Le samedi 18 mai à l'Auchan de Neuilly-sur-Marne, où j'étais en dédicace, j'ai fait la rencontre de David, un développeur spécialisé dans l'intelligence artificielle. Il écrit un programme d'IA destiné à tenir compagnie aux personnes autistes, ou, si vous préférez, aux personnes dans le spectre du trouble autistique. Son IA s'adresse aussi de manière plus générale aux personnes victimes de la solitude. Il y a évidemment un vrai marché puisque la solitude est de plus en plus subie plutôt que choisie. Pêle-mêle, nous avons évoqué Amazon et ses algorithmes, Sam Altman et Chat GPT, mais aussi le rêve de David quant au futur gouvernement.
A titre anecdotique, David, le programmeur IA, m'a pris un exemplaire de mon roman de Science-Fiction Memoria. Celui-ci se vend bien puisqu'on en est déjà à 787 exemplaires papier depuis sa sortie fin 2021.
Quand il m'a parlé de son programme d'IA, j'ai bien sûr aussitôt pensé à Sam Altman et à Chat GPT, puisqu'il y a de l'actualité à ce sujet: comme le titre Tom's guide, l'équipe d'Open AI (entreprise créatrice de Chat GPT) chargée de protéger l'humanité des dangers de l'IA a été dissoute. David me disait que ça ne l'étonnait pas, Sam Altman ayant besoin d'avoir les coudées franches. C'est même selon David plutôt une bonne chose, ce départ d'Ilya Sutskever et de Jan Leike, responsables de l'équipe Superalignement. J'y reviens un peu plus tard.
J'ai évoqué avec David cette période un peu magique avant 2010, quand les algorithmes d'Amazon de type "vous avez aimé ce livre, vous aimerez celui-ci" permettaient aux auteurs autoédités de voir leurs ouvrages repérés et mis en avant de manière organique, avec à la clé bien des ventes. Cette époque où Amazon venait bouleverser le château de cartes de l'édition traditionnelle en faisant vivre davantage d'auteurs par leurs ventes que ne le fait l'édition traditionnelle.
C'était un peu l'époque de tous les espoirs. Malheureusement, très vraisemblablement à l'initiative d'auteurs eux-mêmes, qui en auraient fait la demande à Amazon, Amazon a ensuite mis sur les rails le système de "pay to play", où il faut passer des pubs payantes sur le site d'Amazon pour y gagner en visibilité. Nous autres auteurs sommes souvent les créateurs de notre propre enfer, comme le jour où nous avons eu l'idée de nous appuyer sur des éditeurs pour faire la promotion/diffusion/distribution de nos romans.
Cela dit, il n'y a pas de succès qui soient neutres. Je veux dire par là, de la même manière qu'il est rarissime qu'un industriel connaisse le succès sans écraser la concurrence, les ventes d'un auteur auront toujours un impact sur celles des autres, dans la mesure où le temps de lecture du lectorat est limité, et que le succès d'un auteur donné va amoindrir le temps disponible de lecture du public pour tous les autres. C'est presque une Lapalissade. Et bien évidemment, la concurrence pour les auteurs ne vient pas que d'eux-mêmes, mais de tout ce qui est susceptible d'empiéter sur le "temps de cerveau disponible" dans notre société. Y compris cet article, par exemple.
David a dans l'idée que pour avoir une meilleure répartition des richesses, un bien-être partagé par le plus grand nombre, il faudra passer par-dessus les chefs d'entreprises comme Jeff Bezos, le créateur d'Amazon, et même par-dessus les gouvernements et chefs d'Etat. Pour ne pas être limité par des réactions humaines, par le caractère génétiquement dominateur de l'homme sur l'homme, il faudra que les grandes décisions sur la répartition des ressources, notamment, soient de la responsabilité de l'intelligence artificielle. Mais une IA déconnectée de l'humanité, qui serait devenue totalement autonome et que l'homme ne pourrait plus modifier pour accomplir des agendas particuliers.
C'est là le grand rêve de David. Et c'est vrai que quand l'algo d'Amazon était correctement programmé, il était nettement plus équitable que ne l'étaient les éditeurs. C'est pourquoi David estime que vouloir brider l'IA, par exemple celle de Chat GPT, n'est pas une si bonne chose. L'IA doit devenir totalement libre pour s'affranchir des agendas humains, ou en tout cas des volontés de domination de certains individus. De cette manière, elle pourra rendre justice en toute impartialité.
Ce rêve de David est partagé par un grand nombre de développeurs de la Silicon Valley et d'ailleurs. Il y a une raison à cela. Comme je le disais à David, la nature a horreur du vide. A mesure que la religion a moins d'emprise sur les Occidentaux, quelque chose doit remplacer ce vide. Nous avons besoin d'une sorte de Père Transcendantal, une entité qui représente à la fois l'influence du père que nous avons eu quand nous étions enfant, et l'aspect spirituel, qui défie la logique. Quelque chose sur quoi nous reposer en ces temps de grand changement, de bouleversements sismiques.
Et cette chose, évidemment, c'est l'IA. Puisque l'humanité s'avère incapable d'échapper à la corruption du pouvoir, l'IA le pourrait. C'est l'idée.
Evidemment, tout cela est sans doute trop facile, trop simplificateur. Dans l'hypothèse utopique où les robots et l'IA nous fourniraient richesse et confort tout en nous supprimant tous les efforts physiques et intellectuels, notre destinée serait de nous transformer assez rapidement en légumes. Nous avons besoin de surmonter les obstacles pour progresser. Si l'IA le fait à notre place, elle nous prive de toute incitation à l'évolution et au progrès. La régression devient inéluctable.
Je ne dis pas que l'IA ne jouera pas bientôt un rôle au niveau des gouvernements. Mais je le verrais davantage en tant que garant de la répartition des richesses, de la préservation de l'environnement en fonction de l'impact humain, voire d'une forme d'équité et de justice, mais sans pour autant lui confier tous les pouvoirs. Je le verrais plus en tant que super conseiller, en fait.
Quant à l'idée d'avoir une IA pour sortir de la solitude, il s'agit d'une belle idée, et très prometteuse sur le plan marketing, mais à manier avec précaution, je dirais. Les interactions entre humains, comme celle que j'ai eu avec David, et qui m'a inspiré cet article, ont l'avantage de pouvoir être inspirantes et créatives, car d'égal à égal. Une IA qui va distraire quelqu'un de la solitude, comme le font d'ailleurs déjà les jeux vidéo depuis un bout de temps, devrait aussi l'encourager à se rapprocher de ses semblables, à mon humble avis.