En mathématiques, même l'équation la plus élaborée, la plus complexe et la plus splendide va s'effondrer si le tout premier calcul est faux. Les personnes qui militent contre la vaccination au covid 19, parvenant parfois à rallier dans leurs cortèges des citoyens vaccinés, lesquels s'opposent à toute obligation vaccinale au nom de la défense des libertés, ont toutes, à de rares exceptions près, commis cette erreur initiale. Aussi spectaculaires et élaborés que soient les arguments qu'ils présentent ensuite, ceux-ci ne peuvent tenir la route.
Quelle erreur ont donc commises ces personnes militant contre la vaccination? Confrontées à l'épidémie, elles ont fait le choix de ne pas se faire vacciner.
Malgré les douloureux mois d'attente avant un vaccin, pendant lesquels les morts s'entassaient, malgré les expériences pendant des mois, expériences couronnées de succès grâce au courage des volontaires et à l'expertise des spécialistes, malgré la validation des vaccins par les comités réunissant les meilleurs scientifiques de chaque pays, malgré les 5,5 millions de morts au niveau mondial, un chiffre dont l'OMS estimait en mai dernier qu'il est sous-estimé et devrait être multiplié par trois, malgré l'entassement des évidences, elles ont fait ce choix de ne pas se faire vacciner.
Je ne parle pas bien sûr des personnes souffrant de contre-indications médicales. Un vaccin n'est pas anodin et certaines personnes doivent demander le conseil de leur médecin avant toute vaccination. Nous n'avons pas tous le même passé médical, ni le même corps, c'est normal.
Je parle bien de ces personnes qui ont pris cette décision de ne pas se faire vacciner en l'absence de toute contre-indication. Une décision irrationnelle? Pour moi, le seul élément de rationalité était l'absence de recul sur les vaccins. Dans l'idéal, il aurait fallu en effet 5 ans de recul. J'y reviens en fin d'article.
Dans l'idéal. Mais nous étions confrontés à une mortalité galopante de nos personnes les plus fragiles, et à un personnel hospitalier en détresse, avec à l'esprit le douloureux souvenir du confinement de mars 2020. Une fois les vaccins enfin disponibles, la seule décision possible devait s'appuyer sur la logique: il fallait prendre le risque du vaccin à partir du moment où celui-ci était scientifiquement validé. Ce qui a été le cas.
Mais bien avant que cela n'arrive, de nombreuses personnes avaient déjà choisi de ne pas se faire vacciner. Si elles s'en sont tenues à leur résolution malgré l'évidence rationnelle, malgré l'enjeu de sauver des centaines voire des milliers de leurs concitoyens, malgré tous les chiffres qui démontraient la grande efficacité du vaccin (surtout contre le virus initial), c'est parce que ce n'est pas le cerveau qui a décidé. C'est les tripes. La peur d'un produit inconnu dans les veines.
En cela, ces individus sont les descendants viscéraux (et non intellectuels, puisque ce sont les viscères qui ont parlé) des Anglais qui se sont opposés à la vaccination obligatoire contre la variole en 1853. A cette époque, comme nous le disent les chercheuses Annick Guimezanes et Marion Mathieu dans l'ouvrage Vaccination : agression ou protection ? (Inserm, Le Muscadier), les adversaires de la vaccination obligatoire contre la variole pour les enfants invoquent le « danger » d'injecter des produits issus d'animaux, des « motifs religieux » ou encore l'« atteinte aux libertés individuelles ».
La nouveauté des vaccins à base d'ARN messager ne saurait être plus déstabilisante pour nos contemporains que la nouveauté vaccinale en 1853. N'en déplaise à tous les vaccinés contre le covid qui se sont ralliés aux antivaccins, la vaccination obligatoire a permis d'éradiquer la variole, le dernier cas relevé remontant à 1977. C'est un fait historique indéniable.
L'erreur au début de l'équation, elle est là: réagir avec ses tripes, par la peur. Tout le reste, ensuite, va découler de biais de confirmation. Dans une logique partisane, on va chercher tous les défauts des vaccins à base d'ARNm, on va vouloir justifier sa décision par tous les moyens possibles et imaginables. Les trésors de logique et d'analyse déployés se heurtent toutes au fait qu'à l'origine, la décision n'avait rien de rationnelle.
Et comme on le voit, dans le passé, on n'hésitait pas non plus à brandir l'étendard de la liberté pour conforter une décision irrationnelle, prise la peur au ventre.
Tous les fervents anti-vaccins n'agissent pas par peur, ou pas uniquement: des libertaires à tendance anarchistes, par exemple, peuvent y voir l'occasion de combattre ce qu'ils estiment être un nouvel ordre de la bienpensance, en politisant à l'excès ce qui ne devrait procéder que de la logique médicale. Quand de grandes luttes s'organisent, vous aurez toujours des opportunistes qui viennent s'agréger d'un côté ou de l'autre, qui y voient un moyen de se défouler sans croire particulièrement à une cause ou à l'autre.
Un antivaccin vous parle des casseroles du labo Pfizer? De toutes les malversations du laboratoire américain? Demandez-lui pourquoi il ne s'est pas fait vacciner au Moderna. Ce n'était pas possible au tout début, mais maintenant, on a le choix en France.
Un antivaccin dénonce la faible efficacité dans le temps des vaccins à base d'ARNm? On a en effet appris que ceux-ci n'immunisaient à 80% que pendant les 10 premières semaines contre l'omicron. Ensuite cela tombe à 47%, mais le vaccin reste efficace contre les formes graves, celles qui emmènent les malades en réanimation. Demandez-lui dans ce cas pourquoi il ne s'est pas fait vacciner à l'Astrazénéca.
Vous réaliserez alors que tout cela n'est que prétexte. Que ces gens ne sont pas prêts à mouiller le maillot pour les autres -- pas de cette façon, en tout cas. Que le cynisme consistant à dire "inutile de se protéger, on va être couverts par l'immunité naturelle de l'Omicron" va nécessairement accroître grandement, au moins dans un premier temps, le nombre de personnes à l'hôpital, et le nombre de décès parmi les plus fragiles. La France ne bénéficie pas d'une pyramide des âges aussi jeune que l'Afrique du Sud. Le seul espoir est que nos plus fragiles sont en grande majorité vaccinés -- mais ce n'est pas grâce aux antivaccins ni à leur propagande.
Toutes ces personnes réagissent en fait en fonction de cette peur viscérale de départ, celle du produit inconnu dans les veines.
Et pourtant, l'Histoire nous démontre qu'avec bien moins de connaissances scientifiques, en allant vers la vie et les solutions pour la préserver à chaque fois, on a épargné des millions de vies. Les scientifiques ne sont pas tous des scientistes. Ils ne croient pas à chaque fois que la science peut tout résoudre d'un coup de baguette magique. Ils ne se prennent pas tous pour dieu. En fait, ils suivent des chemins expérimentaux, validés par des pairs, qui ne réussissent pas toujours à 100% du premier coup, parce que la médecine n'est pas une science exacte.
Les paramètres sont trop nombreux, en médecine, pour être tous maîtrisés. On ne connaît pas bien les fonctions quantiques du cerveau, mais on sait qu'elles existent. On ne sait pas encore comment les gens attrapent des Covid longs, mais on en a l'évidence sous les yeux, d'après leurs témoignages. Et on sait que les conséquences physiques, sur la santé, sont loin d'être anodines dans la population.
Contre-argument : la peur du virus
Je présentais en septembre 2021 le témoignage d'une infirmière qui n'a pas souhaité se faire vacciner. Elle soutenait l'hypothèse inverse: c'est la peur du virus qui nous fait prendre une décision émotionnelle et qui n'a rien de rationnel, en se faisant vacciner avec un produit qui n'a pas fait ses preuves sur 5 ans.
Son argument, selon moi, revient à pointer du doigt la personne qui regarde à droite et à gauche avant de traverser: "pourquoi regarde-t-elle à droite et à gauche? Cette personne a peur et réagit irrationnellement."
Et pourtant, pas besoin de connaître les statistiques pour se douter que ceux qui traversent sans regarder sont les plus nombreux à se faire écraser.
Nous avons des stats de décès au niveau mondial, nous savons qu'il faut se protéger pour protéger les autres, nous savons que nous allons sauver les vies de personnes fragiles, et que la valeur de la vie humaine n'est en rien corrélée à l'âge des individus, ou en tout cas ne devrait pas l'être.
Nous savons qu'en laissant l'omicron régner sans suffisamment le contrarier, de nouveaux variants risquent de se développer chez les moins protégés, comme le craignent les autorités indiennes. Nous savons qu'une population moins bien vaccinée peut nous amener une nouvelle évolution plus ou moins dangereuse ou contagieuse du virus tant que nous n'aurons pas avancé suffisamment sur la vaccination mondiale. Nous savons tout cela.
Et pourtant, certains d'entre nous continuent de justifier des décisions fondées sur la peur, et colportent les rumeurs de bas-étage issues d'internet. Ou se servent de chevaux de retour en quête de gloire comme destriers sur lesquels parader, comme le docteur Raoult ou Robert Malone, l'inventeur de l'ARNm expulsé de Twitter pour ses mensonges sur le Pfizer et le Moderna.
Big Pharma et les enjeux financiers
Cela ne signifie pas que ceux d'entre nous qui ont conservé suffisamment de bon sens vont pour autant signer un chèque en blanc à Big Pharma, et en particulier à Pfizer.
Le pass vaccinal obligatoire est selon moi une bonne chose comme le vaccin obligatoire contre la variole était une bonne chose, mais avant tout pour les personnes non vaccinées.
Si ce pass vaccinal devait contraindre les citoyens à se revacciner toutes les dix semaines, ce serait excessif, et d'autant plus excessif que certains pays ne sont couverts qu'à 10% par la vaccination.
La marge de progrès sur la vaccination mondiale est énorme. C'est vers là qu'il faut aller avant tout.
Personnellement, je comprends la lassitude des Français par rapport à tout ça. Leur désenchantement. L'idée d'avoir encore autant de restrictions alors qu'on est vaccinés, oui c'est dur. Ce n'est pourtant pas l'inefficacité des vaccins qui est en cause, mais la trop faible vaccination au niveau mondial.
Il nous faut maintenant espérer que la compétition entre labos va pouvoir déboucher sur des vaccins nettement plus durables, et encore plus efficaces.
Jusque là, ne baissons pas les bras et continuons à protéger nos plus fragiles et nos personnels hospitaliers. Continuons à nous protéger les uns les autres, comme des frères d'armes.
P-S : pour ceux qui se demandent, non je ne signe pas la pétition contre le pass vaccinal. Je n'aurais pu accepter que si la pétition demandait à réviser le pass pour éviter de revacciner les Français trop souvent. Pas question non plus de faire un chèque en blanc aux antivaccins.
P-S-bis : le projet de pass vaccinal ne mentionne la vaccination que sur un cycle complet, c'est à dire deux doses. Dans ces conditions, il est évident que j'y suis favorable.
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