lundi 14 octobre 2024

L'Essence des Sens : chapitre 16

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le seizième. 

16. Pour l’honneur de Grendchko 

En retirant son casque, Jaynak ressentit une nouvelle démangeaison, sous l’une de ses plaques au niveau du front. Son doigt entra en contact avec son bandeau, et il laissa retomber sa main. Il s’accroupit et reprit son souffle quelques secondes. Les efforts dans cet univers virtuel l’avaient épuisé, à moins que ce ne fût la soudaine charge émotionnelle de la fin de l’exercice. En tout cas, il avait deviné juste. Quand les Fengirs donnaient des ordres, ils entendaient être obéis, quelles que fussent les pertes collatérales. Dès qu’il remit le casque sur sa patère, la paroi de son tube coulissa en émettant un chuintement, lui libérant le passage. 

Parmi ses compagnons, seuls Lindev et Pechko en avaient déjà terminé. Ils s’assemblèrent pour observer les autres. Jaynak apprit qu’ils avaient subi les mêmes épreuves que lui. Eux aussi avaient perdu une vie, et eux aussi avaient fini par triompher malgré tout. Dans leurs tubes, leurs compagnons bougeaient les membres avec précaution. Lorkcho se mit tout à coup à battre des bras et s’affaissa lourdement sur les genoux — Jaynak revécut en pensée sa propre chute. L’imposante carcasse du stagiaire fut parcourue d’un tremblement, puis s’immobilisa. Il demeura ainsi quelques secondes, telle une statue, avant de s’animer de nouveau. Lorkcho se redressa péniblement. Ses jambes s’agitèrent dans son tube. Jaynak résista à l’envie de s’empresser vers son compagnon pour lui enlever son casque et prendre sa place — il ne lui rendrait pas service. Au contraire, ce serait là l’éclatante démonstration qu’il le jugeait inapte. Comme si la situation de Lorckcho n’était déjà pas suffisamment précaire...

Regarder les participants affronter la simulation, s’imaginer chacun de leurs mouvements équivalait à en revivre les différentes étapes en simples spectateurs. C’était à la fois pénible et frustrant. Lorkcho fut le dernier à sortir. « J’ai fini par réussir, dit-il en se rapprochant du petit groupe qui l’attendait. De justesse, il ne me restait qu’une vie. » Jaynak lui passa le bras autour des épaules et l’étreignit un instant. Lorkcho parut surpris mais sourit faiblement. 

Il n’y eut aucun soldat pour les raccompagner. Seuls deux drones s’en chargèrent, preuve qu’Ymeo et ses hommes avaient une confiance totale en leurs capacités. Un silence pesant régnait dans le groupe. Jaynak n’avait pas discuté avec les autres du choix éthique qui leur avait été proposé. Très certainement, si ses compagnons avaient surmonté l’épreuve, c’est qu’eux aussi avaient décidé de sacrifier la femelle Fengir et son fils. Cette Voie sur laquelle on entendait les remettre était celle de la soumission et de la cruauté. Il ne lui restait cependant plus assez de force pour se rebeller. Ce fut avec une amère satisfaction qu’une fois de retour dans le dortoir, il constata la présence de volutes de sengré s’échappant de son ballon-tube près de sa couche. Les verres avaient été chauffés juste à point pour leur venue dans la pièce, une attention dont il n’aurait pas cru leurs hôtes capables. 

Il s’allongea. Son bandeau glissa alors, s’étant desserré de lui-même. Il le retira et le plaça à côté de lui. Plutôt que de positionner le ballon-tube directement sur son nez, il observa les autres lits. 

Ses compagnons ne portaient plus leur bandeau. Celui de Lorkcho était vraisemblablement tombé sans qu’il ne s’en aperçoive, au moment où son possesseur s’était penché vers son ballon-tube dont il inhalait furieusement le sengré. Pechko en faisait autant, mais en s’interrompant de temps à autre. Glenk avait le visage tourné vers le plafond et ruminait de sombres pensées. Lindev recherchait la position la plus confortable sur sa couche. Quant à Naldeia, assise en face de lui, elle le fixait du regard d’une manière qui le troubla. 

Les yeux de la jeune femme se posèrent sur le ballon-tube de Jaynak, et elle secoua la tête. 

Il la dévisagea un instant. Elle se tenait droit, ses yeux brillaient d’une lueur bleutée dans laquelle il lut le défi. Attitude fière, peut-être même admirable, mais aussi dangereuse. 

Il se passa la langue sur les lèvres. Non sans en éprouver de la honte, il se détourna et s’empara du ballon-tube. Dont il inhala quelques bouffées. Le sengré était fort, oui, mais il l’avait mérité. Surtout, s’il voulait s’endormir sans ressasser de pensées négatives, s’enivrer juste ce qu’il fallait était le meilleur moyen. Quelles étaient leurs perspectives, après tout, ici ? Isolés et oubliés de tous, surveillés sans relâche par les drones implacables. Jaynak fit cependant effort sur lui-même pour repousser le ballon-tube plus tôt qu’il ne l’aurait fait s’il n’avait senti le regard de la jeune femme peser sur lui. Il s’allongea, et le sommeil vint très vite. 

Etait-ce le milieu de la nuit ? Quelqu’un lui secouait le bras, au point de le faire émerger de sa torpeur. Dans la pâle lueur bleue d’Ulicron filtrant à travers les fenêtres se découpaient le front haut et le nez aristocratique de Glenk. Le personnage lui faisait signe de se lever. Jaynak eut un geste d’humeur et se retourna pour ne plus le voir, mais l’homme se mit à le secouer de plus belle. De guerre lasse, pestant dans sa barbe, Jaynak consentit à se redresser. Glenk le traîna vers les douches, dans la pièce adjacente. 

 « Je t’ai vu aider Lorkcho, chuchota-t-il avec ferveur. Tu m’as l’air de quelqu’un de bien. Mais si tu veux vraiment l’aider, et t’aider toi-même, nous devons préparer un plan pour nous sortir d’ici. »

 Jaynak battit des paupières. Les brumes du sommeil engourdissaient-elles son esprit, ou avait-il bien entendu Glenk prononcer ces paroles ? L’autre apposa ses mains sur ses épaules, et lui imprima une secousse. 

« Nous devons nous sortir d’ici, martela-t-il, tant que nous en avons encore la force ! A ce rythme, nous n’allons pas tenir longtemps. Une partie des épreuves vise à saper notre vigueur, la seconde à miner notre mental. Et ce sengré… Te rends-tu compte du danger dans lequel nous sommes ? » 

Malgré la pénombre, Jaynak ressentait l’intensité du regard posé sur lui. A son tour, il plaça ses mains sur l’épaule de Glenk, et le repoussa. « Je ne veux rien avoir à faire avec ce que tu manigances, dit-il. Je suis là pour faire mon stage, c’est tout. Ne compte pas sur moi. » Il se détourna et revint vers sa couche, ignorant l’expression de stupeur et de désespoir sur le visage de Glenk. Son camarade devait être bien naïf, s’il s’imaginait que les bandeaux étaient les seuls moyens d’espionnage de leurs hôtes. S’enfuir ? Autant se commander directement un aller simple pour Ulicron ! Il s’étendit sur son lit et tendit l’oreille dans l’obscurité, jusqu’à entendre Glenk regagner sa couche. 

Ils furent réveillés en sursaut par une sonnerie grave, et regardèrent autour d’eux comme s’ils s’attendaient à être bombardés. Au lieu de cela, une voix métallique leur intima de mettre leurs bandeaux. Le temps d’obéir, la porte d’entrée glissa sur un soldat accompagné de drones, qui leur fit signe de les suivre. Ils gagnèrent la salle à manger. Jaynak évita de croiser le regard de Glenk pendant l’absorption de l’obal. 

« Combien de temps pensez-vous que va durer ce stage ? risqua Pechko. 

– Quand tu le sauras, tu nous tiendras informés. » Lendev ponctua sa réponse d’un sourire sarcastique.

 « Une fois qu’on aura réussi les épreuves, intervint Jaynak, il se terminera. Ou en tout cas, quand on nous jugera dignes de devenir des Fervents. 

– Un jour qui peut très bien ne jamais arriver, laissa tomber Lorkcho, la mine déconfite. 

– Allons, le rabroua Jaynak, tu as fini par réussir l’épreuve d’hier après-midi, non ? Sans que personne ne t’aide. Par toi-même. C’est la preuve que tu peux progresser. Et y arriver. 

– Oui, mais vous avez vu le parcours du combattant ? Ça n’est pas fait pour moi. Jamais je ne réussirai.

 – Le but n’est peut-être pas de tout réussir, intervient Naldeia de sa voix veloutée. Tant que tu montreras de la bonne volonté, tu resteras dans la course. C’est le plus important, tu ferais mieux de t’en souvenir. » 

Glenk avait la mine morose. Il se borna à secouer la tête. 

Lorkcho ainsi que chacun de ses compagnons ne tardèrent pas à devoir appliquer les conseils de Naldeia. Ymeo, toujours flanquée de ses drones, les entraîna dans un footing matinal autour de la base. Etrangement, quand Lorkcho interrompit sa course, les mains sur les hanches, haletant, à la recherche d’un second souffle, celui des drones qui s’approcha ne lui délivra pas de décharge. Il se contenta de rester à ses côtés, puis de l’accompagner jusqu’à ce qu’il rejoigne les autres à son rythme. Ils étaient rassemblés devant un stand de tir en plein air. Ymeo accueillit l’arrivée de Lorkcho d’un simple hochement de tête. 

« Ces pistolets photoniques, dit-elle en indiquant deux armes de poing sur la table du stand, sont réglés à leur minimum, c’est-à-dire qu’ils ne causent aucun dégât — chaque tir envoie un signal perçu par la cible. Dans un premier temps, pour vous familiariser, vous allez viser une cible holo. Vous n’avez droit qu’à une seule tentative, mais vous pouvez tirer quand vous le souhaitez. Appliquez-vous. » Elle désigna l’ordre des participants par binômes. Jaynak se retrouva partager la dernière position avec Glenk. 

Il y avait un bâtiment de forme cylindrique doté de différentes fenêtres à environ quarante mètres en face, mais les drones SR flottèrent jusqu’à la moitié seulement de la distance, d’où ils projetèrent les cibles holos. Rondes, celles-ci étaient pourvues de divers cercles concentriques. Pechko tira plus vite que son équipière, Naldeia. Il toucha pourtant la cible, de justesse, contrairement à la jeune femme. Landev fut celui qui prit le plus de temps. Un petit trou se forma dans le plus grand cercle, résultat qui ne parut guère lui plaire. Lorkcho avait moins fait durer le suspense, mais avait manqué. Jaynak soupesa l’arme, et visa soigneusement. Chaque drone se trouvait non loin de l’holocible projetée, si bien que Jaynak se demanda si ses compagnons n’avaient pas été tentés d’ajuster les sentinelles silencieuses à la place de la cible. Qui sait, cela faisait peut-être partie du test. L’absence de viseur optique se fit ressentir et il manqua son coup, de même que Glenk à ses côtés. 

« Une nouvelle cible maintenant, fit Ymeo, plus imposante mais aussi plus éloignée. Attention, on parle cette fois d’une épreuve motivationnelle. Le pistolet est posé sur la table. Au signal, vous devez le saisir, viser et tirer avant votre adversaire. Mais bien sûr, tout ça ne suffit pas. Vous devez toucher l’ennemi avant qu’il ne vous touche. » 

Les stagiaires s’entreregardèrent avec consternation. 

« Qui est l’adversaire ? demanda Naldeia. 

– Un droïde de type bipède 132. Lui aussi aura son pistolet posé devant lui. Il est réglé pour être rapide, mais pas beaucoup plus que la moyenne. Vous pouvez le prendre de vitesse. » 

Le vent sifflait dans les branchages alentour. Ce fut Lorkcho qui osa poser la question la plus importante. « Il se passe quoi, si on le rate et qu’il nous touche ? 

– Une petite punition, une simple décharge électrique. Rien de bien méchant. C’est l’aspect motivationnel de l’épreuve. Ça va vous aider à progresser plus vite, vous verrez. » 

Jaynak se demanda s’il était le seul à avoir envie d’arracher à Ymeo son sourire narquois. Il supposa que non, mais fit effort pour ne rien laisser paraître. 

Naldeia et Pechko firent face à leurs adversaires. Imposants, ces derniers occupaient la grande majorité de l’encadrement des deux larges fenêtres du rez-de-chaussée du bâtiment situé à quarante mètres. Une lueur rouge unique de mauvais augure luisait au centre de leur crâne d’acier. Les drones, pour leur part, continuaient de flotter à mi-distance. Ils ne faisaient plus apparaître des cibles mais une lumière jaune. Dès qu’elle devint rouge, Naldeia et Pechko s’emparèrent de leurs armes. Le Nadarien fut plus prompt que la jeune femme, et fit feu en même temps que son adversaire. Il manqua, et son cri fit penser à un aboiement. Naldeia, qui n’avait pas eu le temps de tirer, lâcha son arme et ouvrit la bouche sur un cri silencieux tout en se tenant les côtes en tremblant. Les deux stagiaires firent la grimace en direction de leurs compagnons. Quand Jaynak demanda à Naldeia, qui s’était écartée du stand et se redressait, si elle avait encore mal, elle répondit que la douleur s’estompait. Elle avait en effet cessé de trembler. Pechko s’était ressaisi presque aussi vite. 

La pâleur le long des plaques de la figure de Lorkcho témoignait à quel point il appréhendait l’épreuve. Lendev avait quant à lui le visage fermé. Il fut plus rapide que le droïde, mais manqua son coup. Touché à son tour, il serra les dents. Lorkcho, qui n’avait pas réussi à tirer avant son adversaire, fut à peine moins stoïque, poussant un cri étouffé. 

Jaynak savait n’avoir aucun moyen d’échapper à la punition. Il n’était pas assez entraîné aux jeux de tirs en salle holo pour faire bonne figure. L’idée de se planquer sous la table l’effleura, mais ce serait immanquablement interprété comme un signe de mauvaise volonté. 

Signal jaune… Le monde semblait se résoudre à cette lueur dorée — jusqu’à ce quelle devienne rouge. Jaynak se jeta sur la poignée de l’arme, trop vite sans doute, car il ne parvint pas à assurer sa prise. A peine eût-il levé le bras qu’il fut frappé de plein fouet dans la poitrine. Il crut que son cœur s’était arrêté de battre, puis ressentit une sorte de brûlure interne. Pendant qu’il contemplait les plaques sur son torse avec incrédulité, recherchant une trace de l’impact, il prit vaguement conscience du son d’une chute. Il se tourna, pressentant quelque chose d’inhabituel. 

Glenk était tombé. Lui aussi avait les bras serrés contre la poitrine. Ce n’est que lorsqu’il examina le visage de son compagnon que Jaynak s’étonna de l’étrange fixité de son regard. Puis s’en alarma. Il y avait dans l’air une nette odeur de brûlé. 

Les compagnons se pressèrent autour du camarade qui devait être le plus âgé d’entre eux. En quelques instants, ses traits acquirent une rigidité cadavérique. 

« Son cœur n’a pas tenu, articula Naldeia avec stupeur. Il est mort. » Ses paroles furent accueillies par un grand frémissement collectif. L’incrédulité se lisait sur les visages. 

Ymeo s’approcha à son tour. Les drones flottaient au-dessus d’elle. Elle sortit sa tablette et scanna le corps de Glenk. « Diagnostic confirmé, fit-elle. Arrêt cardiaque. » 

Le désarroi régnait dans le petit groupe, tandis qu’Ymeo donnait des ordres pour que l’on vienne chercher le cadavre. Lendev s’avança vers elle, les bras croisés. « Vous avez une explication ? » Il était nettement plus grand qu’elle, et son ton était mordant. 

S’il avait cru l’impressionner, il en fut pour ses frais. Elle fit un geste pour le faire patienter. « Analyse ce bipède 132 », commanda-t-elle à l’un des drones. Celui-ci se rapprocha du droïde, avant de commencer à transmettre des données en temps réel sur la tablette d’Ymeo. La responsable de leur petit groupe gardait pendant ce temps une impassibilité peut-être juste de façade, mais qui n’en était pas moins remarquable. Elle était sur ses gardes, oui, mais son visage n’exprimait nulle culpabilité. Lorsqu’elle parla, elle les fixa dans les yeux, les uns après les autres. « Ce modèle de bipède 132 a connu un dysfonctionnement et a envoyé une décharge de plus haute intensité que prévu. Je tiens malgré tout à rassurer chacun d’entre vous. » 

Le ton employé, glacial, fit frissonner Jaynak. « Nous avons un taux de perte acceptable pour ce Stage de Remise sur la Voie. Le décès de votre camarade ne nous fait aucunement dépasser ce taux, et ne remet donc pas en cause votre participation à ce stage. Nous allons nous accorder une petite pause, pendant laquelle tous les droïdes qui doivent prendre part à l’exercice du jour seront méticuleusement vérifiés. Après ça, nous reprendrons. » 

Jaynak n’en croyait pas ses oreilles. En observant ses compagnons, il vit qu’ils étaient aussi estomaqués que lui. C’est alors qu’une pensée lui vint, glaçante. Glenk avait-il eu la prémonition de sa triste fin la nuit précédente ? Ou bien l’avait-il provoquée par sa démarche ? La question se mit à le hanter, au point qu’il en perdit contact avec la réalité. Il sentit qu’on lui touchait la main. C’était Naldeia. Elle l’attira sans un mot vers le cadavre, toujours au même endroit. S’agenouilla. « Rejoins la strate », dit-elle. Elle ramassa un peu de terre qu’elle jeta sur le corps. Puis, de l’index, elle dessina des cercles concentriques sur le torse de Glenk. 

Jaynak approuva d’un hochement de tête avant de s’agenouiller et de prélever lui-même un peu de terre. En leur montrant l’exemple des gestes traditionnels, Naldeia avait attiré à eux le monde extérieur. Pour un instant, ils n’étaient plus des individus oubliés de tous, promis à un sinistre destin, mais regagnaient leur dignité de Nadarien. Par ces gestes, Glenk se retrouvait lui aussi drapé de cette dignité, recouvrant son statut. En se relevant, Jaynak vit la gêne sur le visage d’Ymeo. Elle n’empêcha cependant aucun d’eux de pratiquer le rite. A peine Pechko, le dernier, en eut-il terminé qu’un glisseur automatisé les rejoignit. Son coffre coulissa, révélant une ouverture béante. Les deux drones conjuguèrent leurs champs de force pour soulever le cadavre et le déposer dans le glisseur. Celui-ci s’éloigna aussi silencieusement qu’il était survenu. 

« Nous allons pouvoir reprendre, lança Ymeo après avoir consulté sa tablette. Je vous rassure, tous les droïdes sont cette fois pleinement opérationnels. Le reste du parcours est un peu plus facile. Attention, concentration et réflexes, sans oublier une bonne coopération avec votre partenaire, voilà les ingrédients pour réussir. Au signal jaune, vous allez courir en direction du bâtiment. Les bipèdes 132 ne se montreront que lorsque vous en serez nettement plus près, ce qui rendra vos tirs plus efficaces. Même si vous les touchez sur des zones non vitales, ils seront désactivés. Une fois l’immeuble derrière vous, vous descendrez en bas de la pente, le long d’une rue bordée de bâtiments en enfilade. L’objectif est simple, il suffit de traverser cette reconstitution de ville d’un bout à l’autre. Méfiez-vous quand même, l’aspect motivationnel de l’épreuve est maintenu. L’ennemi peut surgir de n’importe quelle ouverture, à droite, à gauche, devant vous, derrière ou en hauteur. Il faut tout surveiller, tout écouter. Vous pouvez reprendre votre souffle de temps en temps, mais si vous restez immobile trop longtemps, les droïdes vous retrouveront avec leur vision infrarouge. Cette fois, tout se passera bien, je vous le garantis. »

 Lorkcho avait l’air hébété, comme s’il émergeait à peine des vapeurs du sengré. Lendev dissimulait mal une moue de dégoût, Pechko avait porté une main à son front et partageait avec Naldeia la même expression désabusée. Jaynak poussa un soupir. Il redressa la tête en voyant Ymeo s’approcher. 

« Comme tu n’as plus de partenaire, indiqua-t-elle, tu auras deux fois moins d’ennemis. » 

Jaynak acquiesça, sans pour autant se bercer d’illusions. 

Les drones reprirent place à mi-chemin du bâtiment. 

« Pechko et Naldeia, prenez vos armes ! ordonna Ymeo. Allez, et couvrez d’honneur Grendchko, notre maître à tous ! »

 

lundi 7 octobre 2024

L'Essence des Sens : chapitre 15

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le quinzième.

15. Les cinq vies du Fengir 

Leur première journée de stage n’était pas achevée, loin s’en fallait. Après une période bien trop courte, Ymeo et ses drones revinrent. Jaynak parvint à s’arracher à l’emprise du sengré, mais les drones durent utiliser leurs champs de force pour retirer les ballons-tubes des mains de Lorkcho et de Glenk. Hébétés, ceux-ci se demandaient ce qui leur arrivait. « Nous allons passer à la salle d’immersion, fit la voix ferme d’Ymeo. Suivez-moi. » 

Tout en redoutant le pire, Jaynak alla aider Lorkcho à se lever. Son compagnon manqua le faire tomber en s’appuyant de tout son poids contre lui. Jaynak lui-même était insuffisamment remis de la première épreuve, ses jambes étaient lourdes, chacun de ses membres lui signalait une courbature. La petite procession gagna cahin-caha l’une des salles du complexe dédiées à la réalité virtuelle. Chaque casque était accroché à une patère dans un compartiment tubulaire de vitriglass. Ymeo indiqua aux stagiaires de prendre place et d’enfiler le casque. Un simple regard apprit à Jaynak qu’il n’était pas le seul à s’avancer avec circonspection. Lorsqu’il pénétra à l’intérieur de son tube, le sol s’affaissa sous lui avant de reprendre sa fermeté — Jaynak se rattrapa aux parois. La technologie ici était rétrograde. Il se trouvait sur une sorte de socle, ou de tapis dont il sentait qu’il pouvait bouger sous ses pieds. Il y avait sans doute une raison à cette volonté de ne pas installer directement une salle holographique. 

Jaynak battit des paupières. Le mystère. L’impossibilité de jeter un simple coup d’œil en passant à l’intérieur pour voir quel décor était projeté laissait entendre que l’on développait ici un programme secret. Quelle en était la teneur ? Jaynak frissonna en enfilant son casque. A ses côtés dans leurs propres tubes, ses compagnons s’équipaient également. L’obscurité fut d’abord totale. Puis, une lueur verdâtre se mit à filtrer, tandis qu’un bourdonnement de sons inconnus lui parvenait. A mesure que l’image se précisait, les sifflements, caquetages, barrissements et autres hululements de la jungle gagnaient en volume. Quatre membres velus flottaient devant lui. Instinctivement, Jaynak chercha à lever les mains pour s’en protéger. 

Les quatre membres se levèrent à l’unisson en posture défensive. Stupéfait, Jaynak tenta de bouger une main pour la placer devant ses yeux. Une paluche griffue se présenta en gros plan. 

Un Fengir. La simulation le mettait dans la peau de l’un de leurs alliés. A en juger par la forme distordue des arbres, les couleurs criardes de certaines plantes probablement carnivores, les lianes qui, parfois remuaient sans qu’aucune brise ne se fasse sentir, il se retrouvait sur la sinistrement célèbre planète Helgash 7. D’inquiétants craquements retentissaient dans la végétation. Un chuintement lui fit porter le regard plus bas. Un serpent ondulait dans les hautes herbes, s’éloignant de lui. Un grondement glaça le sang de Jaynak dans ses veines, avant qu’il ne se rende compte qu’il émanait de lui-même. Balayant le décor, il chercha en pure perte à apercevoir l’un de ses compagnons. Ce n’est qu’en écarquillant les yeux qu’il discerna la forme ramassée, parfaitement immobile d’un Fengir dont la fourrure se confondait avec la branche de l’arbre sur laquelle il était posté. Dans l’ombre, des prunelles jaunes luisaient d’intelligence. Jaynak sut immédiatement que ce ne pouvait être l’un de ses compagnons — l’osmose entre la créature et son environnement était trop parfaite. 

« Rejoins-moi, feula le Fengir. Grimpe sur la branche. » L’une des mains griffues désignait l’endroit. 

 « Et si je refuse ? » demanda Jaynak d’un ton de défi. 

Un arc de douleur irisé se répandit de son crâne à tous ses membres, qui se mirent à trembler. Jaynak voulut retirer le casque, mais s’aperçut que ses bras ne répondaient plus. Il poussa un gémissement. « Si tu persistes à chercher à enlever ton casque, tu seras exclu du Stage de Remise sur la Voie. Souhaites-tu tant que cela visiter les mines d’Ulicron ? » 

Jaynak se souvint de différents procès qui avaient défrayé la chronique. A sa connaissance, aucune des familles dont l’un des proches avait été exilé sur la lune n’avait pu faire annuler ou commuer la sentence. Il interrompit aussitôt ses efforts. Les quatre bras de son avatar, figés à mi-hauteur, retombèrent le long de son corps. 

« Un seul bond devrait suffire. » 

Les nerfs encore à vif, Jaynak respira néanmoins avec plus de facilité. Il s’avança vers la branche avec incrédulité. La hauteur à laquelle elle se trouvait était trop importante, d’après son estimation, d’autant qu’il n’était équipé d’aucun ajusteur gravitationnel qui lui aurait permis de tricher. Les empreintes dans les herbes ne laissaient aucun doute quant à la masse de son avatar. Le tronc, en revanche, n’était pas vertical, et si Jaynak parvenait à faire jouer les griffes en grande partie rétractées qu’il apercevait… Il décida malgré tout de tenter le saut en premier lieu, ne voulant pas risquer une nouvelle décharge électrique. 

Ses jambes ne fonctionnaient pas selon le même mode que les siennes sur Nadar, il eut des difficultés à obtenir un fléchissement. Jaynak avait cependant déjà utilisé des simulations assez pointues, et savait qu’il suffisait de maintenir ses instructions un certain temps pour que le programme s’adapte à ses connexions neurales et produise les résultats escomptés. Ce fut effectivement le cas. Dès que le fléchissement se fit, Jaynak s’élança sans trop d’espoir. Le bond fut nettement plus impressionnant qu’il ne s’y attendait, il ne manqua la cible que d’un demi-mètre. En retombant, il roula maladroitement, et fut parcouru d’une nouvelle onde de douleur quand son épaule rencontra un caillou pointu. Il grimaça, et retint un juron. Le simulateur retranscrivait un peu trop fidèlement les chocs. Jaynak ressentait aussi des élancements en provenance de cette paire de bras supplémentaires qu’il ne savait pas encore gérer. Avant de se lancer dans une autre tentative, il exerça sa volonté à en prendre le contrôle, et ne s’estima satisfait qu’après avoir effectué plusieurs arcs de cercle avec chacun. Dans l’intervalle, il découvrit également comment sortir ses griffes — il suffisait de concentrer sa pensée sur ses doigts suffisamment longtemps et d’évoquer les griffes pour que celles-ci finissent par surgir. 

« J’attends toujours », grogna le Fengir du haut de sa branche. 

Jaynak se retrouvait submergé par le potentiel de son avatar. Il pouvait exhiber individuellement, par groupes ou simultanément les seize griffes dont il disposait, à condition de produire l’effort mental adéquat. Comme le déplacement de ses six membres ne lui venait pas non plus naturellement, il se sentait plus que maladroit. Il décida de se focaliser d’abord sur ses jambes, mais pas uniquement sur elles. Il les fléchit cette fois à leur maximum, et s’attacha à coordonner le mouvement avec ses quatre bras, qu’il étendit vers le haut au moment où il bondissait. La branche se rapprocha à une vitesse saisissante. Jaynak poussa un cri de surprise en la dépassant. Il ne la perdit pas des yeux, toutefois, et en retombant, l’agrippa avec trois de ses mains. Le choc fut violent. Sa prise glissa jusqu’à ce qu’il pense à sortir les griffes. Jaynak se retrouva suspendu à la verticale, se balançant de manière incontrôlée. 

Ses bras le faisaient souffrir. Il ne pouvait cependant s’empêcher de ressentir la puissance inaccoutumée des muscles sous sa fourrure. Alors, il prit son élan, attendit le moment propice pour planter ses griffes dans la branche, puis, quand il gagna suffisamment de vitesse, lança l’une de ses jambes en l’air. Celle-ci atteignit le sommet de la branche, lui procurant un nouveau point d’appui. Il commença à se redresser, mais dut ordonner la rétraction de ses griffes pour ne pas se retrouver coincé. Ce ne fut qu’une fois à califourchon qu’il reprit bruyamment son souffle. L’arbre surplombait un gouffre d’où jaillissaient les troncs majestueux de dizaines de ses congénères. Des centaines de lianes pendaient, certaines en mouvement. 

« Pas très académique, commenta le Fengir d’une voix doucereuse. Mais pas si mauvais pour un extracorporel. Tu vois cette branche là-bas ? » Il désignait une ramification au-dessus du gouffre, aussi large que noueuse. « On ne peut pas l’atteindre directement. Et quand tu te sers d’une liane, tu dois en choisir une grenat. Les vertes sont les appendices des nedlecs et des frungiae, des plantes carnivores. » Le Fengir bondit sur la liane, l’agrippa, décrivit une courbe parabolique et, défiant la gravité, se jeta avec grâce sur la si lointaine branche. Son rétablissement fut parfait. « Rejoins-moi ! » rugit-il. 

Jaynak secoua la tête. La liane qui se balançait à présent était si fine et distante, la branche inaccessible. On ne demandait pas à un enfant qui savait à peine marcher de se lancer dans le sprint de sa vie. L’apprentissage avait beau être accéléré dans des simulations telles que celles-ci, il y avait des limites. Mais avait-il le choix ? Ymeo avait spécifié que la volonté de bien faire était récompensée, même si l’on échouait — ce qui impliquait de ne pas reculer devant l’obstacle. Jaynak détailla en pensée la succession de mouvements à accomplir. Il ne connaissait encore que très imparfaitement sa puissance physique, alors comment garantir la précision nécessaire ? Comment s’assurer une maîtrise de son équilibre similaire à celle de son mystérieux guide ? 

Il ne pouvait avoir aucune certitude. Si réponse il y avait, elle ne pouvait résider que dans la foi. Ce stage avait pour but, d’après ce qu’on lui avait dit, de faire de lui l’un des Fervents de Grendchko. Le moment était sans doute venu d’écarter tout raisonnement pour se transformer littéralement en Fervent.

Jaynak prit une grande inspiration et, se remémorant les mouvements de son guide, s’élança. Sensation de chute, vertigineuse. La liane s’était stabilisée et se rapprochait à grande vitesse. Deux des mains de Jaynak se refermèrent sur elle. La liane glissa, lui arracha des poils. Resserrant sa prise, Jaynak interrompit sa chute. Il lança ses jambes en avant pour favoriser le mouvement de balancier. Des branchages le frôlèrent, puis il remonta. Son estomac en fit autant, dans sa bouche. En un éclair, il vit son guide sur sa branche. Lâcha prise. 

Trop tard, cependant. Sa trajectoire l’amena en surplomb de la branche où l’attendait le Fengir. Jaynak se contorsionna, battit l’air de ses mains en pure perte. Son rugissement trahit sa surprise et son dépit. De nouveau, la chute. Il rebondit sur plusieurs obstacles qui le meurtrirent. Le sol approcha à mille à l’heure. Sa colonne vertébrale émit un sinistre craquement. D’une intensité extrême, insupportable, sa douloureuse agonie fut presque aussitôt éteinte par la perte de conscience. 

Ecran noir. La lueur verdâtre, indistincte, se précisa peu à peu. Le bourdonnement désormais familier de la jungle d’Helgash 7 lui emplit les oreilles. Comme sa vue regagnait toute sa clarté, des lettres rouge sang se mirent à flotter dans l’air. Elles formaient des mots, et une phrase qui retentit sous la forme d’une voix robotique. « Il vous reste quatre vies pour cette épreuve. En cas de perte de toutes vos vies, vous serez éliminé du programme. » 

Jaynak discernait le Fengir sur la branche de son arbre malgré son camouflage. Ses épaules se voûtèrent. « Nos charmants organisateurs s’y entendent pour motiver les troupes », lâcha-t-il. Il s’avança. 

« Rejoins-moi, feula le Fengir au pelage fauve rayé de noir. Grimpe sur la branche. » 

Jaynak savait inutile de protester. Il se mit en position et se remémora ses gestes précédents. Il exerça de nouveau bras et griffes. Son corps répondait à présent avec plus d’empressement, même s’il était toujours aussi troublant d’agiter une paire de bras et de mains qu’il n’avait pas possédées en temps que Nadarien. Son saut fut cette fois plus précis, ses mains se plaquèrent sur le tronc, ses pieds atteignirent la branche large et solide sans que Jaynak n’ait besoin d’opérer de redressement. 

« Un bond presque impeccable, mais réussiras-tu le suivant ? » Le Fengir lui répéta les spécificités des lianes grenat et vertes, avant de s’élancer. Cette fois, Jaynak l’observa avec intensité, se focalisant sur le moment où son guide lâchait sa prise. Il avait voulu se conduire comme un Fervent la dernière fois, mais à présent, il connaissait la terrible douleur infligée en cas de chute — ses tripes en étaient nouées. Le programme utilisait un degré de réalisme interdit dans les simulations autorisées dans le commerce et destinées aux civils. Jaynak savait pourtant qu’il ne devait pas laisser la peur le paralyser. La canaliser, en revanche, oui. S’en servir pour contrôler chacun de ses mouvements avec la plus grande précision. Cultiver le lâcher-prise juste ce qu’il fallait, comme au cours de ses compétitions d’escalade. 

Jaynak emplit ses poumons avant de s’élancer, de détendre ses jambes. Plongeon vertigineux. Il empoigna cette fois la liane de ses quatre mains, et dès qu’il le put, redressa la tête pour découvrir le plus tôt possible la situation de son guide. Il lâcha la liane beaucoup plus tôt, et sa trajectoire rencontra la position de la branche. Le contact fut abrupt, Jaynak réalisa qu’il aurait dû suivre un tracé un peu moins direct, légèrement plus en surplomb, en contrôlant mieux sa force et sa vitesse. Mais il s’agrippa toutes griffes dehors et finit par se rétablir, pantelant, le poil hérissé, meurtri mais soulagé d’avoir évité une nouvelle chute mortelle. 

Le guide désigna une série de branches qui s’étendaient au-dessus d’une canopée d’arbres de taille plus réduite. « Tu dois maintenant apprendre à te mouvoir plus rapidement. En situation de combat, c’est indispensable. Ces branches sont toutes atteignables sans difficulté, mais tu devras enchaîner les sauts. Vois ! » Le Fengir s’élança avec sa grâce coutumière. A chaque reprise de contact, ses jambes se fléchissaient et il bondissait de nouveau, sans s’accorder aucun répit. Il se retourna après le cinquième saut et fit signe au novice. 

Jaynak se sentait incapable de l’imiter. Dès le début, il prit soin de bien assurer ses appuis avant de s’élancer. Les sauts étaient à sa portée, mais jamais il n’aurait pu aller aussi vite que son devancier. Ce ne fut qu’à l’avant-dernier qu’il parvint à accélérer quelque peu le rythme. 

« Un enfant aurait fait mieux, grogna son guide, mais je vois un potentiel d’amélioration. » 

Jaynak reprenait son souffle. L’épreuve était moins exigeante physiquement que celle du matin, toutefois le degré de réalisme de la simulation la rendait plus stressante. 

« Tu vois cet oiseau ? » demanda le Fengir. Un volatile au plumage jaune vif et aux pattes graciles se trouvait perché sur une branche en surplomb à une centaine de mètres. Son long bec en forme de trompe venait de plonger entre les pétales effilés d’une fleur mauve. « C’est un igona. Tu vas devoir le chasser. Démonstration. » 

Le Fengir mit bras et jambes sur la branche et, progressant sans un bruit, s’avança vers l’oiseau. Il se déplaçait avec souplesse et rapidité. Pour éviter d’entrer dans le champ de vision de sa proie, il sortit ses griffes et bascula sur la partie inférieure de la branche. Jaynak dut se pencher pour continuer à l’observer. Sa progression était ralentie, mais le Fengir se mouvait de manière très sûre. Il rejoignit le tronc en s’arrangeant pour se maintenir à couvert. Le regarder approcher de sa proie inconsciente du danger était une expérience fascinante. L’oiseau interrompit tout à coup son repas et sa tête se tourna de droite et de gauche de façon saccadée. Ses ailes commencèrent à se lever, pour se rabaisser aussitôt après. L’igona replongea vers son festin. 

Le Fengir reprit ses mouvements. Il se trouvait maintenant sous l’oiseau, couvert par l’épaisseur de la branche. Il se mit à se rétablir millimètre par millimètre, sa première main griffue positionnée à cinquante centimètres derrière l’igona. Une deuxième, puis une troisième main se posèrent à leur tour. Le Fengir n’attendit pas et se propulsa puissamment, sans un bruit. Il abattit sa main sur sa proie et acheva son arc de cercle en projetant le volatile dans sa bouche aux crocs luisants. Des plumes jaillirent. L’igona n’avait pas même eu le temps de crier. 

Le guide se retourna vers Jaynak et lui fit un signe de l’index — à lui de jouer. 

Visible de loin, la parure jaune vif d’une nouvelle proie se trouvait à cinquante mètres en contrebas, sur un arbre mitoyen. Jaynak dut opérer un détour en passant par une branche suffisamment robuste pour accueillir son poids. Ses mouvements se faisaient plus fluides, son corps commençait à découvrir des points d’équilibre de manière naturelle. De sa nouvelle position, Jaynak se propulsa vers l’arbre voisin. Il amortit sa chute comme il le put, sortit ses griffes et se mit à redescendre le tronc quasiment à la verticale, vacillant parfois, menaçant de glisser. Comme l’avait fait son guide, il s’efforçait d’avancer à couvert. Des coups d’œil furtifs lui permettaient de déterminer sa situation par rapport à sa proie. Parvenu en surplomb de celle-ci, il se positionna du bon côté du tronc. Au moment de vouloir bondir, cependant, il perdit l’équilibre et se rattrapa comme il le put sur la branche où s’était trouvée perchée sa proie. Le froufrou des ailes battantes signala sa défaite. Jaynak se tourna vers son guide, dépité. Celui-ci lui faisait signe de le rejoindre. Il obtempéra, au prix de nouveaux efforts pour atteindre l’arbre voisin.

 « Tu apprendras à mieux gérer ton équilibre, dit son guide. Une proie plus facile, maintenant — un être humain. Il s’est emparé d’un cristal de données vital pour l’Expansion et s’apprête à regagner son vaisseau. Pour cette épreuve, tu as le droit de redescendre au sol. Suis ce sentier. » 

Le Fengir désignait un passage à peine visible au pied des grands arbres, entre les fougères et les hautes herbes. Jaynak ignorait à quel point il devait se presser. Quels dangers l’attendaient là-bas ? Fallait-il privilégier la promptitude ou la discrétion ? 

Si l’humain n’allait pas tarder à rejoindre son vaisseau, mieux valait faire le plus vite possible. Au cours de sa descente, Jaynak prit pourtant les précautions nécessaires pour s’éviter une autre chute. Il se fiait à son instinct, à ce qui lui paraissait être de nouveaux sens pour gagner du temps. L’apprentissage se faisait d’autant plus rapidement, réalisa-t-il, quand les enjeux étaient élevés. Aussitôt le sentier atteint, il se mit à courir. Racines, branches et végétaux défilaient. Par deux fois, Jaynak manqua glisser dans une fondrière. Il aperçut enfin sa cible, un être humain vêtu de bleu. De dos, il ne semblait pas armé — impossible d’être sûr. Comme il accélérait, le tapis sous les pieds du vrai Jaynak dans la salle de simulation en faisait autant. Jaynak se mit à haleter sous l’effort, bien réel. 

L’individu avait les cheveux noirs. Il se retourna à demi, le vit, et se mit à courir. Plus grand, plus véloce, Jaynak allait bien plus vite, et gagnait du terrain. Le chemin déboucha sur une fourche. L’homme prit à droite, mais une scène sur la voie de gauche stoppa Jaynak dans son élan. 

Trois êtres humains, deux mâles et une femelle, harcelaient à l’aide de leurs lances électriques une Fengir au ventre proéminent. Il y avait un jeune, le poil hérissé, qui se tenait aux côtés de sa mère tout en feulant. Les coups pleuvaient, et l’un d’eux toucha la Fengir sur le ventre qui abritait une nouvelle vie. Elle poussa un cri de douleur et de colère, vacilla sur ses jambes, mit un genou à terre. Le cercle des assaillants commença à se refermer sur elle. 

La scène n’avait duré que quelques secondes. Se faisant violence, Jaynak interdit à ses membres inférieurs le bond qu’il avait envisagé en direction de l’un des agresseurs de la Fengir. Il prit à droite sur le sentier, lâchant un grognement. L’homme avait regagné du terrain, et son vaisseau apparut, à quelques encablures seulement. Jaynak força l’allure. Il ne restait qu’une cinquantaine de mètres entre lui et l’appareil quand il bondit. Il atterrit sur le dos de l’individu. Celui-ci se contorsionna, se retourna pour combattre, et Jaynak en profita pour plonger ses griffes tranchantes dans la gorge de sa victime. Le sang jaillit. L’homme fut agité de soubresauts, puis son corps cessa de bouger. Le cœur battant à tout rompre, Jaynak le fouilla et trouva le cristal de données. Il fit volte-face. Son guide le contemplait de toute sa hauteur — avec approbation. « Tu as réussi cette épreuve. A bientôt. » 

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Retrouvez les cinq premiers chapitres en cliquant sur ce lien.

 

lundi 30 septembre 2024

L'Essence des Sens : chapitre 14

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le quatorzième. 


14. Nouvelle Voie 

On se mit à secouer Jaynak sans ménagement. Il émergea péniblement de son sommeil pour reconnaître la figure casquée d’un garde. L’individu était petit et râblé, au contraire du collègue qui l’accompagnait, un Nadarien corpulent. Tous deux portaient des combinaisons de combat. Le plus petit pointa sur lui un disrupteur. Il fit un signe impératif en direction de la porte. 

En dépit de la crainte que lui inspirait la présence des sinistres soldats, Jaynak fut soulagé de quitter sa cellule. Tandis que lui et ses gardes avançaient dans le couloir, une porte latérale s’ouvrit, et d’autres geôliers en sortirent, escortant un nouveau prisonnier. Les deux groupes n’en formèrent qu’un. De nouvelles portes glissèrent, et le scénario se répéta. 

Le vent fouetta Jaynak au moment où il pénétra sur le balcon. Il redressa les épaules, se sentant revivre. Il n’était pas le seul à réagir ainsi. L’un de ses codétenus était une femme de belle prestance, au long nez fin. Elle aussi paraissait apprécier l’interruption, si momentanée fût-elle, de l’enfermement. Comme son regard s’attardait sur la jeune femme, elle détourna le visage. 

Au-delà d’un balcon se déployait la cité de Mustra, dont l’architecture à base de noyaux, de ramifications et de plates-formes défiant la gravité n’avait rien à envier à celle d’Argea. Altanis n’était pas encore haute dans le ciel — c’était le matin. Un jetbus les attendait le long d’un quai, maintenu en place par ses réacteurs antigrav. Une fois à l’intérieur, Jaynak put constater qu’ils étaient six prisonniers. Il n’y avait qu’une femme. Certains étaient comme lui plutôt jeunes, le plus vieux étant encore dans la force de l’âge. Tous paraissaient en forme, à l’exception d’un individu au regard terrifié dont le teint était blafard, et qui accusait de l’embonpoint. 

L’engin prit son envol. Très vite, il s’écarta des couloirs de navigation empruntés par des centaines de flotteurs et autres navettes, laissa dans son sillage la cité et accéléra. Le trajet fut assez bref avant qu’ils ne se mettent à perdre de l’altitude. Ils traversèrent une couche nuageuse, derrière laquelle apparut une vaste étendue d’eau d’un vert émeraude qui devait être la mer septentrionale. Un point grossit peu à peu, devint une île à la végétation éparse. De type semi-minérales, certaines des fougères vert sombre s’intégraient naturellement à la roche, et comme souvent sur Nadar, il était difficile de dire où commençait le végétal et où s’interrompaient les grands éperons rocheux. Quelques collines venaient rompre la relative platitude de l’endroit. 

Comme le jetbus effectuait sa manœuvre d’approche, Jaynak distingua une colonie de robots et d’ouvriers s’appliquant à construire des structures à la mode fengirienne. On voyait là baraquements, stands de tir, parcours du combattant, champs d’exercices pour blindés et unités cybernétiques, et même un astroport à moitié achevé. 

Jaynak eut l’intuition que la conception qu’avait Grendchko du Stage de Remise sur la Voie n’incluait pas d’interactions sociales comme le fait de s’occuper des personnes les plus âgées ou en difficulté. 

Le jetbus se posa, et on conduisit les nouveaux stagiaires vers l’un des baraquements. L’intérieur, austère et fonctionnel, comprenait le minimum de mobilier. Derrière une porte qui s’entrouvrit à leur passage, Jaynak entrevit plusieurs de ses concitoyens coiffés d’un casque d’immersion en réalité virtuelle. Un peu plus loin, ils débouchèrent dans une grande salle où se trouvait une femme qui faisait face à une vingtaine d’individus. Des drones de sécurité flottaient en hauteur. 

Les gardes qui les avaient conduits jusque là se retirèrent et la femme se tourna vers eux. Elle était jeune, avait les yeux en amande et une silhouette voluptueuse, néanmoins assez athlétique. « Bonjour, les stagiaires. Je suis Ymeo, votre nouvelle guide-instructrice. » Elle les dévisagea les uns après les autres tout en circulant sur la largeur de la pièce, les mains dans le dos. Lorsque ce fut son tour, Jaynak eut l’impression d’être scanné jusqu’à la moelle. L’intensité de l’expression de la femme servait peut-être à dissimuler un certain manque d’expérience, ce qui n’était pas forcément bon signe — cette Ymeo chercherait à compenser par un zèle excessif, et ferait sans doute un exemple à la première occasion. 

 « Vous êtes ici, reprit-elle, parce que vous vous êtes retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment. C’était peut-être de la simple malchance. C’était peut-être autre chose. Votre appartenance au groupe hors-la-loi des Réfractaires ne peut être prouvée. Mais de la même manière, votre non-appartenance ne peut être démontrée. C’est pourquoi, si vous vous comportez en coupables, si vous tentez de vous enfuir, de joindre l’extérieur, de désobéir ou de vous rebeller, vous serez abattus par les drones SR que vous voyez ici. Au cas où vous parviendriez à leur échapper par je ne sais quel miracle, je vous rappelle que nous sommes sur une île. Vous serez inéluctablement retrouvés, et exécutés. » 

Jaynak examina les engins flottants, et aperçut les sinistres canons des disrupteurs dont ils étaient équipés. Il réprima un frisson. L’absence de soldats aux côtés de leur guide-instructrice était une preuve de la confiance que l’on faisait aux drones. 

« SR pour surveillance-répression, précisa Ymeo. Ne vous avisez pas de tester leur efficacité. Si vous montrez peu d’empressement à la tâche, si vous rechignez, votre stage se poursuivra dans les mines de tiridium d’Ulicron. » 

Jaynak avait du mal à en croire ses oreilles. Le bannissement dans les mines d’Ulicron, la lune de Nadar, était considéré comme la pire punition avant l’exécution pure et simple. Il se murmurait qu’aucun de ceux qui y étaient envoyés n’en revenait. Jaynak avait même fréquenté des forums où l’on prétendait que le travail d’individus organiques n’était pas nécessaire sur ces mines, et que les malheureux transférés là-bas étaient tellement drogués que leur productivité s’avérait de toute façon négligeable. 

« Si en revanche, vous faites vos preuves, vous vous verrez offrir l’opportunité de rejoindre les rangs des Fervents de Grendchko. Alors seulement, vous pourrez entrer en contact avec vos proches. Une bonne partie des résidents sur cette île sont des Fervents, et il en débarque chaque jour. » Elle eut un geste vers la vingtaine de personnes assemblées. C’étaient surtout des hommes, dont la plupart ne cachaient pas leur mépris envers les nouveaux venus. « Ne leur manquez de respect sous aucun prétexte. Vous constaterez que notre Premier Coordonnateur ne ménage pas sa peine pour faire des meilleurs d’entre eux l’élite de notre société. » 

Elle marqua une pause. Un sourire en coin, que Jaynak jugea cruel, apparut sur ses lèvres. « Avant de passer à la suite, j’ai une question pour vous. Est-ce que l’un d’entre vous souhaite témoigner son désaccord ? » 

Le silence qui suivit fut éloquent. 

« Non ? Parfait. Heureuse de voir que nous sommes sur la même longueur d’onde. » Elle fit un signe, et un assistant portant des bandeaux jaunes s’approcha, et commença à les distribuer aux six stagiaires. La couleur était symbole d’inexpérience. « Mettez-les », ordonna Ymeo. 

En s’exécutant, Jaynak s’aperçut que son bandeau était auto-ajustant. Il lui tenait le crâne bien serré. Aucun des Fervents n’en arborait, et plusieurs d’entre eux se mirent à ricaner. 

« Vous n’aurez le droit de les enlever que pour dormir. Les bandeaux enverront une alerte s’ils ne sont pas sur vos crânes. » 

Les fâcheux ornements devaient être munis de traceurs. Leurs geôliers auraient aussi pu leur greffer ce type de dispositif sous la peau, mais les bandeaux offraient en outre un bon repère visuel. Leur couleur était un rappel permanent de la déchéance de leur rang. 

C’était l’heure du repas. Dans un grand réfectoire, les six stagiaires partagèrent, à une table à l’écart de celle des Fervents, leur ration de poudre primordiale arrosée d’un peu d’eau. Ils profitèrent de ce rare moment de répit pour se présenter les uns aux autres. La femme se nommait Naldeia et l’homme à la complexion maladive, Lorkcho. Un individu au front haut et au visage animé appelé Glenk prit la parole. Son statut devait avoir été élevé dans la société, car il s’exprimait du ton impérieux d’un édile. « Vous êtes tous d’accord, je l’espère, pour convenir que la situation est un véritable scandale ? Comment comptez-vous réagir ? » Deux des stagiaires, dont l’un avait l’air roublard, pointèrent le doigt sur leur bandeau. « Vous croyez que… ? 

– Ferme-la », fit Pechko, le Nadarien de courte taille à la mine rusée. 

Glenk secoua la tête, mais se tut. Le reste du repas s’écoula en silence, chacun ruminant de sombres pensées. De temps à autre, un drone passait à la verticale de leur table avant de poursuivre sa ronde. Jaynak ressentit une légère démangeaison sous son bandeau, qu’il choisit d’ignorer. Il y eut un brouhaha un peu plus important. Les membres de la tablée de Fervents les plus proches s’étaient levés tous ensemble. Ils n’étaient pas les seuls, tous les Fervents devaient avoir reçu le même ordre. 

« Les Jaunes, c’est le moment de montrer ce que vous valez. » 

Jaynak se tourna vers le soldat qui venait de les apostropher ainsi. Lui aussi était escorté d’une paire de drones SR. Une étincelle moqueuse brillait dans son regard. « Suivez-moi », ordonna-t-il. 

Le camp d’entraînement bourdonnait de sons, des piétinements de robots géants équipés de quadruples canons au sifflement de blindés en suspension grâce à leurs réacteurs antigrav, en passant par les ordres aboyés ici et là. Plus lointain, le vacarme des défricheuses et autres engins de terrassement leur parvenait assourdi. Les travaux n’avaient sans doute été entamés que depuis l’investiture de Grendchko, mais devant les robots de toute sorte, la nature perdait rapidement du terrain. C’était là une voie bien différente de celle de l’argelen, qui prônait la communion avec l’environnement pour réaliser des structures les mieux adaptées. 

Jaynak n’eut guère le loisir de prolonger sa réflexion sur le sujet. Le soldat les avait en effet emmenés devant Ymeo, qui ordonna de la suivre au trot. De manière surprenante, la voix féminine émanait du bandeau. 

Un drone s’approcha par l’arrière, et Jaynak, décelant une menace, s’activa aussitôt. Un arc bleuté jaillit cependant et toucha Glenk, qui n’avait pas réagi assez vite. L’homme poussa un cri aigu et se mit à sprinter en se frottant le postérieur, rattrapant puis bousculant deux de ses compagnons. Jaynak se retrouva en queue de peloton, aux côtés de Lorkcho qui paraissait connaître des difficultés. Il lui tapota l’épaule pour le rassurer, et, quand l’autre le dévisagea, fit un signe de connivence. 

Ymeo leva le bras, et le petit groupe stoppa au pied d’une piste bordée de lichens pourvus de longues tiges évasées croissant à la verticale, de couleur violacée. Elle n’était pas même essoufflée là où Lorkcho, plié en deux, s’efforçait de récupérer. « Bien, les Jaunes, dit-elle. Bienvenue à votre tout premier parcours d’entraînement. C’est en disciplinant vos corps que vous disciplinerez vos esprits, et atteindrez le niveau d’excellence que l’on attend de vous. Le premier obstacle devant vous est une double boucle gravimétrique. » Elle étendit la main, et Jaynak contempla, à quelque deux cents mètres de distance, la piste qui se prolongeait, s’élevait en un impressionnant anneau. On devinait à peine le second, caché par le premier. Il y avait des gens de part et d’autre. « Vous devez courir à une certaine vitesse pour que la fonction d’ajustement gravitationnel de cette section s’active et vous prenne en charge. Si c’est le cas, vous le sentirez dans vos pieds. La prise en charge cesse dès lors que vous ralentissez. Comme votre petit groupe m’est sympathique, je vous donne un conseil. La plus grande difficulté consiste à ne pas se laisser impressionner par la pente et à maintenir coûte que coûte son allure. Vous commencez, dit-elle en désignant Glenk. Je veux un intervalle de quinze secondes entre chaque participant. » Elle indiqua les coureurs suivants. Jaynak se retrouva en dernière position. 

Ymeo leva le bras, puis l’abaissa. « Allez, les Jaunes, donnez tout ce que vous avez ! » 

Glenk s’élança. Un drone se mit à le suivre, ce dont il s’aperçut. Dès lors, il augmenta nettement son allure, désireux de ne pas renouveler l’expérience de la cuisante punition. Pechko fut le second. Vint alors Lindev, un jeune sportif à la silhouette bien découplée qui eut tôt fait de rattraper, puis dépasser le petit Pechko. Naldeia suivit, puis Lorkcho, et enfin Jaynak. Les deux cents mètres avant le premier obstacle étaient parfaitement plats, pourtant Lorkcho connut rapidement des difficultés. Jaynak le doubla non sans un sentiment de culpabilité. Il aurait voulu rester à ses côtés pour le soutenir, mais craignait que l’élan ne lui manque pour réussir l’épreuve. Il respirait régulièrement, contrôlant son souffle comme il en avait pris l’habitude chaque fois qu’il pratiquait un sport d’endurance. 

Des rires et autres exclamations moqueuses retentirent. Le premier d’entre eux, Glenk, après avoir entamé l’ascension périlleuse, avait ralenti et était tombé sur le ventre avant de rouler sur une bonne partie de la première boucle. Lindev bondit par-dessus lui et poursuivit sa course sur le même rythme. Jaynak observa le jeune homme avec intensité, ignorant les quolibets des Fervents à l’attention de Glenk. 

Lindev réussit à faire le tour sans chuter, et Jaynak, après avoir noté dans un recoin de sa tête l’allure à laquelle il avait évolué, reporta son attention sur Naldeia, qui abordait l’obstacle. 

D’autres acclamations moqueuses retentirent lorsque Pechko fit piteusement demi-tour, sans toutefois tomber. 

Naldeia courait aussi vite que Jaynak, il n’avait pas gagné de terrain sur elle. Les jambes de la jeune femme étaient souples et fermes malgré leur minceur. Arrivée à l’endroit le plus périlleux, juste avant la moitié de la première boucle, la tête en bas, elle commit l’erreur terrible de ralentir. La fonction d’ajustement gravitationnel cessa brusquement d’opérer. A quelque huit mètres du sol, elle aurait dû à tout le moins se casser les deux bras, qu’elle mit en opposition dans sa chute. 

L’un des drones intervint en activant un champ de force, déviant sa trajectoire et la freinant. Le contact fut malgré tout brutal. Elle poussa un cri de douleur et roula sur elle-même. 

Déferlement de rires et de moqueries de part et d’autre de la piste, où les Fervents s’en donnaient à cœur joie. 

Jaynak n’eut pas le temps d’en apprécier davantage. Devant lui, la voie assez étroite se raidissait. Il accéléra jusqu’à sentir une tension dans ses pieds — la fonction d’ajustement gravimétrique, défiant les lois naturelles, maintenait sa position, et le ferait tant qu’il parviendrait à courir sur le même rythme. L’ajusteur était conçu pour ne pas entraver ses mouvements, cependant, le choc psychologique d’avoir à affronter une pente était ardu à surmonter. Jaynak se contraignit à ignorer la montée vertigineuse, à faire comme s’il courait toujours sur du plat. L’effort était plus intense, néanmoins, et il haletait. La pente était si abrupte que continuer à courir semblait relever de la folie, le sang lui battait dans les tempes. Jaynak lança désespérément ses jambes. Cette fois, la descente se fit terriblement inclinée, et Jaynak dut maîtriser un mouvement de panique et contrôler ses membres pour éviter la chute. 

Il y parvint de justesse. Le temps était compté pour reprendre son souffle, car déjà, la seconde boucle approchait. L’expérience de la première était précieuse, mais il fallait gérer l’effort au mieux, et, arrivé à mi-distance, Jaynak se sentit presque à bout de souffle. Là encore, il persista avec acharnement, se transcenda. Le moment vint de contenir sa vitesse dans la nouvelle descente. Ses jambes finirent toutefois par le lâcher, et il roula jusqu’au bas de la boucle. 

Les Fervents le désignaient du doigt en se gargarisant et en l’abreuvant de sarcasmes. Jaynak se releva, meurtri, et vit que Lindev était le seul à avoir réussi l’épreuve. Naldeia, cependant, s’était redressée, et Lorkcho ne paraissait pas être tombé. Les mains sur les hanches, il s’efforçait de récupérer. Naldeia, quant à elle se frottait coudes et avant-bras, qu’elle avait râpés. 

Ymeo ne s’avérait pas disposée à faire cesser l’hilarité des Fervents. Elle ne la partageait pas toutefois, et se montra magnanime. « Pour ceux d’entre vous qui sont tombés ou ont dû renoncer, ce n’est pas grave du moment que vous avez essayé de toutes vos forces. C’est votre volonté de bien faire que nous mesurons au cours de ce stage de Remise sur la Voie. Vos capacités, quant à elles, détermineront simplement votre rang au sein des Fervents. » Tout en s’exprimant ainsi, elle se rapprocha de Lindev, qui bomba le torse. « Vos aptitudes semblent vous destiner à jouer les premiers rôles », dit-elle en lui octroyant un sourire. 

Jaynak ne remarqua les sacs de pierre sur le bord de la piste que quand Ymeo les désigna. « Ces sacs à dos pèsent 25 kg chacun. Vous allez les enfiler pour la dernière épreuve physique de la journée. » 

Plus d’une paire d’épaules se voûta dans le petit groupe, et le sang se retira du visage de certains. Les drones, sentinelles silencieuses, flottaient toujours à la verticale, et nul ne protesta. Chaque coureur devait s’élancer avec le même intervalle que précédemment, et dans le même ordre. Hisser le sac sur les épaules était déjà une prouesse — Jaynak donna un coup de main à Naldeia, qui le remercia d’un pâle sourire. Premier à affronter l’épreuve, Glenk fut contraint très tôt de ralentir le rythme. Ses foulées étaient saccadées trahissant le poids sur son dos. De temps à autre, il jetait, en arrière et vers le haut, un coup d’œil au drone menaçant, lequel se contentait de le suivre sans intervenir. 

En voyant partir Lorkcho, Jaynak fut persuadé que son compagnon allait devoir très vite abandonner, victime du surpoids supplémentaire. L’homme le surprit, cependant, et il ne le rattrapa qu’au bout d’une trentaine de foulées. Ses jambes et pieds le brûlaient, le sac s’évertuait à lui cisailler les épaules. Refusant de céder à la douleur, il prit résolument le bras de Lorkcho et le tira. Son allure en fut terriblement ralentie, mais il persista. Alors que ses forces menaçaient de l’abandonner, ils atteignirent l’obstacle, et furent accueillis par le son si désagréablement familier du rire des Fervents de part et d’autre. Il y avait là une étendue de boue suivie d’un mur de kécelite. Juste avant, deux paires de bracelets et chaussures munies de crochet de titane les attendaient. Sans les rires, peut-être les jambes de Jaynak, à l’image de celles de Pechko qui était couvert de boue des pieds à la tête, auraient-elles cédé. Mais les ricanements agirent sur lui comme un coup de fouet et il murmura à Lorkcho tout près de lui. « Allez mon ami ! A cœur vaillant, rien d’impossible. » Tous deux s’équipèrent avant d’accomplir la première enjambée, en profitant pour récupérer quelque peu. 

La boue semblait sans fond, et Jaynak se vit glisser avec inquiétude jusqu’à la taille. Elle avait, néanmoins, une viscosité suffisante pour ne pas interdire les mouvements. Tenant toujours Lorkcho, il avança. Son compagnon hésita, puis s’efforça de reproduire sa démarche. Il vacilla, menaça de s’effondrer mais se remit d’aplomb. « Courage ! » fit Jaynak. Un pas, puis l’autre, dans d’innommables bruits de succion. La boue était froide, l’équilibre, précaire. Les épaules, les membres supérieurs et inférieurs brûlaient, le souffle était court. Pourtant, Jaynak gardait le mur en ligne de mire. 

Lindev faisait la preuve de ses capacités en abordant le dernier tiers de la paroi. Glenk avait déjà dû renoncer et en faisait le tour, de même que Pechko. Naldeia, quant à elle, parvint au premier tiers. Irrésistiblement entraînée en arrière par le poids du sac, elle tomba alors sur le dos dans une grande gerbe brune. Elle roula et se releva en toussant, puis se dirigea piteusement à la suite de Glenk et Pechko. 

Jaynak pivota vers Lorkcho. Malgré son handicap, celui-ci bougeait ses grosses cuisses comme s’il devait emporter toute la boue avec lui. Jaynak fut fier de sa détermination. Ils arrivèrent au pied du mur ensemble, et Jaynak sut qu’il était parvenu au bout de l’aide qu’il pouvait apporter à son compagnon d’infortune. Enfin dans son élément, il ressentit les aspérités dans la roche. Il grimpa. Derrière lui, Lorkcho dut renoncer dès la première prise. 

Le sac dans le dos de Jaynak était comme la main d’un géant cherchant à l’arracher du mur. Il résista. Encore et encore, avec une obstination bornée, il s’agrippa à la paroi, lança bras et jambe à la recherche de l’appui suivant, plongé dans une concentration sans faille. Il était forcé de récupérer à chaque reprise d’appui bien plus longtemps qu’il ne l’avait jamais fait depuis qu’il était débutant. A chaque mouvement, il se retrouvait en équilibre, étonné de ne pas avoir été rejeté dans la boue. Quand sa main droite toucha enfin le sommet du mur, se fut une délivrance inexprimable. Il rassembla ses ultimes réserves et parvint à hisser une jambe, puis à se redresser à califourchon sur le mur. 

En bas, les rires des Fervents avaient cessé. Il entendit même Naldeia le féliciter d’un « bravo ». Dès qu’il eut récupéré suffisamment, il entama la descente, les membres tremblants. Il n’y avait plus de boue pour le réceptionner, et étant donné la dureté du sol, il risquait de se casser quelque chose en cas de chute. Avec d’infinies précautions, il descendit, et regagna enfin le sol. Ses membres pesaient une tonne. 

« Ce fut bien long, remarqua avec acidité Ymeo. Mais je ne vous ferai pas le reproche d’avoir aidé l’un des vôtres. Votre esprit de corps vous vaudra même une appréciation favorable. » 

Après avoir enlevé autant de boue qu’ils le pouvaient, ils abandonnèrent leurs sacs et prirent le chemin du retour d’un pas désormais libéré d’une bonne part de sa pesanteur. 

Dans la salle à manger du baraquement, l’ambiance entre les six compagnons fut plus morose, plus désespérée même qu’elle ne l’avait été jusque là. Ils faisaient encore l’objet des quolibets de certains des Fervents revenus en même temps qu’eux, lesquels décrivaient avec force mimiques démonstratives leurs « exploits ». Toutefois, la fatigue dans les membres était telle que tout instinct de révolte se retrouvait étouffé. La pause déjeuner s’avéra brève. Ymeo réapparut devant eux. « Vous avez mérité un moment de détente, dit-elle. Suivez-moi. » 

D’un pas traînant pour la plupart, ils lui obéirent. La pièce dans laquelle ils pénétrèrent était pourvue de couches magnétiques. Des fenêtres de vitriglass laissaient voir le jour. A côté de chaque lit, des vapeurs odorantes s’échappaient de ballons-tubes. « Méfiez-vous, sourit Ymeo, le sengré est assez fort, ici. » Elle les abandonna. 

Lorkcho fit un grand bruit en s’affalant sur son lit. Jaynak l’observa avec inquiétude. L’homme ne tarda pourtant pas à se relever, à s’asseoir et à mettre avidement l’extrémité du ballon-tube sur son orifice nasal. Jaynak se rapprocha de Naldeia. « Ça va ? demanda-t-il. 

– Je survivrai, murmura-t-elle. Rien de cassé, juste des coupures et contusions. » Elle se dirigea vers une pièce attenante qui contenait, comme Jaynak put s’en apercevoir, des douches soniques. Il y avait trois cabines, il en choisit une. Une fois la boue nettoyée, il respira mieux. Il fit un geste pour se gratter le front, puis renonça en constatant la présence du bandeau. Jaynak gagna sa couche. 

Comme l’avait dit Ymeo, le sengré était relevé. La sensation d’oubli qu’apportaient ses vapeurs n’avait jamais été aussi divine. Juste avant de sombrer dans une somnolence abrutie, Jaynak réalisa que Naldeia n’avait quant à elle pas touché à son ballon-tube.

 

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Retrouvez les cinq premiers chapitres en cliquant sur ce lien. 

mardi 24 septembre 2024

Carrefour, au secours !

Coup dur pour les auteurs d'Ile de France, Carrefour, LA chaîne de magasins qui ne reçoit jamais d'auteurs à l'occasion de dédicaces, a racheté Cora. Bien que je ne travaillais qu'avec deux magasins Cora en Ile de France, ceux de Massy et Val d'Yerres (Boussy-Saint-Antoine), il s'agissait d'une collaboration ancienne et fructueuse. Ce sont donc deux possibilités en moins, pour moi. On aurait pu croire que la forte densité de commerces en Ile-de-France procurerait de nombreux débouchés aux auteurs désireux de rencontrer leurs lecteurs "dans la vraie vie". Dans mon expérience, c'est de moins en moins le cas. 

Mon record de ventes s'établit à 42 ventes dans la journée, et il a été réalisé il y a plusieurs années, avant le covid, au Cora Massy. Cela ne risque plus d'arriver là-bas, puisque Carrefour, pour d'obscures raisons de comptabilité, refuse de recevoir des auteurs. Une politique qui pourrait être assimilée à de la discrimination culturelle. C'est ainsi que ma dernière séance de dédicace au Cora Val d'Yerres, le week-end dernier, a été annulée par le magasin.

Les grandes chaînes de distribution ont toujours été pour moi les meilleurs endroits où faire découvrir mes livres. Je leur dois une bonne partie des 14600 livres que j'ai dédicacé depuis mes débuts. Hélas, en 2024, ces chaînes se portent mal, en général. 

Pourquoi privilégier ces grandes chaînes de distribution et non les librairies, par exemple? Parce qu'il y a davantage de passage en centre commercial qu'en librairie, même si c'est un public plus varié, moins porté directement sur les livres. Et puis, les librairies demandent 30 à 35% sur chaque livre vendu, là où les centres de distribution non focalisés sur la culture ne prennent que 20%.

Pour un auteur autoédité, c'est à dire dont les livres ne sont pas présents en rayon, la différence entre 20 et 35% de marge par livre vendu, c'est la différence entre la vie et la mort.

Mes chiffres de vente, ainsi que le fait que j'arrive à vivre à temps plein de ma passion depuis 2014, prouvent que je suis dans le vrai.

Cela explique aussi pourquoi je ne dédicace pas en Fnac, la marge réclamée par cette enseigne étant de 40%. Excusez du peu!

On pourrait croire qu'en 2024, l'autoédition aurait su se faire accepter de tous les professionnels. D'autant qu'une chaîne comme Auchan, par exemple, demande de montrer patte blanche aux auteurs, y compris autoédités, sous la forme d'un numéro SIRET obligatoire pour pouvoir dédicacer. 

Il n'en est rien. La facilité qu'il y a à se faire autoéditer, les escrocs qui tirent parti de l'autoédition pour publier des centaines de bouquins à coup de Chat GPT, tout cela fait que de trop nombreux libraires tordent encore le nez dès lors qu'il s'agit de recevoir un auteur assurant sa propre production. 

Notre indépendance elle-même est une cause de désapprobation parmi des professions habituées, pour ne pas dire soumises, à la domination des éditeurs traditionnels. Quand vous avez pour principaux clients de gros éditeurs, les ennemis de vos amis ont aussi tendance à devenir vos ennemis. La neutralité supposée, des chaînes culturelles comme des librairies, a vite fait de céder le pas face aux considérations économiques. 

C'est ainsi que sur la quinzaine de magasins Cultura qui opèrent en Ile de France et dans l'Oise, je ne travaille plus qu'avec un ou deux magasins. La méthode est simple: on ignore les emails, et on fait en sorte que les relances téléphoniques n'aboutissent pas. Même lorsque vous avez vendu des centaines de livres avec un magasin donné, on se contente d'obéir au nouveau directeur et à ses directives.

Quant aux Auchan, l'enseigne la plus volontariste à l'égard des auteurs (à condition que nous ayons un numéro de SIRET), sur plus d'une vingtaine de centres commerciaux, je ne travaille plus qu'avec huit d'entre eux. Là, on ne parle plus de pression des éditeurs ou d'élitisme mal placé. C'est davantage la volonté des chefs de rayon livre qui est en cause. Quand elle est présente, cette volonté peut donner des choses magnifiques, davantage même que ce à quoi je m'attendais dans certains centres. Certains chefs de rayon livre ont une vraie volonté de promouvoir la culture, et c'est tout à leur honneur.

Personnellement, je ne réclame d'ailleurs pas le tapis rouge. Juste une table, une chaise, le référencement des livres dans la base de données, et bien sûr, le paiement des factures dans les délais (deux mois maximum après la dédicace). Je ne prends pas la tête des gens. Je recherche une relation simple et fonctionnelle. Professionnelle.

C'est pourquoi, quand je constate que certains centres comme les Leclerc paient les auteurs systématiquement hors délai, j'ai tendance à les fuir.

Peut-être suis-je trop exigeant? "Les mendiants ne sont pas ceux qui choisissent", dit un proverbe anglo-saxon. 

Sauf que les mendiants, en général, ne proposent pas une dizaine de romans aux lecteurs. 

Compte tenu des commentaires que j'obtiens de mes lecteurs, compte tenu du nombre de livres que j'ai pu dédicacer dans ma carrière, je considère que les portes devraient s'ouvrir. Mais le contexte actuel n'est pas favorable, et elles ont tendance à se refermer. 

Que dire? Je ne regrette absolument pas d'avoir fait les choix qui sont les miens. J'ai profité des étapes du voyage. J'espère juste que les choses vont évoluer de manière plus positive dans les mois et années à venir. 

lundi 23 septembre 2024

L'Essence des Sens : chapitre 13

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le treizième.

13. Trou de mémoire

Grendchko jeta un coup d’œil irrité à l’icône de Shinaen dont la couleur avait viré au rouge sur sa console. Le son strident de l’appel indiquait lui aussi l’urgence. Il ne restait que deux heures avant l’opération anti-réfractaires dont le secret était censé être absolu. Le Fengir lui-même n’était pas dans la discrétion, alors pourquoi Grendchko pressentait-il que le Premier Stratège allait lui parler du coup de filet ? Il prit l’appel. Le visage familier de Shinaen apparut. Le Fengir le dévisageait d’un œil froid. 

 « Nous aurions apprécié, cher Coordonnateur, que vous nous teniez informés de l’intervention concernant les Réfractaires à 18 h. Vous avez été jusqu’à présent un partenaire fiable. Maintenant, nous nous posons des questions. 

– Excellence, j’ai souhaité garder le secret jusqu’au dernier moment dans le cas où nos échanges seraient interceptés. 

– Nos échanges ne sont pas interceptés, fourrez-vous bien ça dans le crâne. 

– J’ai voulu bien faire, Excellence. Trop bien faire peut-être. » 

Le Fengir le considéra un instant comme s’il envisageait de faire de Grendchko son plat de résistance. Celui-ci baissa humblement les yeux. « Vous êtes informé du protocole, au cas où vous feriez des prisonniers ? 

– Protocole ? répéta stupidement Grendchko, s’attirant le soupir exaspéré de son interlocuteur. 

– Le protocole détaillé dans notre traité d’assistance mutuelle. Celui qu’ont respecté tous vos prédécesseurs. 

– Je n’ai pas pris le temps de me renseigner à ce sujet. » Grendchko s’efforça d’adopter une mine contrite. Mieux valait que Shinaen le juge incompétent et demeuré plutôt qu’il ne choisisse de relever de l’impertinence dans ses paroles. 

« Je vous joins le document. Mais au cas où vous seriez de nouveau trop occupé pour le lire, sachez que tous vos prisonniers doivent être transférés au noyau Sylko de la cité de Mustra. Les Guides Communiants et leurs Adeptes sélectionnés pour votre petite opération en sont déjà informés. Si vous tentez de vous y opposer, vous aurez affaire à moi. » 

La communication coupa abruptement. Grendchko serra le poing et l’écrasa sur la table. Puis il jeta un coup d’œil à la porte de son bureau et imagina que l’un de ses assistants l’ouvre à cet instant. En tant que Premier Coordonnateur, il se devait d’afficher un calme et une maîtrise absolus, comme si rien n’était capable de l’atteindre. Son regard glissa sur divers bibelots décoratifs posés sur une étagère. Il s’en empara et les projeta tour à tour de toutes ses forces en direction de la porte — Premier Coordonnateur ou pas, il ne fallait pas trop lui en demander. Il poussa un cri aigu de frustration. S’il y avait bien une chose qu’il haïssait entre toutes, c’était qu’on lui fixe des limites à ne pas franchir, ou qu’on lui dicte sa conduite. Il savait, pourtant, devoir beaucoup trop aux Fengirs pour prendre le risque de se révolter. Son instinct lui disait que le rapport de force ne serait pas en sa faveur. Le moment n’était pas venu. 

Encore tremblant de fureur, Grendchko commanda à un droïde de venir remettre ceux des bibelots qui n’étaient pas brisés à leur place, et de jeter les autres. Il joignit ensuite les différents intervenants, et reçut confirmation qu’ordre avait été donné de transférer tous les prisonniers au noyau Sylko. Quelques-uns des Guides Communiants montrèrent un vague malaise quand il les interrogea, mais Grendchko se contenta d’opiner comme s’il approuvait la directive. Après cela, il vérifia les ultimes préparatifs. Le moment venu, il enfila des lunettes de réalité virtuelle et se connecta au casque de l’un des commandos envoyés traquer les Réfractaires. Celui-ci était équipé d’une holocam permettant au commandement de monitorer l’opération en temps réel. Grendchko pouvait aussi, s’il le souhaitait, afficher le point de vue de n’importe lequel des recodrones ou droïdes d’assaut qui accompagnaient les Nadariens, ou faire apparaître en incrustation autant de fenêtres des participants que l’y autorisait son champ de vision. L’intervention avait été prévue dans des passages des Cavernes où n’étaient pas censé se trouver de communiants. Très vite, pourtant, le commando tomba sur un quidam. Devant sa mine effarée lorsque l’individu s’aperçut que l’on braquait un blaster sur lui, Grendchko fut presque tenté de demander au soldat de l’abattre. Il retint toutefois l’ordre. Plus les prisonniers seraient nombreux, plus ils auraient de chance de parler, et de livrer de nouveaux Réfractaires. 

« Avons fait un prisonnier au secteur L3, annonça une voix dans son casque. 

– Jeune homme capturé au secteur J7, fit un autre. 

– Deux femmes d’âge mûr appréhendées au secteur B5. » 

Comme les rapports se succédaient, les lèvres de Grendchko s’étirèrent en un sourire. Il tenait à ce que cette première opération soit une victoire éclatante, et les retours s’avéraient positifs. L’image en relief qu’il avait devant les yeux lui montrait une solide porte encastrée dans la roche. Un Nadarien qui devait être le Guide Communiant supervisant l’assaut s’en approcha muni d’un pass multifréquences, qui ressemblait à une simple carte. Il la passa, mais la fréquence se déroba à lui. Grendchko n’ignorait pas que dans l’ombre, se déroulait un affrontement quantique entre deux Intelligences Synthétiques, celle qui commandait au verrou de la porte et celle du commando. Les minutes s’écoulèrent sans que la porte ne s’ouvre. 

« Détruisez-la », finit par ordonner Grendchko. 

Faisceaux lasers et rayons ioniques se révélèrent inefficaces. Il fallut recourir à des explosifs spéciaux à base de denorium condensé pour finir par déformer le métal de tirinium, extrêmement résistant, et que la porte livre passage. Grendchko sauta sur le point de vue du premier commando à franchir le seuil. Le canon du blaster du soldat pointa pourtant vers le sol dès qu’il eut pénétré dans le couloir, et l’écran s’obscurcit. Grendchko voulut enchaîner sur le recodrone qui accompagnait l’homme, mais il avait été désactivé. Aucun autre soldat n’osait plus s’avancer dans le nouveau corridor. 

Grendchko activa l’icône du drone détruit pour accéder aux dernières données sauvegardées. Grâce à la fonction image par image, il aperçut un canon multifrag fixé au plafond délivrer une première décharge, avant que la vision ne s’opacifie brusquement. Il jura. Sur place, le commando disposait des mêmes données, et des ordres fusaient. 

Plusieurs droïdes offensifs durent être sacrifiés avant de parvenir à désactiver le canon. Comme les soldats s’avançaient, un nouveau tir de barrage en balaya quelques-uns. Cette fois, c’étaient des droïdes de combat adverses qui faisaient la preuve de leur efficacité. 

Ecœuré, Grendchko passa sur un autre groupe d’assaillants, qui quant à eux se voyaient bloqués par une porte. Quand il suivit la progression d’un troisième commando, ce fut pour assister de nouveau à une série d’attaques de drones très agiles, difficiles à cibler. Leurs évolutions faisaient penser à un essaim en colère, et ils délivraient avec précision leurs salves laser. Tous les soldats n’avaient pas été équipés de champs de force, et plusieurs gisaient au sol. 

Au fil de la soirée, la résistance s’accrut dans les Cavernes d’Ambre. Vint le moment où les forces de Grendchko durent battre en retraite dans certains corridors, pour se mettre à défendre à leur tour les accès. La situation avait atteint un point d’équilibre, mais les pertes étaient nombreuses. Grendchko grinça des dents. Il contacta celui des leaders dont la section avait le plus progressé. « Combien avez-vous capturé de Réfractaires ? demanda-t-il. 

– Un seul, Premier Coordonnateur. On n’est pas sûr que ce soit un Réfractaire, vu qu’il n’était pas armé. Son identification est celle d’un chef ingénieur de la Transpulsion. » Grendchko eut un rictus de colère. Une seule prise, lui qui en voulait des dizaines ! Les lèvres tremblantes, il mit fin à la communication. Plusieurs icônes flottantes et clignotantes cherchaient désespérément à attirer son attention. Il choisit celle indiquant qu’il avait été tagué dans une publication devenue virale sur la Ruche. Halnev, le Premier Guide Communiant d’Argea en personne en était l’auteur. L’enregistrement de l’holovid le montrait fort courroucé. 

« Vous avez sans doute été informé de l’opération spéciale d’aujourd’hui dans notre lieu le plus sacré, les Cavernes d’Ambre. Un coup de filet qui a été organisé au plus haut niveau sans mon accord — à mon insu, je vous l’affirme ici solennellement. Vous avez peut-être l’un de vos proches qui en a été victime, chers concitoyens. Je veux vous faire savoir que c’est aussi mon cas. Ma propre nièce a été interpellée de manière brutale, alors qu’elle circulait dans l’un des couloirs accessibles au public. » D’un geste théâtral, il activa l’enregistrement qu’avait fait sa nièce de sa capture. Des commandos flanqués de drones s’avançaient vers elle. Comme elle protestait vivement, un bruit mat retentit et elle poussa un cri de douleur. 

Grendchko se prit la tête entre les mains, réalisant qu’il avait négligé d’ordonner à ses soldats de brouiller les communications des tablettes. De nombreux liens vers des vidéos du même ordre, prises dans la soirée, lui confirmèrent que l’enregistrement de la nièce du premier magistrat d’Argea n’avait rien d’un cas isolé. Un signal d’appel provenait justement de l’oncle en question. La nuit promettait d’être interminable. 

 *** 

Les murs étaient beiges, mais étrangement flous. Peu à peu, cependant, la vision gagnait en précision. Des carrés convexes tout autour — les parois étaient matelassées. Une lumière blanchâtre descendait du plafond, directement émise par la roche. La pièce était nue, entièrement vide à l’exception du lit sur lequel reposait Jaynak. La couche se révélait des plus sommaires, inconfortable, et quand il se redressa, Jaynak sentit des courbatures au niveau du dos. 

Que faisait-il ici ? Et où était cet « ici » ? Il ne s’était pas endormi dans cette pièce, il en était certain. Il avait perdu connaissance, et ne reprenait conscience qu’à présent, à un moment où le besoin d’obal se faisait ressentir. Les mains jointes au niveau du front, il s’efforça de retrouver ses repères. Quel était son dernier souvenir ? Il y avait un trou dans sa mémoire, et lorsqu’il cherchait à l’examiner, tout tourbillonnait. Plutôt que de s’évertuer à forcer ceux de ses souvenirs qui persistaient à se dérober, il évoqua d’autres fragments moins rétifs. La victoire de Grendchko aux élections était un point de repère, douloureux certes, mais utile. La soirée avec son frère Merek n’était pas non plus plaisante à revivre, comme si son esprit prenait un malin plaisir à se concentrer sur des choses négatives. Dans le même registre, il y avait eu, aussi, cette convocation à la caserne d’Eglev, conséquence directe de la soirée avec son frère, et de l’intervention d’un Fengir. Mais que s’était-il passé après ? Les murs se remirent à tournoyer. 

Jaynak ferma les paupières. Si chercher à se souvenir lui faisait cet effet, autant éviter pour le moment. L’aspect dénudé des lieux faisait penser à une cellule. Peut-être une geôle militaire, et dans ce cas, sa présence ici pouvait avoir un lien avec sa brève visite à la caserne d’Eglev. On lui avait pris sa tablette en tout cas, il n’avait donc aucun moyen de joindre le monde extérieur. L’angoisse avait remplacé la surprise initiale, elle se diffusait dans sa poitrine. Il se leva, et fit le tour de la pièce. Aucune issue, nulle fenêtre, uniquement ces parois rembourrées, destinées de toute évidence à prévenir toute tentative de suicide. Il y avait peut-être une holocam quelque part, mais camouflée ou miniaturisée de manière à ce qu’il ne puisse l’apercevoir. 

Jaynak s’approcha d’un mur et se mit à tambouriner — aucun son. « Hey ! cria-t-il. Je suis éveillé ! Il n’y a personne ? » 

Ses cris ne trouvèrent aucun écho. Il refit le tour de la pièce avant d’aller s’asseoir sur le lit rudimentaire. Le temps était comme figé. Peut-être passait-il, mais Jaynak n’avait aucun moyen de le savoir. La privation de repères, de liquide et de poudre primordiale était une méthode de torture, il ne l’ignorait pas. C’était pourtant absurde, il avait beau fouiller sa mémoire, il ne trouvait aucun acte susceptible de justifier sa présence ici. A moins bien sûr, qu’on ne le juge que sur ses seules pensées, et sur la piètre opinion, par exemple, qu’il avait de Grendchko. Nul de ses appels, en tout cas, ne paraissait être entendu. 

Jaynak se leva, fit quelques exercices physiques et autres étirements, accomplit plusieurs tours du minuscule périmètre et se rassit. Un peu plus tard, il passa en revue le moindre centimètre carré de sa cellule, sans trouver aucun point faible. Il s’allongea alors et évoqua sa sœur Niducia, ses frères Merek et Aljay, les jumeaux. Les visages de son père Okar et de sa mère, Veka, lui apparurent, plongés dans l’affliction après la mort d’Aljay. Son oncle Irkouk lui souriait à sa manière débonnaire. Jaynak était-il le nouveau Aljay dont les siens allaient devoir porter le deuil ? A cette idée, son estomac se noua. 

Les Nadariens avaient la faculté de se tenir debout, immobiles contre une paroi de roche en modifiant les propriétés magnétiques de leur corps. Cela favorisait la détente et la méditation. Un tel privilège lui était interdit ici, avec ces fichues parois. A cet instant, un chuintement qui, en temps normal, lui aurait paru discret déchira l’absolu silence de la cellule. Parfaitement camouflée dans l’un des murs, une porte venait de glisser, laissant le passage à un Fengir. Le pelage brun rayé d’ocre, de petite taille en comparaison de ses congénères, l’individu était vêtu d’une blouse blanche. Sur son épaule, il avait un dispositif en deux parties dont Jaynak ignorait la nature. Le Fengir approcha du visage de Jaynak l’une de ses mains. Une griffe acérée en jaillit, qu’il pointa tout près du cou de Jaynak. « Vous allez vous laisser faire, feula-t-il. Sinon, il y aura des conséquences. » 

La langue de Jaynak resta coincée sur son palais. Il se contenta de hocher la tête. Le Fengir prit le dispositif sur son épaule, et appuya sur un bouton. L’appareil devait être capable de générer ses propres champs magnétiques, car lorsque le Fengir plaça la plaque qui composait la partie inférieure de l’engin sur la poitrine de Jaynak, elle y demeura collée. Reliée par divers fils, la section supérieure était une calotte cybernétique que le scientifique positionna sur le crâne de Jaynak. Celui-ci sentit aussitôt des piqûres entre ses plaques crâniennes. 

« Répondez à ces questions, fit le Fengir d’un ton froid. Tout mensonge sera sévèrement sanctionné. Quels sont vos derniers souvenirs, avant de vous retrouver ici ? » 

Jaynak lui décrivit les différents épisodes, celui de la salle de jeu en compagnie de Merek, de son atelier à la Transpulsion suivi de la convocation à la caserne d’Eglev. 

« Aucun autre souvenir récent ? » 

Jaynak fit « non » de la tête. 

« Avez-vous été en contact avec un Réfractaire récemment ? » 

Jaynak ouvrit la bouche, surpris. « Pas à ma connaissance. » 

Le regard du scientifique se fixa sur un point dans l’espace. Le Fengir était visiblement un Augmenté. Il devait se connecter à l’appareil placé sur Jaynak pour déterminer si celui-ci mentait. Son examen des données parut le satisfaire. Il s’avança vers Jaynak, appuya sur un autre bouton de l’appareil et retira les deux sections tour à tour. 

« Pourrais-je avoir de l’obal ? Vous n’allez pas me laisser mourir de faim. 

– Patientez. » 

Jaynak crut distinguer une lueur ironique dans les minces fentes qui tenaient lieu de pupilles. Le Fengir se dirigea vers la porte, qui se referma derrière lui. Jaynak se demanda pourquoi il n’en avait pas profité pour se ruer vers l’ouverture, tant qu’il était encore en état de le faire. 

Il secoua la tête. La griffe si pointue avait été un avertissement, l’ignorer eût été périlleux. Il se rapprocha néanmoins de la paroi par laquelle était ressorti le scientifique. Il se mit à palper le mur. En enfonçant ses doigts en différents endroits, il parvint à déceler une fente qui correspondait à l’embrasure. Jaynak ne pouvait cependant la toucher, et ne disposait d’aucun outil pour l’atteindre. Exercer différentes pressions ne produisit aucun effet. De guerre lasse, il finit par aller se rasseoir sur son lit. 

Le Fengir lui avait parlé d’un Réfractaire, et Jaynak avait été sincère quand il disait n’en avoir aucun souvenir. Etait-ce donc la raison de sa présence ici ? Les privations qu’on lui faisait subir trouvaient leur explication. Il avait été victime d’un malentendu, d’un horrible malentendu. Jaynak brûlait de crier son innocence, mais se retint. Il connaissait le caractère suspicieux des Fengirs. S’il tentait de se disculper, il ne ferait qu’attiser leur méfiance. Dans la vie, être sur la défensive apportait nettement moins de récompenses que de passer à l’offensive. 

Son esprit commença à dériver dans un début d’accablement qui ressemblait à une sombre rêverie. Il s’était mis à dodeliner de la tête quand la porte s’ouvrit de nouveau. Jaynak écarquilla les yeux. La figure patibulaire de l’individu qui s’avançait dans la pièce d’un pas assuré, l’expression goguenarde de son visage, cette carrure d’ancien lutteur ne pouvaient appartenir qu’à Grendchko, le nouveau Premier Coordonnateur. Il était accompagné d’un Fengir qui l’éclipsait par la taille et la prestance. Richement vêtu, les muscles saillants, la fourrure fauve, il le considérait avec gourmandise. Il devait s’agir d’un personnage très influent chez les Fengirs, mais comme ces derniers restaient dans l’ombre des instances dirigeantes, Jaynak ignorait son identité. 

Grendchko prit la parole. « Si vous êtes encore en vie, si je n’ai pas mis votre tête au bout d’une pique pour l’exhiber dans la Ruche, c’est que d’après le Premier Stratège Shinaen, vous avez fait le bon choix. Bien que vous ayez été retrouvé, de manière extrêmement suspecte, dans les profondeurs des Cavernes d’Ambre, vous auriez décidé de ne pas rejoindre les Réfractaires. 

– Pour une raison inconnue, dit le Fengir qui devait, d’après les indications de Grendchko, se nommer Shinaen, les données vous concernant ne sont que très fragmentaires. Mais nous savons au moins cela avec certitude. 

– J’ignore de quoi vous parlez. Vos Excellences. 

– Oui, votre “trou de mémoire”, dit Grendchko. J’en ai été informé. Il explique sans doute cette fâcheuse fragmentation des données. Très pratique, si vous voulez mon avis. Votre famille s’est émue de votre sort, ainsi que vos collègues de travail. Les avez-vous oubliés, eux aussi ? 

– Non, Votre Excellence. 

– Après délibération avec mes différents adjoints, nous avons décidé de mettre votre loyauté à l’épreuve. 

– Ma loyauté ? Mais j’ai un travail. Je prouve tous les jours ma loyauté envers l’Expansion par mon travail. » Grendchko s’avança et lui asséna une gifle retentissante. L’onde de douleur perfora celui des cerveaux de Jaynak affecté aux sensations. Dans son sillage, il ressentit une brûlure au niveau de la joue. 

« Vous vous plaisez ici ? » demanda onctueusement Shinaen. 

Jaynak secoua la tête. 

« Dans ce cas, fit Grendchko, je vous conseille d’accepter le Stage de Remise sur la Voie que nous vous proposons. » 

Jaynak, tout en se frottant la joue, regarda son interlocuteur d’un air incrédule. Il s’apprêtait à demander des détails quand Grendchko lui heurta la poitrine de l’index. « Sans poser la moindre question. » 

Jaynak demeura un instant interloqué, avant de bredouiller son acquiescement. 

« Signez ce document », dit Grendchko en faisant apparaître, d’un simple geste sur sa tablette, un holo-formulaire. 

Au moment de signer, Jaynak eut l’impression de vendre son âme.