jeudi 15 janvier 2015

L'illusion de la "diffusion/distribution universelle"

La plupart des auteurs cherchant à se faire publier ou s'autoéditant ont en eux un idéal, celui que leurs ouvrages soient présents partout, de manière universelle et à tout moment. Cet idéal, qui peut aussi se rapprocher de celui de la culture universelle, partagée par tous, se heurte bien sûr à la réalité. Même (et surtout) à l'ère d'Internet... 

Le dernier exemplaire de Charlie Hebdo est tiré à cinq millions d'exemplaires. On pourrait donc penser qu'il devrait être omniprésent, et pourtant, nombre de personnes ayant voulu s'en procurer un ont échoué en raison de la très forte demande, et des personnes sans scrupules en revendent des exemplaires à des tarifs assassins au marché noir et sur ebay. 

Ce qui prouve, d'une part, les limites de la distribution physique, mais aussi la manière dont un idéal peut se heurter à la réalité. 

De manière rationnelle, on sait que même avant qu'Internet ne débarque en créant une nouvelle catégorie de personnes, celles qui ne lisent qu'en ligne, tout le monde n'était pas fait pour la lecture, et même pas pour la bande dessinée.

Tous les auteurs qui se posent la question deux secondes savent que leur idéal de diffusion/distribution universelle ne tient pas la route. Ils savent que cela fait partie d'un rêve qui les aide à avancer, même s'il peut aussi coûter cher...

Ils se disent donc que mieux vaut ne pas tomber dans la rationalisation excessive pour ne pas tuer le rêve. "D'accord, je ne serai pas présent exactement partout," concèdent-ils à la rigueur "mais je serai au moins dans toutes les librairies." 

Ceux qui ont une certaine expérience de la publication savent en revanche qu'il vaut mieux avoir une idée du dessous des cartes si l'on ne veut pas se retrouver bien vite plumé... Ainsi, la durée de la présence en librairie est-elle une donnée essentielle, et là encore, la confrontation avec la réalité risque de faire tomber de haut, puisque la moyenne est estimée à deux à trois mois pour des auteurs traditionnellement publiés.

Et pour ceux qui veulent vivre de leur art et ne sont pas là uniquement pour le prestige, ils constateront aussi qu'il n'y a pas forcément corrélation entre la présence en librairie et le nombre de ventes (même si, pour les auteurs connus, les théories de "prophéties auto-satisfaites" se réalisent souvent). 

On pourrait se consoler en se disant: "mon éditeur est forcé d'envoyer les exemplaires de mon livre à la BnF, dans le pire des cas j'ai une chance d'y être lu". Sauf que la BnF et ses bibliothèques partenaires sont soupçonnées de pilonner (détruire) des exemplaires de dépôt légal. 

La plupart des auteurs traditionnellement édités le sont par des petits éditeurs. Ils sont les mieux placés pour savoir que même après être passé par le tamis d'un comité de lecture et avoir été "officiellement approuvé", leur ouvrage n'est pas diffusé dans toutes les librairies, loin s'en faut. Les plus gros éditeurs occupent déjà le terrain, parce qu'ils ont l'argent pour louer les meilleurs emplacements à l'année, parce qu'ils ont de quoi financer des diffuseurs, distributeurs et espaces de stockage. 

Et même les auteurs diffusés par les éditeurs les plus en vue savent le côté éphémère de la présence de leur ouvrage en librairie. 

Depuis quelques années (on va dire, pour ratisser large, les deux dernières décennies), une nouvelle force est entrée en jeu pour venir entretenir cette illusion d'universalité de la diffusion tout en nous rappelant également à la réalité de manière brutale: Internet. 

Internet peut permettre d'être présent partout... où il y a des ordinateurs, des réseaux câblés, des fournisseurs d'accès, bref toute l'infrastructure et les services qui vont avec. Et il peut permettre à tout un chacun de se publier en ligne, que ce soit sur un site Internet ou, dans le cadre des ebooks, via des fournisseurs de service spécialisés style KDP Publishing ou Kobo Writing Life.

Le rêve de l'universalité pouvait presque être touché du doigt aux débuts d'Internet, mais bien sûr, le retour à la réalité vient de la profusion des contenus: le temps que l'on a à accorder à votre livre est divisé par la masse énorme de contenu, que ce soit du contenu de qualité, ou du contenu dont la qualité première et quasiment unique est celle d'attirer l'attention.

Le pouvoir de l'argent, bien que dilué dans une certaine mesure par la masse de contenu gratuit, est également bien présent, et l'on sait que des sites comme Kobo ou la Fnac offrent une meilleure visibilité aux éditeurs en échange de financements, de la même manière d'ailleurs qu'Amazon. 

Amazon, qui a l'immense mérite de permettre un bien meilleur référencement de base à un auteur autoédité, et donc un meilleur potentiel de visibilité (le meilleur du marché). 

Toutefois, cet acteur majeur bat lui-même en brèche la notion d'universalité de la diffusion et de la culture, en offrant les meilleurs avantages promotionnels internes à des auteurs autoédités en exclusivité chez Amazon. 

En d'autres termes, pour bénéficier du meilleur référencement possible chez Amazon, votre ebook ne doit pas être présent chez la concurrence. Amazon veut bien de l'universalité de la diffusion, mais à condition d'être le seul acteur sur le marché. De la même manière, d'ailleurs, que les gros éditeurs cherchent, au niveau de la distribution physique, à faire en sorte que leurs ouvrages soient les seuls distribués en librairie. 

On voit donc bien que l'universalité de la diffusion n'est qu'une vaste blague, un leurre. En fonction du choix qu'un auteur va faire, il va favoriser tel ou tel acteur économique, acteur qui lui permettra une visibilité de ses ouvrages en un temps et sur des lieux donnés. 

Afin de nous garantir à nous autres auteurs auto-édités les meilleurs marges possibles, le meilleur choix, je l'ai toujours dit sur ce blog, est de favoriser la diversité de partenaires, et la concurrence.

Comme je le disais, Amazon permet à des auteurs non distribués exclusivement de faire des ventes, et leur assure une vraie visibilité et des marges tout à fait honnêtes. Tant qu'il en sera ainsi, je continuerai à le considérer comme un partenaire de valeur, mais le fait qu'Amazon s'efforce d'obtenir une exclusivité de diffusion/distribution de manière électronique me rendra toujours très vigilant à son égard.

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