"On croule sous les sollicitations, et les séances de dédicace sont à chaque fois complexes à organiser. Cela nous prend trop de temps." Les magasins Cultura, à l'instar des Fnac, vendent des produits culturels de manière large: livres, liseuses électroniques, DVD, musique, jeux vidéo. Une enseigne qui semble avoir le vent en poupe, puisque de nouveaux magasins ont ouvert ces dernières années, et notamment dans la région parisienne.
Le personnel de la librairie ne chôme pas, à tel point qu'en discutant de l'enseigne avec d'autres auteurs, le terme "sous-effectif" a tendance à revenir souvent.
Un point symptomatique est le fait que les libraires demandent de plus en plus à être sollicité(e)s uniquement par email pour des séances de dédicace, mais que ces emails sont de moins en moins répondus.
C'est aussi un point qui fait penser que les demandes de dédicaces d'auteurs et éditeurs, avec notamment l'essor de l'autoédition, sont en nette augmentation. Voire ont tendance à exploser.
D'où la réponse, très nette et sans détour, que j'ai obtenue après mon appel au Cultura Franconville, en ce mois de février 2018 (voir les premières lignes de l'article).
La discussion est restée courtoise, bien sûr. La libraire de Franconville (95) m'a expliqué que la nouvelle politique de l'enseigne était d'organiser deux séances de dédicace par mois. Elle a ajouté qu'il n'y avait plus de place cette année, et qu'il faudrait faire le point d'ici la fin de l'année.
Quand je lui ai demandé s'il était possible de réserver une séance de dédicace plusieurs années à l'avance, elle m'a répondu que c'était impossible, que cela se faisait sur une année seulement.
Je me suis mis à sa place. Je me suis vu recevoir 800 emails à la fin de l'année 2018 pour les 24 séances de dédicace en 2019.
Comment le choix va-t-il être fait? Sans doute par genre littéraire, et peut-être par date de venue précédente dans la librairie. Mais si l'enseigne opère de manière classique dans le cadre professionnel, ce sont d'abord ce qu'on appelle les "comptes en or" qui vont être privilégiés: pas forcément les auteurs qui vendent le mieux, mais ceux qui dépendent des éditeurs ayant le plus d'influence auprès du magasin.
Bref, j'ai compris que les critères de "nouveau livre paru, que je n'ai jamais dédicacé chez vous", ou même de nombre de lecteurs qui attendraient la suite d'un de mes livres, ces critères-là ne pèseraient pas lourd.
Pour les auteurs indépendants, il est important de savoir faire preuve de souplesse et d'adaptabilité. Est-ce que cela vaut encore la peine de faire une demande de dédicace auprès d'une enseigne Cultura, ou bien est-ce une perte de temps et d'énergie?
Est-ce que cette politique s'impose vraiment au niveau national à tous les magasins? Si c'est vraiment le cas, je conseillerais à mes confrères auteurs de pratiquer la stratégie du footballeur.
Prenons un footballeur qui mouille le maillot et donne entière satisfaction. Un nouveau coach débarque, et voilà notre footballeur relégué sur le banc de touche. Si ce footballeur souhaite retrouver du temps de jeu, il n'aura qu'une seule option: demander son transfert, et signer avec une autre équipe.
Je n'ai aucune raison de mettre en doute la parole de la libraire que j'ai eue au téléphone.
Une autre expérience me conforte dans l'idée qu'il s'agit d'une consigne nationale (reste à savoir si c'est une consigne obligatoire ou non).
Le premier signal d'alarme en 2018 s'est mis à résonner dans ma tête quand j'ai reçu un email du Cultura Carré Sénart me demandant de venir récupérer des livres restés en dépôt chez eux.
En général, je fais deux ou trois séances de dédicace par an dans ce magasin situé en Seine et Marne. Je récupère les livres restés en dépôt (invendus redéposés en rayon) à cette occasion.
J'avais donc renvoyé un email sollicitant de nouvelles séances de dédicace pour 2018, en disant que je récupérerai les livres à cette occasion. Email non répondu. Trois semaines plus tard, au retour de vacances de la personne s'occupant des dédicaces, j'apprends qu'une nouvelle politique est mise en place. Voici un large extrait de l'email que j'ai reçu:
Tout d'abord, nous souhaitons organiser nos dédicaces en fonction
des opérations qui ont lieu en magasin (Par exemple, programmer des
auteurs de littérature jeunesse en dédicace, lors du mois de la
jeunesse, des auteurs de polars lors du mois du polars etc ...)
Par ailleurs, notre agenda de dédicaces est toujours complet presque 6 mois à l'avance avec des auteurs que nous recevons fréquemment, pour ne pas dire régulièrement.
Nous souhaitons aujourd'hui
diversifier nos dédicaces et permettre notamment à de nouveaux auteurs
de pouvoir faire une dédicace dans notre magasin.
Chose qu'ils ne peuvent faire, et que nous ne pouvons pas organiser, puisque les places disponibles sont généralement prises par les auteurs "habituels" si je puis dire.
Chose qu'ils ne peuvent faire, et que nous ne pouvons pas organiser, puisque les places disponibles sont généralement prises par les auteurs "habituels" si je puis dire.
Je ne remets pas en cause les
ventes d'ouvrages effectivement, mais comprenez que nous ne sommes pas
obligés de programmer des dédicaces selon le bon vouloir des auteurs, et
qu'il s'agit d'un service rendu et d'un choix de notre part.
Nouvelle politique, donc, mais apparemment différente de celle du Cultura Franconville, puisqu'il est question d'opérations comme le mois de la jeunesse ou le mois du polar.
En fait, l'enseigne Cultura a mis en place des opérations similaires, et notamment Livres en live, au cours des années précédentes, donc pour moi, il ne s'agissait pas réellement d'un changement.
Le vrai changement, c'était d'apprendre que je ne pourrai pas revenir dédicacer dans ce magasin sur toute l'année 2018 si je n'y étais pas invité. Et ce, malgré la sortie de Passager clandestin, mon dernier thriller, début janvier 2018.
Et ce, malgré plus de 550 livres vendus depuis 2010 dans ce Cultura en 22 séances d'une journée chacune.
Malgré les 31 livres vendus lors de la dernière séance au Cultura Carré Sénart en décembre 2017.
Ouch.
A la lumière des révélations qui m'ont été faites à Franconville, je suis en droit de penser qu'en réalité, le magasin de Carré Sénart se met à appliquer la politique de deux séances de dédicace par mois. Tout en cherchant en effet à faire venir de nouveaux auteurs, mais sur un nombre de dates très réduit dans l'année.
Donc, on ne m'a pas menti: on ne m'a simplement pas dit toute la vérité.
L'enjeu financier est évidemment important pour moi: je vis des ventes de mes livres en séance de dédicace. J'ai aussi appris à ne pas dépendre d'un seul acteur, ce dont je me félicite aujourd'hui.
Il faut aussi savoir que lorsqu'une enseigne reçoit un auteur, ce n'est pas juste une faveur que cette enseigne fait à l'auteur: cela fait de l'animation pour le magasin, et l'enseigne perçoit, dans le cas d'un Cultura, 30% de marge par livre vendu. Dans le cas de centres commerciaux de type Auchan ou Cora, c'est plutôt 20%.
Enjeu ou non, je ne harcèle jamais les libraires, même s'il m'arrive d'appeler si un email renvoyé plusieurs fois n'est pas répondu. Le harcèlement est très logiquement puni par la loi, je déconseille fortement cette voie à tous les auteurs.
Si je dois me résoudre à dédicacer mes livres dans le coffre de ma voiture, je le ferai, bien sûr. Cela peut sembler contre-intuitif étant donné le nombre d'enseignes commerciales présentes sur l'Ile de France, mais il faut savoir s'adapter. S'il est vraiment trop difficile pour un libraire de recevoir un auteur, nous aurons toujours moyen de nous débrouiller par nous-mêmes.
Pour l'instant, mes dates sont heureusement presque bouclées pour l'année 2018. Si vous êtes lecteur et que vous vous demandez où vous pouvez me retrouver en dédicace, toutes mes dates figurent sur la colonne de droite de ce blog.
[EDIT 21/02/2018]: je viens d'avoir la réponse à la question que je me posais, de la part d'une libraire d'un autre Cultura que ceux précédemment cités, qui me disait que pour sa part, elle organisait quatre séances de dédicace par mois. Il n'y a donc pas de nombre de dédicaces imposées au niveau national par magasin, j'en ai eu la confirmation formelle.
2 commentaires:
Il n’y a aucune réelle politique de la part de Cultura, les magasins sont libres de gérer leurs dédicaces comme ils le souhaitent, en fonction de leurs affinités, leur volonté et de leur rythme de travail et ces décisions ne méritent aucune justification auprès des auteurs qui les sollicitent. « On ne m’a pas tout dit » : nous n’avons aucune obligation de vous dire quoique ce soit. Les libraires de Carré Sénart semblent vous avoir envoyé un mail très courtois vous expliquant la politique qu’ils souhaitaient adopter. En quoi cette réponse mérite-t-elle cette réaction de votre part ? Que cette nouvelle politique ne vous plaise pas est concevable mais l’ancienne politique ne convenait sûrement pas à ces libraires non plus et malheureusement, ce sont eux les gestionnaires de leurs rayons !
Les « comptes en or » comme vous les appelez ne sont pas courants chez Cultura. La grande part des dédicaces sont des auteurs autoédités, parce que nous estimons que, si la qualité nous semble être au rendez-vous, les auteurs des environs qui n’ont pas la chance d’être dans le circuit traditionnel de diffusion méritent de défendre leurs romans. Ce n’est pas une faveur que l’on vous fait, ni une faveur que vous nous faites en nous autorisant 30% de remise (je me permets de préciser que nous sommes dans le culturel, par opposition à Auchan ou Cora que vous citez si bien. La comparaison de la marge n’a donc pas vraiment lieu d’être !). C’est un échange de bon procédé, un accord basé sur de bonnes relations. Cet article et le fait que vous citiez 5 magasins avec lesquels vous ne travaillez plus et dont certains avec qui vous semblez avoir des incompatibilités d’humeur devrait peut-être vous pousser à vous poser la question de votre comportement envers les libraires et l’enseigne Cultura en général. Ce n’est en tout cas certainement pas en écrivant ce genre d’article que vous réussirez à obtenir quoique ce soit d’une enseigne qui n’a pas besoin de dédicace pour vivre. L’animation principale du magasin vient des libraires qui se tuent au quotidien à proposer une qualité de service et de conseil à leurs clients. Rien ne vous est dû, et ce n’est pas parce que vous avez un nouveau livre qui sort que vous obtenez obligatoirement une place dans le planning des dédicaces. Il y a en moyenne 300 nouveautés par jour sur le marché de l’édition, ce critère-là n’est malheureusement pas un passe-droit.
Votre théorie du footballeur est très intéressante. Le problème étant que vous vous mettez d’office dans la peau d’un footballeur/auteur qui donnerait entière satisfaction face à un coach/libraire qui change de technique de travail. Très manichéen votre tableau. Vous êtes l’auteur angélique parfait sur tous les points et nous sommes les grands méchants libraires qui ne vous comprennent pas et veulent vous mettre des bâtons dans les roues ? Vous êtes-vous mis 2 minutes dans la peau du libraire qui passe un temps fou, parfois sur son propre temps libre, à faire l’affiche de votre dédicace, faire le bon de dépôt, faire référencer les livres, puis clôturer le dossier de facture, l’envoyer à la comptabilité pour permettre à un auteur qu’il ne connaît pas de défendre son livre. Tout ça pour recevoir ce genre de remerciement et/ou de comportement très déplacé de certains auteurs qui se pensent en droit de tout dire et tout faire ?
Je suis estomaqué par cet article qui, heureusement, ne devrait pas toucher beaucoup de gens. Quand je vois l’énergie des libraires des Cultura que je rencontre et la passion derrière leurs mots ou leurs actions, je ne comprends pas qu’on puisse tenir ce genre de discours. Enfin plutôt si, cela m’aiguille sur la personne que vous devez être au quotidien et dans le cadre de votre activité d’auteur. N’oubliez pas tout de même que les Cultura pourraient également refuser simplement toute dédicace d’autoédités. Manque de chance, cet article risque de vous desservir non pas auprès de l’enseigne qui reste ouverte à tous mais auprès de ces libraires motivés qui ne manqueront pas de se sentir un brin agressés sans aucune raison de votre part !
Etre auteur autoédité n'est pas une activité qui va toujours de soi. Un auteur averti en vaut deux: ce blog a donc pour but, notamment, de déceler les nouvelles tendances dans les différents champs d'activité de l'autoédition. Il y a, vous l'aurez remarqué, un point d'interrogation dans l'intitulé de l'article. Je n'étais donc pas sûr du caractère national d'une éventuelle politique de l'enseigne.
Cette interrogation a été par la suite levée, puisque j'ai su de la part d'une libraire, puis d'un directeur de magasin, qu'il n'y avait pas de politique nationale. Dont acte.
Il n'empêche que je constate des tendances. Ces tendances vont vers une plus grande tension dans la négociation des séances de dédicace. C'est de cela dont il est question, et dont je voulais informer mes collègues auteurs, en rappelant d'ailleurs au passage que le harcèlement est très logiquement puni par la loi, et en incitant à ne pas se diriger vers cette voie.
Pour avoir eu l'idée de faire ce rappel, je peux vous assurer que oui, je me suis mis à la place du libraire, confronté à des demandes de plus en plus nombreuses. Relisez le début de l'article.
A partir du moment où un marché devient saturé, conseiller des auteurs d'élargir les choix, de solliciter d'autres enseignes, n'est pas, il me semble, faire injure à l'enseigne. C'est du bon sens.
Pour le cas particulier de Carré Sénart, vous me dites: "Les libraires de Carré Sénart semblent vous avoir envoyé un mail très courtois vous expliquant la politique qu’ils souhaitaient adopter. En quoi cette réponse mérite-t-elle cette réaction de votre part ?"
Eh bien, aussi courtois soit-il, un e-mail vous indiquant qu'un magasin souhaite interrompre sa collaboration avec vous parce qu'une nouvelle politique est mise en place ne peut pas manquer de susciter l'impression d'avoir été trahi, à partir du moment où la collaboration a été suffisamment longue et fructueuse.
Je crois que c'est tout simplement humain: à partir du moment où vous travaillez suffisamment longtemps avec un magasin en particulier, une relation de confiance se met à naître et à se renforcer, et même si l'on vous explique avec toute la politesse du monde que cette relation n'a plus lieu d'être du jour au lendemain en raison d'une nouvelle politique, même si l'on vous explique patiemment et courtoisement cette politique, le sentiment d'avoir sa confiance trahie persiste.
Et il ne faut pas oublier que la relation existe entre le libraire et l'auteur, mais aussi entre l'auteur et certains lecteurs du magasin, et que donc, l'interruption de la collaboration va avoir des répercussions à différents niveaux.
Après, le fait que vous soyez "estomaqué par cet article", que vous me disiez "Ce n’est en tout cas certainement pas en écrivant ce genre d’article que vous réussirez à obtenir quoique ce soit d’une enseigne qui n’a pas besoin de dédicace pour vivre", ou encore "N’oubliez pas tout de même que les Cultura pourraient également refuser simplement toute dédicace d’autoédités", tout cela en dit long sur les rapports entre certains libraires (puisque, bien que postant de manière anonyme, vous avez noté "Libraire" à votre nom) et les auteurs. Vous n'êtes pas habitué à ce qu'un auteur puisse réagir à partir du moment où un chef de rayon instaure une nouvelle politique. Vous pensez que le rapport de force doit systématiquement protéger le pot de fer contre le pot de terre.
Cette politique a pourtant des conséquences très concrètes. Ce blog est aussi un blog de témoignage. Le but d'un tel article est d'éveiller les consciences. Les auteurs ne sont pas juste des machines à dédicace. Il y a de l'humain derrière.
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