mercredi 4 février 2015

Lecture équitable

De la même manière qu'il existe un commerce équitable, il existe aussi une lecture équitable, qui ne porte quant à elle pas de logo*. La notion de lecture équitable peut varier selon chaque personne. En tant que créateur, il est évident que la lecture la plus équitable est selon moi celles d’œuvres autoéditées vendues à l'unité, que ce soit en ligne sous format numérique ou à l'occasion de séances de dédicaces. 

Imaginez que vous ayez la possibilité en achetant un médicament, de rémunérer directement le chercheur, homme ou femme, qui en a mis au point la molécule, en faisant en sorte que 70% de l'argent que vous coûte le médicament revienne à ce chercheur. Vous sauriez que votre argent favorise directement la recherche et non des structures périphériques qui ont tendance à diluer énormément ces ressources. 

Vous sauriez que votre argent va exactement où il doit aller, et que ce chercheur que vous avez contribué directement à faire vivre pourra continuer à chercher, à développer d'autres molécules et à sauver plus de vies. 

Toutes proportions gardées, c'est un peu la même chose lorsque vous achetez un ebook à l'unité sur Amazon, Kobo/Fnac ou Apple, par exemple. Vous savez que si c'est un livre issu de l'autoédition, 70% du prix de l'ebook revient directement au créateur. En le faisant vivre, vous lui donnez la possibilité de créer davantage. 

Si vous avez vous-même le projet d'écrire des ouvrages, vous vous ouvrez aussi une fenêtre d'opportunités pour l'avenir en développant le marché de l'autoédition. 

Prenons maintenant Madame Fonduedelivres. Jusqu'à il y a peu, Mme Fonduedelivres avait un budget très important pour les ebooks. Etant grande dévoreuse de livres, même en acquérant des ebooks à 2,99€ l'unité, cela finissait par lui revenir cher. 

Elle achète aussi de temps en temps des livres papier qu'elle souhaite garder dans sa bibliothèque ou offrir. Elle est inscrite sur Goodreads, et sur différents forums de lecture. Elle commente très fréquemment les livres sur Amazon et tient un blog pour faire partager sa passion. Elle estime tout de même injuste que sa passion lui revienne si cher, à partir du moment où elle fait partie de ces "lectrices en première ligne", celles qui font découvrir à tous les autres de si nombreux livres, et qui jouent un rôle si important dans l'économie du livre. 

Quand Kindle Unlimited est arrivé, elle n'a pas hésité une seule seconde et s'y est inscrite. 

Peut-on vraiment le lui reprocher? Pour elle, la lecture équitable, ce sera désormais la lecture en illimité, plus éventuellement quelques coups de cœur qui ne figurent pas dans ce service d'Amazon.

Voici maintenant venir Monsieur Jaipasunethune. M. Jaipasunethune travaillait auparavant dans la publicité, mais a perdu son emploi quand la boîte qui l'employait a coulé il y a quelques années. Il n'a pas retrouvé d'emploi. 

Il se dit que peut-être un jour, si l'on s'aperçoit que l'on continue à produire de plus en plus de richesses chaque année en détruisant de plus en plus d'emplois, si l'on ramène enfin à la raison les multinationales qui exacerbent la notion de compétitivité mondiale et la tension sur le marché du travail pour en tirer toujours plus de jus, si enfin on invente la notion de redistribution des ressources par la création d'emplois équitables durables, peut-être retrouvera-t-il du travail et pourra-t-il rémunérer correctement des créateurs. 

En attendant, il a trouvé une liseuse électronique tombée du camion, et il télécharge sur des sites illégaux. Il va aussi sur  le site Youboox lire en streaming avec de la publicité. Et pour la musique, oui, il l'écoute aussi sur Deezer avec de la publicité, quand il ne la télécharge pas illégalement. 

M. Jaipasunethune est quelqu'un de cultivé. Il écrit même à ses heures. Il sait très bien qu'un livre représente l'une des plus hautes valeurs ajoutées qui soit. Selon lui, un livre est le fruit de toute l'expérience de vie d'un auteur. Son éducation, le travail de ses parents, des professeurs qui l'ont éduqué. Les livres qu'il a lu, les grands classiques qui représentent à eux seuls un trésor inestimable. Les films qu'il a vu, les jeux vidéo auxquels il a joué. Enfin toutes ses expériences personnelles, sa personnalité, qui rendent son livre unique, et qui fait que les livres ne sont pas des produits interchangeables.

Lorsqu'il va sur Youboox, M. Jaipasunethune sait qu'il y a quelque chose d'aberrant à ce qu'un produit à aussi haute valeur ajoutée qu'un livre dépende de la publicité d'autres produits.

Il a travaillé dans la pub. Il sait que même si Youboox proclame pratiquer un commerce équitable pour les auteurs autoédités (ou les éditeurs) en leur versant 50% des revenus publicitaires, les revenus générés par les publicités seront infimes pour l'immense majorité des auteurs, et que ceux-ci tiendront lieu uniquement de caution morale, de faire-valoir pour le site. 

De la même manière qu'il sait qu'en écoutant de la musique sur Deezer, pratiquement tous les artistes sauf quelques-uns comme Pharrell Williams "l'auront dans l'os", et d'autant plus que la plupart des chanteurs et musiciens sont entourés de labels siphonnant la plus grande partie des revenus. 

Mais il sait aussi que dans l'état actuel de la société, ces nouveaux services que sont Deezer et Youboox ont quelque part une légitimité. 

Remercions maintenant M. Jaipasunethune et Mme Fonduedelivres pour leur participation éclairée, et revenons à nos moutons. 

En tant que créateur, voici selon moi le palmarès des modes d'édition et de publication les plus équitables pour l'auteur : 

Numéro 1 : Autoédition avec ventes à l'unité d'ebooks ou de livres papier
Numéro 2 : Petites maisons d'édition
Numéro 3 : Grosses maisons d'édition
Numéro 4 : Sites de streaming ou de diffusion illimitée type Kindle Unlimited
Numéro 5 : Sites de téléchargements illégaux ou de peer-to-peer

La proximité des sites de streaming avec ceux de téléchargements illégaux dans ce classement n'est évidemment pas le fait du hasard. 

Mais bon, le but de cet article n'est pas de donner mauvaise conscience. Même les sites de téléchargement illégaux ont une raison d'être. Cela fait partie de cette liberté fondamentale qu'offre Internet. Rien n'empêche de télécharger illégalement, ou d'écouter en streaming, pour mieux choisir parmi la profusion de l'offre et ensuite, rémunérer la création.

La liberté, c'est donc la liberté de choisir à quel moment on voudra privilégier les créateurs. On peut aussi choisir l'option n°3 (les grosses maison d'édition), en sachant que l'argent que l'on dépense servira à la fois à entretenir la chaîne du livre, une chaîne de gens certes passionnés et communiquant leur passion, et une chaîne se rapportant à un univers avant tout physique. Ce faisant, on sait aussi qu'on financera surtout en grande majorité de grosses maisons d'édition appartenant à de grands groupes. Les mêmes qui exacerbent la compétition mondiale et participent d'une industrie de pyramide...

Alors certes, vous me direz, Amazon se retrouve pratiquement aux deux bouts de la chaîne: à la fois très favorable et défavorable aux créateurs. Amazon est aussi un énorme groupe. Oui, mais Amazon pense aussi à Mme Fonduedelivres. Et c'est un énorme groupe qui privilégie la recherche interne, et pour l'instant, reste le plus favorable aux créateurs en terme de visibilité, si ce n'est en terme de conditions de vente. L'exception qui confirme la règle en quelque sorte, même s'il faut le garder sous surveillance étroite.

En tant que créateur, j'aimerais bien moi aussi penser à Mme Fonduedelivres en offrant au moins un roman complet sur Kindle Unlimited. Après tout, mes livres ne sont pas en bibliothèque et ne sont pas près d'y être, puisque seuls les romans mainstream (grand public) y sont. C'est d'ailleurs pourquoi plusieurs de mes nouvelles sont en permafree, et c'est aussi pourquoi j'ai lancé récemment une opération de gratuité d'envergure.  

Le problème, c'est qu'Amazon demande l'exclusivité: si je choisis Mme Fonduedelivres, ce sera aux dépens de Mme Jadorelire, qui a une Kobo, et de M. Viveleslivres, qui a un iPad. Nous devons tous faire des choix, lecteurs comme auteurs.


P-S*: je suis contre l'idée de la création d'un logo "lecture équitable". Cette article vise à informer, afin que ce logo "lecture équitable", vous le placiez vous-même dans votre tête, au moment d'acheter le livre (il est facile d'identifier les grosses maisons d'édition comme Hachette, Gallimard, Flammarion, Grasset ou même, dans le domaine de la Fantasy, Bragelonne).

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