jeudi 5 décembre 2019

Une promesse que je me suis faite

Je me suis fait une promesse. Peut-être pas de manière formelle ni à un moment précis, mais c'est en tout cas la promesse, tout au long de ma vie, de ne sombrer ni dans la misanthropie, ni dans le pessimisme, ni dans l'amertume, ni dans aucune de ces philosophies qui vous font d'abord voir le verre à moitié vide. L'amertume, en particulier, est un écueil qui menace les auteurs. C'est d'ailleurs pourquoi une romancière comme Kris Rusch attache autant d'importance à Thanksgiving dans ce sens de "gratitude envers la vie". 

"Les Gaulois n'ont peur que d'une chose, c'est que le ciel leur tombe sur la tête", est une phrase qui revient souvent dans les albums de BD Astérix et Obélix. La BD étant parodique, "les Gaulois" désigne en fait les Français. Et si l'on y réfléchit deux secondes, ils ont beau n'avoir peur que d'une chose, cela ne fait pas moins d'eux de grands angoissés devant la vie. Avoir peur que le ciel vous tombe sur la tête, c'est une vraie angoisse métaphysique, une peur de tous les instants. Cela décrit un trait de caractère des Français.

C'est ce même type de peur, d'angoisse qui est relayée par les médias, et de manière si intense que je qualifie cela dans un autre article de terrorisme médiatique, en appelant même à la création d'un outil pour mesurer la toxicité des médias. Le genre de peur, en gros, qui fait de tous les Français des névrosés. 

Cette névrose, j'en suis aussi la victime. Moi aussi, je me fais le relais d'informations négatives. Parce que j'estime qu'un artiste doit aussi se confronter à la réalité, ce qui signifie ne pas s'enfoncer la tête dans le sable. Par exemple, avoir la capacité de réaliser qu'on a fait fausse route au sujet du réchauffement climatique depuis 30 ou 40 ans. Parce qu'il y a la peur, l'angoisse, mais il y a aussi la réalité. C'est pourquoi je m'efforce toujours d'envisager des solutions dans le champ du réel.

Je suis donc davantage un névrosé militant qu'un névrosé dépressif. Mais allons plus loin dans l'introspection. Le fait que mes deux derniers romans (et trois derniers si l'on estime que Le Vagabond tient plus du roman que du recueil de nouvelles) soient des Thrillers ne fait-il pas de moi quelqu'un de fondamentalement pessimiste?

Pour écrire des romans noirs, ne faut-il pas voir la vie en noir?

J'ai essayé d'apporter une réponse à cette question dans la quatrième de couverture de mon dernier Thriller, Les Nouveaux Gardiens: "En cette deuxième décennie du XXIe siècle, les médias ne cessent de déverser un flux d'informations catastrophiques. Plutôt que de sombrer dans l'indifférence, la morosité ou le cynisme, Vick Lempereur a décidé d'agir."

Cette réponse, c'est donc la résilience, la capacité de rebondir, de faire face. Cela ne veut pas dire pour autant que la fin du roman soit parfaitement optimiste. Et même si la fin devait être jugée pessimiste, cela ne voudrait pas dire pour autant que son auteur est un pessimiste.

Dans tous les Thrillers, les personnages principaux font preuve de résilience, ou en tout cas, se débattent, essayent de s'en sortir, ou de résoudre l'affaire. Sans cela, sans ces efforts, il n'y aurait tout simplement pas de roman. Ce serait terminé pour eux dès la fin du premier chapitre.

Récemment, le Thriller Effondrements, de Guy Morant, en me plaçant dans la peau d'un survivaliste, de quelqu'un qui pense l'effondrement de la société inévitable, et s'y prépare, m'a fait comprendre que ce n'était pas l'attitude à adopter. Pourquoi? Parce que c'est tout simplement l'attitude du charognard. De quelqu'un placé en position d'attente, et d'attente malsaine, de l'attente de quelque chose de très négatif. Je ne veux tout simplement pas vivre comme ça. 

Quels que soient les signaux négatif que je reçois, et même si je tiens compte de la réalité et m'y confronte, je vis donc au jour le jour, dans une attitude de gratitude par rapport à tout ce que je possède, attitude positive, bien sûr. 

Et qu'en est-il, me direz-vous, de la condition d'auteur vivant de sa plume à temps plein? Est-ce que je ne devrais pas me considérer comme un agriculteur travaillant toute l'année son lopin de terre, pour au bout du compte ne récolter qu'un simple épis de maïs? Est-ce que ce rapport si défavorable entre la quantité de travail fournie et le fruit de ce travail ne devrait pas inexorablement me conduire vers l'amertume, comme ça a déjà été le cas de tant d'auteurs? 

C'est en effet le danger de la condition d'auteur, et il faut y prendre garde. Le truc, c'est que personne ne m'a mis un couteau sous la gorge pour choisir ce métier. C'est mon choix, et je dois l'assumer. A moi de faire la preuve de ce dont je suis capable... même si ce ne devait être qu'à deux ou trois individus!

C'est un choix qui m'a permis de réaliser mon rêve en vivant de l'écriture. Oui, il y a un prix à payer. Mais il y a aussi des plaisirs transgressifs, comme le fait de rester au lit quand la plupart des gens sont assujettis au conformisme du métro-boulot-dodo. Il y a une certaine liberté de parole, de vision de la société qui peut s'exprimer.

Il y a aussi la satisfaction des rencontres avec les lecteurs et des échanges. Il y a enfin la réalisation de soi-même dans ses livres, bien plus importante que dans aucun autre métier que j'ai pu exercer. 

Il m'arrive parfois d'imaginer vendre 25 000 exemplaires de mon dernier roman en format ebook, et de m'en effrayer. Comment serait le retour sur terre, après un tel succès? Est-ce que ce genre de succès ne me placerait pas en position d'attente pour le restant de mes jours, là où je souhaite continuer à aller de l'avant? Est-ce que je ne considérerais pas que je "mérite" de vendre autant à chaque roman? Est-ce que je ne serais pas frustré à chaque fois comme un enfant gâté? Le succès serait pour moi une grande perturbation.

Plutôt qu'un agriculteur, je préfère à présent me considérer comme le possesseur et bénéficiaire d'un puits. Chaque seau que je remonte est un seau de satisfaction. En d'autres termes, c'est le voyage qui compte, pas la destination.

Aucun commentaire: