lundi 16 décembre 2024

L'Essence des Sens : chapitre 25

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le vingt-cinquième.

25. Le casque argenté 

Jaynak avait le tournis. Son regard se porta sur sa main, dont il plia alternativement les doigts. Un éclat de panique apparut tout à coup dans ses yeux. Il empoigna le casque sur son crâne. Il n’eut pourtant pas le temps de l’enlever, car Naldeia, qui ne l’avait pas perdu de vue un seul instant à la suite de la fermeture de la porte dissimulée, lui saisit vivement les poignets. 

« Il y a… des sortes de tiges qui s’insèrent entre mes plaques. » 

Naldeia secoua la tête, et maintint son étreinte. Elle avait plus de poigne qu’il ne l’aurait cru. Belganov prit la parole. « Ce casque de confinement neuronal est intrusif, je le concède, mais ça ne doit pas vous inquiéter. Je l’ai déjà testé sur moi-même, il est sans danger. Je l’ai mis au point en coopération avec la société Vels & Associés. » 

Belganov avait nommé l’entreprise comme si sa seule appellation était gage de qualité, pourtant, Jaynak n’en avait jamais entendu parler. 

« Vous allez encore avoir quelques sensations désagréables pendant une minute, le temps que les connexions se fassent. » 

Jaynak cessa de lutter, et Naldeia retira ses mains. Le regard de Belganov perdit toute acuité, comme s’il s’était tourné vers l’intérieur. « Je confirme la neutralisation du nanite. Désolé pour l’inconfort, mais jusqu’à nouvel ordre, vous devrez porter le casque en permanence, y compris la nuit. 

– C’est une plaisanterie ? » 

Belganov secoua la tête. Un drone à l’allure familière flotta vers le professeur. C’était celui qui avait accompagné Jaynak jusqu’à Belganov, une éternité auparavant — en réalité, seuls quelques mois s’étaient écoulés. Sa voix métallique était aussi reconnaissable. « L’alerte a été donnée par l’ennemi. Nous pouvons nous attendre à une réponse rapide. 

– Passez en alerte jaune. 

– Seulement jaune ? s’étonna le drone. 

– Je ne crois pas que Grendchko puisse politiquement se permettre une nouvelle intervention massive dans ce lieu sacré. Les répercussions risqueraient d’être fatales à ce qu’il reste de son autorité. » Belganov se tourna vers Jaynak et Naldeia. « Suivez-moi. » 

Le professeur s’enfonça dans des corridors plus étroits et oppressants que ne l’étaient les couloirs habituels des Cavernes d’Ambre. Le casque de Jaynak pesait quelque peu sur ses vertèbres, mais du moins ne ressentait-il plus les sortes de tiges qui s’étaient insérées entre ses plaques crâniennes. Ils finirent par déboucher sur une salle de contrôle où plusieurs membres des Réfractaires observaient les représentations holographiques transmises en temps réel. Un grand nombre de personnages circulaient dans les couloirs des Cavernes. Ils n’avaient pas d’armes et sondaient les murs. L’un d’eux avait une tablette à la main. L’homme pointa du doigt la holocam. 

« Sa tablette doit avoir des systèmes de détection perfectionnés, commenta Naldeia. Nos holocams sont camouflées dans la roche — impossible de les voir à l’œil nu. » L’homme tapota sur sa tablette, et l’image holo disparut. 

« Cette holocam a subi une attaque au niveau quantique », dit le drone. 

Déjà, Jaynak passait sur de nouvelles images. Il circulait de l’une à l’autre, quand il poussa une exclamation. « Là, c’est Yrkel ! Et là, Ymeo. » 

Et en effet, les intéressés sondaient eux aussi la roche, équipés de leur tablette. 

« Vos collègues ne semblent pas disposés à vous abandonner, fit Belganov. 

– Ils sont du genre collant. Et surtout, ils vont vouloir venger la mort de Nejb. 

– Aucun regret ? » Le regard de Belganov se fit plus pénétrant. 

« Aucun, sinon que j’aurais aimé qu’Yrkel connaisse aussi le même sort. 

– Je suis d’accord », renchérit Naldeia. 

Jaynak lui décocha un regard acéré. « Je repense à notre intervention auprès des étudiants. Tu m’avais fait signe de les laisser faire. 

– Un sacrifice nécessaire pour tromper l’ennemi, répondit-elle. Comme la fois où j’ai dû laisser Grendchko avoir ce qu’il voulait. 

– Il faut considérer ces étudiantes, et leurs collègues masculins, comme des soldats dont le dévouement permet à notre cause de survivre. 

– Etaient-ils au courant qu’on leur demandait de sacrifier leur intégrité physique et leur liberté ? » 

Belganov détourna le regard, et Jaynak eut sa réponse. 

« Sans eux, dit Naldeia, nous n’aurions pu obtenir le niveau d’habilitation nécessaire pour favoriser notre fuite. Ils ont permis de convaincre Ymeo de notre abnégation en tant que Fervents. 

– Nous avons des gens à l’extérieur qui vont s’efforcer de mettre la pression sur Grendchko et son régime pour les faire sortir de leur détention, dit Belganov. 

– Oui. A moins qu’eux aussi, on ne les enrôle dans un Stage de Remise sur la Voie. Le genre de cycle sans fin. » 

Belganov posa la main sur son épaule et le regarda droit dans les yeux. « Nous allons tout faire pour l’arrêter, ce cycle. Vous avez ma parole. » 

Le professeur demanda leurs armes et tablettes, qui furent confiées à une équipe chargée de vérifier la présence de traceurs. Une femme leur remit en échange un nouveau disrupteur et une tablette différente. 

Après s’être assuré auprès de ses contacts à l’extérieur de l’absence de préparation d’une attaque à grande échelle visant leur repère, Belganov conduisit Jaynak et Naldeia dans un autre secteur des Cavernes. Là se trouvait la salle à manger, une caverne sobrement meublée où des droïdes venaient servir la variété de poudre primordiale commandée à distance. Parmi les individus qu’ils croisèrent, Jaynak n’en vit aucun porter un casque semblable au sien. Les gens ici devaient donc être issus de familles de Réfractaires qui avaient appris à se préserver de toute « contamination » par un nanite, si la théorie de Belganov était juste. 

Ils absorbèrent l’obal sans presque échanger. Sur la fin du repas, Jaynak désigna son casque. « Comment pouvez-vous être sûr que cette chose fonctionne ? » 

Les yeux de Belganov se posèrent sur lui, puis se fixèrent sur le vide. « Votre casque fonctionne. Il est relié à un nanite situé dans mon propre cerveau primaire, et qui possède un relais dans mon index. Je peux savoir en temps réel quel est le degré d’efficacité du dispositif. 

– Vous êtes un Augmenté ? 

– Un mal nécessaire. 

– Vous avez donc dû voyager dans d’autres systèmes. 

– Exact. Seuls les Fengirs, ou leurs alliés disposent de ce type de technologie sur notre bonne planète. 

– Où êtes-vous allé exactement ? » 

Belganov considéra Jaynak, un éclat rusé dans le regard. « Je ne pourrais vous le révéler que si vous acceptez de vous y rendre avec moi. Et je vous préviens, si c’est le cas, nous partons dès cette nuit. » 

Jaynak ouvrit la bouche, puis la referma. 

« Vous êtes, j’en ai bien peur, notre dernier espoir. » 

Jaynak se tourna vers Naldeia, laquelle hocha le menton. « Que voulez-vous dire ? interrogea-t-il. 

– J’ai placé ce casque sur d’autres personnes comme vous, qui ont un nanite implanté dans le cerveau primaire à leur insu. Malheureusement, aucune d’entre elles n’a accepté de prendre le risque de partir en exil avec moi pour quelque temps. Voyez-vous, ce n’est pas seulement le nanite qui modifie le comportement de nos semblables. Des années de conditionnement, et une fâcheuse tendance à l’attentisme, voire au fatalisme, sapent les volontés. Les gens savent que la politique n’est pas ce qu’elle devrait être, et depuis un bon bout de temps. Mais ils s’en accommodent. » 

Jaynak sentit le sang lui monter au visage. Il avait l’impression que Belganov dressait là son propre portrait. 

« Ils ne réalisent pas que leur passivité est interprétée comme une faiblesse par des individus comme Grendchko. Ils ne se rendent pas compte que leur Coordonnateur va les lancer dans une guerre dont ils n’ont aucune envie, et faire couler le sang en abondance — le leur, et celui de leurs enfants. 

– Je veux bien le croire, mais quel est votre plan ? Je ne peux pas donner mon accord si je n’en ai aucune idée. Ce sont des gens comme Grendchko qui nous prennent pour des pions. 

– Il marque un point », intervint Naldeia. 

Belganov soupira. « Nous devons contrer ce nanite dont la technologie nous est encore partiellement inconnue — vous l’avez compris, j’espère. 

– Bien sûr. 

– Au cours de mon dernier voyage interstellaire, grâce à une collaboration prometteuse, nous avons pu déterminer sur quelles zones du cortex principal le nanite ennemi agissait. Mes associés et moi avons pu développer cet autre nanite dont je suis équipé, lequel permet de neutraliser très provisoirement les effets adverses. Nous avons aussi pu mettre au point ce casque de confinement, qui est efficace de manière plus durable, tout en étant, comme vous l’aurez remarqué, encombrant et trop visible. Mais si nous voulons réellement désactiver ce robot parasite issu d’une technologie avancée, nous avons besoin de l’identifier. De l’analyser, de connaître ses capacités. Jusqu’à présent, aucun scan cérébral n’a permis de conclure à son existence. Nous ne savons qu’il est là qu’au travers de ses effets. Nous avons affaire à une technologie extrêmement évasive. 

– D’où le scepticisme de gens comme moi. 

– Exactement. Nous avons pourtant des preuves. » Belganov dirigea son regard vers Naldeia. 

« J’ai travaillé un certain temps dans la gestion de données pour une boîte qui collaborait avec les Fengirs. Si j’avais été moi-même implantée avec leur saleté, je n’aurais eu aucun reproche à faire aux Fengirs, quels que fussent leurs agissements. J’aurais considéré tout ce qu’ils faisaient comme légitime et allant de soi. 

– Mais tu ne l’étais pas. 

– J’ai piraté certaines données en toute discrétion. Ils ont des programmes qui interrogent les nanites, lesquels révèlent la teneur des pensées des personnes implantées. En particulier tout ce qui concerne les Fengirs eux-mêmes. En gros, ils savent si les gens leur sont loyaux ou non. Si des idées déloyales réapparaissent trop souvent, nous pensons qu’ils remplacent les nanites, jusqu’à obtenir la soumission des sujets. 

– Nous en déduisons que le champ d’action de ce nanite est limité, précisa Belganov. Il a été conçu spécifiquement pour modifier les pensées de toute personne susceptible de s’opposer aux Fengirs. S’il échoue dans cette tâche, il se contente de transmettre les pensées des individus impliqués aux autorités concernées, et attend d’être reprogrammé, ou remplacé. 

– Tu avais donc vraiment une expertise des données avant d’être embauchée par Ymeo, commenta Jaynak en s’adressant à Naldeia. 

– Heureusement, dit-elle. Comme ça, nous avons pu rester ensemble après le Stage. 

– Et vous le resterez, assura Belganov. Si vous acceptez de quitter cette planète avec moi, tu nous accompagneras, Naldeia. Ton expertise ne sera pas de trop. 

– Avec plaisir. 

– Résumons le plan, dit Belganov. Seul, je n’arriverai à rien, c’est pourquoi j’ai besoin de l’assistance d’alliés sur une planète lointaine. Nous devons aussi impérativement disposer d’un sujet vivant et en bonne santé pour détecter ce nanite et le neutraliser. Vous êtes cette personne, Jaynak. Ce que nous allons tenter ne l’a jamais été auparavant. 

– Parce que vous-même, vous n’avez jamais été implanté par l’ennemi ? 

– Je n’aurais jamais pu devenir Réfractaire si ça avait été le cas. En dehors de celles récupérées par Naldeia, toutes mes données concernant le nanite ennemi proviennent de l’argelen d’ambre. » 

Belganov et Naldeia fixaient du regard Jaynak, lequel se sentait s’amenuiser sous le poids de la responsabilité que l’on mettait sur ses épaules. « Combien de temps serons-nous absents ? 

– Autant qu’il le faudra, dit Belganov. Le voyage aller prendra une semaine et demie en temps galactique standard. Après, tout dépendra des circonstances. » 

Jaynak savait que sa vie serait bouleversée à partir du moment où il rejoindrait la résistance. Il n’avait pourtant pas imaginé devoir quitter sa planète la nuit même de son recrutement. « Au point où j’en suis, soupira-t-il finalement, changer d’air ne pourra pas me faire de mal. Je peux prévenir mes proches ? 

– J’ai bien peur que non. 

– Tu as changé de camp, mais tu restes dans un service secret, dit Naldeia. Plus secret qu’avant. 

– Bienvenue chez les Réfractaires », conclut Belganov. 

Le repas achevé, Belganov, accompagné de Naldeia, conduisit Jaynak au travers d’une série de corridors étroits qui paraissaient se terminer en impasse. A chaque extrémité cependant, une porte parfaitement camouflée apparaissait dans la roche, donnant le sentiment de s’enfoncer dans des secteurs de plus en plus sensibles du complexe. Ils marchaient depuis un certain temps déjà, quand une imposante double porte glissa devant eux. Une bouffée d’air les accueillit. Une silhouette profilée les attendait au centre d’une caverne étendue. L’éclairage tamisé laissait deviner la couleur mauve du fuselage. Le vaisseau avait la forme d’une raie manta qui aurait été entourée d’une bouée. 

« Un Stelrec quelque peu modifié. Il n’est que faiblement armé, dit Belganov, mais dispose d’un système occulteur. Nous possédons aussi les codes d’accès qui devraient nous permettre d’utiliser les Relais d’Accélération. Les tablettes que nous vous avons confiées vous donneront accès à l’intérieur du vaisseau — il suffit de vous approcher de celui-ci. Je vous invite à faire sa connaissance. De mon côté, je dois donner les dernières instructions avant notre départ. » 

Jaynak n’en revenait pas. Les événements s’enchaînaient si vite ! Sa main glissa sur le fuselage de l’appareil. Ils étaient sur le point de lui confier leur vie, comme Merek confiait la sienne au chasseur qu’il pilotait. Tant qu’il avait été ingénieur, Jaynak pouvait envisager les risques courus par les pilotes sur le plan intellectuel. A présent, il devenait partie prenante du conflit, en tant que passager d’un vaisseau fugitif qui emporterait avec lui rien moins que les espoirs de tout un peuple. Un engin si fragile que Jaynak sentait une vibration lui parcourir les entrailles. 

« Tu as peur ? » Naldeia recouvrit de la sienne la main caressant le fuselage. Ses yeux jetaient des éclairs de malice. 

Soudain grisé, Jaynak approcha sa bouche de la sienne. Elle se recula et il crut d’abord qu’elle se dérobait. En réalité, elle se contenta d’incliner sa tête en arrière et sur le côté, de manière à ce qu’il ne lui heurte pas le front avec son casque. Les langues s’entremêlèrent et Jaynak se sentit électrisé. « Voilà déjà une belle différence avec notre collaboration aux oreilles de Grendchko, murmura-t-il. Mais je me serais bien passé du casque. 

– Il va falloir t’y habituer. Comme le disait le professeur, jour et nuit. 

– Je ne pourrais pas l’ôter, une fois à bonne distance de notre système ? 

– Trop risqué. Nous ignorons si ce nanite ne sera pas capable d’altérer tes schémas de pensée une fois qu’il connaîtra ta décision de rejoindre notre camp. Il y a trop d’inconnues pour que nous courions le moindre risque. » 

L’intérieur du vaisseau était modulaire, c’est-à-dire que selon les nécessités, les parois internes pouvaient s’agencer en différentes configurations. On pouvait ainsi donner un accès plus large à la division ingénierie, privilégier la section loisirs avec l’adjonction d’une salle holo, ou bien organiser l’espace de manière à pouvoir se coucher ou manger de manière confortable pour trois personnes. Les reconfigurations ne pouvaient s’opérer qu’à la condition que chaque occupant se trouve dans une zone non modulaire du vaisseau. 

Jaynak inspecta l’anneau central. Il connaissait le modèle des réacteurs installés là — une technologie de type militaire à l’efficacité et la robustesse éprouvée. La conception générale s’avérait également rassurante. Restait à espérer que le dispositif d’occultation soit véritablement performant, car il n’imaginait ni Grendchko ni les Fengirs laisser d’anciens membres de l’ORG passés à l’ennemi s’en tirer à si bon compte. 

Ils se familiarisèrent pendant un moment avec les commandes grâce à l’Intelligence Synthétique intégrée au vaisseau. Leur destination n’avait pas été enregistrée dans le système de navigation, si bien que Jaynak ignorait toujours à combien d’années-lumière du système d’Altanis ils allaient se rendre. Belganov craignait-il une trahison de dernière minute ? Toujours est-il qu’il refusa de lever le voile au moment où il les rejoignit. Il se contenta d’enclencher le dispositif antigrav sans répondre aux questions. 

Manié avec assurance, le vaisseau se mit à flotter vers un recoin en hauteur de la caverne. Avant même qu’il ne déclenche l’ouverture de la paroi, Belganov actionna le système occulteur. Un pan impressionnant de la façade glissa vivement sur le côté, révélant la nuit nadarienne. 

« Si quelqu’un s’aperçoit qu’une bonne partie des Cavernes d’Ambre vient de s’ouvrir… commença Jaynak. 

– Aucun risque, répartit Belganov en enclenchant la poussée des mini-propulseurs. Le système holo de camouflage prend le relais dès l’ouverture. » 

Tandis que l’appareil franchissait le seuil des Cavernes, puis s’élançait vers les étoiles, le fuselage du Stelrec reproduisait les fréquences photoniques de son environnement, se fondant dans celui-ci. 

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