Quand les circonstances deviennent favorables au-delà de ce que l'on pouvait espérer dans une carrière, on dit que les étoiles s'alignent. On peut parler de chance, et on peut aussi dire qu'il faut forcer la chance, la provoquer. Les étoiles se sont alignées tout au long de la montée en puissance de Poutine, avec des revers qu'il a su transformer en opportunités, ce qui démontre une certaine résilience de sa part. Néanmoins, dans son cas, on peut penser que les étoiles sont entrées en désalignement dès le mois de février 2014.
Après Rasputin, le rat Poutine. Le dirigeant russe, qui a longtemps eu une face de rat avant d'avoir recours au botox sur les conseils de son ami Berlusconi, a d'ailleurs dû fuir un rat dans son enfance. Simple anecdote, bien sûr, mais qui révèle peut-être son totem.
Trêve de plaisanteries. A quel moment se sont alignées les étoiles pour Poutine pour la première fois? Je pense que cela remonte à 1968, date à laquelle Poutine se fait embaucher, à l'âge de 16 ans par le KGB pour la première fois. C'est très important, parce que ça va lui donner une connaissance précise des rouages du système, même s'il ne va occuper qu'un poste peu important en Allemagne de l'Est.
Cela va aussi lui permettre de se donner une image d'espion, sorte de James Bond russe, valorisante aux yeux de nombre de ses compatriotes.
La deuxième fois que les étoiles s'alignent remonte à 1989, la chute du mur de Berlin. Un véritable traumatisme pour Poutine, mais qui va provoquer des conditions très favorables pour lui. A l'issue de cette chute, il y avait au moins deux issues possibles pour la Russie:
- l'accélération de la corruption qui était celle de l'ex URSS en Russie en l'absence d'un leader fort
- la diminution de la corruption et une politique plus libérale, si ce n'est démocratique, grâce à un leader suffisamment fort et cohérent
C'est la première hypothèse qui a prévalu, l'accélération de la corruption. Le leader qui a succédé à Gorbatchev, Eltsin, beaucoup trop porté sur la boisson, était loin, très loin d'être incorruptible. Cela, déjà était un premier alignement d'étoiles, puisque cette corruption va s'étendre encore plus à tous les niveaux de la société russe, mais aussi dans des pays alliés tels l'Ukraine ou la Biélorussie.
Grâce à cette corruption rampante, en 1991, Poutine, rapatrié en Russie, va pouvoir faire ses preuves du côté de St Petersbourg, en s'appuyant sur son expérience de petit caïd de banlieue ayant travaillé pour le KGB. Le maire extrêmement corrompu de St Petersbourg, Anatoli Sobtchak, le prend en effet sous son aile. Il va compter sur lui pour dévier toutes les enquêtes gouvernementales au sujet des malversations à St Petersbourg. Une partie des habitants de St Petersbourg vivent alors dans une pauvreté extrême.
Quand Anatoli Sobtchak va perdre la mairie en perdant de manière loyale les élections, Poutine perd aussi son poste. Il va en concevoir une haine de la démocratie. Sous son règne, chacune des élections sera truquée en sa faveur.
Le fait que Poutine ait perdu son poste et en retrouve un nouveau à Moscou, au Kremlin, adjoint de Pavel Borodine, le directeur du Département de l'administration des propriétés présidentielles en 1996, va constituer un nouvel alignement d'étoiles. Je ne prétend pas que tout soit lié à la chance, bien sûr. C'est parce que Poutine était un truand plutôt doué, insensible aux émotions humaines, sans scrupules, qu'il a su gravir les échelons. En 1997, il entre dans l'administration gouvernementale, avant, d'être, en 1998, carrément nommé Directeur du FSB (ex-KGB). Il s'appuie sur des réseaux mafieux, certains datant peut-être de son époque de St Petersbourg. Il joue sur les deux tableaux, et comme le FSB n'a pas suffisamment de moyens de contrôle, pas suffisamment de fonctionnaires incorruptibles, il est gagnant.
Autre événement déterminant, autre alignement d'étoiles, le règne de plus en plus chaotique d'Eltsine le mène à une procédure d'impeachment, au moment même où Poutine est devenu le chef du FSB. En 1999, donc, Eltsine est menacé de destitution par Yuri Skuratov, le procureur général de la fédération de Russie, lequel enquête sur des actifs en Suisse qui lui appartiennent ainsi qu'à ses proches et qui ont été utilisés pour acheter des biens de luxe. Poutine va alors sauver la mise d'Eltsine en produisant une vidéo sulfureuse, sextape sur laquelle on voit un homme ressemblant à Skuratov, ayant des relations sexuelles avec deux jeunes femmes. Skuratov sera acculé à la démission.
Eltsine, reconnaissant, va alors faire de Poutine son successeur. Poutine va ensuite organiser des attentats attribués aux tchétchènes sous faux drapeau pour renforcer son influence. C'est là qu'il va fameusement déclarer vouloir "buter les terroristes tchétchènes jusque dans leurs chiottes". La même année, le dernier jour de 1999, Boris Eltsine démissionne au profit de Poutine. Incroyable alignement d'étoiles, là encore, après de nombreuses manœuvres de Poutine.
Je passe sur de nombreux autres épisodes, notamment les empoisonnements célèbres, volontairement spectaculaires, dont le dictateur s'est rendu coupable en toute impunité, les élections honteusement truquées ainsi que l'exécution d'un opposant, tué de plusieurs balles dans le dos sur le pont le plus surveillé de Russie. Si le premier désalignement d'étoiles s'est produit au moment de l'organisation des JO de Sotchi par la Russie en 2014, c'est en raison de la Révolution de Maïdan en Ukraine. Cette révolution au moment même de ses JO va rendre Poutine fou furieux et conduire à l'invasion de la Crimée toujours en 2014, puis à la tentative d'invasion de l'Ukraine en 2022.
L'affaiblissement des démocraties de par l'influence russe dans le monde, et en particulier aux Etats-Unis au moment de l'élection de Trump en 2016, pouvait ressembler, là encore, à une sorte de voie royale pour Poutine. Il avait la Crimée en 2014, et l'improbable alliance avec les Américains (ou du moins Trump) en 2016. Il pensait avoir le champ libre, son ego s'est mis à enfler, enfler. Bien que son allié Trump soit battu en 2020 par Biden, la défaite des Américains contre l'Afghanistan, déjà signée par Trump, va achever de le convaincre que le moment est venu pour lui d'envahir l'Ukraine.
Mais dans cette victoire apparente qu'était la Crimée en 2014, se dessinait déjà en creux ce qui allait constituer le début de la défaite pour Poutine. On a vu ce qu'il en était avec les épisodes de Kharkiv et la reprise de Kherson par les Ukrainiens. On sait que Moscou a subi un train de sanctions jamais vu jusqu'alors. On a vu l'aide gigantesque des Etats-Unis pour l'Ukraine, et celle, considérable de l'Europe en la faveur de la résistance ukrainienne. La Russie en est maintenant réduite à mendier l'aide de la Chine, laquelle reste sur sa réserve.
Et le sort de Poutine et de son régime semble bel et bien scellé, dans un délai assez court.