Ce n'est pas possible, pour un auteur de Science-Fiction, d'avoir autant de chance. Dans la vraie vie, ça n'existe pas. Et pourtant...
Imaginez, vous êtes auteur de Science-Fiction, avec à votre actif trois romans, des nouvelles de SF, et des articles pour Time/Life. Un jeune réalisateur non seulement génial, mais bankable auprès de Hollywood vous contacte. Il a eu tellement de succès avec son dernier long métrage qu'il est sûr de pouvoir imposer son film de SF.
C'est déjà une double chance extraordinaire d'être contacté par un réalisateur doué, mais en plus bankable. Mieux encore, le réalisateur en question n'a pas vraiment d'idée pour son film, et va accepter de s'appuyer sur l'une de vos nouvelles de SF pour le scénario. Il vous propose carrément d'écrire le roman tout en participant à l'écriture du script.
Vous vous rendez compte de la chance que ça représente, au niveau liberté créatrice, pour l'auteur? L'écriture conjointe d'un roman qui va devenir un film, ça n'existe pas dans le milieu du cinéma. J'ai déjà rencontré en séance de dédicace des gens qui travaillaient pour Netflix, mais qui avaient déjà leur propre univers, leurs propres idées et qui vous embauchent pour travailler dessus. C'est ça, ou bien des adaptations de roman déjà écrits. Mais travailler dans la dimension créative sur l'écriture d'un roman inspiré d'une de vos nouvelles en parallèle avec l'écriture d'un script tout en ayant l'assurance que le film sortira, le tout en collaborant avec un réalisateur surdoué, ça n'arrive jamais pour les auteurs.
Alors certes, l'écriture d'un scénario est contraignante, et le script va aussi contraindre le roman pour homogénéiser les deux. La liberté de création est donc loin d'être totale, mais tout de même. Ce qui arrive à cet auteur de SF a tout d'un rêve.
Mais ça ne s'arrête pas là. Imaginez que ce réalisateur vous ait contacté en 1964. Et que vous terminiez avec lui l'écriture du script et du roman en 1968. Juste avant le lancement de la mission Apollo où les premiers hommes vont marcher sur la lune! Ce serait une coïncidence historique absolument fabuleuse, de nature à vous faire penser que les étoiles s'alignent vraiment pour vous.
Imaginez aussi que vous ayez écrit ceci au début de votre roman: It was a vague and diffuse sense of envy - of dissatisfaction with his life. He had no idea of its cause, still less of its cure; but discontent had come into his soul, and he had taken one small step towards humanity. Traduction : "C'était un sentiment vague et diffus d'envie - d'insatisfaction à l'égard de sa vie. Il n'avait aucune idée de sa cause, encore moins de son remède ; mais le mécontentement était entré dans son âme, et il avait fait un petit pas vers l'humanité.
Imaginez maintenant qu'un astronaute du nom de Neil Armstrong ait lu votre roman. Et qu'il ait décidé de modifier quelque peu ce que vous avez dit tout en le prolongeant. Bref, de s'en inspirer. Un petit pas pour l'homme, un grand bond pour l'humanité. Et au moment le plus critique! Juste avant de commencer à marcher sur la Lune!
Ce serait vraiment du délire, n'est-ce pas?
Mais ça ne s'arrête toujours pas là. Imaginez maintenant que les critiques fassent du film coécrit avec ce brillant réalisateur l'un des dix meilleurs films de tous les temps. Parce que, encore une chance dans la chance, la collaboration s'est bien passée et a été très productive.
Je veux dire, un cul bordé d'autant de nouilles, ça n'existe pas, non? Ça ne peut pas arriver?
Eh bien si. Cet auteur de Science-Fiction, c'est Arthur C. Clarke, et ce réalisateur, c'est Stanley Kubrick. Ce film encensé par la critique, c'est 2001, l'Odyssée de l'Espace.
A un certain niveau, la chance, c'est comme une poupée russe. La plus grosse de ces poupées, c'est d'être né dans un pays de privilégiés par rapport à la majorité des humains. La seconde de ces poupées, c'est de bénéficier de gènes propres à garantir votre santé et votre longévité tout en vous faisant disposer de bonnes facultés mentales dès le jeune âge. La troisième, ce sont les parents. Une autre de ces poupées, c'est votre éducation. Une autre encore, votre aptitude au bonheur.
En ce qui concerne Arthur C. Clarke, on a l'impression que l'emboîtement des poupées a été beaucoup plus long que la normale.
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