jeudi 11 juillet 2019

Je ne respecte pas les éditeurs

Que vous soyez auteur autoédité, auteur hybride ou auteur traditionnellement publié, je vous conseille, à vous aussi, de ne pas respecter les éditeurs. La fonction Gardien du Portail des éditeurs a en effet mis un terme à de nombreuses carrières artistiques prometteuses et talentueuses. Je connais au moins une personne qui m'est très proche dans ce cas. 

Prenons tout d'abord les auteurs traditionnellement édités. Dans l'imagerie populaire, un auteur édité à compte d'éditeur, c'est à dire qui ne passe ni par le compte d'auteur, ni par l'autoédition, respecte son éditeur. 

Eh bien tenez-vous le pour dit, c'est faux. Ou en tout cas, c'est un peu plus compliqué que ça. Joanne Rowling a essuyé treize refus avant que la saga Harry Potter ne soit publiée par un éditeur traditionnel. Vous croyez qu'elle a respecté chacun de ces refus? 

Il est possible que certains de ces refus aient été justifiés et motivés avec des suggestions de correction, et l'aient conduit à améliorer son roman. Mais on sait très bien que c'est très rarement le cas dans ce milieu. Mais admettons que ça ait été le cas pour les deux ou trois premières fois. Il reste dix tentatives pendant lesquelles Rowling s'est obstinée à envoyer son manuscrit. 

Elle n'a pas respecté la décision de ces éditeurs. Elle n'a pas respecté ces éditeurs, au point de passer par un agent américain pour contourner le problème. C'est en effet par l'entremise de son agent qu'elle a fini par trouver un éditeur. 

L'édition, c'est comme en mathématiques, en fait. Moins fois moins égale plus. Le premier moins, c'est le refus de l'éditeur. Le second moins, c'est votre refus du refus de l'éditeur. Le plus, c'est la création qui va découler de cette opération. 

Il faut donc que la passion, ce que les Américains appellent le "drive", permettent à l'auteur obstiné de faire publier, ou de publier soi-même ses œuvres.

Je pense que dans l'histoire des auteurs, et de l'édition, il y a beaucoup de choses fantasmées. Les auteurs fantasment les éditeurs comme des outils qui vont leur permettre d'accéder au succès, à la gloire et à la célébrité. 

Les éditeurs fantasment les auteurs comme des outils qui vont leur remplir les poches, ou, pour les moins matérialistes, leur permettre d'atteindre certains critères esthétiques. Oui, il y a aussi des éditeurs idéalistes, on ne peut pas tous les ranger dans le même panier.

Mais dans l'idée des auteurs d'instrumentaliser les éditeurs, il y a aussi la volonté de se protéger de la concurrence des nouveaux auteurs. "Les éditeurs vont nous protéger, nous autres heureux élus, de tous ces candidats à la gloire et au succès qui sont nos concurrents". De la même manière que certains métiers se bâtissent des jargons hermétiques ou bien se barricadent derrière un haut niveau d'études, la caste des auteurs a cru trouver là le moyen de se mettre à l'abri des trop nombreux créateurs. Rien de tel qu'un bon vieux Gardien du Portail, l'éditeur.

Jusqu'à l'arrivée d'internet, de l'ebook et d'Amazon, bien sûr.

On pourrait se dire : "oui, mais les éditeurs permettent la qualité, ils ont des critères d'exigence, la qualité littéraire n'est pas entièrement subjective." C'est vrai, mais uniquement dans certains cas. Beaucoup d'éditeurs sont aussi rapaces et cupides que le plus rapace et cupide des auteurs autoédités. Beaucoup vont baisser le nombre de leurs correcteurs pour compresser le personnel et faire plus de profits.

Le niveau de qualité dans les maisons d'édition est donc souvent très contesté est contestable. A l'inverse, je suis en train de lire Embrasements, de Guy Morant, un collègue autoédité.


La maîtrise de la plume, les conflits internes très forts, la connaissance procédurale sur le bout des ongles, les subtilités de la psychologie des personnages, l'intrigue, en font un polar haletant, très hautement recommandable. En fait, le roman pourrait être enseigné sans problème en école de police ! La suite, Effondrements, est au moment où j'écris ces lignes encore n°1 des Thrillers d'espionnage politique et n°2 des Thrillers sur Amazon.

Un succès tout à fait mérité, s'il est de la même eau que le précédent (je ne l'ai pas encore lu). J'ai lu pas mal de romans de Simenon, eh bien je peux vous dire que je préfère Guy Morant. Eh oui, c'est un coup de cœur. 

Vous allez me dire: "oui mais Alan, là tu fais du copinage. Guy Morant t'avais interviewé sur son blog, c'est donc juste un renvoi d'ascenseur."

Eh bien en fait, non. C'est une question de critères de qualité. Voyez-vous, il n'est pas toujours facile, pour nous autres auteurs, de choisir de lire tel ou tel auteur indépendant. La romancière Alice Quinn m'avait dit qu'elle avait bien aimé mon roman Passager clandestin, et m'avait interviewé sur son blog à ce sujet.

Je n'avais jamais lu aucun livre d'Alice, malgré l'immense succès qu'elle a eu sur Amazon. Mais comme elle s'intéressait à moi, je me suis dit que ses critères de qualité devaient se rapprocher des miens, et je me suis mis à lire ses livres de la série Rosie Maldonne. J'ai trouvé cela très atypique, j'ai été emballé! 

Guy était l'un des rares auteurs à oser mettre un commentaire de temps en temps sur ce blog. Je me suis donc fait la même réflexion à son sujet. Je n'avais fait aucun appel du pied, ni à Alice, ni à Guy, et pourtant ils s'intéressaient à moi. C'est donc que leurs critères de qualité se rapprochaient probablement des miens.

Et je n'ai été déçu ni dans l'un ni dans l'autre cas. Une manière peut-être un peu originale de savoir quoi lire, mais qui en vaut une autre.

A ce point de la lecture du billet, vous vous demandez peut-être qui est cette personne proche de moi dont la carrière artistique s'est interrompue en raison du refus des éditeurs, et que j'évoquais au tout début. 

Ce n'est autre que mon père, François Guillot, décédé en 1986. Après avoir été chef d'escale chez Air France, il a été dessinateur. Il adorait depuis tout petit la BD franco-blege (pensez Tintin, Astérix, Blake & Mortimer et Spirou et Fantasio). Il aurait voulu percer dans ce domaine et a présenté un projet de BD qui ne portait pas de nom, mais qui se déroule dans l'empire inca. Celui-ci a été refusé. Mon père a malgré tout gagné sa vie jusqu'à son décès grâce à ses dessins, mais en se reconvertissant dans le dessin industriel.

En toute honnêteté, je pense que le fait qu'il ait échoué à réaliser son rêve n'est pas seulement de la faute des éditeurs: il aurait fallu qu'il trouve un scénariste, qu'ils travaillent en commun et qu'il s'obstine beaucoup plus dans ses recherches. Mais je reste persuadé qu'il a beaucoup trop respecté les éditeurs, et surtout, le refus des éditeurs. Cela trahissait sans doute un certain manque de confiance en lui. 

J'ai décidé, en son hommage, de faire paraître ses dessins, déjà présents sur mon site, sur mon Instagram. Ainsi pourra-t-il profiter de manière posthume de ma propre obstination.


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Même si je n'ai jamais eu l'occasion de vraiment discuter de ce projet avec mon père (j'en ai eu connaissance après sa mort), je suis persuadé que le dénommé Ulac est en fait une caricature du scénariste René Goscinny. Cela aurait parfaitement correspondu à l'humour de mon père. 

7 commentaires:

Guy Morant a dit…

Bonjour Alan,

Voilà, je suis un lien sur Facebook vers ton nouveau billet, et je tombe... sur la couverture de mon dernier bouquin ! Je suis évidemment à la fois surpris et ravi de tes commentaires, et je laisse d'autres que moi juger s'ils sont justifiés. Ici, c'est ton billet que je voudrais prolonger.

Tu parles de respect. Le conseil de ne pas respecter les éditeurs, en ces temps où tout le monde exige un respect sans faille au nom de ses particularités les plus infimes, pourrait passer pour un conseil dangereux. D'après mon expérience, les auteurs édités auraient plutôt tendance à adorer leur éditeur comme un demi-dieu, se répandant partout en compliments et affirmant qu'ils ne seraient rien sans lui. Une autrice aussi considérable qu'Ursula K. Le Guin a ainsi chanté les louanges du sien, sans qui ses romans ne vaudraient pas plus que le papier sur lequel ils sont imprimés.

Ces postures traditionnelles ont certainement correspondu à une vérité, quand les auteurs étaient repérés dès leur premier manuscrit, puis élevés patiemment par des accoucheurs de talents, si possible jusqu'au chef-d'œuvre. Mais à une époque où les auteurs ne sont publiés qu'à leur huitième manuscrit, sans aucune aide éditoriale et parfois sans correction digne de ce nom, avec un contrat qui les lie à vie à l'éditeur contre un misérable a-valoir et 6 % de droits d'auteur, la situation n'est plus tout à fait la même.

Le respect, ça se mérite. Un éditeur qui publie à chaque rentrée littéraire des dizaines de romans infâmes ou illisibles, destinés pour la quasi-totalité au pilon, n'a aucunement apporté la preuve de ses compétences. La situation de la littérature est devenue tellement absurde qu'un véritable talent d'éditeur (au sens noble) serait plutôt un défaut pour qui voudrait percer dans le métier.

Reste l'auto-édition, ce sentier étroit et semé d'embûches. Très souvent, je lis un témoignage d'auteur qui jette l'éponge après avoir plusieurs années passées à se battre pour atteindre le degré de visibilité minimal. Tel est le risque, mais j'estime qu'il vaut la chandelle. Qu'on réussisse ou non, on y gagne une dignité et une conscience des enjeux qui manquent aux auteurs édités. À talent égal, on apprend à ne pas se soumettre sans examen à un directeur de collection dont le seul motif de gloire est d'avoir réussi un BTS édition.

Je l'ai toujours dit : nous devons aspirer à une majorité artistique, justifiant l'indépendance dont nous nous réclamons. Alors oui, je suis d'accord avec toi : ne respectons pas les éditeurs, à condition d'être devenus nous-mêmes plus exigeants, plus professionnels, plus objectifs et plus efficaces que tous les éditeurs que nous pourrions rêver. Car nous ne devons pas nous leurrer : sans ces efforts constants pour atteindre l'excellence artistique, éditoriale et commerciale, notre irrespect risque de passer pour une posture d'adolescent.

Si, en lisant nos livres, un (vrai) éditeur se dit "le boulot a été fait", si nos livres peuvent séduire leur lectorat sans être qualifiés de brouillons inaccomplis,nous aurons mérité notre liberté, et gagné le respect de ceux qui nous jugeaient prétentieux. C'est mon objectif, et je ne sais pas si je l'ai atteint, mais il m'aide à grandir. Et ce, évidemment, sans demander l'autorisation de personne.

J'attends avec curiosité de voir les planches de ton père. Comme toi, peut-être, je suis persuadé que la qualité primordiale du créateur n'est pas l'imagination ou la rigueur, mais l'opiniâtreté. L'histoire de l'art est écrite par les plus obstinés, pas toujours par les meilleurs. En publiant ces dessins, tu nous donneras un aperçu d'un chapitre de l'histoire de la BD qui n'a jamais été rédigé.

Bonne soirée et merci de m'avoir lu et cité.

Guy

Guy Morant a dit…

Encore un petit mot. J'écris depuis quelques jours une scène de 3000 mots environs (12 pages) évoquant l'arrivée d'un policier sur une scène de crime gérée par la gendarmerie. Pour te donner une idée des recherches nécessaires pour écrire cela, voici la liste de mes démarches à ce jour :

- vérifier si la ville où se trouve la scène de crime est bien en zone gendarmerie ;
- estimer les besoins en hommes et en matériel ;
- trouver la brigade territoriale en charge du territoire, et la section de recherche saisie de l'affaire ;
- revoir les grades de la gendarmerie ;
- rechercher des articles de presse décrivant des interventions du même genre ;
- questionner mon informateur policier sur la vraisemblance du dispositif ;
- trouver un lieu réel proche de la ville où se déroule ma scène et rassembler toutes les informations possibles dessus ;
- à l'aide de divers sites (Google maps, Géoportail), me constituer un plan précis de la disposition de ce lieu qui me sert de source d'inspiration plan cadastral et photo satellite compris) ;
- imaginer des personnages de gendarmes vraisemblables, en visionnant au besoin des interviews d'enquêteurs.

Cette liste n'est pas complète, mais elle donne une petite idée de mon travail. Le plus difficile, c'est d'oublier mes recherches et de me concentrer sur la vision subjective de mon personnage point de vue. La plus grande partie des infos que j'ai trouvées n'entreront pas dans le roman, mais me serviront de référence. En, même si mon personnage n'ouvre pas un placard, je sais exactement ce qu'il contient.

Guy

Alan Spade a dit…

Merci pour ton commentaire sur ta vision de l'auteur autoédité, et pour ton témoignage de romancier, Guy.

Je pensais ne publier les planches de mon père que sur mon instagram, mais je crois que je vais le faire aussi sur le blog, oui.

Il ne faut pas trop attendre du côté scénaristique: le talent de mon père était surtout à chercher du côté des dessins. Il ne cherchait pas non plus à s'autoéditer. C'était un travail de démonstration de la qualité de ses dessins avant tout.

Ton travail en tant qu'auteur mérite en tout cas les éloges. Je ne vais pas aussi loin dans la recherche, je l'avoue, même si j'aime m'inspirer de bases réelles.

Ton analyse selon laquelle l'auteur doit surpasser l'éditeur sur tous les plans pour pouvoir lui témoigner de l'irrespect montre bien à quelle hauteur tu places tes critères de qualité, et cela t'honore.

Mais tu conviendras qu'il y a éditeur et éditeur: soumettre un manuscrit à Harlequin, ce n'est pas exactement la même démarche que soumettre un manuscrit à Actes Sud. Les deux éditeurs ont pourtant ce pouvoir de refuser la publication qui fait d'eux des gardiens du portail.

C'est ce pouvoir de refus, principalement, qu'un auteur ne devrait plus respecter de nos jours. Sauf à vouloir être publié absolument chez le meilleur parce qu'on est perfectionniste, et dans ce cas, lorsqu'on s'autoédite, se définir des critères de qualité dignes de cet éditeur, et donc, très difficiles à atteindre.

Mais je pense qu'il doit y avoir un juste milieu qui permette à l'auteur de publier sans atteindre à tout prix des critères d'excellence, sachant que la voix d'un auteur va de toute façon s'améliorer avec le temps: il est donc nécessaire de publier dans l'espoir de s'améliorer peu à peu.

L'autocensure peut aussi être un frein terrible à la création. Je suis dans le camp, disons, des auteurs qui considèrent que la prolifération de la création est une bonne chose, même si la qualité n'est pas toujours au rendez-vous.

Mais je sais aussi saluer la qualité quand je la rencontre, comme ça a été le cas avec ton livre (et Effondrements, dont j'ai commencé la lecture). Des auteurs comme toi sont indispensables, car ils démontrent le niveau de qualité que l'autoédition peut atteindre. C'est un repère ultra important.

Guy Morant a dit…

Bonjour Alan,

Je précise ce que j'entends par qualité éditoriale.

Il existe plusieurs niveaux de qualité. Le premier concerne la correction orthographique et typographique, la mise en page, la couverture, les éléments paratextuels, etc. Sur ce point, j'estime qu'un auto-édité n'a aucune excuse pour ne pas faire son travail. Je lis de nombreuses justifications, mais aucune ne me convainc.

Le deuxième niveau de qualité concerne directement le texte. Il s'agit de la qualité stylistique de base (peu de répétitions, langue cohérente, restriction des phrases trop longues ou alambiquées, pas d'erreurs de continuité, une prise en compte des remarques des relecteurs). Là aussi, je pense qu'on peut difficilement défendre un texte peu ou pas relu, bourré d'incohérences, de lourdeurs, de répétitions, de ruptures et d'expressions maladroites.

Le troisième niveau entre dans le détail de l'écriture. Je classe dans cette catégorie le manque d'originalité, la fin trop prévisible (pour des romans à intrigue), les personnages mal conçus, les fils dramatiques oubliés, l'incohérence par rapport au réel ou au monde inventé, les intrigues secondaires inutiles, l'excès de description, les passages sans enjeu, l'excès de narration simple ("tell") par rapport à l'immersion narrative ("show"). Ces défauts peuvent décourager les lecteurs, et un éditeur digne de ce nom ou un bon bêta-lecteur devraient les signaler à l'auteur. Hélas, on les retrouve massivement dans les livres auto-édités ou édités.

À mon sens, aucun éditeur ne devrait exiger davantage que ces trois niveaux de qualité. Mais les choix éditoriaux sont très souvent inspirés par des considérations plus contestables, comme le fameuse "ligne éditoriale", le caractère "tendance" du livre, la personnalité, l'origine sociale, l'âge ou la beauté de l'auteur, les tours de force stylistiques, la parenté thématique avec un best seller en vogue, le sensationnalisme (mode de l'auto-fiction trash), l'actualité du sujet, la renommée médiatique de l'auteur, la complaisance idéologique envers des préjugés actuels. Ce genre de filtres éditoriaux favorise des livres qui ne possèdent pas, justement, mon troisième niveau de qualité.

En tout cas, je te rejoins totalement sur le refus de respecter des entreprises dont la réputation est de sélectionner les meilleurs manuscrits qui leur sont envoyés, mais qui publient à tour de bras des romans sans avenir et sans lecteur. Si les éditeurs possédaient vraiment les compétences dont ils se réclament (au-delà des deux premiers niveaux de qualité cités plus haut), la surproduction littéraire n'existerait pas. Nous en sommes arrivés à une situation étrange où signer un contrat avec un éditeur qui te traite de génie ne garantit pas la réussite de ton livre, et où les lecteurs ont souvent du mal à trouver leur bonheur parmi la masse toujours grandissante de navets qu'on leur présente.

Comme toi, je suis favorable à l'auto-édition, parce que le lecteur peut faire son choix lui-même, sans filtre culturel. S'il apprécie un livre malgré quelques faiblesses en matière de qualité, tant mieux. C'est bien la preuve que les fameux gardiens du portails sont devenus, sinon inutiles, du moins largement dysfonctionnels. Avons-nous vraiment besoin de ces professionnels dont l'efficacité reste à prouver, mais qui vous écrasent de leur supériorité culturelle et prétendent connaître les désirs et les besoins du public ? Un jour, peut-être, les auteurs reconnus, las de rémunérer des structures qui ne leur donnent pas satisfaction, choisiront l'indépendance.

Tu publieras donc toi-même les dessins de ton père, et le public jugera s'ils lui apportent quelque chose. C'est ainsi que les choses devraient se passer : un artiste parle directement à son public, et ceux qui apprécient ce qu'ils fait restent là pour l'écouter.

Amitiés,

Guy

Alan Spade a dit…

La connaissance des impératifs de qualité dont tu parles, Guy, va permettre à l'auteur en herbe de gagner un temps précieux dans sa démarche vers le professionalisme. Ce que je veux dire par là, c'est que mieux vaut ne pas débarquer dans la jungle du marché vêtu d'un simple pagne. Mieux vaut être bien équipé.

Cette jungle du marché, selon moi, ne doit pas être protégée par une clôture électrifiée, avec des portails d'entrée tenus par des éditeurs, des libraires et des bibliothécaires qui demanderaient patte blanche pour donner accès aux auteurs. Si l'on remplace ces éditeurs, libraires et bibliothécaires par des auteurs professionnels qui décideraient qui mérite d'entrer et qui doit rester dehors, ce ne serait pas une bonne chose non plus.

Dans la phrase très connue dans le milieu de la BD "il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus", ceux qui font le tri entre les appelés et les élus doivent selon moi être les lecteurs.

C'est une manière sans doute libérale d'envisager la chose, mais dans l'état actuel des choses, ce doit être le marché, les lecteurs eux-mêmes qui procèdent à l'écrémage.

De cette manière, cela évite que des auteurs talentueux tentés par l'autocensure, ou plus fragiles que les autres, prennent prétexte du refus des éditeurs pour s'autocensurer. De la même manière que mon père, qui après que ses planches aient été refusées, les a remisées dans son grenier et a abandonné son rêve.

C'est pourquoi j'ai été heureux de voir que tu as rencontré le succès avec tes polars, Guy. Cela prouve à mon sens que les lecteurs sont capables de sélectionner des romans qui respectent de vrais critères de qualité. Mais il faut aussi savoir que ce n'est pas toujours le cas. Parfois, les ingrédients du succès de tel ou tel livre nous échappent. Je crois que c'est une liberté qu'il est impératif de laisser au marché. En d'autres termes, on ne peut pas tout maîtriser. On peut décider, en revanche, de s'engager sur la voie de la qualité, ce qui est une très bonne chose.

Guy Morant a dit…

Dans l'absolu, l'idée que quelqu'un fasse un premier tri et évite aux lecteurs le pire de la production littéraire est intéressante. Mais depuis que les éditeurs se sont lancés dans une politique de surproduction, il ne remplissent clairement plus ce rôle. On pourrait croire que les (nombreux) romans édités représentent au moins le haut du panier, mais il n'en est rien.

Dans la situation actuelle, les lecteurs ont appris à ne se fier ni à la réputation de l'éditeur, ni aux critiques complaisantes, ni au battage médiatique (encore que…) Ils se sont, en quelque sorte, spécialisés dans leur(s) genre(s) préférés, dont ils connaissent les codes par cœur, ce qui leur permet de former eux-même leur jugement sur un livre à partir du titre, de la couverture, du résumé, des avis des lecteurs, des chroniques sur Facebook, etc. Ce n'est pas du libéralisme, mais plutôt une sorte de communautarisme littéraire. Sa conséquence est l'exclusion de la différence.

Je sais que mon succès, que je juge pourtant fragile et peu fiable, repose avant tout sur le respect de ces codes. Quelles que soient les qualités et les défauts de mes derniers romans, ils sont identifiables comme des polars, et les lecteurs spécialisés en polars comprennent vite qu'ils y trouveront les plaisirs qu'ils recherchent. Si j'avais dévié de quelques centimètres, par exemple en mélangeant feel good et polar, je ne suis pas sûr que ces livres auraient marché.

Alan Spade a dit…

"Si j'avais dévié de quelques centimètres, par exemple en mélangeant feel good et polar, je ne suis pas sûr que ces livres auraient marché."

Dans ton cas peut-être pas, en effet, Guy. Mais les lecteurs peuvent nous surprendre agréablement. Le cas des Rosie Maldonne, d'Alice Quinn, me vient à l'esprit: des affaires de malfrats et de policiers, avec une mère de famille et ses enfants au milieu, un roman qui ne cesse de glisser entre le feel good, le polar, la comédie. Bref, totalement inclassable. Et pourtant, gros succès sur Amazon.

On sent quand on lit les livres d'Alice qu'elle est restée fidèle à elle-même. Je veux dire par là qu'elle n'a pas fait dans le clientélisme, elle a écrit les histoires qu'elle voulait écrire.

De mon côté, mes thrillers sont plutôt inspirés Stephen King. Mais comme j'ai été journaliste, la part d'actualité est importante: Le Vagabond et quatre autres thrillers parle à la fois d'un personnage parti faire le djihad devenu simple Vagabond, et des labos pharmaceutiques type Servier. Passager clandestin, sorti juste au moment de l'affaire Lactalis, se penche sur l'agroalimentaire.

Je les ai écrit parce que j'en avais assez d'entendre des lecteurs, en dédicace, me dire qu'ils voulaient du réalisme.

Mais le côté très réaliste se heurte parfois à un côté très fantastique, voire SF, dans un même roman, et tous les lecteurs sont loin d'apprécier. Notamment Passager clandestin, qui part un peu comme du Agatha Christie, et dont la fin est à des années-lumière d'Agatha Christie, si l'on peut dire!

Donc oui, tu as raison, les lecteurs préfèrent des fois quand c'est bien balisé. Et je n'ai sans doute pas encore l'habileté pour mêler suffisamment bien le fantastique au réel comme le fait King. Mais bon, j'y travaille. :)