Il faut toujours suivre la Grande Ourse pour trouver son chemin. En 1974 dans son roman The Dispossessed, bien avant que l'autoédition ne devienne aussi populaire, la romancière de Science-Fiction Ursula Le Guin a montré la voie à tous les auteurs autoédités.
He was therefore certain, by now, that his radical and unqualified will to create was, in Odonian terms, its own justification. His sense of primary responsibility towards his work did not cut him off from his fellows, from his society, as he had thought. It engaged him with them absolutely. -- Ursula Le Guin, The Dispossessed, 1974
Il était par conséquent certain, à présent, que sa volonté radicale et sans réserves de créer était, en termes Odoniens, sa propre justification. Son sens de la responsabilité première envers son œuvre ne le coupait pas de ses semblables, de la société, comme il l'avait cru. Il l'engageait absolument avec eux. -- Ursula Le Guin, Les Dépossédés, 1974
Tel est donc le magistral coup de pied qu'Ursula Le Guin envoya au syndrome de l'imposteur dans son roman du cycle de Hainish Les Dépossédés, en 1974. Bien sûr, la phrase est prise en dehors de son contexte: elle s'applique ici au théoricien scientifique Shevek et non à un auteur. Néanmoins, on peut facilement l'étendre à tous les auteurs autoédités, ce que je m'empresse ici de faire.
C'est peut-être parce que mon frère aîné est chercheur en astrophysique, mais j'ai toujours assimilé notre travail d'auteur à un travail de recherche. Depuis que je connais l'existence des expériences de pensée d'Einstein, j'ai tendance à rapprocher fortement ce processus de notre processus créatif, à nous autres auteurs.
Shevek se rapproche pour moi par certains côtés d'un auteur autoédité: il s'agit d'un scientifique de haut vol dont la science ne sert à rien à la société, car le niveau technologique de son monde ne lui permet pas de mettre en pratique ses découvertes théoriques par le truchement de l’ingénierie. Et du coup, sa société a tendance à l'employer à des tâches bassement matérielles, sans exploiter son véritable potentiel. C'est pourquoi Shevek va devoir s'exiler pour se réaliser.
Nous autres auteurs autoédités sommes reconnus pour notre travail et notre vaillance par une grande majorité de lecteurs. Ce n'est donc pas tant au niveau de la société que le bât blesse qu'au niveau de nos pairs qui font le choix de l'édition traditionnelle. Et bien sûr de l'édition traditionnelle elle-même et par extension, d'une bonne partie des professionnels de la chaîne du livre.
La société est en effet bâtie de telle manière que ce sont les branches professionnelles qui se structurent afin de filtrer les membres de chaque profession par la sélection, de manière à légitimer auprès de la société ceux qui sont censés être les plus doués.
C'est cette fonction de légitimation, de gardien du portail, que l'autoédition enjambe allègrement pour rapprocher les auteurs de leur public.
Ce que ne nous dit pas Ursula Le Guin est en l'occurrence aussi important que ce qu'elle nous dit. Elle ne nous dit pas que la justification de la volonté de créer de Shevek est le fait que Shevek soit doué, qu'il soit un chercheur talentueux. Elle ne nous dit pas, en d'autres termes, que Shevek a le droit de créer parce qu'il est doué ou compétent. Non. Elle nous dit que la volonté de création emporte sa propre justification.
Et ça, chers amis victimes du complexe de l'imposteur, doutant de votre propre talent ou bien de la reconnaissance par vos pairs, ou par la société, de votre talent et de vos compétences, c'est la clé. Et j'ajouterais personnellement que cette justification, pour interne qu'elle puisse paraître, devra bien un jour ou l'autre être reconnue officiellement par la société.
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