vendredi 19 septembre 2014

[Archive 24/02/2013] S'acheter une place sur la liste des best-sellers

S'il y a une chose dont on peut être sûr, c'est que l'amour ne s'achète pas. Pour le succès et la gloire, il semble bien qu'il en aille autrement. Dans le milieu de la grande édition notamment, l'auteur Soren Kaplan décrit dans un billet ravageur comment il a acheté pour son ouvrage Leapfrogging une place dans la liste des best-sellers du New-York Times. Pour cela, il a utilisé les services d'une société, Resultsource, habituée à travailler pour les grands groupes d'édition, selon ses dires. 
 
C'est un énorme éléphant malodorant de dix mille livres dans la salle de conférence que chacun s'applique de son mieux à ignorer, selon les propres termes de Soren Kaplan. En d'autres termes, tout le monde le sait dans le mileu de l'édition. En y mettant suffisamment d'argent, un auteur esseulé (cela a été le cas pour Soren Kaplan) ou une entreprise d'édition peut payer une société comme Resultsource pour que le livre soit acheté et apparaisse dans la liste des best-sellers du New York Times et du Wall Street Journal.
 
Il suffirait d'après Kaplan que le livre soit acheté 3000 fois dans une courte période pour apparaître dans la liste du Wall Street Journal, et 11000 fois (dans les points de vente et librairies appropriés) dans la même période pour que le livre apparaisse dans la liste des best-sellers du New-York Times.
 
L'intérêt ? Aux Etats-Unis, apparaître dans ces listes est un véritable tremplin pour la carrière de n'importe quel auteur. Il peut alors inscrire sur la couverture de son prochain livre la mention "New-York Times bestseller".
 
Cela ne signifie pas pour autant que le bouche-à-oreille ou les goûts du public n'ont aucune incidence, ou qu'un livre vraiment mauvais puisse rester très longtemps dans ces fameuses listes. Mais vous êtes vous déjà demandé pourquoi un livre qui vous paraissait médiocre devenait best-seller ? Vous avez la réponse.
 
On savait déjà, depuis l'affaire John Locke aux Etats-Unis, qu'un auteur pouvait payer pour bénéficier de commentaires sur Amazon.
 
On savait déjà que les grandes maisons d'édition payaient pour que les livres de leurs auteurs les plus vendeurs figurent en évidence, face avant sur les meilleurs tables des libraires.
 
On savait déjà qu'environ un tiers des livres sortis en librairie étaient écrits par des nègres littéraires, ou ghostwriters, rémunérés par les grandes maisons d'édition.
 
On savait déjà, pour la France, qu'il existe des arrangements entre maisons d'édition sur la désignation des prix littéraires (qui sont notre équivalent des listes de best-sellers du New-York Times).
 
On savait déjà que des grandes maisons d'édition comme Penguin n'hésitaient pas à racheter une entreprise comme Author's Solution, entreprise d'édition à compte d'auteur notoirement reconnue pour tirer parti de la naïveté d'auteurs.
 
On savait déjà qu'il existait une forme de loi de silence dans le milieu de l'édition, loi qui permet de faire en sorte d'éviter que la plupart des faits ci-dessus exposés ne soient connus du grand public.
 
On se doute aussi qu'il existe des listes noires afin de faire en sorte que certains auteurs trop critiques envers le milieu de l'édition ne puissent être publiés par de grands éditeurs.
 
On sait donc à présent jusqu'où peut aller l'emploi du mot "business" quand il est accolé à celui d'"édition".
 
Il ne s'agit pas ici de dire que tous les éditeurs sont pourris et les auteurs (notamment autoédités) de blanche colombes. John Locke est par exemple un auteur autoédité. Il ne s'agit pas non plus de dire que les règles du jeu sont systématiquement truquées et que ça ne vaut pas le coup d'essayer de faire son trou. Elles le sont en grande partie, oui. Et elles le resteront.
 
Le but de ce type d'article est d'éveiller la conscience du public. Eh oui, je ne pense pas que ce genre d'affaire fera la une du 20H. Heureusement, Internet est en train de devenir un média puissant.
 
Si cela peut permettre de faire un peu moins confiance aux listes des bestsellers et un peu plus au jugement propre de chacun, je crois que l'on s'en portera mieux. Pas vous ?
 
[Edit 07/03/2013 : à lire aussi pour les anglophones, l'article du Wall Street Journal sur le sujet.]

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