A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le trente-deuxième.
32. La loi de l’Expansion
Perché sur son trône dans la salle de commandement aux vastes baies donnant sur le cosmos, Grendchko surveillait les données provenant de ses consoles. Le système Ixion abritant la planète Oblan n’était plus qu’à un Relais de distance. Comme prévu, les Intelligences Synthétiques de conception fengiriennes avaient totalement dominé les protocoles automatisés du Relais d’Accélération. Son vaisseau mère, le Strator, n’avait plus qu’à s’engouffrer dans le passage, accompagné de sa flotte.
Grendchko se dit qu’il faudrait renommer le Strator une fois acquise la victoire. Quelque chose d’un peu plus grandiloquent, qui sèmerait la terreur dans le cœur des ennemis. L’Absolu Cauchemar, par exemple. Largement modernisé à l’aide de la technologie fengirienne, le Strator faisait la fierté et l’orgueil de la flotte nadarienne depuis plusieurs décennies déjà. Pour être sûr de n’essuyer aucun refus au moment où il rebaptiserait le vaisseau, Grendchko devrait avoir obtenu une victoire décisive à la tête de sa flotte. Une victoire qui ne serait que la première d’une longue série, il n’avait aucun doute à ce sujet.
Trois croiseurs escortés de leurs chasseurs s’engouffrèrent en premier dans le Relais. Vision glorieuse que ces énormes vaisseaux à la proue effilée, aux fuselages irisés par la lueur des tachyons, qui allaient surgir de l’autre côté accompagnés de leurs nuées et semer l’effroi sur leur passage. Le destin était en marche. Six siècles après avoir posé le pied sur Oblan, les Nadariens allaient marquer la planète de manière indélébile cette fois. Ce ne serait là que l’une de leurs innombrables conquêtes, car telle était la loi de l’Expansion.
Le vaisseau mère Strator plongea à son tour dans le Relais d’Accélération pointant sur le système Ixion. Grendchko mit à profit le temps de répit pour faire le point sur toutes les forces rassemblées, d’après les données préalablement collectées. Les rangs des Fervents n’avaient fait que croître au cours des derniers mois. Cela se ressentait dans le nombre de vaisseaux présents, qu’il s’agisse de vastes bâtiments tels les croiseurs, destroyers et autres frégates, ou de simples chasseurs et transporteurs de troupes. Sur Nadar, personne n’avait pu contester son irrésistible montée en puissance. Les Réfractaires avaient été les premiers à se faire oublier, effrayés par la puissance démentielle rassemblée par le maître de la planète.
Le Strator franchit l’extrémité du Relais. La majestueuse flotte se matérialisa peu à peu autour de lui. Les imposantes baies d’observation avaient dû être modifiées afin de pouvoir subir une polarisation complexe. Les quatre étoiles d’Ixion, blanche, jaune, bleue et rouge possédaient une gamme chromatique si variée et fluctuante qu’elle attaquait la rétine, forçant les habitants d’Oblan à s’équiper de lunettes spéciales. Les baies comme les cockpits des chasseurs avaient donc été améliorés pour filtrer de manière efficace le rayonnement stellaire.
Grendchko savourait chaque seconde. Les sondes occultées envoyées en reconnaissance faisaient état de forces dix fois inférieures autour de la planète Oblan. L’effet de surprise allait être dévastateur, et l’ennemi n’aurait d’autre choix que de fuir piteusement.
Les trois croiseurs aux avant-postes disposaient de puissants brouilleurs de signaux afin de masquer la taille de la flotte. La discrétion ne serait pas totale, mais l’ennemi ne saurait pas à quoi s’en tenir jusqu’au dernier moment.
La flotte nadarienne s’enfonça ainsi dans le système Ixion sans rencontrer de résistance. Grendchko, qui avait espéré une victoire aussi rapide qu’écrasante, fut néanmoins déçu. Si le premier croiseur que le Strator affronta subit d’effroyables dégâts sous l’impact des torpilles à antimatière nadariennes, les vaisseaux oblanites se regroupèrent vivement et formèrent un front uni. Les Ionthunders et Skinangels évitaient avec habileté la confrontation avec les nuées de Retaliators et autres Crushers nadariens. Ils s’enfuyaient, se dispersaient puis s’assemblaient pour attaquer sur les flancs, méthode efficace qui leur permettait d’infliger des dommages non négligeables.
Les rayons lasers et les canons à protons des croiseurs et destroyers en détruisaient bon nombre, mais souvent, les tirs se heurtaient aux boucliers renforcés des frégates ennemies. Celles-ci étaient les plus nombreuses. En mutualisant leurs champs défensifs, elles formaient un front difficile à percer. Plusieurs d’entre elles lancèrent en simultané des torpilles émettrices d’impulsions magnétiques en direction du Strator.
Les missiles antitorpilles du vaisseau mère eurent leur système de guidage grillés par les impulsions — seuls quelques-uns atteignirent leur cible. Plusieurs des torpilles parvinrent aussi à échapper au feu roulant des lasers courte portée. Le bouclier du Strator absorba l’essentiel des explosions, mais céda en un point, et Grendchko, de même que chacun des occupants du vaisseau ressentit l’impact. Un flash orangé illumina le poste de commandement, provoquant la colère de Grendchko.
Les dégâts ne pouvaient être que considérables pour avoir occasionné une telle secousse. Ils n’étaient cependant pas incapacitants. En coordonnant à son tour une attaque contre l’une des frégates avec plusieurs croiseurs, Grendchko parvint à enfoncer son bouclier. L’effet fut dévastateur, la frégate se faisant atomiser. Dans le silence absolu de l’espace, la terrifiante explosion concurrença un instant la lueur des étoiles les plus proches, offrant un spectacle pyrotechnique. Nombreux furent les Crushers à s’engouffrer dans la brèche, ce qui déstabilisa encore plus la défense.
La bataille continua à faire rage pendant plusieurs heures. Les forces de Nadar remportèrent une victoire beaucoup plus coûteuse qu’anticipée.
« Trente pour cent de nos unités perdues, maugréa Grendchko. Quelle bande de bons à rien ! »
D’un geste sans appel, il mit rageusement fin à la holosim. Le décor stellaire s’effaça aussitôt pour laisser place à son somptueux bureau dans le Palais de la Première Strate. Tous ses alliés avaient été de véritables Nadariens connectés, l’objectif étant de s’entraîner à la conquête spatiale du système d’Ixion en temps réel. Une nouvelle séance, cette fois d’invasion planétaire, se déroulerait le lendemain.
Grendchko, maussade, parcourut sans les voir les holotableaux accrochés aux murs, retraçant les hauts faits des ancêtres de Nadar qui s’étaient distingués. Le taux de perte allait sans doute être trop élevé au goût de Shinaen et de ses autres alliés Fengirs. La flotte n’avait cependant été composée que de Nadariens, et Grendchko ne doutait pas que sur le terrain, le résultat ne s’avère plus satisfaisant avec l’aide des Fengirs.
Non sans lassitude, il activa sa console et se mit à parcourir les différents messages en attente. Il entreprit de régler les affaires courantes en grommelant, pour s’arrêter devant l’une des requêtes particulières. Ses doigts pianotèrent un instant sur le bois précieux de son bureau. Il désigna l’icône de son assistante personnelle, qui s’agrandit. « Faites venir Ymeo, lâcha-t-il.
– Tout de suite, Premier Coordonnateur. » Il aurait pu la joindre directement, bien sûr. Passer par un intermédiaire était l’un de ces signes distinctifs de la perte de faveur de son espionne. S’y ajoutait le fait de l’avoir fait lanterner pendant plusieurs heures dans la salle d’attente, au vu de tous.
La Nadarienne trentenaire apparut peu après. Elle n’avait rien perdu de ses formes envoûtantes mais son regard s’était durci ces derniers temps. De sa démarche souple, elle s’avança jusqu’à se trouver en face de son bureau, à moins de deux mètres. Elle s’inclina profondément. « Oui, Maître ?
– J’ai reçu une requête particulière, fit-il d’un ton morose. Le Premier Guide Communiant me demande de réinstaurer la tradition de la Minute de Sengré avant toute Communion.
– C’est très ancien, s’étonna-t-elle. Quel fizbul le pique ?
– Sans doute l’idée de réaffirmer les bonnes vieilles traditions. Tu sais bien à quel point les gens comme Halnev sont rétrogrades. »
Ymeo prit un air songeur. Elle avait beau n’être qu’une femelle, elle le surprenait fréquemment par ces conseils. Ce fut le cas une fois encore. « Maître, accepter pourrait jouer en notre faveur. Le sengré anesthésie les sens. Il ne favorise pas les meilleures décisions. Si nos adversaires se mettaient à le fumer en grande quantité, ils seraient plus malléables. Plus dociles. »
Comme souvent, Grendchko décida de la priver de la satisfaction d’un compliment. « La Minute de Sengré ne permet pas l’absorption d’une grande quantité, rétorqua-t-il.
– Mais c’est un début. Et cela pourrait nous permettre de mettre en place une campagne de communication une nouvelle fois axée sur l’aspect totalement dépassé de cette institution, qui se croit obligée de revenir à des traditions ancestrales. Cela pourrait accélérer leur chute.
– Humpf. On verra. » Il demeura indécis quelques secondes avant de lui demander si elle avait des nouvelles des anciens Fervents nommés Jaynak et Naldeia.
« Toujours aucune, Maître, répondit-elle en baissant les épaules, l’air désolé. Le dernier signe que l’on a d’eux reste le rapport de ce destroyer, La Griffe Férale, il y a plusieurs mois. Ils n’ont pas réapparu depuis. Ils sont très certainement toujours en dehors du système. »
Il lui indiqua de s’approcher. Elle contourna le bureau pour le rejoindre, sans trembler. Les commissures de ses lèvres avaient leur pli résigné habituel. Une fois à portée, Grendchko s’empara de son poignet et lui tordit le bras en se levant pour la dominer de toute sa hauteur.
Elle poussa un petit cri de douleur. Tout en maintenant sa prise, Grendchko fit glisser son tiroir et saisit son fouet à électrodes, qui s’activa en reconnaissant son ADN. « Tu n’as pas encore fini de souffrir, fit-il d’une voix rauque. Si tu les retrouves, je penserais peut-être à lever ta punition. » Il fit claquer le fouet sur elle, et elle se tordit dans des spasmes de douleur. Encore et encore, les lanières électrisées s’abattaient sur ses plaques, la parcourant d’éclairs bleutés.
Une fois que le corps de son esclave ne fut que meurtrissures, Grendchko la viola, y prenant un voluptueux plaisir. Quand elle sortit de la pièce, ce fut toute courbée, en se traînant, comme si elle venait de prendre cinquante ans.
Grendchko se réinstalla devant sa console en arborant un sourire épanoui. Il accéda à la requête du Premier Guide avant d’estimer qu’il avait eu son content de travail pour la journée. Le moment était venu de passer aux loisirs.
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