Prenons tout d'abord les auteurs traditionnellement édités. Dans l'imagerie populaire, un auteur édité à compte d'éditeur, c'est à dire qui ne passe ni par le compte d'auteur, ni par l'autoédition, respecte son éditeur.
Eh bien tenez-vous le pour dit, c'est faux. Ou en tout cas, c'est un peu plus compliqué que ça. Joanne Rowling a essuyé treize refus avant que la saga Harry Potter ne soit publiée par un éditeur traditionnel. Vous croyez qu'elle a respecté chacun de ces refus?
Il est possible que certains de ces refus aient été justifiés et motivés avec des suggestions de correction, et l'aient conduit à améliorer son roman. Mais on sait très bien que c'est très rarement le cas dans ce milieu. Mais admettons que ça ait été le cas pour les deux ou trois premières fois. Il reste dix tentatives pendant lesquelles Rowling s'est obstinée à envoyer son manuscrit.
Elle n'a pas respecté la décision de ces éditeurs. Elle n'a pas respecté ces éditeurs, au point de passer par un agent américain pour contourner le problème. C'est en effet par l'entremise de son agent qu'elle a fini par trouver un éditeur.
L'édition, c'est comme en mathématiques, en fait. Moins fois moins égale plus. Le premier moins, c'est le refus de l'éditeur. Le second moins, c'est votre refus du refus de l'éditeur. Le plus, c'est la création qui va découler de cette opération.
Il faut donc que la passion, ce que les Américains appellent le "drive", permettent à l'auteur obstiné de faire publier, ou de publier soi-même ses œuvres.
Je pense que dans l'histoire des auteurs, et de l'édition, il y a beaucoup de choses fantasmées. Les auteurs fantasment les éditeurs comme des outils qui vont leur permettre d'accéder au succès, à la gloire et à la célébrité.
Les éditeurs fantasment les auteurs comme des outils qui vont leur remplir les poches, ou, pour les moins matérialistes, leur permettre d'atteindre certains critères esthétiques. Oui, il y a aussi des éditeurs idéalistes, on ne peut pas tous les ranger dans le même panier.
Mais dans l'idée des auteurs d'instrumentaliser les éditeurs, il y a aussi la volonté de se protéger de la concurrence des nouveaux auteurs. "Les éditeurs vont nous protéger, nous autres heureux élus, de tous ces candidats à la gloire et au succès qui sont nos concurrents". De la même manière que certains métiers se bâtissent des jargons hermétiques ou bien se barricadent derrière un haut niveau d'études, la caste des auteurs a cru trouver là le moyen de se mettre à l'abri des trop nombreux créateurs. Rien de tel qu'un bon vieux Gardien du Portail, l'éditeur.
Jusqu'à l'arrivée d'internet, de l'ebook et d'Amazon, bien sûr.
On pourrait se dire : "oui, mais les éditeurs permettent la qualité, ils ont des critères d'exigence, la qualité littéraire n'est pas entièrement subjective." C'est vrai, mais uniquement dans certains cas. Beaucoup d'éditeurs sont aussi rapaces et cupides que le plus rapace et cupide des auteurs autoédités. Beaucoup vont baisser le nombre de leurs correcteurs pour compresser le personnel et faire plus de profits.
Le niveau de qualité dans les maisons d'édition est donc souvent très contesté est contestable. A l'inverse, je suis en train de lire Embrasements, de Guy Morant, un collègue autoédité.
La maîtrise de la plume, les conflits internes très forts, la connaissance procédurale sur le bout des ongles, les subtilités de la psychologie des personnages, l'intrigue, en font un polar haletant, très hautement recommandable. En fait, le roman pourrait être enseigné sans problème en école de police ! La suite, Effondrements, est au moment où j'écris ces lignes encore n°1 des Thrillers d'espionnage politique et n°2 des Thrillers sur Amazon.
Un succès tout à fait mérité, s'il est de la même eau que le précédent (je ne l'ai pas encore lu). J'ai lu pas mal de romans de Simenon, eh bien je peux vous dire que je préfère Guy Morant. Eh oui, c'est un coup de cœur.
Vous allez me dire: "oui mais Alan, là tu fais du copinage. Guy Morant t'avais interviewé sur son blog, c'est donc juste un renvoi d'ascenseur."
Eh bien en fait, non. C'est une question de critères de qualité. Voyez-vous, il n'est pas toujours facile, pour nous autres auteurs, de choisir de lire tel ou tel auteur indépendant. La romancière Alice Quinn m'avait dit qu'elle avait bien aimé mon roman Passager clandestin, et m'avait interviewé sur son blog à ce sujet.
Je n'avais jamais lu aucun livre d'Alice, malgré l'immense succès qu'elle a eu sur Amazon. Mais comme elle s'intéressait à moi, je me suis dit que ses critères de qualité devaient se rapprocher des miens, et je me suis mis à lire ses livres de la série Rosie Maldonne. J'ai trouvé cela très atypique, j'ai été emballé!
Guy était l'un des rares auteurs à oser mettre un commentaire de temps en temps sur ce blog. Je me suis donc fait la même réflexion à son sujet. Je n'avais fait aucun appel du pied, ni à Alice, ni à Guy, et pourtant ils s'intéressaient à moi. C'est donc que leurs critères de qualité se rapprochaient probablement des miens.
Et je n'ai été déçu ni dans l'un ni dans l'autre cas. Une manière peut-être un peu originale de savoir quoi lire, mais qui en vaut une autre.
A ce point de la lecture du billet, vous vous demandez peut-être qui est cette personne proche de moi dont la carrière artistique s'est interrompue en raison du refus des éditeurs, et que j'évoquais au tout début.
Ce n'est autre que mon père, François Guillot, décédé en 1986. Après avoir été chef d'escale chez Air France, il a été dessinateur. Il adorait depuis tout petit la BD franco-blege (pensez Tintin, Astérix, Blake & Mortimer et Spirou et Fantasio). Il aurait voulu percer dans ce domaine et a présenté un projet de BD qui ne portait pas de nom, mais qui se déroule dans l'empire inca. Celui-ci a été refusé. Mon père a malgré tout gagné sa vie jusqu'à son décès grâce à ses dessins, mais en se reconvertissant dans le dessin industriel.
En toute honnêteté, je pense que le fait qu'il ait échoué à réaliser son rêve n'est pas seulement de la faute des éditeurs: il aurait fallu qu'il trouve un scénariste, qu'ils travaillent en commun et qu'il s'obstine beaucoup plus dans ses recherches. Mais je reste persuadé qu'il a beaucoup trop respecté les éditeurs, et surtout, le refus des éditeurs. Cela trahissait sans doute un certain manque de confiance en lui.
J'ai décidé, en son hommage, de faire paraître ses dessins, déjà présents sur mon site, sur mon Instagram. Ainsi pourra-t-il profiter de manière posthume de ma propre obstination.
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Même si je n'ai jamais eu l'occasion de vraiment discuter de ce projet avec mon père (j'en ai eu connaissance après sa mort), je suis persuadé que le dénommé Ulac est en fait une caricature du scénariste René Goscinny. Cela aurait parfaitement correspondu à l'humour de mon père.