Amazon doit une partie de son succès au fait d'avoir su être se mettre à l'écoute non seulement de ses clients, mais aussi de ses fournisseurs, et parmi eux, les auteurs. Voici donc une série de suggestions qui, si elles étaient au moins partiellement mises en œuvre, me permettraient en tant qu'auteur indépendant d'envisager l'avenir de la publication d'ebooks sur Amazon, et en particulier Amazon Etats-Unis, avec un peu plus de confiance. Je précise que je ne les fait bien sûr qu'en mon nom propre.
Etant donné les campagnes de presse orchestrées par l'édition traditionnelle contre Amazon, il serait facile de glisser dans une rhétorique visant à propager le doute et l'incertitude à propos du futur de l'autoédition sur cette plate-forme.
Je vous rassure, ce blog n'a en rien vocation à être une chambre d'écho de l'édition traditionnelle.
Je suis persuadé que les auteurs autoédités, à titre individuel comme ici ou de manière plus collective, doivent aussi savoir faire entendre leur voix, tout simplement parce que nous sommes les premiers impactés lorsqu'un revendeur, qui est aussi un éditeur et un diffuseur, décide de changer certaines règles du jeu, de manière induite ou officielle.
Voici donc une série de suggestions visant à permettre une meilleure visibilité pour tous les auteurs indépendants.
1. En finir avec l'exclusivité de publication sur Amazon
Quand les agents des chanteuses Beyoncé ou Rihanna concluent un marché de publication exclusive de leur dernier album pendant un mois sur une plate-forme comme iTunes, cela s'accompagne d'une mise en avant exceptionnelle sur le site, mais aussi à n'en pas douter de jolis chèques.
Cela peut se comprendre. Ce sont des deals ponctuels et sur une durée très limitée, qui concernent très peu de grands noms.
Lorsque Amazon propose, contre une mise en avant sur le site qui n'est pas automatique, mais dépendra de la capacité de l'ebook de l'auteur à attirer des lecteurs, une exclusivité de trois mois tacitement reconductible, nous ne sommes plus dans un deal ponctuel et pas forcément d'une durée limitée.
Lorsque plus d'un million d'ebooks se retrouvent en exclusivité sur le site chaque mois de l'année, nous sommes dans un phénomène massif de distortion de concurrence.
Si un jour, Amazon doit répondre de ses actes devant le Département de la Justice américain pour abus de position dominante, il le devra, à mon humble avis, à KDP Select et à ses conditions d'exclusivité.
Les deux seuls éléments qui empêchent une telle action de la justice pour le moment sont cette précaution de trois mois renouvelables prise par Amazon, et le fait que l'exclusivité ne s'étende pas aux éditeurs traditionnels.
Cependant, si ce million d'ebooks représente à l'heure actuelle un poids économique incontestable, et qui ne fait que se renforcer mois après mois, c'est bien parce que les maisons d'édition se retrouvent peu à peu vidées de leur substance. Je veux parler des auteurs, bien sûr, qui choisissent de plus en plus de s'autopublier ou bien de jouer sur les deux tableaux.
Vous allez me dire, si l'exclusivité tombe, qu'en est-il des avantages spéciaux de visibilité de KDP Select? Amazon ne va pas les fournir gracieusement, sans contrepartie. On veut le beurre et l'argent du beurre?
2. En finir avec la montée en classement pour chaque emprunt Kindle Unlimited
La montée en classement qui se produit à chaque emprunt Kindle Unlimited, c'est la carotte qu'offre Amazon aux auteurs pour les persuader de rejoindre KDP Select.
Cette montée en classement, si elle est favorable à certains auteurs, si elle leur donne des armes pour rivaliser avec l'édition traditionnelle qui a plus de moyens pour ses quelques auteurs phares, dénature le classement Amazon et en remet en question la valeur et la pertinence.
Elle le dénature parce qu'un emprunt n'est pas une vente. Un livre emprunté qui ne sera pas lu ne rapportera rien à l'auteur. Même si le livre est lu dans sa totalité, tout dépend de sa taille: un livre de 200 pages rapporte en ce moment un peu plus d'un euro à l'auteur.
"En ce moment", car l'auteur n'a plus les commandes à partir du moment où son livre se retrouve sur Kindle Unlimited et est emprunté, ce n'est plus lui qui décide du prix, mais bien Amazon, au travers d'une formule suffisamment complexe pour que son entendement puisse échapper au commun des mortels. Un prix révisé chaque mois.
Par ailleurs, l'investissement moral d'un lecteur qui achète un ebook à 2,99€ ne sera pas le même que celui qui emprunte juste un livre dont il ne lira peut-être que dix pages avant de passer au suivant, puisqu'il bénéficie d'une formule illimitée à 9,99€ par mois.
Le classement ne devrait pas mélanger les deux. On peut vouloir être un acteur disrupteur, un perturbateur en bon français, cela ne veut pas dire que l'on doive perturber son propre modèle au point de le faire marcher sur la tête.
Est-ce à dire que je suis contre Kindle Unlimited? Non, je pense qu'Amazon, les lecteurs et même les auteurs ont intérêt à avoir un système de souscription dynamique, qui favorise en particulier les lecteurs voraces. C'est pourquoi il faudrait:
3. Des algorithmes propres aux ebooks Kindle Unlimited empruntés ainsi qu'un onglet dédié à ces ebooks
Amazon a prouvé, avec l'onglet ebooks gratuits, qu'il pouvait créer une fenêtre de visibilité bénéficiant de ses propres algorithmes. Il serait donc tout à fait envisageable qu'il crée un nouvel onglet dédié aux ebooks Kindle Unlimited (KU). Cela aurait plusieurs avantages:
- permettre aux lecteurs inscrits de retrouver rapidement les ebooks KU populaires
- donner de la visibilité à ces ebooks, qui pourraient bien sûr être achetés de manière classique par les non abonnés
- donner un surcroît de publicité à Kindle Unlimited, ce qui, du point de vue d'Amazon, ne peut qu'être avantageux
- en finir avec le mélange emprunts/livres achetés dans le classement traditionnel
On pourrait bien évidemment avoir des ebooks Kindle Unlimited dans le classement traditionnel, mais ils ne le devraient qu'à leurs ventes, plus à leurs emprunts.
La création d'un nouvel onglet perdrait bien évidemment presque tout son sens si l'ancien système de boost des emprunts devait être maintenu.
4. Autoriser la diffusion multi plates-formes pour les titres des maisons d'édition Amazon
Amazon possède différentes maisons d'édition, dont Amazon Crossing, qui publie notamment l'auteur Jacques Vandroux. Son roman traduit en anglais, Heart Collector, ne peut être acheté sur Apple, Kobo ou Google.
Il en est de même pour tous les ouvrages des auteurs édités par l'une des maisons d'Amazon. Cela fait plusieurs milliers de titres, que les lecteurs de Kobo, par exemple, seraient sans doute heureux de voir débouler sur leur plate-forme.
Et je pense pouvoir dire que les auteurs concernés ne s'opposeraient pas à ce que leurs ebooks soient vendus sur d'autres plates-formes qu'Amazon.
N'est-ce pas le but d'un éditeur, de diffuser le plus largement possible les ouvrages de ses auteurs, et de les faire connaître sans parti pris?
La logique de confrontation, on le sait, est rarement favorable aux affaires.
Si Amazon fait ce geste de publier ses auteurs sur d'autres plates-formes, ce sera un geste fort d'ouverture envers le monde extérieur. Un geste qui montrera qu'Amazon ne se considère plus comme une planète visant à attirer puis assimiler tout ce qui se trouve dans son orbite, mais bien comme un acteur adulte et ouvert sur le monde.
Si Amazon devait aussi en parallèle laisser tomber ses conditions d'exclusivité, il bénéficierait d'un important regain de popularité. Beaucoup plus d'auteurs voudraient y être publiés, car il serait nettement moins perçu comme un prédateur.
On pourrait même envisager qu'à l'instar de Tolino, Amazon puisse essayer de se rapprocher de certains libraires pour y vendre des ouvrages, qu'ils soient autoédités ou de ses auteurs maison. De la science-fiction? Tout est possible quand on est un disrupteur.
5. En finir avec la "course aux armements" des commentaires
Je ne peux que féliciter Alice Quinn d'avoir obtenu 1860 commentaires pour Queen of the Trailer Park, la traduction anglaise d'Un palace en Enfer.
Mais en même temps, je ne peux que m'inquiéter lorsque l'auteur Joanna Penn affirme qu'il faut au moins 100 commentaires pour qu'un livre soit visible sur Amazon Etats-Unis.
Je conçois que les commentaires sont l'une des rares armes qu'Amazon ait à opposer aux romans traditionnellement édités.
Le problème, c'est que de plus en plus d'auteurs vont se
mettre à penser qu'à partir du moment où les commentaires d'Amazon
viennent le plus souvent de lecteurs inscrits au service premium (Amazon
Prime) et bénéficiant, en contrepartie de leurs commentaires, de
cadeaux, cela reviendrait au même, en ce qui les concerne, de payer pour
ces commentaires.
De même d'ailleurs que les éditeurs offrent des cadeaux
aux blogueuses les plus en vue afin qu'elles consacrent du temps aux
ouvrages de leurs auteurs.
Bref, tout cela crée une surenchère qui n'est pas propice
à la sérénité, ni des auteurs, ni des chroniqueurs, et qui va surtout à
l'encontre des lecteurs, lesquels sont bien évidemment en droit de
questionner la sincérité de nombreux commentaires.
Réduire de un mois à quinze jours la période des livres dans Amazon First (pour comprendre de quoi il retourne, lisez cet article) me paraîtrait une bonne mesure pour revenir à un nombre de commentaires plus acceptable.
6. En finir enfin avec la clause de confidentialité des contrats des maisons d'édition Amazon
Amazon souhaite montrer qu'il est un perturbateur? Ce serait un bon moyen. Je suis persuadé que les contrats seraient encore plus favorables aux auteurs s'ils étaient discutés sur la place publique, sur Internet. Faites confiance à l'intelligence collective des auteurs, elle peut accomplir des prouesses.
Historiquement, les clauses de confidentialité ont bénéficié à deux types d'acteurs:
- les super bestsellers, qui avaient moyen d'insérer des clauses spéciales très favorables, de manière à aligner leurs droits d'auteur sur ce que la maison d'édition proposait de mieux aux autres auteurs de cette maison
- les éditeurs, et de manière massive, en privilégiant une loi du silence qui leur permettait d'insérer des clauses aussi infâmes que celles de non compétition ou de droit de préférence
Je peux comprendre qu'il y ait des clauses de confidentialité dans des domaines super stratégiques, dans certains domaines commerciaux sensibles ou dans la sécurité. Mais dans l'édition? Pour les auteurs?
Cela a été avant tout, pour certains auteurs, le moyen de prendre l'ascendant sur d'autres, et pour les éditeurs, de rouler dans la farine le plus grand nombre, pour rester poli.
Je pense qu'il faut en finir avec ces clauses, et qu'Amazon devrait montrer l'exemple.
Voilà pour mes suggestions, un peu longues je sais. Vous remarquerez que les mesures 1, 2 et 3 sont liées. Si elles étaient toutes les trois appliquées, on aurait davantage de livres dans Kindle Unlimited et un système de classement plus fiable.
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