Béquille de l'artiste, et en particulier de l'auteur en quête de professionnalisation, les métiers alimentaires sont à la fois indispensables en ce qu'ils permettent la survie des artistes, en devenir ou accomplis, et "empoisonnants" car ils nuisent à tout ce qui est structuration de l'activité artistique: revenus dignes de ce nom, caisse de retraite et maladie digne de ce nom, mutuelle digne de ce nom. Sans compter que les auteurs ne formant pas un quatrième ni un cinquième pouvoir, ils ne bénéficient pas comme les journalistes d'une niche fiscale, et de nombreux auteurs ayant un métier alimentaire se retrouvent à cotiser deux fois, avec une fiscalité très défavorable au niveau artistique...
J'ai déjà établi dans un précédent billet que les auteurs et écrivains étaient considérés par les "professionnels du livre" comme des amateurs, mais sans aborder à aucun moment l'impact des métiers alimentaires. Il est temps d'y remédier.
Avant de le faire, toutefois, il faut tout de même constater que la principale explication à l'absence de structuration du métier d'auteur - même s'il existe un coûteux organisme de protection sociale, l'Agessa, s'adressant aux auteurs traditionnellement publiés - est à mon sens la désunion des auteurs.
Tous les auteurs ne considèrent en effet pas leur activité comme une activité professionnelle. L'exemple de Stefan Wul, que je citais dans mon précédent article sur le sujet, est assez symptomatique à mes yeux.
Stefan Wul a écrit de merveilleux romans de Science-Fiction. Mais Pierre Pairault, son alter égo dans la vraie vie, était chirurgien dentiste. Il gagnait bien sa vie avec son métier, qu'il ne considérait pas comme alimentaire mais comme son vrai métier - et pour cause, je pense, étant donné les années d'études qu'il avait accomplies - l'écriture n'étant pour lui qu'un passe-temps divertissant.
Mon propre point de vue est évidemment différent: j'ai fait des études de lettres, j'ai gagné ma vie en tant que journaliste dans la presse écrite jeux vidéo - et à ce titre, je ne crache pas sur la fameuse niche fiscale, je ne fais que constater qu'une position tout aussi précaire qui n'est pas une position de pouvoir ne permet pas de l'obtenir - avant de devenir auteur à temps plein. Je vis mon rêve, et mon rêve emplit ma vie.
Un troisième auteur estimera que les métiers alimentaires sont indispensables pour l'auteur à la prise en compte de situations réelles, dans la vie professionnelle, qui amélioreront ainsi l'aspect réaliste et documenté d’œuvres, fussent-elles de fiction.
Autant d'auteurs, autant d'avis.
Il n'en reste pas moins que la société évolue. La mécanisation, la robotisation, l'informatisation transforment les métiers.
Un tiers des citadins de Paris intra-muros exerçant une activité professionnelle sont liés à l'intermittence du spectacle - statut perpétuellement menacé par notre société dans le déni, cela dit en passant. Le chiffre d'affaire de la presse, du cinéma et de toutes les activités artistiques a dépassé en France celui de l'automobile.
De plus en plus, nous évoluons vers une société de loisirs. Un exemple concret parmi d'autres ce sont les vidéos sur Youtube.
Mon fils regardait l'autre jour une vidéo Youtube de Plant versus Zombie. Elle a été vue plus de deux millions de fois. En faisant un rapide calcul, une vidéo visionnée 1000 fois et intégrant de la pub rapportant à son auteur 1 euro, l'auteur de cette vidéo a gagné 2000 euros. Pour une vidéo d'un joueur jouant à un jeu.
Et encore, vous pensez bien que le "deal" est très largement favorable à Youtube, qui engrange des sommes astronomiques.
Mais je digresse. Revenons au cœur du sujet. Lorsque deux auteurs vont démarcher un éditeur, l'un ayant un métier alimentaire, l'autre non, à votre avis, lequel défendra le mieux son beefsteak?
Il est évident que seule, la petite portion d'auteurs qui estiment que leur métier est une activité professionnelle à part entière sera à même de défendre ses droits plus efficacement.
Bien sûr, on peut envisager des cas où l'auteur exerçant un métier alimentaire à temps partiel et voulant passer à temps plein sur l'écriture refusera le marché de dupes proposé par l'éditeur, là où l'auteur au RSA aura des étoiles dans les yeux à l'idée d'être publié, et signera le contrat en l'ayant à peine lu.
Il ne s'agit pas pour moi de jeter la pierre à quiconque. Dans un cas comme dans l'autre, il est indispensable d'arriver dans une négociation dans une position autre que celle de la faiblesse absolue. Il faut pouvoir dire non.
Parce que si on ne le fait pas, si on se dit: "de toute façon, peu importe si je ne reçois qu'une aumône, j'ai mon métier alimentaire derrière", au final, quel est l'objectif de notre démarche? Le prestige?
C'est malheureusement une triste réalité: de nombreux auteurs traditionnellement édités sont en réalité dans une démarche de vanity publishing... démarche qui nuit à tous leurs pairs.
Quel argument, alors, opposer aux éditeurs? Quelle alternative?
L'autoédition, bien sûr.
Je sais bien que les revenus liés aux ventes d'ebook restent maigres, en France. Mais à partir du moment où un éditeur ne vous propose que des miettes, pourquoi ne pas se positionner sur d'autres miettes, sur lesquelles vous aurez au moins le contrôle?
Pour finir sur une note plus positive, je suis ravi de voir que de plus en plus, les auteurs autoédités en France s'organisent. Ravi de voir que des auteurs comme Marie-Laure Cahier et Elizabeth Sutton ont pu négocier de garder le contrôle sur les droits numériques de leur ouvrage, Publier son livre à l'ère numérique, tout en ayant le livre papier publié traditionnellement.
Je suis persuadé qu'elles ne sont pas arrivées en position de faiblesse au moment de négocier.
Quant au problème des métiers alimentaires, il est de l'ordre de celui de l’œuf ou de la poule. Je ne crois pas que seuls, les métiers alimentaires contribuent à la précarisation des artistes, de même que je ne crois pas que la seule manière de traiter les auteurs par les éditeurs engendre la paupérisation des premiers.
Les choses sont imbriquées à de nombreux niveaux.
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