lundi 7 octobre 2024

L'Essence des Sens : chapitre 15

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le quinzième.

15. Les cinq vies du Fengir 

Leur première journée de stage n’était pas achevée, loin s’en fallait. Après une période bien trop courte, Ymeo et ses drones revinrent. Jaynak parvint à s’arracher à l’emprise du sengré, mais les drones durent utiliser leurs champs de force pour retirer les ballons-tubes des mains de Lorkcho et de Glenk. Hébétés, ceux-ci se demandaient ce qui leur arrivait. « Nous allons passer à la salle d’immersion, fit la voix ferme d’Ymeo. Suivez-moi. » 

Tout en redoutant le pire, Jaynak alla aider Lorkcho à se lever. Son compagnon manqua le faire tomber en s’appuyant de tout son poids contre lui. Jaynak lui-même était insuffisamment remis de la première épreuve, ses jambes étaient lourdes, chacun de ses membres lui signalait une courbature. La petite procession gagna cahin-caha l’une des salles du complexe dédiées à la réalité virtuelle. Chaque casque était accroché à une patère dans un compartiment tubulaire de vitriglass. Ymeo indiqua aux stagiaires de prendre place et d’enfiler le casque. Un simple regard apprit à Jaynak qu’il n’était pas le seul à s’avancer avec circonspection. Lorsqu’il pénétra à l’intérieur de son tube, le sol s’affaissa sous lui avant de reprendre sa fermeté — Jaynak se rattrapa aux parois. La technologie ici était rétrograde. Il se trouvait sur une sorte de socle, ou de tapis dont il sentait qu’il pouvait bouger sous ses pieds. Il y avait sans doute une raison à cette volonté de ne pas installer directement une salle holographique. 

Jaynak battit des paupières. Le mystère. L’impossibilité de jeter un simple coup d’œil en passant à l’intérieur pour voir quel décor était projeté laissait entendre que l’on développait ici un programme secret. Quelle en était la teneur ? Jaynak frissonna en enfilant son casque. A ses côtés dans leurs propres tubes, ses compagnons s’équipaient également. L’obscurité fut d’abord totale. Puis, une lueur verdâtre se mit à filtrer, tandis qu’un bourdonnement de sons inconnus lui parvenait. A mesure que l’image se précisait, les sifflements, caquetages, barrissements et autres hululements de la jungle gagnaient en volume. Quatre membres velus flottaient devant lui. Instinctivement, Jaynak chercha à lever les mains pour s’en protéger. 

Les quatre membres se levèrent à l’unisson en posture défensive. Stupéfait, Jaynak tenta de bouger une main pour la placer devant ses yeux. Une paluche griffue se présenta en gros plan. 

Un Fengir. La simulation le mettait dans la peau de l’un de leurs alliés. A en juger par la forme distordue des arbres, les couleurs criardes de certaines plantes probablement carnivores, les lianes qui, parfois remuaient sans qu’aucune brise ne se fasse sentir, il se retrouvait sur la sinistrement célèbre planète Helgash 7. D’inquiétants craquements retentissaient dans la végétation. Un chuintement lui fit porter le regard plus bas. Un serpent ondulait dans les hautes herbes, s’éloignant de lui. Un grondement glaça le sang de Jaynak dans ses veines, avant qu’il ne se rende compte qu’il émanait de lui-même. Balayant le décor, il chercha en pure perte à apercevoir l’un de ses compagnons. Ce n’est qu’en écarquillant les yeux qu’il discerna la forme ramassée, parfaitement immobile d’un Fengir dont la fourrure se confondait avec la branche de l’arbre sur laquelle il était posté. Dans l’ombre, des prunelles jaunes luisaient d’intelligence. Jaynak sut immédiatement que ce ne pouvait être l’un de ses compagnons — l’osmose entre la créature et son environnement était trop parfaite. 

« Rejoins-moi, feula le Fengir. Grimpe sur la branche. » L’une des mains griffues désignait l’endroit. 

 « Et si je refuse ? » demanda Jaynak d’un ton de défi. 

Un arc de douleur irisé se répandit de son crâne à tous ses membres, qui se mirent à trembler. Jaynak voulut retirer le casque, mais s’aperçut que ses bras ne répondaient plus. Il poussa un gémissement. « Si tu persistes à chercher à enlever ton casque, tu seras exclu du Stage de Remise sur la Voie. Souhaites-tu tant que cela visiter les mines d’Ulicron ? » 

Jaynak se souvint de différents procès qui avaient défrayé la chronique. A sa connaissance, aucune des familles dont l’un des proches avait été exilé sur la lune n’avait pu faire annuler ou commuer la sentence. Il interrompit aussitôt ses efforts. Les quatre bras de son avatar, figés à mi-hauteur, retombèrent le long de son corps. 

« Un seul bond devrait suffire. » 

Les nerfs encore à vif, Jaynak respira néanmoins avec plus de facilité. Il s’avança vers la branche avec incrédulité. La hauteur à laquelle elle se trouvait était trop importante, d’après son estimation, d’autant qu’il n’était équipé d’aucun ajusteur gravitationnel qui lui aurait permis de tricher. Les empreintes dans les herbes ne laissaient aucun doute quant à la masse de son avatar. Le tronc, en revanche, n’était pas vertical, et si Jaynak parvenait à faire jouer les griffes en grande partie rétractées qu’il apercevait… Il décida malgré tout de tenter le saut en premier lieu, ne voulant pas risquer une nouvelle décharge électrique. 

Ses jambes ne fonctionnaient pas selon le même mode que les siennes sur Nadar, il eut des difficultés à obtenir un fléchissement. Jaynak avait cependant déjà utilisé des simulations assez pointues, et savait qu’il suffisait de maintenir ses instructions un certain temps pour que le programme s’adapte à ses connexions neurales et produise les résultats escomptés. Ce fut effectivement le cas. Dès que le fléchissement se fit, Jaynak s’élança sans trop d’espoir. Le bond fut nettement plus impressionnant qu’il ne s’y attendait, il ne manqua la cible que d’un demi-mètre. En retombant, il roula maladroitement, et fut parcouru d’une nouvelle onde de douleur quand son épaule rencontra un caillou pointu. Il grimaça, et retint un juron. Le simulateur retranscrivait un peu trop fidèlement les chocs. Jaynak ressentait aussi des élancements en provenance de cette paire de bras supplémentaires qu’il ne savait pas encore gérer. Avant de se lancer dans une autre tentative, il exerça sa volonté à en prendre le contrôle, et ne s’estima satisfait qu’après avoir effectué plusieurs arcs de cercle avec chacun. Dans l’intervalle, il découvrit également comment sortir ses griffes — il suffisait de concentrer sa pensée sur ses doigts suffisamment longtemps et d’évoquer les griffes pour que celles-ci finissent par surgir. 

« J’attends toujours », grogna le Fengir du haut de sa branche. 

Jaynak se retrouvait submergé par le potentiel de son avatar. Il pouvait exhiber individuellement, par groupes ou simultanément les seize griffes dont il disposait, à condition de produire l’effort mental adéquat. Comme le déplacement de ses six membres ne lui venait pas non plus naturellement, il se sentait plus que maladroit. Il décida de se focaliser d’abord sur ses jambes, mais pas uniquement sur elles. Il les fléchit cette fois à leur maximum, et s’attacha à coordonner le mouvement avec ses quatre bras, qu’il étendit vers le haut au moment où il bondissait. La branche se rapprocha à une vitesse saisissante. Jaynak poussa un cri de surprise en la dépassant. Il ne la perdit pas des yeux, toutefois, et en retombant, l’agrippa avec trois de ses mains. Le choc fut violent. Sa prise glissa jusqu’à ce qu’il pense à sortir les griffes. Jaynak se retrouva suspendu à la verticale, se balançant de manière incontrôlée. 

Ses bras le faisaient souffrir. Il ne pouvait cependant s’empêcher de ressentir la puissance inaccoutumée des muscles sous sa fourrure. Alors, il prit son élan, attendit le moment propice pour planter ses griffes dans la branche, puis, quand il gagna suffisamment de vitesse, lança l’une de ses jambes en l’air. Celle-ci atteignit le sommet de la branche, lui procurant un nouveau point d’appui. Il commença à se redresser, mais dut ordonner la rétraction de ses griffes pour ne pas se retrouver coincé. Ce ne fut qu’une fois à califourchon qu’il reprit bruyamment son souffle. L’arbre surplombait un gouffre d’où jaillissaient les troncs majestueux de dizaines de ses congénères. Des centaines de lianes pendaient, certaines en mouvement. 

« Pas très académique, commenta le Fengir d’une voix doucereuse. Mais pas si mauvais pour un extracorporel. Tu vois cette branche là-bas ? » Il désignait une ramification au-dessus du gouffre, aussi large que noueuse. « On ne peut pas l’atteindre directement. Et quand tu te sers d’une liane, tu dois en choisir une grenat. Les vertes sont les appendices des nedlecs et des frungiae, des plantes carnivores. » Le Fengir bondit sur la liane, l’agrippa, décrivit une courbe parabolique et, défiant la gravité, se jeta avec grâce sur la si lointaine branche. Son rétablissement fut parfait. « Rejoins-moi ! » rugit-il. 

Jaynak secoua la tête. La liane qui se balançait à présent était si fine et distante, la branche inaccessible. On ne demandait pas à un enfant qui savait à peine marcher de se lancer dans le sprint de sa vie. L’apprentissage avait beau être accéléré dans des simulations telles que celles-ci, il y avait des limites. Mais avait-il le choix ? Ymeo avait spécifié que la volonté de bien faire était récompensée, même si l’on échouait — ce qui impliquait de ne pas reculer devant l’obstacle. Jaynak détailla en pensée la succession de mouvements à accomplir. Il ne connaissait encore que très imparfaitement sa puissance physique, alors comment garantir la précision nécessaire ? Comment s’assurer une maîtrise de son équilibre similaire à celle de son mystérieux guide ? 

Il ne pouvait avoir aucune certitude. Si réponse il y avait, elle ne pouvait résider que dans la foi. Ce stage avait pour but, d’après ce qu’on lui avait dit, de faire de lui l’un des Fervents de Grendchko. Le moment était sans doute venu d’écarter tout raisonnement pour se transformer littéralement en Fervent.

Jaynak prit une grande inspiration et, se remémorant les mouvements de son guide, s’élança. Sensation de chute, vertigineuse. La liane s’était stabilisée et se rapprochait à grande vitesse. Deux des mains de Jaynak se refermèrent sur elle. La liane glissa, lui arracha des poils. Resserrant sa prise, Jaynak interrompit sa chute. Il lança ses jambes en avant pour favoriser le mouvement de balancier. Des branchages le frôlèrent, puis il remonta. Son estomac en fit autant, dans sa bouche. En un éclair, il vit son guide sur sa branche. Lâcha prise. 

Trop tard, cependant. Sa trajectoire l’amena en surplomb de la branche où l’attendait le Fengir. Jaynak se contorsionna, battit l’air de ses mains en pure perte. Son rugissement trahit sa surprise et son dépit. De nouveau, la chute. Il rebondit sur plusieurs obstacles qui le meurtrirent. Le sol approcha à mille à l’heure. Sa colonne vertébrale émit un sinistre craquement. D’une intensité extrême, insupportable, sa douloureuse agonie fut presque aussitôt éteinte par la perte de conscience. 

Ecran noir. La lueur verdâtre, indistincte, se précisa peu à peu. Le bourdonnement désormais familier de la jungle d’Helgash 7 lui emplit les oreilles. Comme sa vue regagnait toute sa clarté, des lettres rouge sang se mirent à flotter dans l’air. Elles formaient des mots, et une phrase qui retentit sous la forme d’une voix robotique. « Il vous reste quatre vies pour cette épreuve. En cas de perte de toutes vos vies, vous serez éliminé du programme. » 

Jaynak discernait le Fengir sur la branche de son arbre malgré son camouflage. Ses épaules se voûtèrent. « Nos charmants organisateurs s’y entendent pour motiver les troupes », lâcha-t-il. Il s’avança. 

« Rejoins-moi, feula le Fengir au pelage fauve rayé de noir. Grimpe sur la branche. » 

Jaynak savait inutile de protester. Il se mit en position et se remémora ses gestes précédents. Il exerça de nouveau bras et griffes. Son corps répondait à présent avec plus d’empressement, même s’il était toujours aussi troublant d’agiter une paire de bras et de mains qu’il n’avait pas possédées en temps que Nadarien. Son saut fut cette fois plus précis, ses mains se plaquèrent sur le tronc, ses pieds atteignirent la branche large et solide sans que Jaynak n’ait besoin d’opérer de redressement. 

« Un bond presque impeccable, mais réussiras-tu le suivant ? » Le Fengir lui répéta les spécificités des lianes grenat et vertes, avant de s’élancer. Cette fois, Jaynak l’observa avec intensité, se focalisant sur le moment où son guide lâchait sa prise. Il avait voulu se conduire comme un Fervent la dernière fois, mais à présent, il connaissait la terrible douleur infligée en cas de chute — ses tripes en étaient nouées. Le programme utilisait un degré de réalisme interdit dans les simulations autorisées dans le commerce et destinées aux civils. Jaynak savait pourtant qu’il ne devait pas laisser la peur le paralyser. La canaliser, en revanche, oui. S’en servir pour contrôler chacun de ses mouvements avec la plus grande précision. Cultiver le lâcher-prise juste ce qu’il fallait, comme au cours de ses compétitions d’escalade. 

Jaynak emplit ses poumons avant de s’élancer, de détendre ses jambes. Plongeon vertigineux. Il empoigna cette fois la liane de ses quatre mains, et dès qu’il le put, redressa la tête pour découvrir le plus tôt possible la situation de son guide. Il lâcha la liane beaucoup plus tôt, et sa trajectoire rencontra la position de la branche. Le contact fut abrupt, Jaynak réalisa qu’il aurait dû suivre un tracé un peu moins direct, légèrement plus en surplomb, en contrôlant mieux sa force et sa vitesse. Mais il s’agrippa toutes griffes dehors et finit par se rétablir, pantelant, le poil hérissé, meurtri mais soulagé d’avoir évité une nouvelle chute mortelle. 

Le guide désigna une série de branches qui s’étendaient au-dessus d’une canopée d’arbres de taille plus réduite. « Tu dois maintenant apprendre à te mouvoir plus rapidement. En situation de combat, c’est indispensable. Ces branches sont toutes atteignables sans difficulté, mais tu devras enchaîner les sauts. Vois ! » Le Fengir s’élança avec sa grâce coutumière. A chaque reprise de contact, ses jambes se fléchissaient et il bondissait de nouveau, sans s’accorder aucun répit. Il se retourna après le cinquième saut et fit signe au novice. 

Jaynak se sentait incapable de l’imiter. Dès le début, il prit soin de bien assurer ses appuis avant de s’élancer. Les sauts étaient à sa portée, mais jamais il n’aurait pu aller aussi vite que son devancier. Ce ne fut qu’à l’avant-dernier qu’il parvint à accélérer quelque peu le rythme. 

« Un enfant aurait fait mieux, grogna son guide, mais je vois un potentiel d’amélioration. » 

Jaynak reprenait son souffle. L’épreuve était moins exigeante physiquement que celle du matin, toutefois le degré de réalisme de la simulation la rendait plus stressante. 

« Tu vois cet oiseau ? » demanda le Fengir. Un volatile au plumage jaune vif et aux pattes graciles se trouvait perché sur une branche en surplomb à une centaine de mètres. Son long bec en forme de trompe venait de plonger entre les pétales effilés d’une fleur mauve. « C’est un igona. Tu vas devoir le chasser. Démonstration. » 

Le Fengir mit bras et jambes sur la branche et, progressant sans un bruit, s’avança vers l’oiseau. Il se déplaçait avec souplesse et rapidité. Pour éviter d’entrer dans le champ de vision de sa proie, il sortit ses griffes et bascula sur la partie inférieure de la branche. Jaynak dut se pencher pour continuer à l’observer. Sa progression était ralentie, mais le Fengir se mouvait de manière très sûre. Il rejoignit le tronc en s’arrangeant pour se maintenir à couvert. Le regarder approcher de sa proie inconsciente du danger était une expérience fascinante. L’oiseau interrompit tout à coup son repas et sa tête se tourna de droite et de gauche de façon saccadée. Ses ailes commencèrent à se lever, pour se rabaisser aussitôt après. L’igona replongea vers son festin. 

Le Fengir reprit ses mouvements. Il se trouvait maintenant sous l’oiseau, couvert par l’épaisseur de la branche. Il se mit à se rétablir millimètre par millimètre, sa première main griffue positionnée à cinquante centimètres derrière l’igona. Une deuxième, puis une troisième main se posèrent à leur tour. Le Fengir n’attendit pas et se propulsa puissamment, sans un bruit. Il abattit sa main sur sa proie et acheva son arc de cercle en projetant le volatile dans sa bouche aux crocs luisants. Des plumes jaillirent. L’igona n’avait pas même eu le temps de crier. 

Le guide se retourna vers Jaynak et lui fit un signe de l’index — à lui de jouer. 

Visible de loin, la parure jaune vif d’une nouvelle proie se trouvait à cinquante mètres en contrebas, sur un arbre mitoyen. Jaynak dut opérer un détour en passant par une branche suffisamment robuste pour accueillir son poids. Ses mouvements se faisaient plus fluides, son corps commençait à découvrir des points d’équilibre de manière naturelle. De sa nouvelle position, Jaynak se propulsa vers l’arbre voisin. Il amortit sa chute comme il le put, sortit ses griffes et se mit à redescendre le tronc quasiment à la verticale, vacillant parfois, menaçant de glisser. Comme l’avait fait son guide, il s’efforçait d’avancer à couvert. Des coups d’œil furtifs lui permettaient de déterminer sa situation par rapport à sa proie. Parvenu en surplomb de celle-ci, il se positionna du bon côté du tronc. Au moment de vouloir bondir, cependant, il perdit l’équilibre et se rattrapa comme il le put sur la branche où s’était trouvée perchée sa proie. Le froufrou des ailes battantes signala sa défaite. Jaynak se tourna vers son guide, dépité. Celui-ci lui faisait signe de le rejoindre. Il obtempéra, au prix de nouveaux efforts pour atteindre l’arbre voisin.

 « Tu apprendras à mieux gérer ton équilibre, dit son guide. Une proie plus facile, maintenant — un être humain. Il s’est emparé d’un cristal de données vital pour l’Expansion et s’apprête à regagner son vaisseau. Pour cette épreuve, tu as le droit de redescendre au sol. Suis ce sentier. » 

Le Fengir désignait un passage à peine visible au pied des grands arbres, entre les fougères et les hautes herbes. Jaynak ignorait à quel point il devait se presser. Quels dangers l’attendaient là-bas ? Fallait-il privilégier la promptitude ou la discrétion ? 

Si l’humain n’allait pas tarder à rejoindre son vaisseau, mieux valait faire le plus vite possible. Au cours de sa descente, Jaynak prit pourtant les précautions nécessaires pour s’éviter une autre chute. Il se fiait à son instinct, à ce qui lui paraissait être de nouveaux sens pour gagner du temps. L’apprentissage se faisait d’autant plus rapidement, réalisa-t-il, quand les enjeux étaient élevés. Aussitôt le sentier atteint, il se mit à courir. Racines, branches et végétaux défilaient. Par deux fois, Jaynak manqua glisser dans une fondrière. Il aperçut enfin sa cible, un être humain vêtu de bleu. De dos, il ne semblait pas armé — impossible d’être sûr. Comme il accélérait, le tapis sous les pieds du vrai Jaynak dans la salle de simulation en faisait autant. Jaynak se mit à haleter sous l’effort, bien réel. 

L’individu avait les cheveux noirs. Il se retourna à demi, le vit, et se mit à courir. Plus grand, plus véloce, Jaynak allait bien plus vite, et gagnait du terrain. Le chemin déboucha sur une fourche. L’homme prit à droite, mais une scène sur la voie de gauche stoppa Jaynak dans son élan. 

Trois êtres humains, deux mâles et une femelle, harcelaient à l’aide de leurs lances électriques une Fengir au ventre proéminent. Il y avait un jeune, le poil hérissé, qui se tenait aux côtés de sa mère tout en feulant. Les coups pleuvaient, et l’un d’eux toucha la Fengir sur le ventre qui abritait une nouvelle vie. Elle poussa un cri de douleur et de colère, vacilla sur ses jambes, mit un genou à terre. Le cercle des assaillants commença à se refermer sur elle. 

La scène n’avait duré que quelques secondes. Se faisant violence, Jaynak interdit à ses membres inférieurs le bond qu’il avait envisagé en direction de l’un des agresseurs de la Fengir. Il prit à droite sur le sentier, lâchant un grognement. L’homme avait regagné du terrain, et son vaisseau apparut, à quelques encablures seulement. Jaynak força l’allure. Il ne restait qu’une cinquantaine de mètres entre lui et l’appareil quand il bondit. Il atterrit sur le dos de l’individu. Celui-ci se contorsionna, se retourna pour combattre, et Jaynak en profita pour plonger ses griffes tranchantes dans la gorge de sa victime. Le sang jaillit. L’homme fut agité de soubresauts, puis son corps cessa de bouger. Le cœur battant à tout rompre, Jaynak le fouilla et trouva le cristal de données. Il fit volte-face. Son guide le contemplait de toute sa hauteur — avec approbation. « Tu as réussi cette épreuve. A bientôt. » 

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