A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le dix-septième. A vous de voir si j'ai été doué de prescience en écrivant ces lignes...
17. Héroïsme
Jaynak reposait sur sa couche, les yeux au plafond. Il eut envie de se gratter le front, mais y renonça rapidement. Les cuisantes douleurs de la matinée avaient beau n’être que souvenirs, il avait encore l’impression de les ressentir. Le parcours dans la ville factice s’était avéré nettement plus long et tortueux que prévu. La satisfaction de pouvoir abattre certains des droïdes sans être touché par eux avait très vite été tempérée. Il arrivait que plusieurs adversaires surgissent en même temps. Si on se contentait d’en descendre un en restant immobile, on subissait invariablement la morsure de la décharge électrique du second. Parfois, le tir venait dans votre dos. Faute d’ignorer la douleur, se retourner et viser l’ennemi dans les deux secondes suivantes, celui-ci vous alignait une deuxième fois. Lorsque, informé par l’expérience, on faisait volte-face à temps, souvent il n’y avait plus personne, le droïde s’étant mis à couvert. Pour avoir entendu les nombreux cris de Lorkcho, Jaynak était certain d’avoir été beaucoup moins touché que lui. Les décharges au niveau du crâne venaient d’adversaires positionnés en hauteur, qui prenaient un malin plaisir à profiter du moindre moment d’inattention. Un voile rouge devant les yeux, Jaynak s’était efforcé de courir la plupart du temps en zigzag, courbé afin d’offrir une cible moins évidente. Apprendre à discerner les véritables endroits où l’on ne risquait rien — en tout cas provisoirement — se faisait fréquemment au prix de ces punitions qu’Ymeo qualifiait de motivationnelles. Jamais Jaynak ne s’était aussi souvent senti gibier qu’au cours de l’interminable séance de la matinée.
Il jeta un coup d’œil sur le lit à sa droite, celui de Lorkcho. Son compagnon inhalait avec son avidité déjà trop coutumière le sengré. Il n’avait pas même voulu passer à la douche sonique. Vers la fin de l’exercice, Jaynak avait aperçu Naldeia lui tendre son pistolet qu’il avait laissé tomber dans une rue, et l’encourager à continuer. Le binôme de Lorkcho, Lendev, l’avait quant à lui abandonné, le trouvant trop lent. Naldeia et Pechko avaient donc dû jouer les gardes du corps, flanquant le gros homme et le protégeant de leur mieux. Jaynak avait pourtant espéré que la séance serait moins catastrophique, car un peu moins physique que le parcours du combattant de la veille.
Son regard se posa sur Naldeia. Il eut un hochement de tête de connivence. Elle non plus ne touchait pas à son ballon-tube. Ce n’était pas comme si chaque cellule du corps de Jaynak n’exigeait pas le sengré, cependant. Le rituel du passage vers la strate de Glenk lui avait rappelé l’importance capitale de la dignité de chaque Nadarien, et en particulier la sienne. Il devait à la mémoire de leur compagnon d’affronter sa cruelle disparition en toute conscience, sans chercher à atténuer la douleur. Glenk lui-même, la nuit précédente, l’avait mis en garde contre le sengré. Ce n’était pas seulement leurs conditions de détention et d’isolement qui rendait le produit si fort. Jaynak le percevait à présent clairement, jamais du simple sengré n’avait eu un effet aussi addictif sur lui. Accepter d’en inhaler aurait été une nouvelle fuite en avant. Autant laisser l’ennemi prendre possession de vous, à l’intérieur comme à l’extérieur. Son corps devait être son rempart, sa forteresse, et non l’allié de l’ennemi. Pour l’avoir prévenu, pour l’avoir mis en garde, Glenk avait trouvé la mort. Son sacrifice devait servir à quelque chose. Mais Lorkcho… Lorkcho…
Jaynak se recroquevilla sur sa couche, se tourna du côté opposé à son compagnon et ses volutes. Il avait essayé de l’avertir au moment du retour. Mais quand il lui avait murmuré de ne pas toucher au sengré, il n’avait eu droit qu’à un regard vide, effrayant. Jaynak ferma les yeux, s’efforça de chasser ses pensées. Il avait les membres moulus, et ignorait ce qu’on leur réservait pour l’après-midi. Il devait tirer parti de chaque minute de repos, apaiser son âme pour détendre son corps.
En dépit de sa volonté, ses pensées se fixèrent de nouveau sur Glenk. Il n’avait rien su du passé de son camarade avant sa disparition. Il ne savait rien non plus du passé de Lendev, Naldeia ou Pechko. Le refus de forger des liens… Une manière de se protéger, de faire en sorte de pouvoir continuer à vivre en cas de coup dur comme celui de ce matin. Parler, communiquer avec les autres, c’était se dévoiler, non seulement aux stagiaires, mais aussi à toutes les oreilles indiscrètes et hostiles. D’où venaient donc ses compagnons ?
Quand il l’avait interrogé, Grendchko avait mentionné la présence de Jaynak dans les Cavernes d’argelen ambré. Le Fengir Shinaen lui avait même révélé qu’il avait choisi de ne pas rejoindre les Réfractaires. Et Ymeo, au cours de son premier discours, avait évoqué le fait que ses compagnons et lui se soient retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment. On les soupçonnait donc d’être des rebelles. Etait-ce réellement le cas de certains d’entre eux ? Etant donné l’erreur dramatique commise à son égard, étant donné aussi l’incompétence dont il savait Grendchko capable, Jaynak n’aurait pas été surpris qu’ils ne soient tous que des boucs émissaires. Ils avaient été victimes d’une rafle, et n’avaient pour utilité que de masquer l’impuissance du nouveau Premier Coordonnateur à lutter contre les vrais Réfractaires. C’était aussi stupide que ça.
La porte du dortoir coulissa sur leur instructrice, Ymeo. « L’heure est venue, les Jaunes. Suivez-moi. »
Lendev, Naldeia et Jaynak obéirent. Pechko parut furieux de devoir laisser son ballon-tube, mais s’exécuta à son tour. Lorkcho s’agrippa quant à lui à son verre comme à la dernière bouée de sauvetage dans un océan. La tension imprimée par l’un des deux drones à l’aide de son champ de force pour l’arracher de ses serres fut tellement forte que le ballon-tube explosa.
Lorkcho contempla ses mains, incrédule. Quand Ymeo lui ordonna de la suivre, il refusa de bouger. Le drone commença à le traîner, mais Ymeo lui commanda de stopper. « Votre compagnon n’est pas en état de participer à la séance, déclara-t-elle. Trop de stress. Je lui accorde l’après-midi. Les autres, suivez-moi. »
Comme il se dirigeait vers la sortie, Jaynak jeta un dernier regard derrière lui, espérant établir le contact visuel avec Lorkcho. Les yeux de celui-ci, entièrement jaunes, passèrent à travers lui sans le voir. Lorkcho tituba vers la tête du lit de Jaynak, là où se trouvait son ballon-tube.
Jaynak retint un haut-le-cœur. Déjà, Ymeo les conduisait vers une nouvelle salle. Il s’agissait comme la veille de simulation virtuelle, mais cette fois, plus moderne — une véritable salle holo. « Dirigez-vous vers le centre, indiqua Ymeo, et laissez-vous guider. »
La pièce était plongée dans une semi-pénombre, si bien que les stagiaires ne percevaient que les contours de leurs camarades. Ils obéirent à pas prudents. Une fois au centre, l’obscurité devint totale. Lorsque la lumière revint, ils se retrouvèrent dans un couloir aux parois de métal. L’éclairage blanc provenait de panneaux rectangulaires dans les murs. Un disrupteur était collé magnétiquement à l’épiderme du haut de leur cuisse, et ils sentaient également la présence d’oreillettes, et d’un minuscule micro sous leurs lèvres inférieures. « Vous êtes des agents de protection rapprochée, déclara une voix dépourvue d’inflexions, et votre mission va consister à veiller sur l’existence d’une personnalité de premier plan. »
Ils s’avancèrent vers une porte de titane qui leur faisait face. Elle glissa pour leur livrer le passage. Un Nadarien aux larges épaules, de haute stature, leur tournait le dos. Il répondait d’un ton tranchant et laconique à des subalternes, donnant des ordres. Il pivota vers eux.
Ce large front, ces petits yeux vipérins, ce nez épais surmontant une bouche arrogante et une mâchoire carrée… Jaynak cilla en reconnaissant Grendchko. Ils n’allaient tout de même pas devoir protéger l’individu auquel ils devaient leur infortune ?
« Ah ! Mon équipe de sécurité ! »
Jaynak se trouvait juste derrière Lendev. Quand ses yeux se posèrent sur ses mains transformées en poing, il s’empressa de les desserrer, formant un vœu pour que son camarade ait fait écran. Il ignorait quelle attitude adopter, alors en voyant Lendev se courber, il se hâta de faire de même, se pliant en deux avec un zèle exagéré. Du coin de l’œil, il aperçut Pechko et Naldeia suivre le mouvement. Impossible de savoir si le Premier Coordonnateur était une simulation numérique contrôlée par une Intelligence Synthétique ou s’il s’agissait de l’original qui participait au programme à partir de sa propre salle holo. A la rigueur, peu importait. Toutes leurs réactions seraient observées au microscope pour être disséquées. Le but de ce stage de Remise sur la Voie était de faire d’eux des Fervents de Grendchko, leur soumission à ce dernier devait donc être absolue.
« Joli spécimen, fit-il en mettant sa main sur l’épaule de Lendev, mais qu’est-ce que ça vaut à la lutte ? »
Il prit Lendev par les épaules et commença à le faire tourner sur lui-même. Comme le jeune stagiaire faisait face à Jaynak, ce dernier vit toute l’incertitude peinte sur le visage de son camarade. Devait-il oser résister au Premier Coordonnateur, ou le laisser faire ? Quelle était la meilleure manière de prouver sa loyauté ?
Grendchko ne manqua pas une telle opportunité. D’une torsion violente, il projeta son adversaire au sol, et mit tout son poids sur son genou, qu’il appuya sur le torse de Lendev. Les lèvres boudinées du leader de leur peuple prirent la moue cruelle que Jaynak ne lui connaissait que trop.
« Pas encore tout à fait au point, mes agents, mais qui pourrait rivaliser avec le grand Grendchko ? » Son ricanement lugubre évoquait celui d’un charognard.
Jaynak avait l’impression de participer à une bouffonnerie. Il savait pourtant que laisser transparaître ses sentiments serait une grave erreur, et hocha la tête en ouvrant la bouche d’un air éberlué, comme si la performance du Premier Coordonnateur l’avait subjugué.
« Bien, fit Grendchko en se redressant. En tant qu’équipe spéciale de sécurité, vous devrez veiller à ce que rien ne vienne perturber le bon déroulement de mes meetings de campagne. Vos armes sont réglées pour tuer, donc si vous descendez quelqu’un, vous aurez intérêt à ce que ce soit la bonne personne. Sinon, vous aurez affaire à moi. Mon prochain meeting a lieu à Nemreg. Je vous laisse entre les mains de mon androïde Ayto, qui va vous expliquer les détails. »
Jaynak savait à présent dans quel genre d’holosim ils étaient plongés. Celle-ci simulait des événements du passé pour les distordre quelque peu, en incluant notamment les nouveaux participants — une sorte d’uchronie, donc. Grendchko en était bien entendu l’acteur principal. Jaynak repoussa dans les confins de son esprit les pulsions destructrices à l’encontre du Premier Coordonnateur. Ce test de loyauté serait sans doute le plus éprouvant au niveau du mental.
La pièce se vida de ses occupants, à l’exception d’un nouveau venu. Il ressemblait à un Nadarien, si ce n’est ses plaques plus claires, qui le désignaient comme un androïde. Ses yeux n’émettaient pas une lueur bleutée mais grise. Après s’être avancé dans leur direction, il s’inclina légèrement. Il toucha l’une de ses plaques au niveau du torse. Une holoprojection apparut alors au centre de la pièce. « Ce bâtiment se situe dans le noyau le plus important de Nemreg, dit l’androïde. C’est là qu’aura lieu le meeting. Deux d’entre vous précéderont notre vénéré Grendchko pendant le trajet jusqu’à la salle, et deux d’entre vous le suivront — protection rapprochée. Vous pouvez voir votre itinéraire, c’est le couloir vert clair. Les zones de vigilance, d’où un danger peut surgir, sont représentées en rouge. »
La vision du bâtiment avait en effet été remplacée par un plan de coupe en 3D où apparaissait distinctement le trajet prévu jusqu’à la salle de meeting. Ayto leur livra les différents détails de leur mission au fur et à mesure qu’ils avançaient. Des drones Surveillance-Répression de type caméléon flotteraient au plafond de la salle de conférence tout en surveillant chaque spectateur. Quasiment invisibles, dotés d’algorithmes analytiques et prédictifs, ils étaient capables d’une grande promptitude de réaction. En liaison audio avec chacun des stagiaires, ils leur communiqueraient le moindre mouvement suspect. Jaynak enregistra avec soin les instructions de l’androïde.
L’avantage des holosims est leur capacité à abolir les contingences matérielles que sont le temps et l’espace. De manière ultra classique, le programme utilisa pour cela un fondu enchaîné. La pièce s’assombrit totalement, et quand la lumière revint, le lieu se révéla bien différent. Le vent soufflait en bourrasques. A gauche comme à droite, la vue plongeante sur le complexe urbain était vertigineuse. Le son de pas pressés résonnait en cadence. Les quatre stagiaires encadraient Grendchko sur la passerelle d’accès menant au bâtiment qui abritait la salle de conférence, non loin de la plate-forme d’accueil des flotteurs. Devant et derrière eux se tenaient des assistants du candidat au poste de Premier Coordonnateur. Jaynak vérifia la présence de son arme sur sa cuisse et accéléra pour ne pas se laisser distancer par le groupe. Au moindre signe de danger, il lui faudrait identifier la menace, et si possible l’abattre sans commettre de bavure. Ce drone-cam qui venait d’apparaître par exemple, l’objectif pointé sur Grendchko, était-il juste là pour retransmettre l’arrivée du candidat dans les médias ? Ou dissimulait-il un disrupteur ? La paranoïa était un atout dans cette nouvelle activité professionnelle. Jaynak garda la main sur son arme.
Différents animateurs de la Ruche ainsi que des représentants des médias officiels se tenaient au pied du bâtiment de forme ovale abritant la salle des congrès accompagnés d’autres drones-cam, ces derniers aussi aptes à récupérer et diffuser du son que des images. Grendchko fit un salut de la main, mais lorsque les individus s’avancèrent, se mit à les balayer d’un geste. Jaynak s’interposa pour empêcher deux des journalistes de s’approcher de trop, et vit Lendev faire de même de son côté.
Comme ils pénétraient dans le centre et arpentaient le couloir principal, Jaynak surveilla les issues de son côté ainsi qu’on le lui avait appris.
Les portes demeurèrent closes, nul ne se précipita pour agresser le plus polémiste des candidats.
Peu après, ils arrivèrent à l’entrée du corridor desservant les loges. Grendchko se tourna dans le sens opposé à Jaynak. « Agent Naldeia, dit-il, vous venez avec moi pour sécuriser ma loge. Les autres, restez ici et ne laissez passer personne. »
Naldeia parut déconcertée par la requête mais se ressaisit et acquiesça du menton. Alors qu’elle entrait devant Grendchko, Jaynak eut un mauvais pressentiment. Sur le point de demander de se joindre à eux, il se retint au dernier moment. Les ordres avaient été clairs, suggérer autre chose pouvait facilement être considéré comme un acte d’insubordination.
Pechko avait sur le visage un sourire grivois comme il se tournait vers eux après avoir fixé un instant la porte fermée. Des bruits confus, parmi lesquels Jaynak distingua la voix de Naldeia, retentirent. L’expression embarrassée de Lendev ne fit que s’accroître. Chacun de ses compagnons connaissait la réputation sulfureuse de Grendchko, et à chaque minute qui passait, il devenait plus incongru et difficile de le laisser seul avec leur camarade. La loge ne devait pas être si grande que ça, la sécuriser ne pouvait prendre autant de temps.
Depuis que Naldeia lui avait fait signe du regard de ne pas toucher au sengré, Jaynak avait l’impression que la jeune femme veillait sur lui. Ne lui devait-il pas la réciprocité ? De quoi lui et ses compagnons se rendaient-ils complices, en la laissant seule avec Grendchko ? Des murmures étouffés leur parvenaient, assortis du raclement du mobilier. Puis la voix plus rauque qu’à l’accoutumée de Grendchko qui formulait quelque chose d’inintelligible.
N’y tenant plus, Jaynak s’avança vers la porte. Aussitôt, Lendev se glissa devant lui et lui barra le passage, bras croisés. Secouant la tête. Il fixa Jaynak et articula exagérément sans produire un son. Ce dernier lut « c’est un piège » sur ses lèvres. Il recula, comme victime d’un uppercut.
Lendev avait raison. Grendchko était réputé pour se servir des relations charnelles afin de piéger ses adversaires. Ce n’était pas pour rien qu’il avait choisi le nom de Fervents pour son groupe de supporters. Ils n’étaient censés mettre personne au-dessus de lui, Grendchko. Les autres êtres sensibles n’étaient que des outils, ils ne lui étaient utiles qu’à condition de le valoriser au-delà de toute autre considération. Jaynak s’appuya de l’épaule sur le mur et regarda le plafond. Il ne parvint à grand-peine à surmonter son dégoût que peu après que le silence fût revenu dans la petite loge. Il adopta alors une posture plus classique et tâcha de ne rien montrer.
Naldeia avait subi un choc, c’était visible comme elle sortait enfin de la pièce. Elle aussi essayait de passer outre. Les lèvres pincées, elle regardait droit devant elle, évitant tout contact visuel avec ses camarades.
Grendchko n’avait pas réapparu que déjà, Jaynak lui tournait le dos. Le candidat au poste de Premier Coordonnateur ne vit donc pas le visage de l’un de ses gardes du corps se décomposer lorsqu’il clama d’une voix tonitruante : « Rien de tel que d’apaiser les tensions avant un show de cette importance ! Je suis prêt, maintenant, allons-y mes petits ! »
La vision de Jaynak se rétrécit, et il marcha de manière automatique selon l’itinéraire étudié la veille. Naldeia était à ses côtés, regardant aussi droit devant elle. Le cœur de Jaynak battait à coups sourds dans sa poitrine. Il pria pour que Grendchko ne se fende pas d’une provocation supplémentaire, sans quoi il ne pourrait se retenir et tenterait de l’abattre sur place, séance tenante.
Faire le vide. Evacuer toute émotion. Remettre de l’ordre dans ses pensées, et se focaliser sur sa mission. Une dernière porte à franchir.
Ils pénétrèrent dans l’impressionnante salle de conférence, au niveau de l’estrade. Jaynak alla se poster de côté, à l’endroit qui lui avait été assigné, tandis que Grendchko faisait son entrée sous les clameurs de la foule et se dirigeait vers son pupitre. Beaucoup de gens parmi ceux qui l’applaudissaient ou hurlaient leur soutien devaient être comme leur favori, incapables de communier avec l’argelen. On les appelait des Hermétiques. Où était le respect des traditions quand il suffisait de fanfaronner et de titiller les plus bas instincts pour récolter les faveurs du public ? Jaynak chassa néanmoins ses pensées, qu’il savait d’autant plus dangereuses dans la situation où il se trouvait. Ses yeux s’étaient accoutumés à la lumière trop vive sur la scène. L’auditoire était plongé dans la pénombre, il ne discernait que les silhouettes assises sur leur siège.
Grendchko entama son discours, et Jaynak serra les dents. De la vulgarité, de la xénophobie et du populisme — aucune surprise. En se focalisant sur la surveillance du public, il parvint à éloigner le son de la détestable voix, jusqu’à ne plus comprendre ce que le candidat exprimait. Ce fut un soulagement. Seul le temps, qui s’étirait interminablement, au point de donner l’impression aux agents de sécurité de prendre racine, risquait de menacer leur vigilance. Jaynak était cependant tellement concentré sur sa tâche que lorsqu’une voix métallique retentit dans son oreillette, il fut le premier à réagir. « Mouvement suspect dans la troisième rangée, siège 28 », signala le drone.
Jaynak, se sachant malhabile avec une arme en l’absence d’une réelle formation, se rua vers le pupitre. Il vit Lendev dégainer son disrupteur. L’une des silhouettes s’était mise debout, et pointait quelque chose devant elle. Lendev fut le premier à tirer.
Il manqua sa cible, et pourtant, quelqu’un hurla de douleur.
Le blaster de l’homme dans le public, muni d’un viseur, se braqua sur Grendchko. De là où il était, impossible de foirer son coup. Jaynak sauta sur le candidat et le poussa de toutes ses forces. Il fut mortellement touché au moment où il faisait tomber Grendchko.
Jaynak vit son cadavre s’effondrer. Il se retrouva en train de flotter tandis que la simulation holo se poursuivait, mais sans lui. Décorporé. Les holoprojecteurs invisibilisaient son véritable corps aux yeux de ses compagnons, tout en projetant l’hologramme de son cadavre transpercé d’un rayon énergétique au niveau du cou. Une petite mare de sang violet s’étendait peu à peu. Jaynak n’avait plus qu’à se retirer en périphérie de la salle holo et à attendre la suite — non sans anxiété.
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