrivée. Avant de se coucher, il vérifia
l’appairage de son smartphone au logiciel installé dans
l’ordinateur portable, puis alla ouvrir les stores électriques de
la chambre, afin d’être réveillé comme de coutume par la lumière
du jour. La large baie vitrée lui offrirait un sacré spectacle au
petit matin, mais pour l’heure, la couverture nuageuse ne
permettait pas d’observer les étoiles et tout était sombre,
dehors. Le lit était aussi vaste que moelleux. S’y vautrer lui
donna le sentiment de profaner un sanctuaire. Sa main se promenait
avec étonnement sur la fourrure synthétique soyeuse. C’était
bien une autre dimension, interdite aux gens de son espèce. Il avait
pourtant déjà dormi dans un lit similaire chez Valérie, mais là,
c’était différent —
sa
chambre, son
lit, du moins pour la durée de la mission — et cela lui procura un
petit frisson d’excitation.
Le lendemain, avant de s’attaquer à la clé USB de Jeffrey
Henderson, Vick se fit monter un copieux petit déjeuner. Son anglais
n’avait pas eu trop le temps de rouiller, malgré quelques
hésitations. Il se leva à plusieurs reprises, un croissant à la
main, pour observer la vue. Juste sous l’hôtel, l’Interstate
déroulait son flot de véhicules qui renvoyaient parfois l’éclat
du timide soleil de la matinée. Au-delà, c’était l’océan de
la baie de San Francisco, avec notamment Treasure Island, et
l’incontournable pont Oakland Bay, emprunté la veille. Pour avoir
étudié la carte, Vick savait que l’île d’Alcatraz se trouvait
plus loin en face, et, toujours dans la même direction et plus
éloigné encore, le célèbre Golden Gate, le pont rouge à haubans
de San Francisco. Ces vastes étendues lui donnaient envie de gonfler
ses poumons, ce qu’il fit. Il y avait au moins quelque chose de
familier dans cette vue nouvelle qui s’offrait à lui, et c’était
le parfum de l’aventure et de l’inconnu.
Un plan de l’hôtel reposait sur la table du séjour. Vick l’étudia
avant de se rendre dans la salle de fitness. Si tôt dans la matinée,
celle-ci était déserte. Il inaugura donc les tapis de course et
appareils elliptiques, et ne les abandonna qu’après une solide
séance d’une demi-heure.
De retour dans sa chambre, se replonger dans le travail sur
ordinateur lui sembla trivial, voire sinistre au regard de
l’environnement incomparable, et de toutes les nouveautés qui
l’attendaient dans cette ville. Vick s’y attela néanmoins.
Valérie lui avait laissé toute latitude dans son enquête, et Vick,
dans un premier temps au moins, s’était fixé sur une surveillance
externe. D’après la patronne, Future Meat n’employait qu’une
cinquantaine de personnes. Une mission d’infiltration, pour un
frenchie comme lui, dans un établissement où tout le monde se
connaissait, avait peu de chance de succès. Pouvoir accéder au
contenu de l’ordinateur de Roger Lindbaum, le boss, était bien sûr
un atout, mais Vick allait sans doute aussi devoir entamer des
recherches sur chacun des salariés. Ce serait là un travail de
fourmi. S’il y avait bien un traître chez Future Meat, et que ce
n’était pas le Directeur, Vick devrait circonscrire le champ
d’investigation à quelques personnes avant de demander de nouveau
l’aide de l’espion de la NSA. Sinon, il se verrait enseveli sous
une montagne de données.
Roger Lindbaum, sur la photo stockée dans la clé USB, avait des
favoris, des moustaches et une barbe moutonneuse très noire. Des
cernes marqués sous les paupières pouvaient annoncer un bosseur, ou
bien un fêtard. Lunettes carrées, regard profond. D’après sa
bio, il était marié, mais sans enfants. Par choix, très
certainement. Double doctorat en physique et en chimie à
l’université de Berkeley — une « tête » comme il
fallait s’y attendre. Sa femme était une décoratrice renommée,
le couple vivait dans l’aisance.
Après avoir parcouru les éléments que comportait le dossier, Vick
se rendit sur le cloud afin de se plonger dans le gros du travail,
l’étude des données présentes sur l’ordinateur de Roger. De
nombreux documents dépassaient, et de loin, sa compétence. Vick
était bien incapable de déterminer si le Directeur entravait ou non
la marche de son entreprise, il devait donc se concentrer sur les
détails qui lui paraîtraient insolites. Il se mit à éplucher les
emails envoyés par Roger. Au bout de plusieurs heures de recherche
infructueuse, il en eut assez et décida de passer, pour la fin
d’après-midi, à une surveillance de terrain.
4. L’œil du condor
Situé à l’intersection de Hollis Street et de Powell Street,
l’immeuble de Future Meat, plus large que haut, se distinguait par
ses fenêtres bleutées rectangulaires. Leurs nuances de couleur plus
ou moins foncées faisaient penser à un damier. Vick se gara en face
de l’entrée, sur le parking d’un restaurant. Valérie lui avait
permis, pour cette mission, de se fournir en équipement de pointe,
et Vick dirigea avec satisfaction l’un de ses nouveaux joujoux, un
Canon à téléobjectif 300 mm, vers l’accès principal du
bâtiment. Tout était calme. Parmi les quelques salariés descendus
s’en fumer une, il ne reconnut pas la bouille de Roger Lindbaum.
Cela faisait bizarre de penser qu’à quelques blocs seulement, se
trouvaient les studios Pixar. Le summum de la technologie
d’animation... De même, cet immeuble en face, et bien d’autres
dans le secteur, étaient à l’avant-garde dans leurs domaines
respectifs. Vus de l’extérieur, pourtant, bien malin qui aurait pu
le deviner. Rien ne distinguait les structures abritant des startups
futuristes de leurs voisines.
Vick retira son œil du téléobjectif pour embrasser du regard les
alentours. La ville était aussi quadrillée qu’une grille de mots
croisés. Partout des avenues, boulevards et rues, sans pour autant
que l’aspect général ne fasse trop bétonné. La verdure y était
pour quelque chose, et notamment cette coulée verte d’Emeryville.
Cela, et les couleurs des bâtiments, dont certains alternaient le
jaune et le mauve.
Vick reposa l’appareil photo pour s’emparer de la mallette
contenant l’ordinateur portable. Quelques clics plus loin, il se
retrouvait sur la partie du cloud à laquelle l’ami Jeffrey, de la
NSA, lui avait donné accès. De nouvelles données y étaient
apparues depuis la veille. Sur le coin supérieur droit de l’écran,
Vick apprit que le PC était allumé et son utilisateur actif. Le
reste des données, malheureusement, n’apparaissait pas en temps
réel, mais savoir à tout moment si le PDG se trouvait devant son
écran était déjà un atout.
Vick régla son portable en économie d’énergie. Il remua les
jambes. Le froid s’infiltrait peu à peu dans la caisse, et malgré
son blouson de cuir doublé de fourrure et son écharpe, Vick
commençait à en ressentir l’engourdissement. Il s’était résolu
à n’allumer le moteur que si c’était vraiment nécessaire, afin
de ne pas attirer l’attention. Lorsque le programme lui apprit que
la bécane de Roger avait été éteinte, Vick surveilla avec une
vigilance redoublée l’entrée. Le soir tombait sur la ville, un
fait non pertinent pour les capteurs de son appareil photo, qui lui
permettaient d’y voir comme en plein jour. Il était 18h05 quand le
PDG de Future Meat, accompagné de plusieurs cadres, sortit du
bâtiment. La plupart des patrons d’entreprises de ce type ne
comptaient pas leurs heures, et Vick s’était attendu à devoir
patienter bien plus longtemps. Après avoir pris une série de
clichés, en particulier des gros plans de la trombine du PDG, il mit
de côté le téléobjectif et dégaina son smartphone, dont il
activa l’application spéciale que Valérie lui avait fait
installer. En un mouvement fluide, il sortit de la voiture. Déjà,
Roger Lindbaum se dirigeait vers la sienne après avoir pris congé
de ses collaborateurs. Vick approcha le PDG par l’arrière.
Lorsqu’il fut à moins de cinq mètres, il consulta l’écran de
son portable, et fit glisser son index sur le bouton de clonage.
Pour ouvrir sa portière, Roger appuya simplement sur la poignée
intégrée. Il y avait indiqué « Model S » à l’arrière,
avec un « T » au milieu du coffre, une marque que Vick ne
connaissait pas. Il passa à côté sans s’arrêter, sans non plus
un regard pour l’occupant. Etant donné l’aspect sportif de la
bagnole, Vick s’attendait à un vrombissement de moteur. Il fut
surpris par le démarrage quasi silencieux —
de toute évidence, un modèle électrique. En
retraversant la rue en direction de sa Ford, il vérifia son
smartphone. Le clonage avait fonctionné. Ne lui restait plus, une
fois regagné le siège conducteur, qu’à activer le mode
« carte », ce qu’il fit. Le point qui désignait la
bagnole de Roger apparut sur l’écran, en mouvement. Vick fixa
l’appareil sur son tableau de bord et commença sa filoche.
Celle-ci l’amena, sans surprise, dans l’un des quartiers
résidentiels huppés, au domicile du Directeur. Vick fit alors
demi-tour pour rentrer à son hôtel.
Les jours suivants, il continua à alterner la surveillance et le
dépouillement des documents sur ordinateur avec la filature sur le
terrain. Le clonage du portable s’avérait très utile pour laisser
suffisamment de distance entre lui et sa proie. Vick pouvait aussi
écouter en toute indiscrétion les conversations, et savoir quelles
applications le dirigeant utilisait. Là non plus, aucune surprise.
Le bonhomme semblait mener une vie bien réglée, caractérisée par
un respect des horaires et la pratique d’activités
extra-professionnelles plutôt sages, comme le golf ou le bowling.
« Ça ronronne », résuma Vick lorsqu’il eut Valérie
en ligne sur WhatsApp. « Peut-être un peu trop pour le patron
d’une filiale comme Future Meat, mais bon...
– Je
l’ai connu beaucoup plus investi, sans aucun doute. Je pourrais le
faire licencier, ou le muter dans un service annexe pour limiter les
indemnités, mais ça ne règlerait sans doute rien. Le problème
pourrait se renouveler avec un autre dirigeant. Et puis, des
spécialistes de ce niveau, ça ne se trouve pas à tous les coins de
rue.
– C’est
sûr.
– Il
a forcément dû se passer quelque chose pour que sa motivation
s’effondre comme ça. Continue ton enquête, et n’hésite pas à
demander l’aide de Jeffrey si tu tombes sur un document qui
t’intrigue.
– C’est
toi qui paies, princesse », fit Vick en souriant.
Elle eut ce petit froncement de sourcils qui lui plaisait tant. La
titiller avait un certain piquant, il fallait le reconnaître, et
l’allusion aux « frais de la princesse » alors qu’il
occupait cette suite luxueuse était savoureuse. Valérie se contenta
pourtant de lui poser la question de l’acclimatation à sa nouvelle
vie américaine.
« Une vraie torture, répondit Vick non sans ironie. Je suis
sorti de ma zone de confort, tu peux pas savoir !
– Ça
n’en a pas l’air. Tu as plutôt bonne mine, je trouve.
– Je
plaisante, fit-il. La nourriture est parfois un peu bizarre, mais on
s’y fait. Quand est-ce que tu me rejoins ? Ils ont une bonne
salle de fitness, ici.
– Si
tu arrives à résoudre cette affaire, peut-être. Comme disent les
Américains, “no pain, no gain”.
– Je
te ferai signe, alors.
– J’y
compte bien ! »
Une nouvelle semaine se passa, sans que le Directeur de Future Meat
ne modifie pour l’essentiel ses itinéraires. Vick avait terminé
d’examiner ceux des documents qui lui étaient compréhensibles
étant donné l’état de ses connaissances ainsi que les nombreux
emails, sans rien détecter de suspect. Roger Lindbaum les supprimait
de manière fréquente, mais c’était une procédure de sécurité
standard dans une entreprise susceptible de faire l’objet
d’espionnage industriel. Cela n’empêchait d’ailleurs nullement
Vick d’analyser les messages supprimés, car une fois émis,
ceux-ci restaient stockés dans le cloud par l’entremise du
logiciel espion de Jeffrey. La puissance tentaculaire de la NSA avait
de quoi laisser songeur. Vick croyait savoir que l’agence de
renseignements avait déjà empêché des compagnies étrangères de
conquérir certains marchés à l’international. Ses grandes
oreilles lui avaient permis de prévenir des boîtes américaines des
prochains plans d’action de leurs rivales, afin qu’elles puissent
leur couper l’herbe sous le pied. Depuis qu’il avait obtenu un
aperçu des possibilités de l’agence, l’idée ne lui semblait
plus du tout ressortir de la théorie du complot.
Le plus dur à supporter étaient les interminables heures de planque
dans sa voiture peu à peu envahie par le froid. En dehors de cela,
le salaire de Vick, et ses conditions de vie actuelles, lui donnaient
la tentation de laisser sa mission s’éterniser. Il savait,
cependant, que Valérie ne serait pas dupe. Il lui faudrait très
bientôt étendre ses recherches aux collaborateurs les plus hauts
gradés de Roger.
Afin de s’initier aux mœurs locales — à titre purement
documentaire, bien entendu — Vick avait procédé à un retrait de
ces bons vieux billets verts avant de se rendre au Condor Club de San
Francisco, à l’autre extrémité de l’Oakland Bay Bridge. Il
n’avait pas eu besoin de posséder la puissance visuelle du condor
— ni celle de l’aigle — pour distinguer tous les détails de
l’anatomie féminine.
Installé
dans le confortable fauteuil de sa chambre d’hôtel, il songeait
avec une vague amertume au côté incroyablement aseptisé, formaté
des prestations dans ce club de strip-tease. Son regard posé sur la
liste d’emails de Roger déclencha alors en lui un signal d’alerte.
L’un de ces messages s’intitulait sobrement M
report,
ou « rapport M ». Envoyé sur une adresse Gmail à un
certain S. Loan, donc pouvant aussi bien être professionnelle que
personnelle. Vick ouvrit les fichiers joints. Il s’agissait de
rapports d’activité, où l’on évoquait notamment les boîtes de
Pétri et les incubateurs. Vick prit le temps de tout lire, même si
la plupart des notions lui échappaient. Une phrase en gras retint
cependant son attention. Elle indiquait qu’il n’avait pas été
possible d’obtenir une stabilisation du taux de dioxyde de carbone
à l’intérieur des incubateurs, ce qui avait bloqué la production
des fameuses cellules de viande. Il n’était guère étonnant que
la startup fasse du surplace, si les incubateurs n’étaient pas
stables. Quelque chose disait à Vick que même si ce problème
devait être réglé, d’autres ne tarderaient pas à surgir.
Plutôt que d’en référer à Valérie, il se contenta de lui
demander par SMS, avec confirmation par email, un accès à
l’intranet de Dactel. C’était l’un des intérêts du décalage
horaire : là où il faisait encore nuit à San Francisco, le
jour s’était levé depuis un bon moment en France, et le peuple
laborieux bossait déjà. Il lui fallut une heure pour récupérer le
login et le mot de passe. Copier-coller l’adresse email dans
l’annuaire de Dactel fut l’affaire d’un instant. Les paupières
de Vick s’étrécirent comme il constatait l’absence de résultat.
Ce mystérieux S. Loan ne faisait donc partie ni de Future Meat ni de
sa maison mère, Dactel. Vick tenait enfin sa première piste — une
piste d’autant plus fraîche que le message suspect avait été
envoyé à peine quelques heures auparavant.
5. Sauce épicée
Lorsque, après une courte nuit de sommeil, Vick contrôla de nouveau
la boîte de « messages envoyés » de Roger Lindbaum, il
constata sans réelle surprise la disparition de l’email intitulé
« Rapport M ». Ce dernier ne figurait pas non plus dans
la corbeille du PDG. Son délai de suppression, largement inférieur
aux autres, confirmait son importance. Par précaution, Vick avait
noté le destinataire, S. Loan, sur un papier, mais il récupéra
l’intégralité de l’email et de ses pièces jointes sur le cloud
de la NSA, dans l’historique de la veille. Il contacta Jeffrey, en
lui demandant de retrouver l’adresse IP et l’adresse physique de
l’ordinateur qui ouvrirait le message.
« Je vais mettre une alerte sur le destinataire, l’informa
sobrement Jeff. Je vous préviens dès qu’il y a du nouveau. »
L’email en question ne fut ouvert que sur le coup de 16 heures, et
Vick n’en eut connaissance qu’une heure plus tard. La bécane qui
avait eu accès au message se situait dans un cybercafé, le Texemal
de San Francisco. A cette nouvelle, Vick se passa les doigts dans les
cheveux, écartant d’un geste familier l’unique mèche blanche
perdue dans la forêt châtain. « Ç’aurait été trop
facile », soupira-t-il. Les fichiers joints incorporés dans
l’email suffiraient certainement à faire tomber Roger Lindbaum,
mais ça n’arrangerait pas vraiment les affaires de Valérie. Il
lui fallait faire plus et mieux. Sans trop y croire, il prit ses
clés, sa sacoche et sortit de sa chambre d’hôtel.
En fin de journée, le majestueux pont Oakland se paraît de couleurs
chatoyantes, le soleil nimbant de lueurs dorées l’océan en
contrebas. Le paysage procurait des picotements sur la peau de Vick,
lui donnant envie de rouler sans discontinuer, de s’évader pour
découvrir les espaces infinis de ce fabuleux pays. Impression
mitigée par les bouchons dès lors qu’il s’enfonça dans la
ville. C’était l’heure de pointe, et la Golden City n’échappait
pas à ce trait aussi désagréable que récurrent des mégalopoles.
La partie de San Francisco dans laquelle il s’engagea tant bien que
mal, dépourvue de gratte-ciels, présentait des bâtiments plutôt
propres sur eux dans l’ensemble. Le blanc alternait avec l’ocre,
le bleu pâle avec le rouge brique. L’asphalte était souvent
craquelé, en moins bon état que les bâtiments. Les rues étaient
en pente, parfois très forte, et celle de sa destination n’échappait
pas à la règle. Le Texemal possédait un parking en étages, ce qui
permit à Vick de se garer sans avoir à chercher d’emplacement.
Dans un premier temps, il ressortit à pied et examina la devanture
du cybercafé. Au-dessus de l’étiquette INTERNET en lettres jaunes
sur fond bordeaux, un bandeau indiquait « Commerce équitable »
et « Café organique ». Vick sourit à moitié. Le trajet
jusqu’ici ne serait peut-être pas une perte de temps, finalement.
L’intérieur du bar était clairsemé. Il y avait des rangées
d’ordinateurs portables sur un côté, et d’autres bécanes sur
certaines tables. Souvent, les clients étaient penchés sur leurs
smartphones, dans l’attitude caractéristique des gens qui, en se
rendant présents virtuellement, s’absentaient du réel. Vick se
dirigea vers le comptoir où un Latino et sa moustache fournie
l’accueillirent d’un « Hola ! » convivial.
Vick sortit une paire de billets de cent dollars de son portefeuille.
« Bonjour, fit-il en anglais. Est-ce que ça vous dirait de
vous faire deux cents dollars facilement ? »
L’autre fronça ses sourcils larges, mais courts.
« Je suis un privé, expliqua Vick. J’aurais besoin d’accéder
aux enregistrements de votre caméra sur la façade. »
Malgré sa moue peu enthousiaste, le barman tendit la main pour
s’emparer des biffetons. Vick les retira sans lui laisser le temps
de les prendre. « Vous ne les aurez que si je peux sauvegarder
les vidéos de l’après-midi sur ma clé USB.
– Yo
entiendo, fit l’autre. Suivez-moi, señor. »
Sans plus se formaliser, le Latino ouvrit le bar, puis, dès que Vick
l’eut rejoint, une trappe dans le sol, invisible de l’extérieur.
Il alluma et précéda Vick au bas d’une échelle métallique
menant à une cave bétonnée. Sous la lumière crue des néons, des
caisses de spiritueux s’alignaient le long des murs. Un peu plus
loin, une jeune femme vêtue d’une robe de velours rouge et d’un
chemisier blanc, installée dans un pouf, jouait sur une console
reliée à un écran télé. Le Mexicain lui ordonna en espagnol de
le remplacer au comptoir, ce à quoi elle réagit en soupirant et en
se levant de mauvaise grâce. Le Mexicain conduisit Vick dans un
réduit poussiéreux, doté d’un simple soupirail et où un
ordinateur sur une table avait pour voisine une araignée dans sa
toile au coin du mur. Il se tourna vers Vick et cette fois, empocha
les deux cents dollars. Quelques clics de souris plus loin, il fit
apparaître les fichiers vidéo de l’après-midi. Il y en avait
plusieurs, le programme d’enregistrement se chargeant de les
sauvegarder à intervalles réguliers, afin d’éviter de se
retrouver avec un fichier unique trop volumineux. Cela convenait
parfaitement à Vick, dont la clé USB était d’une capacité
relativement limitée. Les vidéos n’étaient pas de grande
qualité, mais la plupart des visages y étaient reconnaissables. Le
transfert de données prit une dizaine de minutes, pendant lesquelles
le Mexicain interrogea Vick sur la nature de son enquête.
« Si on vous le demande, vous répondrez que vous n’en savez
rien, fit Vick avec un sourire en coin. Vous avez juste à savoir que
je travaille pour les gentils. »
L’homme haussa les épaules. Il sortit son smartphone et s’absorba
dedans, sans quitter la pièce pour autant. Vick avait compté sur le
pragmatisme du barman, et était heureux de s’apercevoir qu’il ne
s’était pas trompé. Ce n’était probablement pas la première
fois qu’on lui soumettait ce type de requête. Le transfert achevé,
il prit congé et s’en alla, la clé USB en poche, d’un pas plus
léger qu’il n’était entré.
Avant de faire de nouveau appel à Jeffrey, Vick prit le temps de
visionner certains des enregistrements, afin de circonscrire les
recherches aux deux heures précédant le moment où l’email avait
été ouvert. Puis il appela l’agent de la NSA. Grâce aux liens
Dropbox créés par Vick, son contact n’eut aucun mal à
télécharger les vidéos. Jeffrey l’informa que cette fois, il lui
faudrait patienter « a couple of day », deux jours, avant
d’obtenir une réponse. Comme d’habitude, le fonctionnaire ne
pouvait lui venir en aide que de manière non officielle, et ne
pourrait pas se libérer de ses tâches dans l’immédiat.
Vick reprit donc sa surveillance dès le lendemain, alternant
l’analyse des fichiers et l’observation sur le terrain. Depuis
qu’il avait cloné le portable de Roger Lindbaum, il se garait à
des emplacements chaque fois différents, et s’arrangeait pour
obtenir toujours au moins un contact visuel, souvent de loin grâce
au téléobjectif de son appareil photo. Il ne nota rien
d’inaccoutumé ce jour-là. Le surlendemain, un jeudi, alors qu’il
attendait avec impatience les résultats des recherches du logiciel
de reconnaissance de Jeffrey, son smartphone lui indiqua que le PDG
de Future Meat s’était mis en mouvement. Il était seulement 15
heures, ce qui était inhabituel. Vick se trouvait encore dans son
hôtel. Saisi d’une intuition, il s’empara de son blouson et de
son matériel, et sortit en trombe de sa chambre. Dès qu’il fut
installé dans sa Ford, il activa la fonction « traque »
du logiciel espion de son smartphone. Le programme se chargea alors
de calculer l’itinéraire qui menait au véhicule en mouvement de
Roger. Vick aurait pu se contenter de prendre l’adresse une fois la
voiture de Roger arrivée à destination, si son intuition n’avait
été accompagnée d’un sentiment d’urgence. Il se mit à rouler
au seuil des limites autorisées — les flics du pays ne
plaisantaient pas avec la loi et l’ordre. Son itinéraire n’avait
rien à voir avec le quartier plutôt huppé de Roger, dans le sud de
Berkeley. Cette fois, le Directeur de Future Meat traversait le pont
Oakland en direction de San Francisco. Vick avait pris un peu trop de
retard pour repérer la Tesla — il s’était renseigné, c’était
la marque du bolide électrique de sa proie — mais les battements
de son cœur s’accélérèrent lorsqu’il reconnut le secteur du
cybercafé. Ironie du sort, son smartphone le conduisit à deux pas
d’un centre d’accueil pour sans-abris, le Next Door Shelter. Le
signal émanait d’un immeuble de quatre étages assez quelconque.
Plutôt que d’essayer de s’y introduire, Vick activa les
fonctions audio du logiciel espion. Roger Lindbaum avait commis
l’erreur de laisser son téléphone allumé, et bientôt, des
soupirs et gémissements féminins alternés avec des grognements de
plaisir issus d’une voix plus grave retentirent dans la Ford.
« Eh bien mon salaud... murmura Vick. Ton engin n’était
peut-être pas un sans-abri, mais on dirait bien qu’il a trouvé un
nouveau refuge. » Il régla de nouveau la fonction de traque
géolocalisée du logiciel. Celle-ci présentait un écueil :
l’étage de l’immeuble n’était pas indiqué, ce qui signifiait
qu’il lui faudrait procéder à des balayages à chaque niveau. Pas
le meilleur moyen de passer inaperçu... Il lui fallait cependant
prendre au moins une photo de l’inconnue qui avait succombé au
charme de Roger — à moins que ce ne fût l’inverse —, et le
temps pressait. Dès qu’ils se seraient séparés, Vick allait
perdre la trace de la femme, or, il lui fallait aussi son adresse
exacte. Il était sur le point de sortir de la Ford, quand son
portable sonna.
S’il s’était agi de tout autre que Jeffrey, Vick aurait rejeté
l’appel. Il prit soin de désactiver la fonction vocale du logiciel
espion avant de décrocher.
« Le logiciel a “matché” avec un profil, mais je ne suis
pas sûr du tout que ce soit le bon, l’informa l’agent. Elle
figure dans nos dossiers parce que c’est une activiste qui a
participé à plusieurs manifestations — une blogueuse végane.
– Son
nom ? demanda Vick.
– Sloane
Kinsley. Elle habite à San Francisco, Polk Street. Je t’envoie la
photo d’elle que nous avons, et celle tirée de la vidéo.
– Okay »,
fit Vick. Il renifla sèchement. Une végane, cela ne semblait pas
coller en effet. Quel serait l’intérêt pour une végane de
bloquer, ou en tout cas retarder les recherches sur de la viande
synthétique ? De la barbaque susceptible d’épargner les vies
de millions de bovins ? Et pourtant, Sloane Kinsley... Le
message intercepté, qui l’avait lancé sur cette piste, avait pour
destinataire S. Loan. Quant à l’adresse, elle correspondait à
l’immeuble non loin duquel Vick s’était garé. Les pièces du
puzzle s’assemblaient malgré tout.
« Vous êtes toujours là ? demanda Jeffrey.
– Ouais,
répondit Vick. Est-ce qu’il vous serait possible de surveiller les
mouvements sur les comptes bancaires de Roger Lindbaum et de cette
Sloane Kinsley ? Je crois bien que c’est le dernier élément
qui me manque.
– Cela
ne devrait pas poser trop de problèmes, fit Jeffrey. Le président
d’une société comme Future Meat et une végane. Cela fait un
drôle de mélange...
– Ça
semble donner une sauce assez épicée, commenta Vick. Ah ! Les
photos sont arrivées. »
Le cliché issu des fichiers de la NSA présentait une différence
immédiatement visible avec l’arrêt sur image devant le café
Texemal. Là où l’image de la NSA figurait une jolie brunette aux
yeux d’opale, les mêmes boucles de cheveux étaient blondes sur la
photo, d’assez piètre qualité d’ailleurs, tirée de la vidéo.
En revanche, les traits de visage correspondaient.
« Je dois raccrocher, dit Vick, je suis en pleine filature. En
tout cas, mille mercis, voilà qui nous fait faire un pas de géant !
– You’re
welcome. »
Vick
espérait pouvoir prendre un cliché de Roger aux côtés de la
végane. Son attente fut déçue : le PDG de Future Meat sortit
non accompagné de l’immeuble de la rue Polk. Son visage, qu’il
saisit en gros plan, loin d’être celui d’un homme qui venait de
prendre du bon temps, était hanté. Traits cireux, épaules voûtées.
Son regard, derrière ses lunettes carrées, se perdait dans des
abîmes de désespoir. A le voir ainsi, Vick se demanda ce qui
s’était réellement passé avec cette Sloane Kinsley. Il n’avait
espionné que le début de leurs ébats à cause de l’appel de
Jeffrey. Ce genre de regard, Vick l’avait déjà
rencontré en Afrique, chez ceux de ses compagnons d’alors qui
n’avaient pas appris à faire taire leur conscience après un
meurtre. Se pourrait-il que Roger, sous le poids de la culpabilité
ou du chantage puisse commettre l’irréparable ?
L’envie était grande d’aller vérifier à son appartement l’état
de santé de la blogueuse, mais Vick résolut de s’abstenir pour le
moment. Au lieu de cela, il continua d’observer les allées et
venues autour de l’immeuble. Ses craintes, cependant, ne firent que
s’accentuer en ne la voyant pas sortir de toute la soirée.
*****
The New Guardians
1. Broadway Reception
The
Chevrolet Camaro made the roar of its V8 engine heard as it snuck
into the Golden City’s traffic. Such a sporty model was obviously
anything but suitable for driving in a city like San Francisco, but
Ryan Cochrane had always demanded a response—both
from toys like the car under his control and from his subordinates.
Overlooking Broadway, Allen’s villa was located in one of the few
green spaces on Russian Hill, near Ina Coolbrith Park. The parking
valets took turns to take care of the vehicles.
“Be
careful,” Ryan said to the black man with a slender figure and
effeminate features, to whom he handed over the ignition key along
with a fifty-dollar bill. The man in the braid-trimmed livery reacted
by smiling and then tilting his head.
Projectors
were sweeping across the facade of the building, as if it wanted to
claim that it was the center of San Francisco that night. Standing in
front of the colorful porch, Ryan gazed at the Victorian-style facade
flanked on the right side by its round tower, radiant with whiteness.
It was cold in this month of December, but relatively dry. The wind
intermittently stirred the large palm leaves. Cheerful conversations
were coming from couples in evening wear, like him, entering the
reception hall with an enthusiastic step. He could not get rid of a
feeling of unease. The week of a senior executive of a smartphone
company like Bluenak, whose capitalization exceeded $150 billion,
was mostly hectic, and this one had proved to be particularly
feverish—and
nerve-wracking. Nevertheless, the fact that he could not remember
when he had met Allen in the middle of all his other appointments
troubled him. His friend’s words, however, had remained engraved in
his memory. “I know you’re going to be in trouble very soon. I’m
having a little reception on Friday night on Broadway. Come and see
me.” It was only when he received confirmation of the invitation to
this evening by email that the scene came back to his mind. Despite
all his efforts, the exact chronology of this interview request
escaped him, and that was what was bothering him.
Ryan
made the marble hall resonate with his thousand-dollar-plus Valentino
shoes. Typical of Allen the politician, to invite him to this kind of
festivity to make contact. His position, combined with his
fortune—his
father had built an empire in oil—made
him an extremely influential man. He had eyes and ears everywhere,
but he also knew he was being watched. If Allen Fortiler, a federal
judge at the Department of Justice, had openly received Ryan
Cochrane, Bluenak’s import-export manager, their common past—their
studies at Harvard, during which they had met—would not have had
much impact on an observer’s mind. Conflict of interest could not
have been ignored as Silicon Valley companies such as Bluenak were
supposed to be closely monitored by the government. The rise of the
big four tech companies, the GAFA, but also the latest presidential
elections, had amply demonstrated that the real high stakes of power
had shifted to the digital world.
For
all his friend’s influence, Ryan might not have responded to the
invitation if Cheryl Clark hadn’t warned him the day before, with a
pinched look, that there would be an extraordinary meeting of the
Board of Directors as soon as the following Monday. The tone used,
and even worse, the lack of explanation from the Human Resources
Director, had raised an alarm in his mind. That alarm had only
increased with the responses of the other board members—his
distinguished colleagues had been surprised, or pretended not to know
more than he did. The footsteps Ryan had thought he had heard on
Monday evening, at a time when he thought Bluenak’s offices were
deserted, had been gnawing at him ever since.
He
had screwed up. He had screwed up pretty bad that night, and they
were going to present him with the bill. Maybe even earlier than
Monday. Maybe even in the next few hours. Allen may well have been a
friend, but it all smelled bad.
Ryan
squinted and tightened his lips, as he did when he was about to play
a particularly delicate billiard move—a
fleeting expression, which he immediately replaced with a casual,
suitable look. There was a lacquered wooden desk at the reception
area, in front of which the guests presented their smartphones. Ryan
took out his, and opened the email with the flashcode. Smiling, an
employee with graying hair pointed to the scanner. Once the operation
was completed, the man glanced at his terminal before taking Ryan’s
coat and putting it in the cloakroom. Ryan was already walking
towards the corridor where the lights of candleholders were shining
when a man built like a tank appeared in front of him. The individual
must have been watching out for him for a while.
“Please
wait, I beg you,” said the bodyguard as he pulled out his phone. He
turned aside, and Ryan, who had a keen ear, heard a ringing sound
despite the ambient noise. Soon, the fellow with quarterback-sized
shoulders whispered: “He has arrived… All right.” Then, turning
towards Ryan: “Please follow me, sir. Mr. Fortiler is waiting for
you.”
Ryan
lifted his eyebrows. With Allen being most of the time in Washington,
they had only met twice since their studies. However, never during
their brief meetings had his friend put him before all his other
appointments. While Bluenak had grown in importance with the rise of
its share price on Wall Street, Ryan was only the import-export
manager and not the CEO. There was something unusual about this, and
only the non-verbal communication training he had received three
weeks earlier prevented his hand from adjusting his tie knot. The
guard took him up a marble staircase, the center of which was covered
with a thick garnet-colored carpet. Judging by the curved walls, the
staircase must have been in the wide tower of the building. Ryan had
his hypothesis confirmed when the sturdy man with his hair cut short
on his fat neck introduced him to an oval room, whose window
overlooked the street in front of the main entrance. The security
guard had probably received instructions, as he immediately withdrew,
leaving Ryan alone in the semi-darkness of the room lit by a single
table lamp. The mahogany writing desk on which it was perched showed
rather flashy gilding. The lamp itself was of questionable taste,
with its chubby cherub sounding a trumpet along the stem. The floor
was covered with a carpet, with patterns that were not very visible.
Ryan
felt a tightness in his stomach, which was never a good sign. If his
friend was behind the side door to the right of the desk, as he
suspected, why didn’t he come to greet him? He was getting ready to
call him, when a chilling breeze passed through the area, making him
shiver while further hardening his stomach. His legs suddenly like
jelly, Ryan blinked, trying to understand what had eluded him during
those few fractions of a second.
The
man who had materialized had a thicker face than his own, and was
also sturdier, where the import-export manager had a thin silhouette.
His tendency to gain weight was already quite marked, but his
features, wide eyes, and deep dimples behind his smile, were those of
a thirty-year-old in all the radiance of his success. His curly,
white hair, despite his youth, gave him a certain charm among the
female population, as well as his apparent kindness and joie de
vivre. He was indeed the man that he knew, so when Allen reached out
a hand in his direction, Ryan quickly grabbed it—or
tried
to grab it.
His
hand only encountered a void.
“You
were one of Krabinay’s agents, but now you have to become more than
that.”
Allen
Fortiler’s face changed. The darkness of his pupils extended to the
entire eye area. They grew closer, became bigger, expanded in an
impossible way, to blend into a shadow which surrounded Ryan. The
shadow took the form of a demonic mask caught in a perverse hilarity.
To want to know the cause of this obscene gaiety, to simply try to
understand it, was to sink into the depths of dementia. Ryan’s
consciousness faded, cornered in the depths of his being. As he
staggered, his eyes rolled back and his body was taken over by a
spasm. His knees bent and he dropped to his stomach. Drool began to
pour from the corner of his lips. His features froze in an expression
of pain, and he remained like that, inert. By the time Ryan’s body
finally straightened up, his face had become neutral again. No spark
shone in his eyes and his walk was forced, grotesque, as if the thing
that dwelt in him had known only imperfectly how to control his
extremities. On the stairs, he only avoided falling by hanging on to
the banister. His steps, however, gradually strengthened, and when he
went back to the guests and staff at the reception, he did not arouse
any particular emotion except for a few intrigued looks.
The
valet’s smile froze when he asked for his vehicle. The employee
rushed to pick it up, anxious not to stay a moment longer than
necessary in the company of a man who seemed to lower the temperature
by his presence alone. Once behind the wheel of the Camaro, the man
who had been Ryan seemed to become more human again. Part of the
personality of Bluenak’s import-export manager could have been
discerned in his driving style. However, the effect was only
temporary. As soon as he reached the executive’s duplex, the man
began to act strangely. With all the lights off, without a look
through the large bay windows at the magnificent view of the San
Francisco harbor, he opened his laptop and turned it on. With his
head tilted to one side, he waited a few moments, as if listening to
specific instructions or information. His eyes, animated by a
malevolent glow, narrowed. He tapped away on the keyboard, moved the
mouse hesitantly at first, then more confidently. If the Ryan reduced
to his simplest expression, huddled in a corner of his consciousness,
had realized what the other was doing, he would probably have tried
to oppose it with all his might. This Ryan, however, had no more
strength than a larva, and the only emotion he was still able to feel
was terror.
The
fingers stopped, the computer shut down. In the luxurious apartment,
nothing was moving now. For the next two days and nights, the being
who occupied Ryan’s body remained in the dark. Most of the time
frozen, he nevertheless alternated between sitting and standing
positions for the sole purpose of maintaining a certain dynamism in
this receptacle and satisfying its basic needs. He did not answer any
call and ignored the pleas of the carnal envelope, which first called
for food, then to lie down and close his eyelids. He hardly allowed
himself to drink a glass of water twice during that weekend.
On
Monday morning, pedestrians in San Francisco, as well as motorists
stuck in the traffic, could have seen, if they had paid attention, a
man with a cadaveric complexion in his powerful Camaro. His eyes were
reddened by lack of sleep and he wore a three-day beard. The hostess
of Bluenak’s skyscraper, if she had not immediately turned away,
disturbed by the strangely fixed gaze, would have discerned the glow
of madness dancing deep in his eyes. Ryan’s few collaborators who
met or greeted him were intrigued by his absence of a response, and
some even felt disturbed by his pale skin and distorted face.
Something, however, an indefinable feeling of unease, prevented them
from inquiring about his condition. They, too, preferred to turn away
and go about their business as soon as they had the opportunity.
The
phone in Ryan’s jacket pocket emitted a nice jingle, without
provoking any reaction from the SMS recipient. The man with the stiff
gait had just entered his office. He only considered for a moment the
four ultra-flat screens and the comfortable, ergonomic seat. His head
bowed in a way so characteristic of the new occupant of this body.
Not without abruptness, he turned around and came back out. He passed
several offices before stopping sharply in front of Edward Holder’s.
He opened the door with a swift gesture, startling a young blonde
woman. His host’s memory informed him that she was Edward’s
secretary. The seat of the senior vice president of industrial
design, one of Ryan’s main competitors in the company, was empty.
“No
one warned you?” said the secretary in a voice that badly concealed
her trouble. “The meeting of the Board of Directors has been
brought forward.” She frowned as she watched Ryan lean sideways,
wondering if he had put drops in his ear. But he suddenly
straightened up and left without a word, with a mechanical gait. He
walked the corridors, took an elevator again, then new corridors. The
security guard outside the door of the Eisenhower room recognized him
and let him in. They were all there, Bluenak’s thinking heads.
“You
are the last one,” said the leader of the group in a gruff tone.
Chad Ecker wore a gray Italian-cut suit, had a shaved head, and the
profile of a bird of prey. “Please take a seat.”
There
were exchanges of knowing glances in front of the untidy face of the
import-export manager. The interested party did not seem to notice
them, went around the vast oval table and sat in his place,
stony-faced. As the indictment began, he scrutinized the various
speakers.
“I
have long wondered,” said Steve Perkins, vice president of hardware
engineering, “why Ryan wanted his computer to be exclusively
connected to Bluenak’s most powerful server. It was only recently,
after having had an interview with Edward, that I decided to
investigate the matter further. As it happens, our friend has
installed an extremely resource-intensive encryption program in his
system, coupled with an IP address jammer and random relocation.”
“What
is the purpose of this device, exactly?” asked the Bluenak
president.
“To
avoid any identification or geolocation. During a video conversation,
for example, it becomes impossible for an intelligence service or
spyware to trace the source of the signal transmission.”
“So
tell us what your interview with Edward was about.”
“He
made a very surprising revelation to me. I think it’s better if he
explains this to you himself.”
Edward,
who was three seats away from Ryan, stirred his white mane and
adjusted his wide rectangular glasses, ill at ease in front of Ryan’s
gaze. The head of design had trouble recognizing Ryan Cochrane when
he entered the meeting room. His gait different, his stance other
than the one he was familiar with, he didn’t seem like the same man
anymore. “We know that Bluenak has been accused by some TV news
reports of promoting corruption in the Democratic Republic of
Calango. In order to continue to benefit from the advantageous prices
on the rare minerals of Calango, and to escape the media pressure,
you instructed us, Mr. President, to keep a low profile and make as
few waves as possible. Last Monday, I worked later than usual on the
Bluenak XII. As I walked down the hall, thinking I was alone, I
was surprised to see that our import-export manager’s office was
still lit. I opened the door to greet him, but I stopped when I saw
that he was in the middle of a video conversation. I regret to have
to inform you, but I heard him say that "N’Kanlo should no
longer be a problem", and that his interlocutor "should
take care of him". I couldn’t see who he was talking to,
because the angle of his office didn’t allow it, but then there was
talk of a $2 million payment.”
“Payment
that was made the very next day by one of our offshore companies in
the Caymans,” said Nick Janssen, the financial director.
“I
was so shocked that I left without any further ado,” said Edward.
“I couldn’t believe what I heard.”
“And
that’s why you didn’t open up to me, or to Steve, until after
N’Kanlo’s murder.” The president stared at the other members of
the board. “For those who are wondering,” he added, “N’Kanlo
is the main political opponent of our friend, President Koudrisse. Or
rather, was.”
Edward
was preparing to nod when the chair on which Ryan Cochrane was
sitting rolled backwards. Before it even had time to bounce off the
glass wall, Ryan had rushed to Edward, squeezing his throat with both
hands.
The
first to react was the senior manager directly in front of Edward. He
grabbed his smartphone and started filming, which no one noticed in
the general confusion.
Cheryl
Clark, the Human Resources Director, was a nervous and dry little
woman. Seated right next to Edward, she was probably the one who
saved his life that day. She had taken self-defense classes, and her
knee kick in Ryan’s genitals, if it didn’t make him completely
let go, forced him to loosen his grip. Perhaps ashamed to see a woman
react before them, the closest executives in turn threw themselves at
Ryan, amidst the appalled screams and desperate calls from Chad
Ecker, the president, for security. Dragged by Ryan, Edward found
himself on the ground. A grotesque mound of five men was piled up on
Ryan, without any of them succeeding in making him let go. It was not
until two guards, each weighing more than a quintal, intervened that
the madman’s hands were finally removed. Edward’s throat had
turned blue.
Ryan’s
inhuman rattle then gave goose bumps to everyone who was watching the
scene. The gigantic effort he made rejected two of the senior
managers from his side, but the others, encouraged by the presence of
the guards, were still clinging to him. At that moment, the glow of
madness disappeared from the eyes of the import-export manager. His
expression had become that of a man in the grip of terror. “It
wasn’t me,” he panted. He hiccupped as he sought his breath, and
managed to release one of his hands, which he pressed against his
heart. The sigh he then gave was the last.
Among
those present, many later claimed to have seen a blurred silhouette
emerge from Ryan’s body before disappearing. Everyone agreed that a
chilling draft had passed through the room.
2. Seventh Heaven
Vick Lempereur had not inherited his mother’s skin tone or red
hair. He had brown hair and a face without freckles. Why he was
standing next to her having a picnic near a lake, he couldn’t have
said. She smiled as she ruffled his hair. The gesture reminded him of
something. It was so far back in a happy time that Vick thought he
had forgotten it. His mother’s joy, the sheen of her radiant face,
the brightness in her clear eyes were unbearable. She sent back a
frisbee in a carefree gesture and burst out laughing when it landed
in the lake, splashing the man in charge of receiving it. She was
young, lively, alert. Her smile lit up the world, her laughter made
it dance. More than any other, Vick cherished those intimate moments
when, in the evening, she would tuck him in, tenderly replace a
strand of hair falling on his childhood eyes, grab a storybook and
begin to tell him a story with her voice that often went into the
high notes.
The setting remained the same—his childhood bedroom—but the joy
in Vick’s heart had given way to diffuse anxiety. Shouts. His
parents were bickering. For some time now, his father had been coming
home late at night, and Vick couldn’t understand why his mother was
blaming him for drinking. Drinking was natural, wasn’t it? And
then, one night, Vick heard a thud in the bathroom. “Mom?” he
called. She was there, he was sure, but she hadn’t answered. As he
stepped into the hallway, his father’s figure was quickly moving
away. He had entered the bathroom and got scared when he saw his
mother lying on the floor, trying to get back on her feet. Blood
running from her mouth. “I… I slipped,” she explained in a
hoarse voice that he hadn’t recognized.
Months later, Vick had realized what it meant to be “drinking” in
his father’s case. His swaying gait, his breath smelling of cheap
wine. His blows. Vick had collected his share, but his mother…
And now she was standing there, in front of him, begging him to do
something, to help her. Her face, year after year, had lost its
radiance, irremediably tarnished. Her arms, calves, thighs marbled
with blue stains. The spark of hope and life had vanished from her
eyes, extinguished by the oppression of everyday life. Fear had
become the permanent resident of that maternal face, the eyelids too
often squinting, the shoulders arched under the blows. The terrible,
relentless, unpredictable violence had made his mother a fearful
being. And the feeling of revolt, always growing stronger, had taken
root in the hollow of Vick’s stomach.
He woke up with a lump in his throat. It was not a ghost he had just
met, unless they also manifest themselves in nightmares. The very
prospect of one day being confronted with his mother’s spirit, who
would not have found rest because of her violent death, made Vick
deeply uncomfortable. “It makes you pissed off,” he articulated
in a rocky voice as he sat on his bed. He had never really thought
about it since the time when this gift, or this curse, had been
imposed on him in Africa—the possibility of feeling the dead, of
discovering through them certain past episodes. The danger, too, of
suddenly being invaded, possessed by one of them, subjected to its
slightest whims.
Bare-chested, Vick went into the bathroom to relieve his bladder,
wash his hands, and do his ablutions. He wondered, as he looked at
the decrepit walls of his shabby apartment, whether that nightmare
was not linked to an underlying anguish. Even if the rent was rather
low here—Ivry-sur-Seine was far from being the most upscale suburb
of Paris, and this apartment was clearly not the Ritz—his job as a
private detective had its ups and downs, as did most freelance jobs.
At that point, he was in a period of lows. He would have to update
his ads on the net and with local merchants, a prospect that hardly
smiled at him, judging by the gloomy look on his face in the mirror
above the sink. His hands still wet, he smoothed his brown hair,
streaked with a white line. His square jaw revealed his energetic
character, but Vick now knew that the most wonderful energy could be
swallowed up in the slump of an everyday life that was too routine.
He avoided alcohol, took care of his body, and even got a few
adrenaline rushes while kickboxing, but it seemed artificial compared
to some episodes in his past.
He grabbed the shaving cream, smeared it on his face and began to use
his razor with dexterity. The brightest torches, he knew, were the
ones that burned the shortest. He could have been one of those
torches if life had not taught him something else. This did not mean,
however, that one should indulge in mediocrity.
After his bodybuilding and jogging sessions, Vick returned to his
apartment and turned on his laptop, heading for the Great Dump of the
Internet. A fluctuating mess, which his files and bookmarks struggled
to organize. No job was showing up, and his phone was desperately
silent. As for his messaging service, it was limited to automatically
sending spam back to the “unwanted” folder. Vick decided to visit
the news sites, as he often did in his moments of uncertainty. In
addition to its utilitarian function, surfing the Internet could
become for him another journey, a new wandering. He found himself on
the CNN website. The video before him, in high definition, must have
put the smartphone’s image stabilizer under torture, as it was so
swaying. It showed a dynamic young executive trying to strangle
another individual in a suit and tie. There was a glimmer of madness
in the young executive’s eyes, but the rest of his face was cold
and calm. The man acted methodically, unwavering in his resolution.
An expression of pain suddenly appeared on his face, then different
people—men—threw themselves at him, and the video turned into a
confused melee. The discrepancy with the solemnity of the places and
costumes was both unusual and comical. According to the presenter,
while the victim of this madness, Edward Holder, escaped with a
hospitalization for tracheal crushing, Ryan Cochrane, the attacker,
had died from cardiac arrest. Just before freaking out, this Ryan had
been accused by the board of directors of having commanded the
execution of a political opponent of the Calango president named…
The doddery ringing of the doorbell suddenly resounded. Vick got up
and went to open the door. Those green, pretty, sparkling eyes
belonged to Valerie Bastel—none other than the heiress of the
Dactel group, who had been able to take over the reins of her
father’s company thanks to a monstrous mistake made by her
progenitor. Her two thousand euro heeled shoes were probably not used
to treading on the floor of a slum like his own, and yet the princess
quickly stepped in, an ironic smile on her thin lips. Without taking
offense at the ambient disorder, she handed him her long coat with a
synthetic fur collar, along with her handbag.
Vick gave her an appraising glance. The young woman’s auburn hair,
for once loose, fell back on her suit, and her shimmering miniskirt
highlighted the curve of her perfectly proportioned legs. By the time
he had laid the coat on top of his couch and put the bag down,
Valerie had already turned to his computer.
“Are you watching CNN?” she wondered. “And
you understand?”
“Hello,” he replied with annoyance. “I’m
glad to see you too.”
“Hello, hello,” she said. “I know you’ve
never been very adept at polite formulas.”
“Still. We need a minimum of them.”
“I like it when you’re grumpy,” she said,
sticking an index finger to his lips. “You don’t seem overworked
right now, do you?”
Vick composed an impassive face. “Apart from my four appointments
by the end of the day, you mean?” He smiled as he saw her put her
hands on her hips, looking surprised. “What brings you to my
palace?” he asked.
“When did you learn English?”
Valerie knew him. She was aware that his schooling had been cut
short. That he had left one day, still a teenager, on roads from
which few had returned.
“When traveling, it’s better to know English,”
he replied. “Especially when you go to the Internet cafés, and you
plug into the local news. Or when you try to make yourself understood
because you don’t speak the local dialect.” As he spoke these
words, images of Mauritania, and one of the longest trains in the
world, came back before his eyes. He had acquired some basic
knowledge of several languages, including Wolof, but English was
often an essential crutch.
“Interesting,” she commented. “Do you have
anything for me to drink?”
Without answering, Vick moved into the cubbyhole that was used as a
kitchen. He opened a cupboard, from which he took out a bottle of
vodka, and brought two glasses.
“To the good times,” Valerie said, with a
broad smile.
They drank, and Vick let the liquid fire go down his throat, a lava
flow that made him forget for a moment the wintry drafts of his
poorly insulated apartment. “What brings you here?” he insisted.
“Later,” she said as she approached him. Her
subtle perfume was almost as intoxicating as the vodka, and her eyes
riveted to his own were globes of unrelenting magnetism. She put her
glass down, then placed her hands on Vick’s hips, pulling him to
herself.
He put his own hands on Valerie’s shoulders, and pushed her away.
“You can’t do that,” he said.
“What?”
“Coming here, and just… having fun with me.
I’m not your sex toy!”
She took her hands off but kept the same distance, only a few
centimeters from Vick’s lips. “Because you’ve never done that
before? Had fun with a passing woman you’ve never seen again?”
“Yes, but…” He stopped, looking for an
argument.
“But you’re the alpha male, and you want to
master the rules of the game.”
“It’s a bit like that, yes,” he conceded. “I
don’t like to be led around by the nose.” Vick knew Valerie had
married her company. As long as she was so committed to it, he could
only play the role of a spare part in the life of the prestigious
heiress.
“Or by something else,” she said, laying her
hand squarely on his crotch. “And why don’t you just enjoy the
moment? Are you afraid I’ll break your heart?”
Vick winced, but did not try to push her away again.
“We’re both beyond that now, aren’t we?”
she whispered in the hollow of his ear. “We know where we stand.
And for once, it would do you good to drop your armor. To let
yourself be guided. Don’t tell me you’ve never learned to seize
the opportunity in your life as an adventurer.” As she said these
words, her hand rubbed him expertly, and Vick felt his sex
stretching, hardening.
He gave a growl and drew her against him. His kiss was so intense
that their teeth clattered, and she gave a little scream as she
backed her head away. Immediately afterwards, however, as he was
beginning a “sorry,” it was she who closed his lips with hers.
Their tongues brushed against each other, then touched with
increasing sensual delight. Valerie’s agile fingers pulled up
Vick’s sweater, pulled his shirt from his pants. Her fingers, then,
silky and fresh, slid over his abdomen.
Vick was not wasting his time either. He had undertaken to unbutton
the young woman’s jacket, before continuing with her blouse. Very
quickly, they both found themselves naked as newborns, their hearts
beating under the shared, as well as anticipated, pleasure. Vick
slipped a drawer from his bedside table, but Valerie, guessing his
intention, stopped him.
“No need, I’m on the pill. And I have
confidence.”
She massaged his sex, surrounded him with a wipe removed from her
handbag, cleaned him and went so far as to take him in her mouth,
moving her tongue with an unspeakable sweetness. Then, Vick forgot
everything, and let her do it when she pushed him back into bed, then
started riding him, proud Amazon finally taking her reward. Still as
supple as ever, she sucked him in and kneaded him. She made the
pleasure last at least as long as the first time, bringing Vick to
the brink of ecstasy on several occasions. She slowed down her
movements in time, more attentive to his sensations than he would
have thought at first. Vick felt like an instrument that a sorceress
would have played, but he let himself be played, until he was swept
away by a flood of pleasure that left them both sweaty and panting.
“Wow!” Vick said.
“Without control, power is nothing,” she said,
leaning her hand on his hairy chest and stroking his face with her
hair. “That’s my motto.” She winked at him.
Vick smiled at the reminder of an advertising slogan.
She got back up and walked to the cramped shower, displaying her
smooth, muscular buttocks. Once both had been cleaned, dressed, and
recovered from their emotions, Valerie tackled the object of her
visit.
“Did you know that Dactel has a subsidiary in
the United States, specializing in meat production?”
“No, I didn’t know that.”
“I’ll tell you about it. It is Future Meat.
The company is located in Silicon Valley. It produces entirely
synthetic meat.”
Vick raised his eyebrows.
“You know, meat in vitro, from stem cells. At
the cutting edge of technology. At least in principle,” she sighed.
“I thought you wanted to go organic.”
“One does not preclude the other. Let’s just
say it’s a different way of approaching the problem. I wouldn’t
tell you anything new if I told you that Americans are avid meat
eaters. The concern is that the way they raise livestock—the
intensive way—tends to concentrate methane.”
“Cattle farts,” Vick interrupted. “Yeah,
I’ve heard of it. It is said to be one of the causes of global
warming.”
“Or at least an aggravating factor. However, our
cousins in America are not going to change habits that go back
several centuries in an instant. The best way is to adapt, by
offering them a product that is in line with their habits, but that
limits emissions into the atmosphere.”
“And that’s where Future Meat comes in.”
“That’s right! The concern is obviously to
create the same texture and taste from muscle stem cells—I’ll
spare you the details.”
“Thank you.”
“It’s still very expensive, and there are
quite a few tests to pass before moving on to mass production. The
problem is that, for some time now, work has been stalled in this
subsidiary. We are standing still, and as a result, we are falling
behind schedule.”
“Would you like me to investigate that?” Vick
understood why Valerie usually tied her hair in a ponytail. Thus
detached, she lost the perfectly strict look of the CEO of one of the
largest agri-food groups in France, one of the very rare women at the
head of a CAC 40 company. She was becoming, this other side of
herself, a sexy creature.
“I studied the explanations given to me
closely,” she said, “and found inconsistencies. We have the best
specialists, and yet we are being overtaken by our competitors in
Holland. There’s something very wrong there.”
“What will my pay be?”
“Five thousand euros per month, all expenses
paid.”
“Are you giving me an advance for half of the
first month?”
“No problem.”
Vick smiled brightly. “I like to travel.”
She stared at him with a suspicious look. “Provided you are the one
who takes off,” she said, touching his chest with her finger. “Not
your expenses.”
“You know me. I know how to be reasonable.”
She seemed to wonder for a moment if he was not making fun of her.
“You’ve proved yourself,” she finally admitted. “We’ll stay
in touch throughout your investigation. I have already applied for a
work visa at the American Embassy.”
Vick had a dreamy look at the thought that they had just reached the
seventh heaven before she sent him up there into the sky.
3. The Invasion of a Defiler
Vick’s hands released their grip on the armrests of his seat. The
Air France Airbus A330, after a flawless, albeit somewhat
abrupt, landing began its approach maneuvers on the tarmac at JFK
Airport in New York. Was it condescension in the stewardess’s eyes,
or was Vick’s sensitivity making him paranoid? His past as a
vagrant had made him a traveler, but he had never been on a plane
before. Even when he had left the African continent for his return to
France, he preferred the boat, which was more discreet for his taste.
The flight attendant grazed him and continued along the central
aisle, spreading a smell of jasmine behind her.
Vick intertwined his fingers and stretched his arms. He had had a
knot in his stomach all along the journey, and knew that his face had
not yet regained its usual color. A number of the passengers had
their phones in hand. Vick took his out of his jeans pocket and
turned it back on. At a glance, he checked his geolocation on the GPS
Tracker app, which was also used by his contact in New York. Once the
connection was established, Jeffrey Henderson’s profile appeared
nearby on the map. With his semi-long hair styled backwards, his
hooked forehead and rounded cheeks, his appearance was that of the
executive blending in with the crowd, very quickly forgotten as his
features were not memorable. He was a childhood friend of one of
Valerie’s ex-boyfriends, the son of a divorced Franco-American
couple, who had joined his father in the United States after high
school. His employment with the NSA, the American monitoring agency,
would only allow him to give occasional assistance in the upcoming
investigation, but Vick had felt that Valerie considered him a trump
card in her game. He didn’t know what Jeffrey would get for his
services, but he suspected that this kind of character never acted
for free. Money, moreover, was perhaps only secondary in the market
they had made, Valerie’s network of influence also playing in her
favor.
Outside, large snowflakes were falling. The inclement weather had
forced the aircraft to make endless rotations before being cleared to
land. Getting stuck in an air traffic jam, when the purpose of a
plane was to save time for its passengers, had given Vick the
impression of being a shadok, one of those stupid cartoon birds whose
lives were ruled by absurdity. He was looking forward to stretching
his legs, and he briskly took the path to the terminal once the
bridge had been secured. As planned, Jeffrey met him in the waiting
room of his connection. He was taller than Vick, stouter than Vick
had imagined after their Skype conversation two days earlier.
“Hello,” said Vick.
“Hello, dear friend!” replied the man, shaking
his hand vigorously. “We only have a quarter of an hour before your
connection. Let’s go sit down.”
Jeffrey led him to unoccupied seats far enough away from the other
passengers to ensure relative discretion. Calls rang from time to
time. The atmosphere was the feverish and buzzing one expected of
this type of transit place.
“I need you to confirm to me, face to face, that
your employer wants to put Mr. Roger Lindbaum under
surveillance.”
Roger was the Managing Director of Future Meat, the scientist in
charge of Dactel’s US subsidiary. Due to his extensive
prerogatives, Valerie considered him the number one suspect in the
stagnation of the high-tech company. Of course, Vick would have to
broaden his search if this first lead didn’t work.
“I can confirm that,” said Vick.
“Good. We are discreet, of course, but there is
always a risk that this kind of surveillance will turn against the
silent partner. I’m acting completely unofficially, and the NSA
will deny any involvement in this case.”
“I haven’t met you,” Vick assured him.
The agent took an object out of his pocket and presented it to him.
“This flash drive contains the information we have on this man. You
will also find the address of the folder in the cloud where you can
retrieve data about his daily activity.”
“Thank you,” Vick said, pocketing the key. He
knew that neither their meeting at this airport nor this object was
necessary. Jeffrey could have emailed him a link to this data—hiding
his tracks on the Internet was no problem for an NSA agent. If he had
wished this meeting, it was because the man wanted to evaluate the
importance of this mission in the eyes of Valerie Bastel, and to
assess the detective whom she had sent. They probably wouldn’t see
each other again anytime soon, it was only natural.
“This is the raw data from his work computer
that you will have access to. It’s up to you to go through it. If
you need anything else, you can contact me, but you’ll understand
that it must be precise enough and that it doesn’t take me too
long.”
“Of course,” Vick said. “Thank you for your
help.”
They said goodbye, and Vick wondered as he watched Jeffrey walk away
in his black coat if he and Valerie hadn’t made a pact with the
devil. It probably wouldn’t be the first one in his life, but he
remembered a not so distant period when he found himself on the
opposite side of the fence. A period during which he could not have
considered this type of collaboration without a feeling of revulsion.
Vick completed the remaining six hours of flight to San Francisco by
focusing on sudokus and other puzzles. This did not prevent him from
tensing at each air pocket, but he no longer had the impression that
his seatmate looked at him nervously as had been the case when he
left Paris. The time difference made the trip quite disturbing. Time
seemed to slow down, or stretch, as the total of fourteen flight
hours only pushed the clock back five hours. Once the control
formalities were completed, Vick took care of his luggage before
picking up from the automaton the ignition key and papers for his
rental Ford Edge. He had taken it in charcoal-grey, with the idea of
making it as anonymous as possible.
Although he had previously located the premises on
the Internet, for safety reasons, Vick set up the GPS. He headed
north from San Francisco before entering the huge Oakland Bay Bridge,
which led him along Treasure Island, and very quickly reached his
goal, the Courtyard Hotel
in Emeryville. A four-star was the minimum to make him forget its
location too close to Interstate 80, the highway that went up to
Berkeley and Richmond. Especially since the bank card that Valerie
had given him proved to have a pleasantly high daily limit.
The green letters “Courtyard”, visible from
far away in the night, were a rallying symbol. Even by the gleam of
the stars and streetlights alone, the mass of the building was
overwhelming. In this season, the hotel was not very busy, so Vick
had no difficulty parking the Ford. Despite the cold weather, the sea
air tickled his nostrils as he walked towards the entrance to the
building. With its upside-down dome chandelier, its imitation wood
casing and its numerous spotlights, the reception gave an impression
of space, serenity, and modernity. The Asian working the front desk
despite the more than late hour gave Vick the magnetic card giving
access to his suite with a view of the sea. The wallpaper in his
luxurious eighth-floor room depicted clouds in the sky, which was a
good thing since Vick had been almost walking on air cushions since
he had entered this hotel. It was to be wondered if his filthy pad in
Ivry was an insult to human dignity, or if, on the contrary, it was
not this suite with a wall screen overlooking the bar that, from the
top of its arrogant sumptuousness, spat on all the beings who could
not afford to open the doors of this Eden. Vick was aware that the
hotel was not the height of luxury, however, the difference with his
daily life—not to mention his past—was too blatant not to be
blindingly obvious.
“You should
send me on an all-expenses-paid mission more often, Valerie,” he
muttered.
He plugged in the ultra-thin laptop she had given him for the
occasion and sent her a message to let her know that he had arrived.
Before going to bed, he checked the pairing of his smartphone with
the software installed in the laptop, then went to open the electric
blinds in the room, in order to be woken up as usual by daylight. The
wide bay window would offer him quite a spectacle in the early
morning, but for the time being, the cloud cover did not allow him to
observe the stars and everything was dark outside. The bed was as
large as it was soft. Sprawling in it gave him the feeling of
desecrating a sanctuary. His hand was wandering with amazement on the
silky synthetic fur. It was another dimension indeed, forbidden to
people of his kind. He had already slept in a similar bed at
Valerie’s, but this time it was different—his room, his bed, at
least for the duration of the mission—and it gave him a little
thrill of excitement.
The next day, before tackling Jeffrey Henderson’s USB key, Vick had
a hearty breakfast delivered for him. His English had not had much
time to become rusty, despite some hesitations. He stood up several
times, a croissant in his hand, to observe the view. Just under the
hotel, the Interstate was unrolling its stream of vehicles that
sometimes reflected the brightness of the morning’s timid sun.
Beyond that, it was the ocean of San Francisco Bay, including
Treasure Island, and the must-see Oakland Bay Bridge, which he had
taken the day before. From studying the map, Vick knew that Alcatraz
Island was further along the street, and, always in the same
direction and further away, the famous Golden Gate, the red
cable-stayed bridge in San Francisco. These vast expanses made him
want to inflate his lungs, which he did. There was at least something
familiar in this novel view before him, and it was the perfume of
adventure and the unknown.
A map of the hotel rested on the living room table. Vick studied it
before going to the fitness room. So early in the morning, this one
was deserted. He therefore inaugurated the treadmills and elliptical
devices, and only abandoned them after a solid half-hour session.
Back in his room, returning to computer work seemed trivial, even
sinister considering the incomparable environment, and all the new
things that awaited him in this city. Vick nevertheless set about it.
Valerie had given him free rein in his investigation, and Vick, at
least initially, had focused on external monitoring. According to the
boss, Future Meat only employed about 50 people. An undercover
mission, for a Frenchman like him, in an establishment where everyone
knew each other, had little chance of success. Being able to access
the contents of Roger Lindbaum’s—the boss’s—computer was, of
course, an asset, but Vick would probably also have to start
researching each of the employees. This would be a painstaking job.
If there was a traitor at Future Meat, and it wasn’t the Director,
Vick would have to limit the scope of the investigation to a few
people before asking the NSA spy’s help again. Otherwise, he would
be buried under a mountain of data.
Roger Lindbaum, in the photo stored in the USB
key, had sideburns, mustaches, and a very fluffy black beard. Marked
dark rings under the eyelids could indicate a hard worker or a
partygoer. Square spectacles, deep gaze. According to his bio, he was
married, but without children. By choice, most certainly. Double
doctorate in physics and chemistry at the University of Berkeley—a
“brainiac” as one would expect. His wife was a renowned
decorator, the couple lived in wealth.
After going through the elements of the file, Vick went to the cloud
to get to the core of the work, the study of the data on Roger’s
computer. Many documents far exceeded his competence. Vick was unable
to determine whether or not the director was hindering the running of
his business, so he had to focus on the details that seemed unusual
to him. He started going through the emails sent by Roger. After
several hours of unsuccessful research, he’d had enough and decided
to switch to field surveillance towards the end of the afternoon.
4. The Eye of the Condor
Located at the intersection of Hollis Street and Powell Street,
Future Meat’s building, wider than it was tall, was distinguished
by its rectangular blue windows. Their more or less dark shades of
color brought to mind a checkerboard. Vick parked in front of the
entrance, in a restaurant parking lot. Valerie had provided him with
cutting-edge equipment for this mission, and Vick was pleased to
direct one of his new toys, a 300 mm Telephoto Lens Canon, to
the main access to the building. Everything was quiet. Among the few
employees who went down to have a smoke, he didn’t recognize Roger
Lindbaum’s face. It was strange to think that only a few blocks
away were the Pixar Studios. The pinnacle of animation technology…
Similarly, this building across the street, and many others in the
area, were at the forefront in their respective fields. Seen from the
outside, however, you would have to be very clever to guess it.
Nothing distinguished the structures housing futuristic startups from
their neighbors.
Vick took his eye from the telephoto lens and looked around. The city
was as crisscrossed as a crossword puzzle. Everywhere there were
avenues, boulevards, and streets, without the general appearance
being too concrete. The greenery had something to do with it and, in
particular, the green flow of Emeryville. This, and the colors of the
buildings, some of which alternated yellow and purple.
Vick put the camera down to grab the case containing the laptop
computer. A few clicks later, he found himself on the part of the
cloud to which his NSA buddy Jeffrey had given him access. New data
had appeared since the previous day. On the upper right corner of the
screen, Vick learned that the PC was on and its user active. The rest
of the data, unfortunately, did not appear in real time, but knowing
at any time if the CEO was in front of his screen was already an
asset.
Vick set his laptop to power saving. He shifted his legs. The cold
was gradually seeping into the car, and despite his fur-lined leather
jacket and scarf, Vick was beginning to feel numb. He had resolved to
turn on the engine only if it was really necessary, in order not to
attract attention. When the program informed him that Roger’s
machine had been turned off, Vick watched the entrance with renewed
vigilance. Evening was falling on the city, a fact that was
irrelevant to the sensors of his camera, which allowed him to see as
if in broad daylight. It was 6:05 p.m. when the CEO of Future
Meat, accompanied by several executives, left the building. Most
business owners of this type of company did not count their hours,
and Vick had expected to have to wait much longer. After taking a
series of shots, especially close-ups of the CEO, he set aside the
telephoto lens and pulled out his phone, activating the special
application that Valerie had made him install. In a smooth movement,
he got out of the car. Already, Roger Lindbaum was heading towards
his own vehicle after taking leave of his colleagues. Vick approached
the CEO from the back. When he was less than five meters away, he
looked at his mobile phone screen, and slipped his index finger over
the cloning button.
To open his door, Roger simply pressed the
integrated handle. It had “Model S” on the back, with a “T”
in the middle of the trunk, a brand Vick didn’t know about. He
passed by without stopping, without a glance for the occupant either.
Given the sporty appearance of the car, Vick was expecting an engine
roar. He was surprised by the almost silent start—obviously
an electric model. As he crossed the street back to his Ford, he
checked his smartphone. The cloning had worked. Once he had returned
to the driver’s seat, all he had to do was activate the map
tracking mode, which he did. The dot that pointed to Roger’s car
appeared on the screen, in motion. Vick fixed the device on his
dashboard and started his tail. Unsurprisingly, it took him to one of
the upscale residential areas, to the director’s home. Vick then
went back to his hotel.
In the following days, he continued to alternate the monitoring and
analysis of the documents on the computer with the surveillance in
the field. Cloning the cell phone was very useful to leave enough
distance between him and his prey. Vick could also listen to the
conversations with complete discretion, and know what applications
the manager was using. There again, no surprises. The man seemed to
lead a well-regulated life, characterized by respect for schedules
and the practice of rather reasonable non-professional activities,
such as golf or bowling. “He’s ticking over,” Vick summed up
when he had Valerie online on WhatsApp. “Maybe a little too much
for the boss of a subsidiary like Future Meat, but hey…”
“I have known him much more invested, no doubt.
I could have him dismissed, or move him to an additional department
to limit the compensation, but that would probably not solve
anything. The problem could be repeated with another leader. Besides,
specialists of this level are not to be found on every street
corner.”
“That’s for sure.”
“Something must have happened for his motivation
to collapse like that. Keep investigating, and don’t hesitate to
ask Jeffrey for help if you come across a document that intrigues
you.”
“You are the one who pays, princess.” Vick
smiled. She had this little frown that she liked so much. Titillating
her had a certain spiciness, it had to be admitted, and the allusion
to the “company expenses” while he was in this luxurious suite
was lovely. However, Valerie was content to question him about his
acclimatization to his new American life.
“A real torture,” replied Vick, not without
irony. “I’m out of my comfort zone. You wouldn’t believe it!”
“It doesn’t look like it. You look pretty
good, I think.”
“I’m kidding,” he said. “The food is
sometimes a little weird, but you get used to it. When are you
joining me? They have a good fitness room here.”
“If you can solve this case, maybe soon. As the
Americans say, "no pain, no gain".”
“I’ll give you a heads-up, then.”
“I’m counting on it!”
A new week passed, without the Director of Future Meat changing many
of his itineraries. Vick had finished examining those of the
documents that were understandable to him given the state of his
knowledge, as well as the numerous emails, without detecting anything
suspicious. Roger Lindbaum deleted them frequently, but it was a
standard security procedure in a company that could be the subject of
industrial espionage. This did not prevent Vick from analyzing the
deleted messages, because once they were sent, they remained stored
in the cloud through Jeffrey’s spyware. The sprawling power of the
NSA was something to make you think about. Vick understood that the
intelligence agency had already prevented foreign companies from
conquering certain markets abroad. Its big ears had allowed it to
warn American companies of their rivals’ next plans of action, so
that they could pull the rug out from under their feet. Since he had
obtained an overview of the agency’s capabilities, the idea no
longer seemed to come out of the conspiracy theory at all.
The hardest thing to bear was the endless hours of hiding in his car,
which was gradually overwhelmed by the cold. Apart from that, Vick’s
salary, and his current living conditions, gave him the temptation to
let his mission drag on. He knew, however, that Valerie would not be
fooled. He would very soon have to extend his research to Roger’s
most senior colleagues.
In order to learn about local customs—for
documentary purposes only, of course—Vick
had withdrawn good old green bills before going to the Condor Club in
San Francisco, at the other end of the Oakland Bay Bridge. He did not
need the visual power of the condor—nor
that of the eagle—to
distinguish all the details of the female anatomy.
Sitting in the comfortable armchair of his hotel room, he thought
with a vague bitterness of the incredibly sanitized, formatted
performances in the striptease club. His gaze on Roger’s email list
then triggered a warning signal in him. One of these messages was
simply called “M Report”. Sent to a Gmail address to a certain S.
Loan, so it could be either professional or personal. Vick opened the
attached files. These were activity reports, including Petri dishes
and incubators. Vick took the time to read everything, even if most
of the notions escaped him. However, a bold sentence caught his
attention. It indicated that it had not been possible to stabilize
the carbon dioxide level inside the incubators, which had blocked the
production of the famous meat cells. It was no surprise that the
startup would stagnate if the incubators were not stable. Something
told Vick that even if this problem were to be solved, others would
soon arise.
Instead of mentioning the email to Valerie, he
simply asked her by SMS, with confirmation by email, for access to
Dactel’s intranet. This was one of the interests of time
difference: where it was still dark in San Francisco, the day had
been up for quite some time in France, and the working people were
already busy. It took him an hour to recover the login and password.
Copying and pasting the email address into the Dactel directory was a
matter of a moment. Vick’s eyelids narrowed as he noticed the lack
of results. This mysterious S. Loan was therefore neither part of
Future Meat nor of its parent company, Dactel. Vick finally had his
first lead—a
lead that was all the fresher because the suspicious message had only
been sent a few hours earlier.
5. Spicy Sauce
When, after a short night’s sleep, Vick checked Roger Lindbaum’s
“sent messages” box again, he noticed, without real surprise,
that the email entitled “M Report” had disappeared. The latter
was also not included in the CEO’s basket. Its removal time, much
shorter than the others, confirmed its importance. As a precaution,
Vick had noted the recipient, S. Loan, on a piece of paper, but he
retrieved the entire email and its attachments from the NSA cloud in
the previous day’s history. He contacted Jeffrey, asking him to
find the physical and IP address of the computer that would open the
message.
“I’ll put an alert on the recipient,” Jeff
informed him soberly. “I’ll let you know as soon as anything new
comes up.”
The email in question was only opened at 4 pm, and Vick was not
informed until an hour later. The machine that had had access to the
message was located in an Internet café, the Texemal of San
Francisco. Upon hearing the news, Vick ran his fingers through his
hair, brushing aside in a familiar gesture the only white strand lost
in the chestnut forest. “It would have been too easy,” he sighed.
The attached files incorporated in the email would certainly be
enough to bring Roger Lindbaum down, but that wouldn’t really help
Valerie’s business. He had to do more and better. With no real
conviction, he took his keys, his briefcase, and left his hotel room.
At the end of the day, the majestic Oakland Bridge draped itself in
shimmering colors, the sun enshrouding the ocean below with golden
gleams. The landscape made Vick’s skin tingle, prompting him to
drive continuously, to escape and discover the infinite spaces of
this fabulous country. This impression was mitigated by the traffic
jams as soon as he drove into the city. It was rush hour, and Golden
City was no exception to this unpleasant and recurrent feature of
megacities. The part of San Francisco in which he somehow made his
way through, without skyscrapers, had rather neat and tidy buildings
on the whole. White alternated with ocher, pale blue with brick red.
The asphalt was often cracked, in worse condition than the buildings.
The streets were sloping, sometimes very steep, and the one of his
destination was no exception. The Texemal had a multi-story car park,
which allowed Vick to pull up without having to look for a place.
First, he walked out and examined the front of the cybercafe. Above
the INTERNET label in yellow letters on a burgundy background, a
banner indicated “Fair Trade” and “Organic Coffee”. Vick
smiled halfway. The ride here might not be a waste of time after all.
Few people were inside the bar. There were rows of laptops on one
side, and other machines on some tables. Often, customers were
leaning towards their phones, in the characteristic attitude of
people who, by making themselves virtually present, were absent from
reality. Vick went to the counter where a Latino man and his thick
mustache greeted him with a friendly “Hola!”
Vick took a pair of hundred dollar bills out of his wallet. “Hello,”
he said in English. “How would you like to make two hundred dollars
easily?”
The other frowned his broad but short eyebrows.
“I’m a private investigator,” Vick
explained. “I would need to access the recordings of your camera on
the frontage.”
Despite his reluctant pout, the bartender reached out to grab the
bills. Vick pulled them away without giving him time to take them.
“You’ll only get them if I can save the afternoon videos on my
USB key.”
“Yo entiendo,” said the other. “Come with
me, señor.”
Without further ado, the Latino opened the bar, then, as soon as Vick
joined him, a trapdoor in the ground, invisible from the outside. He
lit the light and preceded Vick to the bottom of a metal ladder
leading to a concrete cellar. Under the raw light of the neon lights,
boxes of spirits were lined up along the walls. A little further
away, a young woman in a red velvet dress and a white blouse,
installed in a pouffe, was playing on a console connected to a TV
screen. The Mexican ordered her in Spanish to replace him at the
counter, to which she reacted by sighing and getting on her feet with
reluctance. The Mexican led Vick to a dusty cubbyhole, equipped with
a simple basement window and where a computer on a table was next to
a spider in its web at the corner of the wall. He turned to Vick and
this time he pocketed the two hundred dollars. A few mouse clicks
further on, he displayed the afternoon video files. There were
several of them, the recording program taking care of saving them at
regular intervals, in order to avoid ending up with a single file
that was too large. This suited Vick perfectly, the USB key having a
relatively limited capacity. The videos were not of high quality, but
most of the faces were recognizable. The data transfer took about ten
minutes, during which time the Mexican asked Vick about the nature of
his investigation.
“If asked, you’ll say you don’t know,”
Vick said with a smile. “All you have to know is that I work for
the good guys.”
The man shrugged. He took out his phone and got absorbed in it,
without leaving the room. Vick had relied on the bartender’s
pragmatism, and was happy to realize that he had not been mistaken.
This was probably not the first time that this type of request had
been submitted to him. When the transfer was completed, he took his
leave, with the USB key in his pocket, his step a little lighter than
when he had entered.
Before calling on Jeffrey again, Vick took the time to watch some of
the recordings, in order to narrow the search to the two hours before
the email was opened. Then he called the NSA agent. Thanks to the
Dropbox links created by Vick, his contact had no trouble downloading
the videos. Jeffrey informed him that this time he would have to wait
a couple of days before getting an answer. As usual, the civil
servant could only help him in an unofficial capacity, and could not
free himself from his usual tasks in the immediate future.
Vick resumed his surveillance the next day,
alternating between file analysis and field observation. Since he had
cloned Roger Lindbaum’s mobile phone, he had been parking at
different locations each time, and always managed to get at least one
visual contact, often from a distance with the telephoto lens of his
camera. He did not notice anything unusual that day. Two days later,
on a Thursday, while waiting impatiently for the results of Jeffrey’s
recognition software research, his smartphone told him that the CEO
of Future Meat was in motion. It was only 3:00 p.m., which was
unusual. Vick was still in his hotel. Seized by a hunch, he grabbed
his jacket and equipment, and rushed out of his room. As soon as he
was installed in his Ford, he activated the “tracking” function
of his phone’s spyware. The program then calculated the route to
Roger’s moving vehicle. Vick could have simply taken the address
once Roger’s car arrived at its destination, if his intuition had
not been accompanied by a sense of urgency. He started driving on the
threshold of the authorized limits—the
country’s cops were not kidding about law and order. His itinerary
had nothing to do with Roger’s rather posh neighborhood in southern
Berkeley. This time, the Director of Future Meat crossed the Oakland
Bridge towards San Francisco. Vick had fallen a little too far behind
to spot the Tesla—he
had looked it up, it was the mark of his prey’s electric car—but
his heart beat faster when he recognized the cybercafe sector. By a
twist of fate, his phone took him a stone’s throw from a homeless
shelter, the Next Door Shelter. The signal came from a rather
ordinary four-story building. Instead of trying to get in, Vick
activated the audio functions of the spyware. Roger Lindbaum had made
the mistake of leaving his phone on, and soon, female sighs and moans
alternated with growls of pleasure from a deeper voice resounded in
the Ford.
“Well, my son of a bitch…” whispered Vick.
“Your tackle may not have been homeless, but it looks like it found
a new refuge.” He again adjusted the software’s geolocation
tracking function. This one had a pitfall: the floor of the building
was not indicated, which meant that it would have to be scanned at
each level. Not the best way to go unnoticed… However, he had to
take at least one picture of the stranger who had succumbed to
Roger’s charm—unless
it was the other way around—and
time was running out. As soon as they separated, Vick was going to
lose track of the woman, yet he also needed her exact address. He was
about to get out of the Ford when his cell phone rang.
If it had been anyone other than Jeffrey, Vick would have dismissed
the appeal. He took care to disable the voice function of the spyware
before picking up the phone.
“The software matched with a profile, but I’m
not at all sure it’s the right one,” the agent informed him. “She
is in our files because she is an activist who has participated in
several demonstrations—a
vegan blogger.”
“Okay,” Vick said. He sniffed dryly. A vegan.
It didn’t seem to fit. What would be the point of a vegan blocking,
or at least delaying, research on synthetic meat? Meat that could
save the lives of millions of cattle? And yet, Sloane Kinsley… The
intercepted message, which had sent him on this track, was addressed
to S. Loan. As for the address, it corresponded to the building not
far from where Vick had parked. The pieces of the puzzle were
nonetheless coming together.
“Are you still there?” Jeffrey asked.
“Yeah,” replied Vick. “Would it be possible
for you to monitor the movements on Roger Lindbaum’s and this
Sloane Kinsley’s bank accounts? I think that’s the last piece I
need.”
“This should not be too much of a problem,”
Jeffrey said. “The president of a company like Future Meat and a
vegan. It’s a strange mix…”
“It seems to produce a rather spicy sauce,”
Vick commented. “Ah! The pictures have arrived.”
The snapshot from the NSA files showed an immediately visible
difference with the freeze frame in front of the Texemal café. Where
the NSA image showed a pretty brunette with opal eyes, the same hair
curls were blonde in the photo, of relatively poor quality, taken
from the video. On the other hand, the facial features matched.
“I have to hang up,” said Vick, “I’m on a
tail. In any case, a thousand thanks, that makes us take a giant step
forward!”
“You’re welcome.”
Vick was hoping to take a
picture of Roger with the vegan. His expectations were disappointed:
the CEO of Future Meat left the Polk Street building unaccompanied.
His face, which he captured in close-up, far from being that of a man
who had just had a good time, was haunted. Waxy features, arched
shoulders. His gaze, behind his square glasses, was lost in an abyss
of despair. Looking at him like this, Vick wondered what really
happened with that Sloane Kinsley. He had only been spying on them
for the beginning of their lovemaking because of Jeffrey’s call.
Vick had already met this kind of gaze in Africa, among those of his
companions at the time who had not learned to silence their
conscience after a murder. Could it be that Roger, under the weight
of guilt or blackmail, could commit the irreparable? Vick was eager
to go to her apartment to check on the blogger’s health, but he
decided to abstain for the time being. Instead, he continued to
observe the comings and goings around the building. His concerns,
however, only increased as he did not see her come out all evening.
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