lundi 19 août 2024

L'Essence des Sens : chapitre 8

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le huitième.

Retrouvez la présentation du roman, ainsi que les cinq premiers chapitres en cliquant sur ce lien.

8. La vengeance

La plupart du temps, Grendchko s’arrangeait pour avoir un emploi du temps à trous. L’essentiel était de trouver les bons prétextes pour s’absenter fréquemment. Ses subalternes, après tout, ne gagneraient rien à savoir qu’il en profitait pour s’adonner à des activités récréatives — ils n’auraient pas compris. Un esprit supérieur comme le sien avait besoin de relâchement, de détachement afin de pouvoir effectuer ses activités de supervision en toute impartialité, et avec toute l’efficacité requise. L’essentiel était de bénéficier d’assistants compétents — même s’il ne fallait pas les en informer, ç’aurait été une marque de faiblesse — et de démontrer tout son aplomb en réunion. La veille du dîner d’affaire avec Ylium, cependant, Grendchko eut pour la première fois depuis longtemps l’impression de vraiment bosser. Dans la matinée, il se rendit en toute confidentialité dans l’un des quartiers scabreux non loin de l’un des astroports d’Argea où il devait mener une importante transaction. Cette affaire lui tenant à cœur, il était normal de prendre davantage de risques. Il retrouvait des sensations grisantes qui lui rappelaient l’époque parfois dangereuse où il avait pour mission de faire cracher leurs crédits aux mauvais payeurs.

L’après-midi, il reprit contact avec les employés de la Transpulsion chargés de préparer l’organisation du dîner du lendemain. A cette occasion, il isola celui des serveurs dont il avait graissé la patte, et qui avait pour consigne de n’obéir qu’à lui. « Voici le produit, dit-il en lui remettant la fiole rose acquise la veille à prix d’or chez le dealer de Stimcortix. Tu l’ajoutes toi-même en cuisine à la préparation de sengré destinée à Olnav, tu récupères son ballon-tube, et tu te charges personnellement de le servir, compris ? 

– Oui, monsieur. 

– Si tu foires le coup, si tu te fais choper ou si tu sers le mauvais type, ta tête sera aussitôt mise à prix dans la section pourpre de la Ruche. » 

Le serveur eut un mouvement de recul, et son visage prit une expression horrifiée. La section pourpre de la Ruche échappait à la réglementation plus stricte qui avait cours ailleurs. C’était là où l’on pouvait rémunérer les chasseurs de prime de la pire espèce, ou bien se livrer à d’autres trafics illégaux, dont la variété était aussi insondable que l’imagination tordue des donneurs d’ordre. 

« Et si tu réussis, bien sûr, tu auras le bonus promis. 

– Je réussirai. 

– Très bien. » 

Plusieurs des cadres d’Ylium, accompagnés de leurs drones, s’étaient joints à la délégation de la Transpulsion et discutaient de la répartition des tâches. Grendchko les évita pour aller retrouver la responsable du pôle communication, une certaine Gaïla. L’expression de la femme entre deux âges demeura neutre comme il s’approchait d’elle. Grendchko aimait susciter la crainte autour de lui, mais savait que tous les employés n’étaient pas sensibles à son aura si spéciale. Devinant qu’il était inutile de chercher à impressionner celle-ci, il choisit d’énoncer froidement les faits, comme s’il n’était qu’un intermédiaire. « Il y a du nouveau. J’ai reçu une communication de Shinaen. Il y aura deux recrues en plus pour la soirée. » 

La lueur dans les yeux de Gaïla témoigna de sa surprise et de son indécision. Grendchko fit apparaître l’holosignature des deux Nadariennes qu’il avait rencontrées le matin même. Il activa la commande pour la transmettre sur la tablette de Gaïla, laquelle accepta l’envoi. L’holosignature comportait l’empreinte génétique des nouvelles recrues. Quand elles se présenteraient pour le dîner, le personnel de la sécurité serait ainsi à même d’établir leur identité et de vérifier leurs autorisations. 

« Quel sera leur rôle ?

 – Je crois savoir qu’il s’agit d’un présent de Shinaen pour nos édiles méritants, dit Grendchko. En tout cas, elles n’interviendront qu’après la signature du contrat. Qu’elles décident d’accompagner le groupe pour le spectacle d’Orkhaisan ou non, il faudra leur laisser carte blanche, c’est compris ? Sinon, vous en répondrez devant nos amis Fengirs. » 

La responsable communication paraissait avoir les pieds sur terre et la tête froide. Elle tressaillit néanmoins à la mention des Fengirs. Irait-elle jusqu’à vérifier les dires de Grendchko auprès de Shinaen ? Celui-ci en doutait. La plupart de ses concitoyens, quand cela leur était possible, évitaient tout contact avec les Fengirs. Le plus grand danger était qu’elle prévienne Olnav que quelque chose se tramait. Mais le ferait-elle sur la simple base de ces deux employées de dernière minute, sachant qu’elles intervenaient sur ordre des Fengirs ? Grendchko misait sur la passivité d’une notable qui tient à conserver son poste, en préservant sa neutralité dans les enjeux de pouvoir. La vie était faite de paris…

En fin d’après-midi, il alla à son rendez-vous avec Ymeo. 

« J’ai réussi ! triompha-t-elle, un sourire rayonnant aux lèvres. Nous dînerons ensemble demain soir dans les salons privés d’Arômart, un restaurant thématique artistique. Nous aurons des plats et couverts issus de l’art Zenepyr, et il y aura un holo-docu sur le même thème. Je lui ai dit qu’il n’y avait aucune raison qu’Olnav soit le seul à s’amuser, et Tilean a été d’accord. 

– Tu sais, je me fous des détails. L’important, c’est que ce dîner se fasse. » Il lui communiqua ses instructions et lui remit à son tour une fiole rose. Elle devrait elle aussi l’utiliser sans que Tilean ne le remarque. « A présent, tu vas me montrer comment tu aimes ton maître », susurra-t-il. 

Ils échangèrent un regard. Elle eut un petit frémissement d’inquiétude qui redoubla son excitation. Il lui palpa sans ménagement ses quatre ouvertures thoraciques et eut la satisfaction, au moment de la pénétrer, de voir qu’elle n’était pas prête et en éprouvait de la douleur. C’était comme une répétition de la soirée du lendemain, et les appendices de Grendchko palpitaient comme rarement. 

Ymeo lui lança un regard de reproche pendant leurs ébats, qui ne fit là encore qu’accroître son plaisir. C’était toujours quand ses inférieurs attendaient de lui de la reconnaissance qu’il fallait leur montrer qui était le maître. Cela les rendait plus désireux de lui plaire, encore plus malléables. 

Le dîner d’affaires qui devait sceller le marché le plus important de ces dernières années, pour la Transpulsion comme pour Ylium, s’avéra affreusement fastidieux. Installé dans une luxueuse chambre d’hôtel, Grendchko suivait les discussions plus hermétiques les unes que les autres à distance. Le drone captait, enregistrait et retransmettait chacun des échanges autour de la table. Ses caméras multiples permettaient de visionner tour à tour les différents points de vue. De temps en temps, Grendchko regardait la courbe d’audience sur la Ruche. Celle-ci venait de s’enfoncer sous le seuil de la dizaine de milliers de spectateurs, ce qui était déjà énorme selon Grendchko — il fallait croire que la population d’ingénieurs et de techniciens susceptibles de ne pas être rebutés par l’imbitable jargon était plus nombreuse qu’il ne l’avait imaginé. 

Grendchko n’avait qu’à tapoter sur son oreille droite pour activer son appareil, mais là encore, la conversation entre Ymeo et Tilean faisait presque regretter de ne pas être sourd. Depuis peu, elles s’étaient tues et Grendchko percevait la docte voix en provenance de l’holo-docu. Que pouvait-il y avoir de plus assommant que l’art zenepyr ? A part peut-être une discussion à bâtons rompus sur les mérites comparés des réacteurs de distorsion et autres champs d’antimatière... 

Un regard sur sa droite lui apprit que la courbe d’audience avait remonté, atteignant presque les 12 000 vues. Olnav et Talern avaient sorti le document officiel qui devait sceller l’alliance entre les deux compagnies. Comme c’était l’usage, le contrat existait en format papier et holographique. La double signature se fit sous les applaudissements des différents participants. Puis, les serveurs et drones apportèrent le sengré de premier prix, une version coûteuse et richement texturée qu’il n’était pas aisé de se procurer. 

Grendchko consulta l’horloge. Il ne restait que vingt minutes avant le début du spectacle d’Orkhaisan, ce que fit bientôt remarquer l’assistant d’Olnav aux édiles. Ceux-ci ayant terminé de fumer, opinèrent. Il était temps de se mettre en route. Tout le monde s’activa, à l’exception notable d’Olnav. La tête rejetée en arrière, il oscillait de droite et de gauche. Grendchko redoubla d’attention. 

« Qu’y a-t-il ? demanda son assistant. 

– Un léger étourdissement, fit Olnav. Allez-y sans moi, je vous rejoindrai. 

– Désirez-vous une assistance médicale ? » 

Grendchko se crispa. Si Olnav répondait par l’affirmative, cela pouvait tout remettre en cause. « Vous tenez tant que ça à casser l’ambiance, Beglev ? Allez-y sans moi, je vous dis, c’est juste le sengré qui m’est un peu monté à la tête. 

– Cela va aller, premier édile ? s’enquit Talern. 

– Aucun souci cher confrère, dit Olnav avec un accent traînant. Je vous rejoins. » 

Talern se tourna vers l’un des notables d’Ylium avec lequel il échangea un sourire. Visiblement, le dirigeant de la Transpulsion ne tenait guère le sengré. Quelques instants plus tard, les membres de l’assistance quittaient la pièce, se dépêchant de regagner leurs flotteurs afin de ne pas rater le début du spectacle. Grendchko serra le poing en voyant survenir Biblag et Erlyv, les deux prostituées qu’il avait recrutées dans les bas-fonds. 

Aussitôt, elles se penchèrent au chevet de leur client du soir. « On a abusé du sengré, on dirait, minauda l’une. 

– Mais ça n’a pas l’air de t’avoir ôté de la vigueur », dit l’autre en plongeant sa main sous l’une des plaques grises du dirigeant de la Transpulsion. Elle exhiba l’un de ses appendices qui se mit à grossir et à durcir. 

– Non ! Ne faites pas ça ! protesta Olnav d’une voix faible. 

– Et pourquoi non ? On dirait que tu n’attendais que ça », fit la seconde en retirant un deuxième appendice, lequel fit preuve du même enthousiasme que le premier. 

Grendchko jubilait. Le produit miracle de Stimcortix appelé tanavnus, tout en générant un premier étourdissement comme on le lui avait décrit, rendait bel et bien irrésistible le désir envers le sexe opposé. Et ces deux putains s’y entendaient à ne pas laisser refroidir ce genre d’ardeur. Un regard vers la courbe d’audience lui apprit que celle-ci était également prise d’une érection subite. D’un geste, il affina les statistiques, et découvrit que la chaîne Orgix, spécialisée dans le voyeurisme et dans les célébrités, avait su repérer les algorithmes radicalement nouveaux transmis par le drone de la Transpulsion, le seul à être resté sur place. De son côté, Olnav n’émettait déjà presque plus de protestation. Grendchko tapota sur son oreille. « C’est en cours, dit-il. Je viens vers vous. 

– Compris », murmura Ymeo à l’autre bout. 

Grendchko s’était fait accompagner d’un second drone, lui aussi relié à la Ruche. Après avoir pris son flotteur sur le balcon plate-forme de sa chambre, il gagna rapidement l’entrée du restaurant où se trouvaient son espionne et leur proie. Dès qu’il en eut franchi le seuil, il ordonna à son drone-cam de diffuser les images. 

Le salon privé présentait des modulofauteuils extrêmement confortables et inclinables, une table dont les couverts et restes de repas avaient déjà été débarrassés, et un éclairage discret, adéquat pour le visionnage des programmes holo. Ymeo prétexta un besoin pressant pour s’arracher à l’holo-docu. Tilean parut surprise, mais hocha la tête avant de se replonger dans les hologrammes baroques. Dès qu’elle fut hors de vue, Ymeo connecta sa tablette au drone qui était censé filmer la signature du contrat. A la place, on découvrait Olnav encadré par deux femmes qui chacune empoignaient ses appendices et les pointaient vers leurs orifices de plaisir. Ymeo désigna de son doigt l’icône qui présentait le plus de vues. L’image ne changea pas, mais la scène était maintenant commentée en direct par l’animateur vedette d’une chaîne pornographique nommée Orgix. 

Plutôt que de se diriger vers les lieux d’aisance, Ymeo alla vers le fumoir et commanda un hersé, une version plus relevée du sengré. Dès que le barman eut le dos tourné, elle versa dans le ballon le contenu de la fiole rose. Elle revint ensuite vers le salon où l’attendait Tilean. Elle savait que Grendchko n’aurait aucun mal à la retrouver grâce au signal émis par sa tablette — elle devait faire vite. Tilean était toujours plongée dans l’holo-docu. Ymeo fit mine d’être prise de vertige. De la main gauche, elle se retint à l’épaule de Tilean, avant de s’affaler dans son fauteuil. Elle posa le ballon-tube sur la table et baissa la tête. 

« Que se passe-t-il ? s’inquiéta Tilean. 

– Je… je me suis pris un remontant, dit Ymeo. Il y avait une femme dans les toilettes. Elle regardait… Enfin non, il vaut mieux que tu ne saches pas. C’est atroce ! 

– Comment ça ? Pourquoi vaut-il mieux que je ne sache pas ? 

– Ce… ça te concerne. Vraiment, je ne devrais pas t’en parler. 

– Qu’est-ce qui a bien pu te mettre dans cet état ? Enfin, explique-toi ! » 

Ymeo sortit sa tablette comme à contrecœur. « Je t’assure que tu ne devrais pas regarder. 

– Vas-y. » 

Ymeo lança l’holoprojection. Aussitôt, une scène bien différente remplaça l’holo-docu. Olnav, le mari de Tilean, était en train de copuler avec deux beaux spécimens de Nadariennes. Son enthousiasme semblait sans borne. L’animateur ne cessait de s’extasier devant les performances sexuelles du premier édile de la Transpulsion, citant son nom toutes les deux phrases. 

La lueur des yeux de Tilean devint d’une pâleur mortelle. Elle se mit à osciller dans son fauteuil, et ses lèvres tremblèrent. « Non ! Non, ça ne peut pas être lui. » Elle se tourna vers Ymeo. « Dis-moi que ce n’est pas lui ! 

– Je crois bien que c’est toi qui ferais mieux de le prendre, ce remontant », dit-elle. Tout dans l’expression de Tilean suggérait qu’elle était en état de choc. Sans plus tarder, Ymeo se saisit du ballon-tube, dont elle dirigea l’extrémité vers l’orifice nasal unique de sa cible. Elle lui inclina gentiment la tête de la main gauche et attendit qu’elle respire. 

Tilean prit plusieurs inspirations avant d’être secouée de tremblements. Ymeo reposa aussitôt le ballon-tube, inquiète. Grendchko lui avait décrit les effets du produit, mais il y avait toujours le risque que Tilean y soit allergique, ou que le dosage soit trop fort. Elle était très bien payée, et son maître avait une personnalité envoûtante, mais elle se demandait jusqu’où elle était prête à aller pour lui. 

Jusqu’au bout, se dit-elle. 

« Qu’avons-nous là ? » fit la voix sarcastique de Grendchko derrière elle. 

Ymeo se retourna. Le second édile de la Transpulsion était bien présent, quelque peu essoufflé mais un grand sourire aux lèvres. Dans ses yeux, il y avait une lueur qu’elle avait appris à reconnaître entre toutes. Un drone flottait en retrait. Ymeo s’éloigna aussitôt pour ne pas apparaître dans le champ des caméras. 

« Ma chère, dit Grendchko, j’espère que vous avez bien pris votre remontant. 

– Elle l’a pris, répondit Ymeo du recoin où elle s’était postée. 

– J’ai été informé de la conduite inqualifiable de votre mari, dit Grendchko. Je crois bien qu’il ne vous reste qu’une seule manière de le remettre à sa place. » Il posa ses mains entre les plaques de l’épouse d’Olnav, à la recherche de ses orifices. Elle poussa de petits cris de protestation. Dans l’état de faiblesse induit par le produit qu’elle avait pris, elle ne pouvait lui résister. Les cris se transformèrent très vite en gémissements de désir. Elle fut prête presque aussitôt, comme si son corps n’avait attendu que ça. C’était une réponse purement chimique, mais Grendchko ne put s’empêcher d’en être flatté. Il la pénétra avec une délectation d’autant plus grande qu’il savait que le drone-cam retransmettait la scène en direct sur la Ruche. La vengeance était à sa mesure, absolument inoubliable. 



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