"Résiste! Prouve que tu existes!" scandait France Gall dans une chanson célèbre composée par Michel Berger. Si l'on souhaite s'enrichir financièrement, les métiers de la banque ou de la Bourse conviendront beaucoup mieux que l'écriture, c'est un fait. En revanche, le fait de vouloir gagner sa vie, mener une carrière avec l'écriture dénature-t-il ce que l'on écrit ou pire encore, l'artiste en nous, comme semble le suggérer l'auteur Luc Landrot dans son dernier billet? Gérer son entreprise d'autoédition nous transforme-t-il en entrepreneurs sans scrupules? En commerciaux, en obsédés de la vente? Bien que ne vivant de l'écriture de mes romans de fiction que depuis un peu moins de quatre ans, je peux déjà faire part de mes impressions.
Le billet de Luc est à la fois très sincère et touchant dans sa manière de vouloir préserver le cœur, l'essence même de notre passion. Ce désir d'écrire des histoires qui vont nous emporter avant peut-être, qui sait, d'emporter quelques lecteurs, de leur permettre de s'évader, de vivre cette union télépathique avec l'auteur. Et pourquoi pas, si l'on a autour de soi des gens avec lesquels on partage les mêmes goûts, d'échanger sur un livre comme on échangerait sur un film, de comparer son ressenti.
Ce qui m'a frappé c'est que, d'après ce billet, Luc exerçait la mission d'ingénieur en CDI avant de déposer sa démission pour "voyager et faire ce qui [lui] plaît."
L'un des passages de son billet est particulièrement marquant:
Certains sont même “jaloux/admiratifs” de ma situation, dans le sens où
ils estiment n’avoir jamais le cran de faire pareil. Et pourtant,
parfois on a quand même l’impression qu’on est illégitime. J’avais beau
me répéter à moi-même que j’assumais mes choix, qu’ils étaient fondés,
raisonnés, légitimes, je n’arrive pas à me débarrasser de ce poids
social qui ne vient même pas des gens directement mais de la culture
globale.
Vers la fin de son billet, Luc, qui a écrit un seul roman, indique que son métier principal "redeviendra probablement ingénieur".
Je ne vais bien sûr pas me lancer dans un jugement de valeur sur le parcours d'un collègue.
Ce que je peux vous dire, c'est que ce "poids social" ressenti par Luc, il pèse aussi sur mes épaules. Je me le représente comme une entropie sociétale : si l'on envisage les métiers classiques comme le centre d'une planète, c'est un peu comme une force de la gravitation, ou une courbure de l'espace-temps, pour reprendre la théorie d'Einstein, qui vous force à glisser vers le centre si vous exercez un métier un peu plus périphérique. L'un de ces métiers qui ne sont pas préconisés par la société. Un métier artistique.
Alors, qu'est-ce qui me différencie de quelqu'un comme Luc? D'abord, je n'ai rien d'un matheux. Notre société privilégie la fonction d'ingénieur, avec des études à base de maths et de physique. On trouve beaucoup plus facilement un métier si l'on souhaite devenir ingénieur, et c'est beaucoup mieux rémunéré. Luc a donc énormément de mérite d'avoir su briser ce carcan, cette entropie, pour poser sa démission et explorer d'autres facettes de la vie.
Ma volonté de tracer mon sillon s'est traduite par plusieurs combats, et tout d'abord celui de vivre de ma plume, principalement en tant que journaliste pigiste dans la presse écrite. J'y suis parvenu pendant huit ans, avant de céder à cette fameuse entropie, aux nécessités matérielles pour devenir conseiller emploi, pendant huit ans également.
Fin 2013, j'ai déposé ma démission, et depuis, je vis de nouveau de l'écriture, mais de romans de fiction cette fois. Ayant déjà eu à mener ce combat pour vivre de ma plume, je sais ce que c'est.
Alors j’ai commencé à effleurer le tourbillon infernal du marketing offensif, nous dit Luc. Lentement mais sûrement, j’opérais la transformation d’artiste à pro du marketing.
Est-ce mon cas? Oui, dans une certaine mesure, je ne peux nier avoir dû intégrer des notions de marketing. Est-ce que ça m'a pour autant privé de mon âme d'auteur? Je laisserai chacun en décider en lisant mon prochain roman, Passager clandestin, qui sortira fin décembre. ;)
Pour appuyer son propos, Luc cite Victor Hugo: Qui n'est pas capable d'être pauvre n'est pas capable d'être libre. Ce qu'il y a de curieux dans cette citation, c'est que justement, ceux qui font le choix d'une carrière dans l'écriture, s'ils sont bien informés, savent qu'ils ont des chances infimes de s'enrichir. Ils font donc le choix, si l'on veut, de la pauvreté matérielle et de la richesse intellectuelle.
L'autoédition est aussi vieille que la littérature. Avant que des géants comme Amazon ne boostent ce phénomène de l'autoédition, le métier se pratiquait loin des projecteurs. Officiellement, ce que la société voulait, c'est que l'auteur s'abrite derrière un éditeur qui lui, assumerait les démarches commerciales... de la même manière, si vous voulez, qu'un ingénieur va s'abriter derrière les forces de vente pour que les produits qu'il imagine et développe trouvent des débouchés.
La société semble admettre difficilement qu'un auteur fasse la promotion de ses propres œuvres: il doit donc le faire par des moyens détournés.
L'autoédition assumée a, quant à elle, donné lieu à des dérives: harcèlement, spam en tout genre, que Luc dénonce à juste titre. Forcer un lecteur à faire quoi que ce soit n'a rien de bon, et détruit en effet l'essence même du rêve.
Pour autant, faut-il renoncer à faire carrière dans ce métier d'auteur? Je ne le crois pas. Mon expérience me fait dire qu'il y a moyen de faire comprendre les choses sans brusquer, sans heurter.
Nous devons garder le rêve intact. Mais tout le sens de mon combat pour vivre de ma plume, c'est aussi de faire comprendre à la société que ce métier est légitime.
Ce n'est pas à la société, ou à l'administration fiscale, de dicter à l'auteur la manière dont il entend gagner sa vie. Ce combat, nous autres auteurs pouvons seuls le mener. Si nous nous y prenons de la bonne manière, nous gagnerons le soutien des lecteurs.
Vous aimez vous évader, et la société vous traite de lunatique? Parlez-lui des expériences de pensée d'Einstein. Dites-lui que sans ces expériences, il n'aurait pu établir l'équation E=MC². Cette équation n'a pour l'instant comme application pratique que le GPS, mais ouvre des perspectives phénoménales pour la société humaine dans son ensemble. Demandez-vous, aussi, ce que pensait Einstein de l'imagination...
Si nous sommes suffisamment nombreux à résister à l'effet d'entropie, peut-être parviendrons-nous à créer des points d'amarrage suffisants pour crédibiliser notre activité, et le fait d'en vivre.
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