lundi 23 mai 2016

Le raz-de-marée de manuscrits autopubliés, une malédiction ?

J'aime bien, de temps en temps, déterrer de vieux articles de blog. Comme celui de Kristine Kathryn Rusch de 2011 sur les "piles de manuscrits" des maisons d'édition, les fameuses "slush piles".

Les auteurs sont souvent les plus virulents contre le fait qu'à l'ère du numérique et de l'ebook, la libre publication de livres, notamment sur Amazon, donne lieu à la publication de tout et n'importe quoi. Surtout n'importe quoi, à les en croire.

Il est naturel que les auteurs qui passent beaucoup de temps sur des manuscrits défendent la qualité de contenus.
La discussion sur les labels de qualité est récurrente parmi mes pairs.

On sait aussi que, notamment dans la catégorie des livres de non fiction, la libre publication permet à des escrocs d'utiliser des fermes de contenus pour générer du profit. C'est un vrai problème, qu'il ne faut pas minimiser.

Mais les auteurs, parfois même autoédités, donnent parfois l'impression schizophrénique de décrier une situation qui leur permet finalement d'exister, ou au moins d'essayer d'exister. 
De faire connaître leurs écrits. De vendre. Et parfois même, comme l'auteur Cédric Charles Antoine, de vivre de leur plume. 

Les auteurs, ils ne faut pas croire, ont parfois l'âme (ou la plume) trempée au vitriol: ils ne sont pas toujours tendres les uns envers les autres... Ils ont tendance à globaliser, à jeter le bébé avec l'eau du bain.

Kris Rusch a été directrice de collection (pour le prestigieux magazine Fantasy & Science-Fiction) et a eu affaire aux fameuses montagnes de manuscrits.

Voici ce qu'elle en dit dans son article: It’s a tower of hope, of dreams, of writers who want to do something with their lives.
Traduction: C'est une tour d'espoir, de rêves, d'écrivains qui veulent faire quelque chose de leur vie.

Moi, je dis, big respect.

Je n'ai évidemment pas l'expérience de Kris Rusch. Mais je n'oublie pas l'héritage des pulps, les revues de SF sans prétention littéraires des années 40, qui ont parfois donné naissance à de magnifiques sagas adaptées en films.
  
Comme La Faune de l'espace, de A.E. Van Vogt, dont est inspiré le film Alien. Car "sans prétention littéraire" ne veut pas dire sans ambition. 

A mon modeste niveau, à mes débuts dans une maison d'édition québecoise qui a la particularité de ne pas pratiquer la sélection de manuscrits, j'ai été amené à réaliser des interviews d'auteurs québecois, et pour cela, je me suis documenté en lisant au moins une partie de leurs ouvrages.

Certes, on était dans le brut de décoffrage. Des romans pas toujours parfaitement polis, taillés, ni retravaillés pour devenir efficace et maîtrisés sur le fond, et pas toujours agréables dans la forme.

En y repensant, pourtant, certains de ces textes étaient de vraies pépites. La valeur humaine qui s'en dégageait, l'originalité des histoires avaient quelque chose de grisant, quand on laissait de côté les aspérités - comme les couvertures affreuses.

En tant qu'auteur formé à un certain classicisme, je pouvais estimer avoir un style plus abouti que certains de ces confrères québecois... confrères qui ne m'en remettaient pas moins à ma place, et m'apprenaient l'humilité, par leur talent brut de raconteurs d'histoire.
  
Alors oui, il peut être divertissant d'aller plonger dans les profondeurs des livres non visibles d'Amazon (et parfois bien visibles) pour se moquer de certaines œuvres et de leurs couvertures.
  
On a tous besoin de se défouler à certains moments.

Mais de temps en temps, il peut être bon de redescendre de son perchoir en laissant tomber le vitriol, le cynisme et l'ironie pour entrer vraiment dans des textes totalement inconnus et passés sous silence.

  
Non seulement cela peut rendre plus humble, mais cela peut aussi permettre de s'améliorer en tant qu'auteur.

mercredi 11 mai 2016

Votons avec nos porte-monnaie

Il y a des moments où l'on a l'impression que la démocratie est confisquée. Par exemple, quand le 49.3 est utilisé. A d'autres moments, on se dit que quel que soit son vote, ce sera toujours la même politique qui sera mise en œuvre, celle inspirée par le lobby des entreprises les plus puissantes du CAC 40. On a l'impression de se voir retirer le peu de bribe de pouvoir qui était nôtre. Et pourtant, nous avons un autre pouvoir, beaucoup plus efficace et que nous pouvons appliquer beaucoup plus souvent qu'une fois tous les cinq ans: celui de nos porte-monnaie. 

Il est tentant, presque facile de basculer vers l'amertume, voire le désespoir, mais l'expérience prouve que cela n'a rien de bon.

C'est lorsqu'on croit qu'on n'a pas de choix que l'on fait les mauvais choix.

Le pouvoir économique de la classe moyenne française est certes en voie d'érosion. Mais il a le mérite d'exister. 

Je n'aime pas jouer les prêcheurs. J'invite chacun à faire preuve de discernement, et même à rejeter mes conseils si vous estimez qu'ils ne sont pas fondés, ou que vos arguments vous semblent plus solides. 

Pour prendre mon exemple personnel, j'ai fait le choix, dans mon alimentation de tous les jours, d'aller vers le bio. Je vote avec mon porte-monnaie, et je vote bio.

J'ai fait ce choix militant, car j'estime que c'est un choix à la fois urgent et à la croisée des chemins. 

Tous les jours, des milliers d'espèces animales et d'insectes sont menacées par les pesticides.

Tous les jours, la santé des agriculteurs qui utilisent les pesticides est mise en péril.

Et tous les jours, ce que nous mangeons peut affecter notre santé, dans dix ou quinze ans, ou même avant.

Les produits bio ne sont pas encore assez répandus, c'est évident. Parfois, on est obligé de faire avec d'autres produits. Mais le signal que les Français envoient aux agriculteurs en achetant bio est un signal très fort, et qui doit encore s'amplifier. 

Ce même signal pourrait être interprété, à terme, par les politiques, comme une demande d'interdiction des pesticides, ou en tout cas des solutions non écologiques. 

Comme une volonté du peuple que les normes de l'agriculture bio soient parfaitement respectées, également.

Que font à votre avis les lobbies qui influencent les députés et membres du gouvernement? Eux-mêmes votent avec leur porte-monnaie, en jouant sur leur pouvoir économique pour influencer des décisions. 

Ce même pouvoir économique leur permet de jouer la prise d'otage: si tu ne fais pas ce que je dis, je supprime tant de milliers d'emplois.

Quand je dis que l'agriculture et le bio sont à la croisée des chemins, c'est qu'il s'agit non seulement de la nature, mais aussi bien évidemment d'une question de santé publique.

Or, quelle est l'entreprise n°1 du CAC 40? Sanofi, une entreprise pharmaceutique. Eux tirent les marrons du feu.

On peut aller plus loin, en visant aussi le secteur bancaire. En mettant par exemple son argent uniquement dans des banques qui n'utilisent pas les paradis fiscaux, et ne conseillent pas à leurs clients les plus fortunés de les utiliser. 

Parce qu'après tout, on peut se dire que davantage d'argent dans les caisses de l'Etat, c'est aussi plus d'argent pour les fonctionnaires, parmi lesquels, les professeurs qui éduquent nos enfants.

Là aussi, c'est voter avec nos porte-monnaie. Même si l'on aimerait que la manière dont sont utilisés nos impôts soit véritablement transparente aux yeux de tous, afin de traquer les innombrables gabegies et abus de biens publics. Et notamment à la tête de l'état, parmi les députés et ministres. 

On ne peut pas remettre en cause le secteur privé sans remettre en cause le public. Les deux vont de pair, selon moi. Les très grandes entreprises fonctionnent d'ailleurs comme des administrations.

Je ne dis pas qu'il faille uniquement voter avec son porte-monnaie. Il y a d'autres moyens de montrer son désaccord avec l'Etat - j'ai par exemple signé la pétition contre la loi El Khomri, ne serait-ce que pour la fonction d'expressivité de cette pétition.

Mais bien sûr, je crois beaucoup plus à l'efficacité du pouvoir économique.

Et je me méfie aussi des phénomènes de cristallisation. Vous avez remarqué, par exemple, comme des animateurs comme Arthur, Dechavanne ou Nagui cristallisent facilement l'irritation - entre autres réactions émotives?

C'est parce qu'ils sont saillants. C'est une qualité d'un animateur d'avoir un caractère saillant, pour susciter une réaction du public. Question d'audimat.


Eh bien, le pouvoir, mes amis, est comme le nez de Cyrano. C'est un pic, c'est un cap, c'est une péninsule! C'est saillant. Cela focalise en particulier les sentiments négatifs, et dans une moindre mesure, les positifs. 

Ce n'est pas que je défende Hollande, ou avant lui, Sarkozy. C'est une tendance naturelle, et humaine, de vouloir s'en prendre à un homme ou à une femme représentant le pouvoir. 

Le problème, c'est que ce coup d'épée ne porte pas, ou si rarement. Il va transpercer un fantôme. On n'adresse pas les vrais problèmes, ce faisant. 

Même si, on est d'accord, ça soulage, des fois, de pousser une gueulante contre quelqu'un dont on a l'impression qu'il a du pouvoir.

On ne changera pas la nature humaine, ni la tendance à la corruption, du jour au lendemain. Cela reste très important de dénoncer cette corruption, et de s'exprimer. Mais si nous voulons changer les choses au coup par coup, à notre niveau, votons avec notre porte-monnaie, et faisons-le en toute conscience.