Encouragé par un passionné de SF, je me suis lancé dans la lecture de la trilogie de Science-Fiction Le Problème à Trois Corps, de Liu Cixin. Attention spoilers, l'article va entrer dans le détail de l'intrigue des trois romans, The Three-Body Problem (Le Problème à trois corps), The Dark Forest (La Forêt Sombre) et Death's End (La Mort Immortelle). Je vais mettre d'emblée fin au suspense, j'ai trouvé les trois romans d'une incroyable stupidité, d'une terrible misogynie et d'un négativisme allant jusqu'à l'absurde et au grotesque. Chaque tome m'est tombé des mains à plusieurs reprises, au point que je me suis demandé comment le jury avait pu accorder un prix Hugo à un tel roman. Je crois comprendre, hélas, quand on sait que les romans se sont vendus entre 6 et 30 millions d'exemplaires (oui, le nombre est terriblement imprécis). En général, je préfère me retenir de dire du mal au sujet d'un confrère pour me concentrer sur le positif. Si j'ai décidé de déroger à cette règle, c'est pour les mêmes raisons que je me suis "accroché" à lire jusqu'au bout les trois volumes. D'une part, en dehors de Sun Tzu, je n'avais jamais lu d'auteur chinois et je voulais aller jusqu'au bout de la démarche. D'autre part, les trois tomes, sortis en Chine entre 2008 et 2010 pour le dernier, annoncent de manière aussi troublante que fascinante la période dans laquelle nous vivons, marquée par le retour de Trump à la présidence des Etats-Unis en 2025. J'ai donc décidé de boire cette potion MAGA extrêmement amère, Make Asia Great Again...
Au VIIème siècle, durant la dynastie Tang, par l'intermédiaire du médecin alchimiste Sun Simiao, la Chine inventa littéralement la poudre. A l'instar de nombre de découvertes scientifiques, celle-ci fut le fruit du hasard. Mais tout de même, voilà qui en impose.
La Chine utilisa cette poudre pour des feux d'artifice, en tant que lance-flammes dans des tubes de bambou. Puis les Chinois ont eu l'idée d'insérer des flèches dans de tels tubes. Et enfin, ils s'en sont servi dans des grenades métalliques. C'est ainsi que comme on le dit souvent, la guerre accélère le progrès technologique. Et il y a eu de nombreuses guerres en Chine, que ce soit à l'époque Tang ou plus tard.
Néanmoins, on remarque que dans le cas de la Chine, sans mauvais jeu de mots, cette découverte si essentielle n'a pas donné lieu à une explosion technologique. Ce ne sont pas les Chinois qui ont inventé les armes à feu, mais les Européens. Et la révolution industrielle n'est pas venue de Chine, mais plusieurs siècles après la découverte de la poudre, d'Angleterre.
Comment expliquer une telle stagnation de la part de la brillante civilisation chinoise, malgré cette découverte?
Ma théorie personnelle sur le sujet tient en quelques mots: censure, autocensure, conformisme, dictature de l'esprit. Je pense que les dictatures impériales chinoises ont été bien plus autoritaires et restrictives que ne l'ont été les monarchies européennes, et que la Révolution française de 1789 a par ailleurs permis aux grands esprits de sortir du carcan de l'autorité pour enfin s'exprimer et donner libre cours à leur créativité. Non seulement en raison du déclin de l'autorité royale, mais aussi grâce à celui de la religion.
Ce qui signifie bien sûr une chose: les dictatures ne permettent ni les progrès sociaux ni les progrès au niveau technologique, ou en tout cas entravent largement le progrès technologique, et ce malgré cet accélérateur que sont les guerres.
Encore de nos jours, cela se ressent. Vous l'ignoriez peut-être, mais depuis la création du prix nobel, les citoyens qui avaient la nationalité chinoise au moment de leur prix nobel se limitent au nombre de trois, dont un prix nobel de la paix, un prix nobel de littérature et un prix nobel de médecine.
Dans le même temps, la fière Taïwan, qui a 61 fois moins d'habitants que la Chine, a obtenu trois prix nobel de physique et un de chimie. Ce qui prouve, bien sûr, qu'il n'y a pas de supériorité innée de l'homme occidental sur son voisin asiatique, et que c'est le régime politique qui va influer grandement sur le progrès ou l'absence de progrès. Pas seulement, bien sûr, puisque le progrès ne peut se faire sans d'importantes contraintes et des défis à relever. Mais tout de même.
Pourquoi je vous raconte tout ça? Parce que dans sa trilogie du Problème à Trois Corps, Liu Cixin semble tenir compte de ces notions de liberté individuelle permettant des découvertes fondamentales, sans pour autant en tirer vraiment les conséquences. Liu Cixin nous parle d'une civilisation située sur une planète de notre étoile la plus proche, Proxima du Centaure. Au travers d'un jeu vidéo intitulé Le Problème à Trois Corps, il nous familiarise avec l'histoire de cette civilisation, qui a eu ses grands noms et a connu des périodes successives de progrès. L'auteur semble d'ailleurs avoir un certain respect pour les accomplissements scientifiques et artistiques occidentaux, car il y a de nombreuses références tout au long de la trilogie.
Le problème étant que la planète est soumise à l'attraction imprévisible de trois soleils différents, ceux du système Proxima du Centaure. Ces attractions imprévisibles génèrent des périodes stables et d'autres, chaotiques.
La science-fiction de Liu Cixin
Dans la réalité, le système Proxima du Centaure comporte bien trois soleils et des planètes, et est bien régi par le problème à trois corps, lequel est bien connu des astrophysiciens.
Car voyez-vous, Liu Cixin s'attache à écrire de la science-fiction réaliste, obéissant parfaitement aux lois de la physique et de l'astrophysique. On sent de la part de l'auteur la volonté de réfuter les artefacts de la science-fiction classique, par exemple les moteurs à distorsion. Monsieur écrit de la hard science. Ainsi, le temps de trajet entre Proxima du Centaure et la Terre est respecté, les limitations liées à la vitesse de la lumière aussi, il faut donc des siècles pour voyager entre Proxima et la Terre.
Sauf bien sûr que pour permettre des voyages aussi long, Liu Cixin introduit, dans le premier et surtout à partir du second tome, l'hibernation. Une technologie qui n'existe pas de nos jours, et est à peu près aussi "magique" pour nous que les moteurs à distorsion. En voici les principes selon Liu Cixin :
- le corps est refroidi à très basse température
- contrairement à la cryogénisation moderne, la version du roman n’entraîne pas de destruction cellulaire, grâce à des agents cryoprotecteurs extrêmement efficaces, une gestion contrôlée de la cristallisation et la protection des structures neuronales
La structure informationnelle du cerveau est préservée, il n'y a ni perte cognitive ni vieillissement accéléré. C'est juste comme si l'on s'endormait d'un long sommeil, et c'est 100% sûr.
Je veux bien, mais tout cela, et notamment ces "agents cryoprotecteurs", cela correspond à ce que l'on pourrait appeler le "verbiage scientifique" dont nous autres auteurs de SF sommes si friands. Et Liu Cixin est loin d'être le premier auteur à avoir abordé ce concept d'hibernation.
En fait, à l'instar des pharaons entrant en fonction, Liu Cixin me donne le sentiment de vouloir faire table rase de tous les auteurs de SF du passé pour, en quelque sorte, instaurer sa propre suprématie. Je trouve ça gênant, mais ce n'est pas pour ça que ses romans me sont tombés des mains.
Si Liu Cixin a vendu à des millions d'exemplaires, c'est qu'il maîtrise l'art du conteur. Il sait faire monter les enjeux. Il s'y entend à rendre l'atmosphère si oppressante et ténébreuse que la moindre lueur d'espoir en devient aveuglante. Il a l'art du théâtre, du retournement de situation (plot twist), et ses retournements servent aussi bien à accélérer l'action dramatiquement qu'à la stabiliser pour un certain temps.
Mais il fait aussi partie de ces auteurs qui, en quelque sorte, nous placent au creux de leur main. Je veux dire par là que l'on doit accepter inconditionnellement leur Verbe, ce qu'ils nous racontent. En l'occurrence, nous fier au sens des lois de la physique de Liu Cixin pour mieux écarter notre propre esprit critique.
Et c'est là que pour moi, ça a coincé à de si nombreuses reprises. Déjà, là, pour son intrigue, il fallait que des extraterrestres se trouvent sur Proxima du Centaure. Parce qu'étant donné la longueur des trajets avec la planète Terre, il fallait quelque chose de proche pour que ça colle avec la progression temporelle qu'il avait prévue pour ses romans.
Et donc, peu importe que la planète en question soit sujette à des rapprochements bien trop calcinants avec ses soleils. On va se baser sur ce problème de physique, le problème à trois corps, pour bâtir une intrigue, en imaginant une civilisation capable de se déshydrater pour mieux survivre. Une civilisation qui doit résoudre le problème à trois corps afin de prévoir enfin les périodes chaotiques et prendre au préalable, à chaque fois, les mesures qui s'imposent.
Comme ce problème à trois corps est insoluble, les extraterrestres échouent. L'auteur nous expose que cette déshydratation ne les protège pas complètement, et que lors des périodes particulièrement exposées, la civilisation disparaît, mais repart plus tard de zéro. Un peu comme si elle renaissait magiquement de ses cendres. A ce stade, pour moi, je suis désolé, on n'est plus dans la SF, on est dans le conte de fées. Car non seulement ces Trisolariens bénéficient de suffisamment de périodes stables pour progresser, mais ils progressent à un niveau proprement hallucinant, bien plus loin que les Terriens.
L'auteur nous explique pourtant que ces Trisolariens subissent un gouvernement autoritaire, mais à en croire sa théorie, les périodes éclairées ont suffi pour donner une impulsion technologique suffisante. Pour moi, cette théorie n'a rien de scientifique, mais passons. L'élément le plus handicapant, selon moi, ce qui rendrait impossible une telle ascension, c'est bien sûr la présence de ces trois soleils qui consument périodiquement toute vie. C'est cette pilule-là qui est déjà la plus difficile à avaler, et qui explique en bonne partie mon incrédulité quant à l'obtention du prix Hugo. Dans ces conditions, j'ai du mal à comprendre comment l'auteur a pu maintenir ce que l'on appelle la suspension d'incrédulité chez la plupart des lecteurs.
La misogynie de Liu Cixin
Bref. Sur Terre, l'astrophysicienne Ye Wenjie ne s'est jamais complètement remise de la fin tragique de son père au moment de la Révolution culturelle. Elle travaille au sein d'une base secrète, sur une antenne géante au sein du projet Côte Rouge visant à établir des communications avec une civilisation extraterrestre. En 1971, elle théorise que le soleil peut se comporter comme un gigantesque amplificateur d'ondes radio, et met secrètement à l'épreuve sa théorie. Ce n'est que 8 ans plus tard que celle-ci sera validée, au moment où une réponse lui parvient de Proxima du Centaure. Par un incroyable miracle, Ye Wenjie reçoit une réponse d'un Résistant trisolarien. L'individu lui dit de ne surtout pas chercher à la recontacter, faute de quoi la position de la Terre sera localisable, et les Trisolariens pourront l'envahir.
Et devinez ce que fait cette conne de Ye Wenjie? Après s'être concertée avec elle-même, elle renvoie un signal, estimant que les Trisolariens, civilisation qu'elle ne connaît ni d'Eve ni d'Adam, valent mieux que les Terriens, et méritent d'occuper sa planète à la place des Terriens.
Voilà ce qui arrive quand on donne trop de pouvoir à une femme: elle fait n'importe quoi.
Bon, d'accord. A ce stade, on ne peut pas être sûr de la misogynie de Liu Cixin. On pressent juste que Ye Wenjie a possiblement condamné l'humanité à échéance plus ou moins lointaine, puisqu'il va falloir le temps aux Trisolariens de faire le voyage avant de nous envahir. Ces derniers ayant constaté que leur planète allait se faire engloutir tôt ou tard par l'un des trois soleils, ils ont en effet décidé de constituer une flotte qui sera tout à la fois une arche de Noé, mais surtout, une flotte d'invasion d'une autre planète.
Dans le troisième roman, en revanche, on aura la confirmation de la misogynie de l'auteur, et pas seulement parce que Sophon (Intellectra dans la version française), le perfide androïde extraterrestre envoyé en avance sur Terre, a des traits féminins. Non, car l'héroïne féminine de Death's End, la Mort Immortelle, Cheng Xin, va devenir une Swordholder, ou Porte-épée. Auparavant, c'était Luo Ji qui tenait le rôle. Un mec, un vrai. Grâce à lui et à sa capacité de Wallfacer (je préfère le terme anglais à celui de Colmateur), en regardant un mur droit dans les yeux pendant plus de cinquante ans, il a engendré une époque de Dissuasion qui a été favorable à la Terre.
Bon, ok, pas seulement à cause de ça. Mais Luo Ji avait prouvé la théorie de la Forêt Sombre (c'est le nom et le sujet du deuxième tome, j'y reviendrai), selon laquelle chacune des civilisations extraterrestres avancées, ou en tout cas un très grand nombre, s'efforce de dégommer les autres. Il avait pour cela balancé un signal sur une étoile quelconque, qui avait ensuite été détruite par de grands méchants aliens tapis dans l'ombre. Fort de cette connaissance, il avait menacé les Trisolariens de révéler la localisation de leur étoile au tout-venant, générant une période de Dissuasion de plus d'une cinquantaine d'années. C'était lui qui possédait la télécommande permettant de générer les signaux de localisation, qui font office dans le roman, en quelque sorte, de bombe atomique par procuration.
Et donc, comme Luo Ji a plus de cent ans, il se fait vieux, il doit passer le flambeau à une autre Swordholder. Ce sera Chen Xin, une physicienne. Et devinez quoi? Pas plus de 10 minutes après qu'elle ait pris le relais, les Trisolariens vont trahir toute l'humanité. Ils ont compris que l'instinct maternel de Chen Xin est sa faiblesse, et la gouttelette, une sorte de sonde alien surpuissante, va détruire tous les émetteurs d'ondes gravitationnels, instruments permettant à l'humanité d'avertir d'autres civilisations quant à la localisation des Trisolariens. En effet, Chen Xin, étant une bonne femme, n'a pas le courage de déclencher à temps cette sorte de bombe atomique virtuelle, en balançant le signal de localisation des aliens.
Les gouttelettes alien se mettent à détruire des villes, forçant toute l'humanité à se réfugier en Australie. Là, Sophon (Intellectra), avec toute la gentillesse des Trisolariens, va ordonner à ses alliés terrestres de détruire toute source d'électricité afin de renvoyer la civilisation à l'âge de pierre et de générer du cannibalisme chez les 4 milliards d'humains rassemblés en Australie, et ce dans le but de réduire drastiquement la population terrienne avant l'arrivée de ses congénères et leur installation sur Terre.
Re : Vous voyez ce qui arrive quand on donne le pouvoir à une femme? Chen Xin est tellement désespérée de ce qu'elle a fait, ou plutôt de ce qu'elle n'a pas fait, qu'elle en perd la vue.
La seule chose qui va empêcher la réalisation de l'ignoble projet de Sophon est un coup de théâtre pour le moins improbable. Un vaisseau terrien rebelle, l'Espace bleu (Blue Space) est parvenu au cours de sa fuite au-delà du système solaire à découvrir une technologie alien de quatrième dimension. Ni une ni deux, les occupants de l'Espace bleu se mettent à maîtriser cette technologie de quatrième dimension à un point tel qu'ils détruisent les gouttelettes trisolariennes les poursuivant (je simplifie un peu).
A ce stade, notons que l'intrigue est encore beaucoup moins crédible qu'Anakin Skywalker enfant qui va prendre les commandes d'un vaisseau spatial pour s'attaquer à une base ennemie dans la Menace Fantôme.
Et donc, les rebelles du vaisseau l'Espace bleu s'entendent finalement pour envoyer le message de style "bombe atomique" révélant la position des Trisolariens. Ceux-ci en paieront un peu plus tard le prix, puisque leur monde sera détruit par une autre civilisation alien inconnue. La flotte de Trisolariens qui menaçait la Terre se détourne, sachant la planète Terre condamnée à plus ou moins brève échéance. Car si le monde des Trisolariens est découvert et détruit, la Terre va suivre à assez brève échéance, c'est inéluctable. Les Trisolariens partent donc à la recherche d'une autre planète à envahir.
Mais l'auteur Liu Cixin n'en a pas fini avec Chen Xin. Grâce à la technologie, l'héroïne du troisième tome recouvre la vue. Miraculeusement, on ne sait pas trop pourquoi, les Trisolariens veulent se montrer gentils. Ils autorisent Chen Xin à rencontrer à distance son amoureux nommé Yun Tianming qui, de manière très romantique, lui avait offert une étoile avant d'être victime de son cancer. Le cerveau de Yun avait été envoyé dans l'espace par sa propre amoureuse, Chen Xin, avant d'être recueilli par les Trisolariens et trituré, dans un raffinement de cruauté dont Liu Cixin a le secret. Du moins c'est ce que s'était imaginé Yun. Les Trisolariens ont offert un nouveau corps à Yun, qui va, lors de sa conversation avec Chen Xin, lui livrer des informations scientifiques capitales de manière codée, grâce à des contes fantastiques.
Les contes sont d'ailleurs l'une des choses les plus réussies de la trilogie, je dois bien l'avouer, ainsi que cette idée de messages cachés. Ce message va donner la possibilité à l'humanité de diriger ses recherches vers l'unique technologie susceptible de les sauver, la technologie de courbure de l'espace. Petite parenthèse, on est quand même très proche du moteur de distorsion pour cette technologie. Liu Cixin a juste changé les mots.
Comme la plupart des protagonistes principaux à un moment où un autre des trois romans, Chen Xin se met en hibernation dans l'attente que la technologie de courbure de l'espace soit développée. Car seule cette technologie pourra permettre aux Terriens de sortir à temps de leur système stellaire. De s'échapper et de survivre.
Pendant le sommeil de Chen, l'humanité adopte la stratégie du bunker, en allant se planquer derrière Jupiter et d'autres géantes gazeuses. Oui, c'est aussi l'une des caractéristiques qui m'a fait régulièrement détester ces romans. Les protagonistes humains se conduisent de manière stupide. Ils n'ont pas compris que pour des civilisations hautement capables habituées à en dézinguer d'autres, le fait de se planquer derrière une géante gazeuse sera pris en compte.
Cela nous remet en mémoire ce moment où, dans le deuxième tome, la Forêt Sombre, les humains avaient aligné leur flotte en rangs d'oignons, le plus près possible les uns des autres, afin d'étaler leur puissance. De cette manière ladite flotte de quelques 2000 vaisseaux s'est fait détruire par la technologie supérieure d'une simple gouttelette, drone alien quasiment indestructible et capable d'accélérer et de virer de manière prodigieuse, en défiant les lois connues de la physique.
Mais revenons à Chen Xin. Heureusement, son entreprise dirigée par un protagoniste extrêmement cruel et barbare, mais efficace, nommé Wade, est parvenue à mettre au point la technologie de courbure de l'espace. Malheureusement, Wade est en conflit avec les autorités, qui ne veulent pas de cette technologie au prétexte que seuls les riches pourront en profiter. C'est pourquoi il réveille Chen Xin de son hibernation... pour son plus grand malheur.
Car Chen Xin prend alors le parti des autorités locales. Il se trouve qu'elle a autorité sur Wade, et parvient à le persuader de ne pas entrer en guerre contre les autorités locales.
Ce faisant, les autorités ont gain de cause et la technologie de courbure de l'espace n'est pas développée autant qu'elle aurait dû l'être. Au moment où une civilisation alien encore plus avancée et maléfique que les autres décide de réduire l'intégralité du système solaire en deux dimensions au moyen d'un "post-it" (ne cherchez pas à comprendre, c'est le nom de leur arme), Chen Xin et son amie AA seront les seuls humains à en réchapper, grâce au vaisseau Halo détenteur de la technologie surpuissante permettant d'atteindre la vitesse de la lumière. Merci la vie!
Re-re : Vous voyez ce qui arrive quand on donne le pouvoir à une femme?
Le négationnisme de la Science-Fiction de Liu Cixin
Au temps de Jules Verne, puis de John Campbell et même d'Asimov, nous avions une SF positiviste. Les scientifiques humains, en gros, étaient capables de régler n'importe quel problème dans n'importe quelle condition. Bon, c'était souvent exagéré, c'est vrai. Mais c'était très sympa. Et ça a contribué, je pense assez fortement, à l'essor technologique et au progrès. Les idées de robot, tout ça.
Plus encore que les auteurs français à partir des années 1970, Liu Cixin va développer une SF négativiste. Car, à la manière de Mao, et afin d'enfermer ses lecteurs dans une forme de prison mentale, Liu Cixin va théoriser son négationnisme. Pour cela, il ne va lui suffire que de deux axiomes :
- le principe de survie : la survie est le besoin premier de toute civilisation. Toute action d’une civilisation doit viser en priorité à assurer sa continuation
- la croissance et l'expansion sont des constantes. Les civilisations se développent, étendent leur influence et leurs besoins. Même si une civilisation est pacifique, sa croissance la mène potentiellement à entrer en conflit avec d'autres
De là, le personnage de Luo Ji dans le roman formule sa théorie de la forêt sombre : l ’univers est une forêt sombre.
Chaque civilisation est un chasseur invisible.
Révéler sa position équivaut à signer son arrêt de mort.
Charmant, n'est-il pas? Ce qui, non seulement explique le paradoxe de Fermi, le silence des extraterrestres, mais introduit une autre notion : il y a plein de civilisations extraterrestres dans l'univers, et celui-ci n'est pas si grand. Les civilisations ont besoin d'espace vital. Un peu comme Hitler, quoi.
Bon, au-delà du sarcasme, on va revenir un peu sur le début de l'article. Il semble bien que Liu Cixin n'ait pas retenu les leçons de la civilisation chinoise, et qu'il ne se soit souvenu que de la propagande et de l'enfermement mental. Ce n'est pas en dominant les autres qu'on atteint un haut niveau civilisationnel. C'est sans doute beaucoup plus grâce à la collaboration et au respect mutuel.
Vous vous souvenez de l'astrophysicienne Ye Wenjie? Quand elle a envoyé le signal révélant la position de la Terre, elle a, selon Liu Cixin, commis un crime capital.
Mais on peut se demander, dans le contexte de la culture chinoise, si le vrai crime de Ye Wenjie n'a pas été de s'éloigner de sa communauté chinoise. D'être une rebelle, de ne pas être conformiste. D'être un esprit indépendant. C'est toute la Terre qui va faire les frais de son non-conformisme. Ye Wenjie aurait dû accepter son sort et celui de son père. C'est pour moi le message sous-jacent de Liu Cixin, qui s'ajoute à sa misogynie.
Un univers où toutes les civilisations les plus éclairées cherchent à vous dégommer devient bien sûr un univers de peur, hautement régressif. C'est ce que j'appelle une SF négationniste. Une SF qui annihile tout espoir. Les civilisations extraterrestres se servent de tout ce qu'elles peuvent pour se dégommer: trous noirs, matière noire, écrasement dans des dimensions inférieures...
Quant à la civilisation trisolarienne, elle n'est pas sans rappeler la civilisation chinoise. Elle agit de manière déguisée, s'apprêtant à frapper un grand coup.
Les romans de Liu Cixin préfigurent aussi le monde actuel au niveau des mœurs, car l'auteur prédit une féminisation de la société à un certain moment, avant que celle-ci ne bascule bien sûr irrémédiablement dans un monde post-apocalyptique, suite au Grand Ravin, ou grand effondrement. Les personnages de salopards sont ceux qui permettent à l'humanité de gagner un peu de temps avant son inéluctable éradication.
Je n'ai ressenti aucune bienveillance en provenance de l'auteur au moment de ma lecture. Bien sûr, on peut rarement, en tant qu'auteur de SF, écrire des histoires de bisounours. Il faut développer du conflit pour qu'il y ait une histoire, mais il faut aussi des émotions. Sur ce plan, j'ai trouvé le premier tome incroyablement sec. Les seules relations entre personnages un peu sympa sont celles du flic Shi Qiang avec l'un des personnages principaux du premier tome, Wang Miao.
Il y a un aspect éminemment sociologique à la SF de l'auteur. Très certainement, lorsque Liu Cixin considère l'histoire des civilisations, il estime que les démocraties ne représentent qu'une toute petite minorité temporelle, et qu'elles sont très très faibles. Là encore, une préfiguration troublante de ce que nous vivons à l'heure actuelle, de la pensée des trumpistes par exemple.
Mais en fait, si l'on considère les âges humains avant l'écriture, il n'est pas dit que la dictature ait été le mode de gouvernement prévalent pendant le plus grand nombre d'années parmi les peuples. La part d'inconnu dans notre passé lointain, avant même l'époque des pyramides, est trop importante pour théoriser que les démocraties sont plus faibles et moins pérennes que les dictatures. Je ne prétends pas que les systèmes tribaux étaient aussi complexes qu'une démocratie. Mais on ne peut certainement pas prétendre sans savoir qu'ils s'assimilaient systématiquement à des dictatures. Sinon bien sûr, le progrès aurait été bloqué.
Là où le négationnisme de la SF de Liu Cixin devient vraiment absurde et grotesque, c'est quand il nous explique, vers la fin Death's End (troisième volume), que le fait de transformer un système solaire en deux dimensions n'est pas statique : cela s'étend. A terme, tout l'univers va se transformer en 2D. Y compris les méchants aliens qui nous ont balancé ça dans la gueule. Et qu'est-ce qu'ils vont faire? Bien sûr! Se transformer eux-mêmes en créatures capables de survivre en 2D. Ouaaaaais !
Vers la fin de Death's End, c'est le naufrage total du roman. L'auteur n'est même plus cohérent avec ses propres théories. Les civilisations, y compris les rares humains survivants, se sont mis dans des bulles atemporelles qui permettent le défilement d'un nombre astronomique d'années. Les Trisolariens survivants sont devenu une civilisation sympa qui a offert une telle bulle aux deux humains survivants. 17 milliards d'années passent. Au lieu de se transformer en 2D, ce qui avait pourtant été annoncé par l'auteur, l'univers est sur le point de s'effondrer, et il faut rapatrier la matière contenue dans les bulles atemporelles pour éviter cela.
L'auteur suggère alors que les civilisations survivantes vont revenir dans l'univers et y repartir de zéro en s'entraidant. Ce qui, bien sûr, contrevient compètement aux axiomes du personnage de Luo Ji concernant la Forêt sombre.
C'est du grand n'importe quoi. On a l'impression que Liu Cixin a décidé, en tout dernier recours, d'une forme de happy end commercial, afin peut-être aussi de se défendre du négationnisme de son univers. Parce qu'il n'assume pas totalement.
Il est possible que ma critique, aussi négative soit-elle, vous entraîne à lire cette trilogie. En effet, il existe une catégorie de lecteurs qui recherche des critiques négatives afin de prendre le contrepied et de lire malgré tout les romans. Si c'est le cas, grand bien vous fasse. Il est clair que pour moi, ce n'est pas ma tasse de thé.
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