Dans la lignée de Memoria et des Explorateurs, mon dernier roman, l'Essence des Sens, sort aujourd'hui dans sa version numérique. La version papier sort en août, et je la dédicacerai donc au cours de ma prochaine séance. En route pour la planète Nadar, avec de nouveau un mélange entre le space opera et le cyberpunk, mais pas que : il est bien possible que son contenu résonne en vous, même si vous n'êtes pas amateur de SF.
Avec plus de 800 exemplaires papier vendus depuis sa parution en 2022, le succès "artisanal" de Memoria ne se dément pas. Pas mal pour un roman que l'on ne retrouve pas en rayon, puisque autoédité. Beaucoup de lecteurs étrangers à la SF y ont mis un doigt de pied avec ce roman.
La version numérique, en revanche, est encore inconnue au bataillon, avec moins d'une vingtaine de ventes, 7 évaluations sur Amazon et 3 commentaires sur la Fnac. Non pas que je m'en plaigne, hein, c'est juste un constat. Il faut dire que j'ai complètement perdu le goût de faire des promos sur les ebooks, je préfère vous prévenir. Je fais en revanche toujours en sorte de rendre mes versions électroniques abordables.
Voici donc ce qui n'est pas vraiment une suite, mais en tout cas un nouveau roman dans le même univers, une histoire complète donc. Lucinda, la protagoniste principal de Memoria, y fera une apparition.
Petite particularité, le glossaire commun aux Explorateurs, à Memoria et à l'Essence des Sens indique maintenant l'ouvrage où figure la première apparition des termes spécifiques à cet univers.
A la suite de la présentation, vous pouvez vous plonger dans les cinq premiers chapitres. Bonne lecture!
Présentation :
Plus c’est gros, plus ça passe : pilier de bar de son état,
Grendchko va bénéficier d’un coup de piston aussi phénoménal
qu’inespéré —
numéro deux d’une multinationale. Son ascension au sein de la
société nadarienne sera irrésistible.
Ingénieur talentueux spécialisé dans les réacteurs, Jaynak va
croiser son chemin. Ce qui va entraîner sa chute. Grendchko a besoin
de Fervents pour assurer son vaste projet, la restauration de la
grandeur de Nadar. Bien contre son gré, Jaynak va devenir l’un
d’eux. Prochaine étape prévue par le nouveau maître, l’agression
d’une planète souveraine, Oblan. Voilà qui ne devrait pas manquer
de causer des millions de morts de part et d’autre.
Pendant ce temps, dans les profondeurs des Cavernes d’Ambre, la
résistance s’organise. Tout n’est peut-être pas perdu pour les
enfants de Nadar.
Illustrateur :
Didi
Wahyudi
ISBN : 979-10-90571-39-6 - 364 pages
Prix de la version papier (sortie août 2024) : 19 €
ebook 3,99 €
AMAZON LA FNAC KOBO APPLE
Cinq premiers chapitres:
1.
Le Fumoir du Rêve
Le tube était relié
directement à l’orifice nasal unique du Nadarien. A la base de la
tige de verre, un ballon duquel émanait une lueur rougeoyante en
grande partie masquée par la fumée. Celle-ci s’élevait et se
répandait dans le crâne de l’individu de haute stature. Des
volutes blanches s’échappaient de ses oreilles au contour presque
géométrique, hexagonal. A observer l’expression du long visage,
ses différentes plaques de gris et d’anthracite ressemblant à du
silex, sans pour autant en avoir la consistance, on aurait pu croire
le natif de Nadar plongé dans une intense concentration. Impression
à laquelle ne se laissa pas prendre l’un de ses compatriotes, qui
s’installa sans autre forme de procès en face de lui.
Le
nouveau venu dévisagea le consommateur avec un air de sollicitude
inquiète. Les yeux dorés, si inhabituels chez un Nadarien, étaient
perdus dans le vague. La poussière s’insinuant dans les plaques,
mélanges d’organique et de minéral qui constituaient l’épiderme
du fumeur de sengré, prouvait suffisamment la déchéance de
celui qui devait être, à n’en pas douter, un pilier de bar. Pour
le tirer de sa stupeur, le citadin lui secoua les poignets. Aussitôt
qu’une lueur de conscience apparut dans les yeux de l’individu,
celui qui venait ainsi d’intervenir présenta ses paumes en un
geste d’invite. Son regard contenait une prière muette.
« Vous
êtes un Guide Communiant ? » demanda le fumeur d’une
voix hésitante.
L’autre
secoua la tête.
Un
rictus de colère tordit les lèvres du fumeur. Il se leva si
brusquement qu’il dut se rattraper à la table pour ne pas tomber.
Oscillant un instant sur ses jambes, il rejeta la fumée qu’il
venait d’inhaler. Il parvint alors à se stabiliser, se pencha pour
s’emparer à son tour des poignets de l’intrus. D’un mouvement
violent, il le projeta sur le côté, faisant valser sa chaise et
l’envoyant manquer de peu les clients de la table d’à côté.
Des protestations s’élevèrent. Le fumeur ne semblait pas en avoir
conscience, et se rassit lourdement.
Comme
le Nadarien molesté se relevait péniblement, non sans grimacer de
douleur, le barman surgit de derrière son comptoir et s’avança,
l’air furieux. Il dut cependant s’interrompre dans son élan. Un
individu massif venait de s’interposer, se déplaçant avec la
grâce d’un félin. Le colosse à la fourrure fauve eut un geste de
dénégation. Les muscles saillaient de ses quatre bras, ses
pectoraux surdéveloppés tendaient sa tunique sur sa poitrine. Si
son attitude était nonchalante, il émanait de toute sa personne une
sourde impression de danger. Ses paupières mi-closes étaient fixées
sur le barman, révélant une lueur dansante. Ce dernier écarquilla
les yeux et se tassa sur lui-même. Il hocha obséquieusement la tête
et tourna les talons.
D’un
mouvement vif, le Fengir redressa la chaise et s’assit en face du
fumeur de sengré. Le Nadarien, qui parmi les siens passait pour
avoir de larges épaules, parut tout à coup rétrécir. Il
considérait l’alien à figure de prédateur avec crainte et
perplexité. Les sourcils, moustaches et poils de barbe du Fengir
sinuaient de manière hypnotique, rendant difficile de décrypter son
expression de visage. Seules les deux minces fentes des yeux lui
tenant lieu de pupilles laissaient voir une étincelle amusée.
« Belle manifestation d’autorité dont vous venez de faire
preuve, » feula-t-il.
L’autre
se rengorgea quelque peu, et il repoussa le vase de sengré.
« Ce
sont des hommes comme vous dont cette planète a besoin. »
L’hébétude
apparut dans l’expression du fumeur, qui cherchait ses mots sans
les trouver.
« Prenez
ça, » fit le Fengir en lui présentant une pilule bleue. Son
interlocuteur parut évaluer ses chances de refuser la requête tout
en préservant son intégrité physique. La différence de gabarit
entre lui et le Fengir alliée à la calme détermination de ce
dernier eurent raison de sa réticence, et il absorba la pilule. Très
vite, ses pupilles se dilatèrent. Il se mit à tousser, puis ses
yeux jaunes se mêlèrent de bleu — il recouvrait sa présence
d’esprit.
« Qu’est-ce
que vous voulez dire ? articula-t-il de son timbre rauque.
– Que
Nadar a besoin de leaders énergiques. Des gens comme vous.
– Leaders…
Et vous pouvez dire ça en me connaissant depuis trente secondes ?
– Nous
autres Fengirs avons de l’instinct. Et vous n’êtes pas inconnu
de nos services. Grendchko, fils de Balmen. Vous avez une vision
unique des choses, et cela vous rend très efficace. A l’image de
l’équipe de lutte de votre quartier, qui a été championne, et
dont vous étiez le capitaine. »
Grendchko
poussa un grognement. « Le titre nous a été retiré.
– Pour
de basses raisons politiques ! Le fait est que vous saviez vous
montrer persuasif pour recruter les meilleurs. »
Grendchko
opina avec conviction. En s’associant avec trois autres costauds,
il était parvenu à en engager d’autres. Certains s’étaient
fait tirer l’oreille, bien entendu. Parfois, l’intimidation
suffisait. En d’autres occasions, il fallait passer les plus rétifs
à tabac, eux ou des membres de leur famille. Personne n’aimait
voir son existence se transformer en enfer, et après tout, on leur
demandait juste d’intégrer l’équipe de lutte qui ferait d’eux
des gagnants, et non les losers qu’ils seraient restés sans cela.
Malheureusement, ils avaient été trahis et leurs méthodes,
dénoncées. Sinon, ils seraient montés très haut…
« Vous
étiez bien parti dans la vie, poursuivit le Fengir, promis à de
formidables accomplissements. Et puis la corruption inhérente à ce
système de privilégiés vous a retiré toutes vos chances. Tout ça
parce que vous aviez fait confiance à l’un de vos proches…
– Mon
cousin Olnav, acquiesça Grendchko. Vous êtes bien informé. »
Les
yeux de félin du Fengir s’agrandirent l’espace d’un instant,
et Grendchko se demanda ce qui avait pu causer la surprise de
l’alien. Ce dernier continua néanmoins comme si de rien n’était.
« Vous avez su comprendre que l’examen de passage dans les
Cavernes d’Ambre n’était que l’un de ces simulacres issus
d’une tradition si ancienne qu’elle s’est peu à peu corrompue.
Une manière totalement arbitraire de distribuer les postes
prestigieux. D’attribuer du pouvoir. »
Un
regard circulaire rapide apprit à Grendchko que les clients les plus
proches, ceux qui ne pouvaient manquer d’entendre les paroles du
Fengir, avaient la tête baissée et les épaules voûtées. Tout
dans leur attitude indiquait la soumission. Grendchko ne se lassait
pas d’être surpris des réactions de ses congénères au contact
des Fengirs. Si d’autres étrangers avaient tenu des propos en
apparence si sacrilèges, si séditieux, la révolte aurait été
immédiate. L’intrus se serait retrouvé appréhendé puis traduit
devant le Concile des Communiants, pour être expulsé de la planète
comme un mauvais pépin. L’argelen, et en particulier l’argelen
issu des Cavernes d’Ambre, était l’un des fondements de la
société nadarienne. Nul ne pouvait remettre en cause le rôle de la
si précieuse ressource matricielle sans encourir de représailles —
à l’exception des Fengirs.
C’était
sans doute là le signe évident que les Fengirs avaient raison. La
corruption devait avoir atteint l’argelen, sans cela ses
compatriotes ne montreraient pas autant de faiblesse. Le matériau ne
méritait pas une telle dévotion de la part des habitants de Nadar.
C’était pathétique. Seules certaines fonctions pratiques en
justifiaient encore l’usage.
« Vous
aviez cru trouver la solution en vous faisant représenter par votre
cousin à ce pitoyable examen. Et celui-ci vous a trahi. Il a
misérablement flanché, comme le couard qu’il est.
– Je
ne vous le fais pas dire.
– Dites-moi,
mon ami, vous lui en voulez encore de vous avoir balancé ? »
Grendchko
eut une moue dubitative. Pourquoi l’alien s’intéressait-il à
son histoire ? S’il lui donnait le titre d’ami et semblait
le tenir en haute estime, c’est que sa perspicacité et son
instinct lui permettaient de ne pas s’arrêter à son aspect terne,
voire négligé. Néanmoins ses connaissances sur son passé étaient
troublantes... Il n’avait en tout cas aucun intérêt à le
rabaisser encore plus, vu qu’il se trouvait déjà tout en bas de
l’échelle, ni à lui faire du tort. « Il ne perd rien pour
attendre, grommela-t-il.
– Vous
ignorez à quel point vous avez raison, dit l’autre en le regardant
d’un air gourmand. Peu de Nadariens sont de votre trempe, je l’ai
compris dès que je vous ai vu. Suivez-moi, et allons faire votre
fortune. »
Grendchko
le considéra, estomaqué. Son moment d’hésitation ne dura guère
— qu’avait-il à perdre, après tout ? Pour une fois que
quelqu’un le reconnaissait à sa juste valeur… Il se leva et
emboîta le pas au Fengir. La pilule bleue était d’une efficacité
inattendue, car le sol ne tanguait pas sous ses pieds comme il le
faisait habituellement lorsque Grendhchko s’efforçait de se
traîner hors du bar — ou qu’il se faisait mettre dehors.
Le
Fumoir du Rêve se situait dans les bas quartiers de l’un
des cent cinquante titans de basalte, les fameux arbres minéraux
d’Argea, la capitale de Nadar. Les titans ne devaient pas leur nom
au hasard, s’élevant jusqu’à trente kilomètres de hauteur. Ces
hybrides entre des végétaux et des minéraux avaient la capacité
de générer leur propre oxygène, que les Nadariens avaient appris
depuis des siècles à confiner dans des champs de rétention autour
de leurs habitations, leur permettant de respirer indifféremment à
n’importe quelle altitude.
De
sa démarche féline, le Fengir conduisit Grendchko à sa navette,
dont le fuselage tigré ne laissait aucun doute sur l’espèce de
son propriétaire. Contrairement aux appareils nadariens le plus
souvent ovoïde ou tubulaire, celle-ci avait une forme ramassée,
agressive. A peine entrés à l’intérieur, un androïde ayant
l’aspect d’un Fengir réduit au dixième de sa taille les
accueillit. « Bienvenue, maître Shinaen.
– A
la base, nabot », feula le Fengir.
Grendchko
s’assit sur son siège, et fut aussitôt maintenu en place par la
fonction gravimétrique de celui-ci. « Shinaen, c’est votre
nom ? demanda-t-il.
– Shinaen
lo Fimshiu al Meneshtar neï Imshirrur. Mais vous pouvez m’appeler
seigneur Shinaen. Ou, plus simplement, Shinaen, dit-il en se
ravisant. Après tout, feula-t-il en sortant l’une de ses longues
griffes recourbées qu’il rapprocha dangereusement du visage du
Nadarien, vous êtes promis à de hautes destinées. Autant que vous
vous habituiez à me traiter comme un pair. »
La
menace physique que faisait peser la griffe si proche de la figure de
Grendchko était de nature à démentir les paroles du Fengir, ou en
tout cas à faire comprendre à son interlocuteur qu’aucune marque
d’irrespect ne serait tolérée.
« Entendu.
Shinaen. » Grendchko se tenait bravement bien droit, la nuque
rigide. Il savait que si l’autre se mettait à le frapper, il
n’aurait pas le dessus.
D’anciens
souvenirs resurgirent soudain. Son père était mort avant que
Grendchko ne puisse grandir suffisamment pour se souvenir de lui, et
sa mère était une fumeuse de sengré. Il avait donc été élevé
par son oncle, qui le battait plus souvent qu’à son tour. Cet
homme violent lui avait ainsi inculqué de rudes leçons, qui
l’avaient conduit à développer ses capacités physiques pour
dominer ses cousins, et, plus tard, le moment venu, son oncle
lui-même. Pour la première fois depuis des années, Grendchko se
retrouvait en position d’infériorité, et n’aimait pas cela. Ses
réflexes d’antan lui revenaient, et il attendait « que ça
tombe ». Du moment qu’on savait encaisser les coups, on
pouvait toujours apprendre de son adversaire. Pour autant que des
griffes aussi acérées puissent offrir quelque espoir de survie…
Le
Fengir se contenta d’un grognement. Comme il se détournait, une
lueur ironique jaillit de ses prunelles. Le réacteur antigrav
propulsa la navette à la verticale, et bientôt, celle-ci se mit à
louvoyer entre les innombrables passerelles et structures défiant
les lois de la gravité. De loin, les titans de basalte comme
celui-ci ressemblaient à des boules de soies arachnéennes couleur
gris bleu. Supporté par un triple tronc, le volumineux noyau central
était hérissé de branches maîtresses à l’extrémité
desquelles des noyaux secondaires soutenaient des passerelles. Les
bâtiments, habitations ou usines poussaient littéralement dans tous
les sens, sur les branches, les noyaux ou les plus frêles
passerelles, apparemment dans le plus grand chaos. En prenant du
champ, cependant, l’architecture de l’ensemble se révélait
parfaitement sphérique, et la plupart des constructions donnaient
l’impression de s’équilibrer harmonieusement.
Grendchko
savait que l’ambassade des Fengirs était bâtie, comme celle des
autres espèces, sur une surface à peu près plane, correspondant à
la courbure de l’écorce de la planète en contrebas. Chaque
passerelle avait beau posséder son propre champ gravitationnel, se
retrouver la tête en bas, où dans l’une des multiples
inclinaisons possibles, s’avérait suffisamment déstabilisant pour
la plupart des espèces, et pouvait avoir des conséquences néfastes
sur de nombreux types d’organismes.
La
navette se posa au sommet d’un édifice rectangulaire imposant, qui
jurait par sa taille, sa masse et ses proportions avec les structures
nadariennes plus fines, quasiment organiques tant elles se fondaient
avec naturel dans le décor. La grande majorité des matériaux
constituant ce que Shinaen avait appelé la « base »
étaient d’importation, ce qui contribuait aussi à rendre celle-ci
identifiable à cent parsecs. C’était une troublante coïncidence
de se retrouver dans l’endroit précis où officiait son oncle.
Grendchko se demanda s’il allait le revoir — la perspective ne
lui souriait guère.
La
plate-forme d’accueil de la navette descendit dans un hangar, et le
plafond se referma sur son passage. Shinaen sortit le premier.
Pendant un instant, le décor alentour demeura identique, celui de
vastes espaces métalliques froids. Puis, le détecteur identifia les
visiteurs et les holoprojecteurs s’activèrent. Les environs se
transformèrent en jungle digne de celle d’Helgash 7 avec ses
troncs torturés, ses immenses frondaisons se disputant la lumière
de l’étoile Helgash, ses lianes, ses nuées de moustiques, ses
fleurs exotiques et ses plantes carnivores. Shinaen ne semblait pas
s’en être aperçu et avançait d’un pas assuré. Grendchko,
surmontant la crainte instinctive que lui inspirait le nouvel
écosystème, s’élança à sa suite. Il ignorait à quel point la
simulation était réaliste, et se demandait s’il devait s’attendre
à voir surgir un prédateur affamé. Ce mouvement qui animait de
grandes fougères à une centaine de mètres à peine, était-il dû
au vent ou à autre chose ?
Shinaen
eut un sourire carnassier en l’apercevant ouvrir des yeux ébahis.
Grendchko dut faire effort sur lui-même pour cesser de regarder
partout à la fois et se composer une expression qui se voulait
assurée. La pièce devait être équipée d’un système
d’immersion sonore, car retentissait une étrange et inquiétante
cacophonie, qui donnait la chair de poule et aurait hérissé les
poils de Grendchko s’il avait été pourvu de la moindre pilosité.
Comme ils marchaient, celui-ci réalisa au bout de deux cents pas
qu’ils avaient dû quitter le hangar principal et se trouvaient
dans un couloir. Cependant, la holosim était si bien faite qu’ils
passaient d’un secteur à un autre sans que le décor ne change de
nature — tout juste si les arbres de part et d’autre étaient
plus resserrés dans les corridors. Quelle était la part de
conditionnement dans cette simulation qui s’imposait d’elle-même
aux visiteurs ? Le but était sans doute double, permettre aux
Fengirs d’évoluer dans l’environnement familier de leur planète
natale tout en impressionnant et oppressant les intrus.
Ils
débouchèrent dans une clairière. L’un des congénères de
Shinaen était assis sur un tronc qui paraissait avoir été découpé
au laser. Il portait une combinaison luisante. Sa fourrure était
blanche rayée de noir, ce qui contrastait avec la couleur fauve de
celle de Shinaen. Les deux Fengirs se mirent à échanger les
feulements plus ou moins articulés qui correspondaient à leur
langage. Puis Shinaen se tourna vers Grendchko. « Bien, si nous
voulons travailler sur votre avenir, il va nous falloir nous pencher
sur votre passé. Qu’avez-vous fait ces cinq dernières années ?
– Ce
que j’ai fait ?
– A
quoi avez-vous occupé votre temps ? »
Grendchko
marqua une pause. Si un Nadarien lui avait posé la question, il se
serait mis en colère, et lui aurait fait regretter d’avoir eu
l’inconscience de chercher à l’interroger de la sorte. Il baissa
la tête. « J’ai traîné ici et là. Fréquenté des
fumoirs.
– Aucun
emploi ? »
Cette
fois, Grendchko n’hésita qu’un instant. Au point où il en
était, à quoi bon mentir ? « Pas le moindre. »
Shinaen
pivota vers son acolyte, auquel il décocha un sourire triomphant.
« Mon instinct ne m’a pas trahi, dit-il. Il est exactement
l’homme qu’il nous faut ! Ses activités ne figureront sur
aucun registre, encore moins dans leurs cubes d’argelen.
– Sa
synthèse-tech est prête dans les grandes lignes, répondit l’autre.
Il n’y a plus qu’à y intégrer les détails qui le concernent
personnellement. » Le Fengir tendit à Shinaen une tablette
couverte de symboles hétéroclites et de phrases en fengirien.
Grendchko
osa faire un pas vers eux et prendre la parole. « Ma
synthèse-tech ?
– Vous
l’ignoriez ? sourit Shinaen de tous ses crocs, posant deux de
ses mains sur l’épaule et le bras droit du Nadarien. Ces cinq
dernières années, vous ne vous êtes pas perdu dans les fumoirs ni
n’avez mené de vie dissolue. Oubliez tout ça. En réalité, vous
avez brillamment gravi les échelons pour devenir administrateur de
deux de nos sociétés sur cette planète, l’une spécialisée dans
les transmissions interstellaires, la seconde dans les générateurs
d’antimatière.
– Des
félicitations s’imposent », fit l’autre Fengir en le
toisant avec une lourde ironie.
2.
Les leçons du passé
L’incrédulité
ne quittait pas les traits de Grendchko tandis que ses yeux
parcouraient sans les comprendre les inscriptions sur la tablette.
Shinaen positionna alors son index à la verticale de l’objet en
murmurant quelque chose dans sa langue. Aussitôt, les phrases en
fengirien disparurent pour être remplacées par du nadarien. Il
s’agissait bien d’une synthèse technique d’un cadre de haut
niveau, à un ou deux détails près. L’hologramme de la trombine
de Grendchko en haut à droite, et son nom apparaissant là, tout
cela lui faisait l’effet d’une vaste blague. Des liens vers la
Ruche, le réseau en ligne, enrichissaient le document. Grendchko
tapota sur l’un d’eux, qui le mena vers une réunion
d’administration où il était question de transmissions
tachyoniques. Il ne vit que des Fengirs dans la projection holo.
« Cela
fait partie des détails à mettre au point, dit Shinaen. Ça, ainsi
que les renseignements plus personnels vous concernant. »
Grendchko
retira ses paumes du cubar — son cube d’argelen — interrompant
sa connexion psychique avec l’objet. En le touchant, on pouvait,
comme venait de le faire Grendchko, se replonger dans des scènes du
passé, et les revivre avec une intensité identique. Le moment de sa
rencontre avec Shinaen dans ce fumoir s’était avéré tellement
déterminant qu’il en avait fait un repère mémoriel. De couleur
marron, le cubar donnait l’impression d’être granuleux, alors
qu’au contact, il était lisse. Sa masse le rendait d’autant plus
difficile à détacher du basalte que le cube possédait des
propriétés magnétiques. Sa nature même rendait ses
fonctionnalités inaccessibles à tout autre qu’un Nadarien. On
pouvait suivre, en s’y connectant, des cours dans différents
domaines qui s’étendaient des mythes et traditions anciennes, à
toutes les subtilités du langage, en passant par les mathématiques,
la physique ou la mécanique quantique. Si les enseignements étaient
assimilés, l’argelen faisait apparaître la signature psychique de
l’élève pour chacune des leçons maîtrisées.
Le
cubar de Grendchko ne contenait sa véritable signature que pour les
plus basiques des leçons. A force de se heurter à des obstacles
dans son apprentissage, Grendchko avait eu recours de plus en plus
fréquemment à son cousin Olnav. C’était d’abord celui-ci qui
s’était proposé pour l’aider, en constatant que les difficultés
de son cousin l’empêchaient de jouer avec lui. Au début, Olnav
avait juste voulu endosser la fonction de professeur auxiliaire, en
s’efforçant de lui faire comprendre les leçons. Cela n’avait
marché qu’un temps. Frustré devant la lenteur de son « élève »
et son incapacité à surmonter certains obstacles, Olnav s’était
découvert des talents de Guide Communiant. En touchant de sa paume
le cubar conjointement avec Grendchko, il parvenait à assimiler le
schéma psychique de ce dernier et à le reproduire. Il pouvait ainsi
accomplir les leçons à sa place tout en imitant sa signature
mentale à la perfection, et lui permettre de franchir des étapes
dans sa scolarité. Ses leçons « réussies » son cousin
devenait libre de jouer avec lui. En échange, Grendchko, plus grand
et plus fort bien qu’ayant le même âge, avait la magnanimité
d’étendre sur Olnav sa protection. Dans un premier temps, Olnav
lui en avait été reconnaissant. Il faut dire que Penbrok, son père,
cognait dur.
Les
yeux dans le vague, Grendchko n’avait plus besoin de l’argelen
pour se plonger dans la scène. Il se voyait courant autour de la
table de basalte pour échapper à sa raclée après avoir provoqué
Penbrok qui voulait s’en prendre à Olnav. Sa tante Nilduin
demeurait quant à elle prostrée dans un coin. Elle qui ne
supportait pas la violence se trouvait réduite à l’impuissance
face à son époux à chaque fois. Invariablement, Penbrok finissait
par bondir sur Grendchko et se mettait à le rouer de coups, se
servant aussi bien de ses pieds, de ses genoux que de ses mains et
coudes. Il ne semblait véritablement exulter, être heureux que dans
ces moments-là. Il lui suffisait parfois d’un simple retard à une
question pour s’embraser. D’une impertinence. Ou bien qu’Olnav
se montre un peu trop brillant. Un rien trop vif d’esprit. Avec le
temps, Grendchko en était venu à soupçonner Penbrok d’être
jaloux des talents de son fils, le père étant, comme lui-même,
coupé des liens les plus intimes avec l’argelen. Le patriarche
exerçait la fonction d’administrateur de droïdes à l’ambassade
des Fengirs. Grendchko était certain que Penbrok n’avait jamais
voulu spécifier la nature des droïdes, car il s’agissait de
simples modèles d’entretien.
Dans
la famille, Nilduin était celle qui veillait à ce que les enfants
apprennent leurs leçons. Penbrok la laissait faire, mais ses
discours, quant à eux, prônaient la force et l’autorité plutôt
que les vaines connaissances. L’action était toujours préférable
à une réflexion débilitante. En cela, il admirait les Fengirs, de
grands guerriers qu’il considérait comme les véritables guides et
protecteurs du peuple.
Grendchko
plissa les yeux. Pendant longtemps, il avait cru devoir se montrer
reconnaissant envers Olnav. C’était grâce à son cousin qu’il
réussissait ses leçons et gravissait les échelons — jusqu’à
l’examen des Cavernes d’Ambre et à la trahison si douloureuse,
si lourde de conséquences. A présent, Grendchko savait que c’était
à Penbrok qu’il devait beaucoup, en réalité. A cet égard, le
jour où Crentchev avait célébré ses quinze ans avait été une
révélation. Plus jeune d’un an à peine qu’Olnav et Grendchko,
Crentchev était le cadet de la fratrie, et Uilen en était le
benjamin. La marraine de Crentchev lui avait offert un harmonimage,
instrument de musique capable de projeter des images à mesure que
l’on soufflait dedans. Celles-ci se recomposaient suivant les sons.
Crentchev adorait la musique et, après le départ de sa marraine,
n’avait cessé d’en jouer pour contempler les formes géométriques
fascinantes, iridescentes. Elles ressemblaient souvent à des objets
connus tout en étant suffisamment éloignées de leur modèle pour
provoquer une notion d’étrangeté, et ce d’autant qu’elles se
fondaient les unes dans les autres en fonction des accords.
La
musique n’en finissait pas moins par taper sur les nerfs. Grendchko
avait profité d’un instant de répit pour heurter du coude
l’objet, que Crentchev avait enfin reposé sur la table du salon.
L’harmonimage était tombé au sol, où il avait rebondi, et une
fissure était apparue sur l’un des ornements en verre. Rien de
bien sérieux, mais devant l’air atterré de Crentchev, Grendchko
s’était excusé.
C’est
alors que la gifle cuisante s’était abattue. Furieux, le visage
rougi, Grendchko avait fixé Penbrok.
« Plutôt
que de montrer ta faiblesse, avait craché celui-ci, demande-lui de
le ramasser. Et fais-toi obéir. »
Grendchko
avait considéré celui qu’il voyait comme son père adoptif,
interdit. Devant la menace d’une deuxième correction, il s’était
pourtant tourné vers Crentchev, et lui avait ordonné de ramasser
l’objet. Lorsque celui-ci avait refusé, la colère refoulée de
Grendchko avait trouvé un exutoire. Son coup de pied avait atteint
Crentchev à l’estomac. Après tout, c’était lui et sa satanée
musique qui avaient tout déclenché.
Nilduin,
en mère attentive, avait aussitôt voulu les séparer, mais Penbrok
avait fait mine de la gifler à son tour. Elle n’avait eu d’autre
choix que de reculer et de s’effacer. Le patriarche avait assisté,
l’œil luisant, au spectacle du combat entre son fils cadet et le
cousin qui tenait lieu de fils adoptif. Après lui avoir asséné un
coup de poing sur le nez, Grendchko avait aisément soumis Crentchev
en lui tordant le bras. Il avait bien vu le regard désapprobateur
d’Olnav, mais le moment était bien trop important pour lui. Quand
Crentchev avait ramassé l’harmonimage et le lui avait tendu, tête
basse, Grendchko avait reçu une tape amicale sur l’épaule.
Instinctivement, il avait su que Penbrok se servait de lui pour
endurcir ses trois fils — qu’importe, il avait trouvé sa vraie
place dans cette famille. Dès lors, les combats entre le cousin et
les membres de la fratrie avaient été plus fréquents. Même Olnav
avait dû être « remis dans le droit chemin » par la
manière forte lorsqu’il avait cru bon s’interposer. Et quand,
furieux d’avoir eu le dessous, l’aîné avait pris Grendchko à
part et menacé de ne plus l’aider à réussir ses leçons et
examens, la réponse avait été cinglante.
« Si
tu me refuses ton coup de main, je te dénonce. Crois-tu que la
Guilde des Enseignants Communiants verra d’un bon œil que tu aies
imité ma signature psychique pour les tromper sur mes résultats ?
Ta scolarité en pâtira forcément. Ce sera une tache indélébile
sur ta synthèse scolaire. Tu ne pourras plus prétendre aux
meilleurs postes. »
Le
tremblement des lèvres et la lueur bleutée plus intense dans les
yeux d’Olnav avaient été révélateurs — Grendchko avait touché
un point sensible. Olnav était ambitieux, presque autant que
lui-même, il fallait croire. Ses prédispositions avec l’argelen
étaient un atout inestimable, et il en avait conscience. Il pouvait
aller loin dans la vie, à condition que sa trajectoire ne soit pas
déviée par une perturbation inattendue.
Olnav
avait fini par se détourner. Quand Grendchko lui avait de nouveau
demandé son aide, l’aîné des fils de Penbrok avait ravalé sa
fierté et obtempéré. Bien sûr, leur relation n’avait plus été
la même après, mais Grendchko s’était aperçu qu’il appréciait
le changement. Pouvoir faire levier sur la volonté d’Olnav lui
procurait un frisson encore plus délicieux que celui qu’il
éprouvait lorsque Crentchev avait un mouvement de recul en le voyant
s’approcher de lui. Sensation de puissance, de contrôle et de
plénitude. Lui qui avait longtemps cherché ses repères dans cette
famille s’y sentait de plus en plus à l’aise. Plus il gagnait en
assurance, plus il bénéficiait du soutien de Penbrok, et plus il se
trouvait conforté dans sa position. Cela n’allait pas sans
quelques inconvénients bien sûr, comme cette hostilité sourde
qu’il percevait chez Nilduin. Cependant, Grendchko ne se souvenait
pas avoir obtenu beaucoup d’affection de la part d’Ildak, sa mère
biologique, le plus souvent plongée dans ses rêveries hallucinées.
Il avait appris à se passer des gestes maternels et ne les
recherchait pas.
Tandis
que les mois, puis les années s’écoulaient, l’autorité
naturelle de Grendchko s’affirmait. Ses excellents résultats
scolaires le destinaient à des fonctions élevées, Penbrok tressait
ses louanges et le traitait en fils préféré, et les trois frères
lui témoignaient respect et soumission. Contrairement à ses
cousins, il n’allait jamais aux séances de communion collective,
choisissant de demeurer aux côtés de Penbrok. Leur inaptitude à se
connecter en profondeur avec l’argelen leur rendait ces moments
d’intimité avec l’environnement de la planète fastidieux. Tous
deux estimaient par ailleurs qu’il s’agissait d’une tradition
désuète. Ils n’appréciaient guère les quelques jours qui
suivaient ces séances, quand la complicité entre les trois enfants
et leur mère devenait plus forte qu’auparavant.
Sans
doute par surcroît de confiance en lui, Grendchko avait commis
l’erreur de se relâcher. Leur famille avait eu à essuyer
plusieurs visites des Gardiens de l’Harmonie à la suite
d’interventions de parents qui avaient retrouvé leurs enfants
couverts de bleus et d’ecchymoses. Pourtant, même en ce jour
malheureux où une plainte avait été déposée pour un bras cassé,
Penbrok avait fait de son mieux pour soutenir Grendchko, allant
jusqu’à lui rendre visite dans son centre de redressement — le
séjour n’avait pas été si long, deux semaines.
La
leçon avait servi. Grendchko avait appris à mettre à profit sa
poigne et son magnétisme pour dissuader ses victimes de prévenir
leurs parents sous peine de représailles. Le pouvoir dont il se
savait investi lui allait comme un gant, et ceux qui cherchaient à
se venger de lui n’étaient que des êtres mesquins, insignifiants,
comme ne cessait de le lui répéter Penbrok. Après avoir purgé sa
peine, Grendchko avait retrouvé avec satisfaction l’équipe de
lutte de son quartier, dont il était un membre craint, si ce n’est
pleinement apprécié. Son statut de mâle alpha lui valait les
faveurs d’une partie de la gent féminine. Il ne se sentait jamais
si fier qu’en exhibant sa dernière conquête auprès de ses
coreligionnaires. Certaines de ces élues ne réalisaient pas la
chance qu’elles avaient de s’afficher à ses côtés et le
quittaient pour des raisons aussi futiles qu’une simple coucherie.
Comme le lui répétait Penbrok, il ne fallait pas chercher à
comprendre les femelles — les dominer suffisait amplement. Parfois,
c’était lui qui les plaquait, et lorsqu’elles faisaient mine de
ne pas piger ou même de jouer les pleurnicheuses, il se moquait de
leur faiblesse. Elles ignoraient à quel point il se sentait
supérieur à elles dans ces instants, et ne devinaient pas, sans
doute, combien leurs suppliques étaient douces à ses oreilles. Pour
prétendre rester avec un gagnant tel que lui, il fallait tenir la
distance, et elles ne faisaient tout simplement pas le poids.
Bien
sûr, il y avait aussi les aguicheuses, celles qui lui glissaient des
regards langoureux mais s’arrangeaient pour ne jamais se retrouver
seules avec lui. Parfois, les femmes ne savaient pas ce qu’elles
voulaient vraiment, et dans ce cas, c’était à l’homme de leur
faire comprendre. Blanaduin avait été l’une d’elles.
Spectatrice passionnée de lutte, ses yeux brillaient quand elle
l’observait, et son cœur battait plus vite lorsqu’il
s’approchait d’elle. Elle devait être la seule à ne pas s’en
être aperçue, et pourtant, elle lui avait demandé un autographe.
Après un match, tout auréolé de sa victoire, il l’avait conviée
à le rejoindre dans son fumoir préféré.
Elle
avait osé décliner.
Un
tel affront n’était pas de ceux que Grendchko oubliait facilement.
Un jour où elle était venue observer l’équipe s’entraîner, il
était parvenu à la coincer non loin de son vestiaire. Elle pesait
deux fois moins que lui, et ses pieds n’avaient pu que traîner au
sol comme il la tirait à l’intérieur. Après avoir refermé, il
s’était affalé sur elle. Ses griffures et morsures, les
mouvements frénétiques pour échapper à son emprise n’avaient
fait qu’accroître son désir. Elle aimait la lutte ? Il
allait lui montrer ce qu’était un vrai lutteur. Après l’avoir
bloquée, il lui avait asséné une gifle retentissante, histoire de
la calmer. Ne restait ensuite qu’à la déshabiller puis la
préparer habilement.
Ses
triomphants appendices abdominaux avaient fini par se glisser sous
les couches semi-minérales de sa proie. L’idiote ignorait
l’honneur qu’il lui faisait, et se répandait en pleurs et
gémissements tandis qu’il prenait son plaisir.
Cela
n’avait rien gâché. Il avait juste fallu lui faire une mise au
point ferme et nette une fois l’acte accompli. La stupide
aguicheuse, en effet, l’avait accusé entre deux sanglots de
l’avoir violée. « Si jamais tu t’avises de répéter ces
mensonges, ce n’est pas seulement toi que je retrouverais et
découperais en morceaux. Ce sera chacun des membres de ta famille.
Et si ce n’est pas moi, ce sera l’un de mes obligés —
crois-moi, j’ai beaucoup de relations, des gens qui me sont dévoués
corps et âme. » Il l’avait saisie par le col pour coller son
nez contre le sien. « Compris ? »
Elle
avait alors murmuré son abject acquiescement, et il n’avait plus
jamais entendu parler d’elle. C’était l’ordre naturel des
choses, les faibles s’effaçaient devant les forts.
Le
souvenir était plaisant, trop plaisant sans doute — rien que d’y
penser, Grendchko sentait ses appendices se raidir. Dans le tumulte
de toutes ces distractions, à l’époque, il n’avait pas exercé
la vigilance requise au sujet de son objectif principal. Peut-être
était-ce aussi parce qu’il méprisait déjà les traditions.
Toujours est-il qu’il ne s’était pas suffisamment préoccupé de
l’examen final dans les Cavernes d’Ambre, qui déterminait
l’orientation de chaque Nadarien. Grâce à l’argelen,
l’enseignement était prodigué à distance en temps normal. Seule
l’épreuve finale exigeait de se déplacer, et de retrouver les
autres étudiants dans les Cavernes d’Ambre, situées au pied de
chaque ville de la planète. Olnav et lui avaient reçu leur
convocation à deux jours d’écart, ce qui servait parfaitement ses
plans. Rien n’aurait été pire que de devoir passer leurs examens
en simultané, car alors, Olnav n’aurait pu suppléer Grendchko.
Tout
à son soulagement de pouvoir continuer à bénéficier d’un
partenariat aussi fructueux, Grendchko s’était laissé bercer par
les promesses de son cousin. Olnav passerait son épreuve en premier.
Deux jours plus tard, Grendchko se présenterait à son tour auprès
des examinateurs. Le moment venu, il prétexterait un besoin urgent
pour s’éclipser de l’alcôve qui lui serait attribuée dans la
caverne, afin de se faire remplacer par Olnav. Le plan était aussi
simple que direct, Olnav filerait tête baissée de manière à ne
pas susciter la curiosité ni que l’on remarque la différence avec
le physique de son cousin, et subirait l’examen à sa place. Les
idiots de Guides Communiants qui supervisaient celui-ci, aveuglés
par leur dévotion envers les traditions ancestrales et désuètes,
ne pourraient s’imaginer que quelqu’un commette un tel sacrilège.
Ils ne verraient rien du tout, et croiraient uniquement ce que
Grendchko voudrait leur faire croire.
Sauf
que le jour venu, lorsque Grendchko, faussant la compagnie aux
superviseurs, s’était retrouvé sous les stalactites de l’une
des petites salles mitoyennes de la caverne principale, et qui était
l’endroit convenu, il n’avait pas vu Olnav. Les minutes qui
avaient suivi avaient été affreuses. Son cousin l’avait trahi —
sacrifié à son ambition. Les P-com étant désactivés à
l’occasion des examens, il n’avait même pas pu l’appeler pour
l’exhorter à le rejoindre, ou bien le menacer de sa vengeance s’il
n’obtempérait pas.
La
mort dans l’âme, Grendchko avait tourné les talons en direction
de l’alcôve. L’argelen ambré présent uniquement dans ces
cavernes avait la propriété de mettre ses utilisateurs en connexion
directe avec la matrice centrale de la planète. Celle-ci dépassait
très largement en performance et complexité les blocs classiques
d’argelen. Non seulement devenait-il possible, pour ceux qui
possédaient la sensibilité adéquate, de s’interfacer avec les
minéraux et la flore de la planète, mais l’argelen ambré donnait
accès à un puits de connaissance d’une profondeur quasiment
illimitée. Le nombre de domaines était extraordinairement varié —
c’était ce que prétendaient en tous cas les Guides Communiants.
L’examen dans les Cavernes révélait comme nul autre les
dispositions et facultés des candidats, ce qui permettait de les
affecter au poste qui leur convenait le mieux.
Malheureusement
pour Grendchko, la plupart des questions allaient au-delà de son
niveau de compréhension. Totalement dépassé, il avait obtenu le
pire classement de tous les étudiants. Un échec aussi retentissant
n’avait pas manqué d’attirer l’attention des Guides
Communiants, lesquels avaient décidé de lui faire repasser des
épreuves plus anciennes, sur un bloc d’argelen classique, ne
portant aucune signature, et en leur présence. Grendchko s’était
retrouvé dans l’impossibilité de tricher. Devant les nouvelles
déconfitures du jeune candidat, ils avaient comparé ses résultats
avec ceux de son cubar habituel, et l’avaient acculé à avouer ses
petits arrangements avec la réalité.
Olnav
avait été sanctionné par une période de travaux d’intérêt
général. Puis on l’avait de nouveau soumis aux examens de la
Caverne d’Ambre. Il avait brillamment réussi et s’était
retrouvé cadre d’une usine de production de moteurs spatiaux, un
poste à haut potentiel.
Grendchko,
quant à lui, avait été d’autant plus sévèrement —
injustement — puni que d’anciens camarades s’étaient ligués
pour dénoncer les violences dont ils avaient été victimes,
lorsqu’une enquête avait été menée à son sujet. Définitivement
exclu de son équipe de lutte, il avait été affecté au ménage de
locaux d’entreprises industrielles qui auraient pu le remplacer
beaucoup plus efficacement avec des robots, mais qui consentaient à
employer au plus bas salaire, pour un résultat discutable, des
rebuts de la société. En apprenant la nouvelle, Penbrok n’avait
pas décoléré. « Que vas-tu faire, le Grendch, pour faire
valoir tes droits ? Comment vas-tu les empêcher de te
dépouiller ? »
Penbrok
ne lui en voulait pas d’avoir tenté de tromper l’institution —
il l’avait mauvaise parce qu’il s’était fait choper. Il avait
appris à son neveu à toujours contre-attaquer, même lorsqu’on le
coinçait pour de bon. Dans ce cas précis, les preuves étaient
cependant si accablantes que Grendchko s’était contenté de
hausser les épaules.
Mauvaise
idée. L’œil flamboyant, les mâchoires serrées à se blanchir
les gencives, Penbrok s’était approché et lui avait décoché un
crochet du droit aussi violent qu’inattendu — Grendchko s’était
cogné le crâne contre une paroi dans son mouvement de recul. « Je
ne t’ai pas élevé pour que tu deviennes homme à tout faire !
Je ne veux pas d’un fils adoptif qui se comporte comme un
minable ! »
Grendchko
s’était souvent étonné de ce que Penbrok lui accorde plus
d’attention et d’égards qu’à ses propres fils. Ce jour-là,
toutefois, dès qu’il eut récupéré du choc initial, sa stupeur
laissa place à la colère. S’il avait délaissé ses études pour
s’en remettre entièrement à Olnav, il fréquentait en revanche
avec assiduité les salles de sport, et était l’un des meilleurs
de son équipe à la lutte. Plutôt que de chercher à éviter
l’affrontement comme son oncle s’y attendait peut-être, il
s’était jeté sur Penbrok. Il avait eu son content d’humiliation
et n’allait pas en plus se laisser piétiner. Le combat avait été
féroce, mais à la fin, c’était Penbrok qui gisait au sol, le
talon de Grendchko sur le crâne. Olnav et ses deux frères,
Crentchev et Uilen, auxquels Penbrok avait demandé de rester à
l’écart, s’étaient alors précipités sur lui. Grendchko avait
repoussé sans ménagement les deux plus jeunes, mais s’était
reculé sous la poussée d’Olnav. Nilduin, quant à elle,
contemplait la scène d’un air atterré, muette d’effroi et
n’osant pas intervenir, comme à son habitude.
« Tu
n’es plus le bienvenu ici, avait articulé Penbrok d’une voix
pâteuse en s’appuyant sur son coude, toujours allongé. Je
te renie. »
3.
Promotion
L’engagement
de Grendchko au sein de la compagnie de nettoyage et d’entretien XB6
de la cité d’Argea n’avait pas duré longtemps. Le règlement
stipulait l’accompagnement des ouvriers par une paire de drones qui
avaient l’autorisation de leur délivrer de légères décharges
électriques s’ils ne montraient pas suffisamment d’ardeur à la
tâche. Après une journée à se faire électrocuter pour des
raisons qu’il jugeait aussi absurdes que fallacieuses, Grendchko
avait remis sa démission. La sentence prononcée par les Guides
Communiants ne prévoyait en effet qu’un jour de travail
obligatoire. Comme la condamnation figurait dans les cubars, nul
édile respectable ne voudrait embaucher Grendchko tant qu’il
n’aurait pas été employé suffisamment longtemps pour s’amender
et obtenir une promotion. La punition n’avait donc pas à être
trop sévère, le système plaçant les inadaptés au bas de
l’échelle afin de les contraindre à tout faire pour se racheter.
Grendchko
venait cependant d’atteindre l’âge de l’autonomie, celui où
il touchait automatiquement la valeur marchande du patrimoine de ses
défunts parents. Le pécule lui permit non seulement de se loger,
mais de voir venir pendant un certain temps. C’est ainsi qu’il se
mit à fréquenter les fumoirs. Là, il pouvait vitupérer à loisir
contre les Guides Communiants. Prêtres dévots d’une foi ridicule,
engoncés dans des chimères qui étaient pour eux des certitudes,
ils étaient passés à côté d’un talent exceptionnel, le sien,
qui ne demandait qu’à éclater au grand jour. La couardise
d’Olnav, son arrivisme avaient été la cause de ce malentendu
tragique. Quant à Penbrok, il avait confondu ce qui n’était qu’un
revers momentané avec un échec. Comme si lui, Grendchko pouvait
connaître l’échec ! Chaque fois qu’il se remémorait son
père adoptif, il se félicitait de lui avoir prouvé de la seule
manière qui comptait combien il s’était trompé à son sujet.
Nul, dans cette famille, ne lui arrivait de toute façon à la
cheville. Il était grand temps qu’il se détache de ces boulets
pour voler de ses propres ailes.
Quand
les crédits avaient commencé à lui faire défaut, Grendchko avait
recontacté celui qui avait été son associé le plus proche dans
l’équipe de lutte. Kavchen, c’était son nom, lui avait parlé
de tâches non officieuses qu’il exécutait pour un mystérieux
patron. Le jeune lutteur gardait un bon souvenir de leur
collaboration, et avait accepté de la reconduire dans d’autres
sphères. Il l’avait guidé dans les entrepôts de l’un des
astroports de troisième catégorie d’Argea.
Grendchko
avait découvert un univers aussi glauque que mal famé. Irlurk, le
patron de Kavchen, officiait dans des zones troubles. En tant que
premier édile de la compagnie Stimcortix, il achetait à des prix
raisonnables des substances à la limite de la légalité, dont il
faisait recombiner les molécules par ses chimistes pour en faire des
drogues addictives et toxiques. Ses clients étaient pour la plupart
des aliens en rupture de ban, des marginaux venus chercher fortune et
qui se heurtaient à un mur, incapables de comprendre les codes de la
société nadarienne. Comme Kavchen à ses heures perdues, Grendchko
fut chargé du recouvrement. Il fallait retrouver les mauvais payeurs
et user de toutes méthodes nécessaires pour obtenir ce qui était
dû. Plus on se montrait impitoyable, plus cela rapportait. Grendchko
sut très vite prouver son efficacité.
A
plusieurs reprises, il s’était demandé comment Irlurk se
débrouillait pour ne jamais se faire arrêter. D’après Kavchen,
leur patron était en cheville avec des Fengirs. Les redoutables
bipèdes félins appréciaient l’esprit pionnier des entrepreneurs
qui savaient se faire respecter des plus faibles. Or, on n’avait
jamais vu un Guide Communiant s’en prendre à un Fengir. Ces
derniers n’étaient pas seulement, aux côtés des Zayborgs, les
alliés des Nadariens dans le conflit qui les opposait à la
Confédération des Planètes Unies. Ils jouissaient d’un statut
privilégié sur la planète Nadar. Rien ne leur était refusé, ce
n’était donc pas étonnant qu’ils aient suscité l’admiration
sans réserve de Penbrok.
Au
cours de ces années au service non officiel de Stimcortix, Grendchko
n’aperçut qu’une fois l’un de ces Fengirs sortir du bureau
d’Irlurk. Il fallait reconnaître que ces aliens avaient de
l’allure. Partout où ils se promenaient, ils le faisaient pour
ainsi dire en territoire conquis. C’était sans doute l’une des
preuves de la décadence de sa planète, mais Grendchko se sentait
davantage d’affinités avec ces vainqueurs, quelle que fût leur
race, plutôt qu’avec des perdants, fussent-ils de sa propre
espèce.
***
Le
moment du débat de Grendchko avec son principal opposant politique
approchait. Il n’aurait besoin d’aucune drogue pour le battre à
plate couture, mais il n’y avait rien qui le stimulait autant que
le souvenir des phases de sa glorieuse ascension. Cessant ses
rêveries, il reporta son attention sur le cubar. Une période dans
sa vie lui était particulièrement chère — celle-là, il aimait
la revivre en direct. Il posa les paumes sur le cube et ferma les
paupières. Images et sons jaillirent dans son esprit.
« Il
suffira d’attendre quelques jours, feula Shinaen lorsque la
synthèse technique de Grendchko fut enfin complétée de manière à
donner satisfaction aux Fengirs. Le temps que la situation se
décante. Nous vous recontacterons. Et d’ici là... » L’une
des griffes de Shinaen surgit de son index et vint tapoter le nez de
Grendchko. « Plus de fumoir pour vous. La pilule que je vous ai
fait avaler devrait commencer à vous en désaccoutumer. Nous vous
surveillerons. »
Le
contact répété était insuffisant pour percer l’épiderme,
néanmoins Grendchko dut réprimer une grimace pour ne pas montrer de
faiblesse.
Du
geste, Shinaen lui désigna la sortie. Il y avait dans son attitude
une sorte de désinvolture ironique qui frisait le manque de respect.
Grendchko décida pour l’heure de ne pas s’en formaliser, et fit
demi-tour. Cette fois, tandis qu’il marchait, la jungle
inhospitalière autour de lui se transforma en corridors froids et
métalliques. Arrivé dans le hangar, il s’approcha de la navette.
La portière-escalier s’abaissa devant lui. L’engin avait été
programmé pour le ramener à son domicile, tâche dont il s’acquitta
avec célérité.
L’appartement
de Grendchko était situé dans l’un de ces immeubles modernes aux
technologies essentiellement d’importation. Ses voisins de palier
s’étaient déjà plaints devant lui de la climatisation
défaillante, de chutes de tension affectant la luminosité, ou
encore d’appareils acoustiques mal réglés, de sorte que le volume
sonore dans les pièces s’accroissait tout à coup, apparemment
sans raison. On percevait alors les réacteurs antigravifiques des
vaisseaux ou le bruit de moteurs à impulsion, et jusqu’aux
conversations des voisins. Grendchko, quant à lui, estimait qu’il
fallait assumer ses choix. Il avait dépensé une bonne partie de son
héritage dans l’appartement, et récriminer équivaudrait pour lui
à admettre qu’il avait pu commettre une erreur. Les formulaires
électroniques de pétition ou de réclamation qu’on lui soumettait
restaient donc lettre morte. Lors des réunions de copropriétaires,
il se faisait représenter par une holosim qu’il avait programmée
pour se montrer très peu coopérative.
Après
avoir pris un en-cas, il vérifia les crédits sur son compte. Il en
avait assez pour tenir pendant une bonne semaine, et Shinaen l’avait
assuré qu’une fois embauché, il n’aurait plus à se soucier des
problèmes d’argent. L’idée en aurait peut-être subjugué
d’autres que lui, mais Grendchko avait les pieds sur terre, et
préférait maintenir un certain scepticisme jusqu’à nouvel ordre.
S’emparant de son p-com, il appela Kavchen. Son ex-camarade avait
eu le nez cassé au cours d’une opération de recouvrement, et
comme il n’était jamais particulièrement en fonds, avait eu
recours à un médic de seconde catégorie, qui avait bâclé le
travail de chirurgie réparatrice. Son visage avait donc perdu sa
belle harmonie, ce qui lui donnait un air plus patibulaire encore,
lequel n’était pas pour lui déplaire. « Salut, dit
Grendchko.
– Salut.
– Tu
peux prévenir le boss de ne pas compter sur moi pour le reste de la
semaine ? Et peut-être la semaine prochaine aussi.
– Qu’est-ce
qu’il se passe, mon pote ? Tu as déchiré au randomiseur ? »
Il arrivait à Grendchko de dépenser quelques crédits dans ce jeu
de hasard de la Ruche, pour lequel les gains représentaient une
fraction des sommes misées à un instant T par les différents
participants.
« Ça
y ressemble en tout cas. Disons que c’est un projet en cours. Du
genre dont il ne vaut mieux pas parler pour ne pas tout faire foirer.
– Ah
ouais ? Ça me donne d’autant plus envie que tu craches le
morceau, du coup.
– Va
te faire foutre, enfoiré. On se rappelle. A l’occasion. »
En
temps normal, Grendchko serait retourné au fumoir le plus proche
pour célébrer son ascension sociale pourtant encore hypothétique,
mais Shinaen le lui avait interdit. Jusqu’où s’étendait le
pouvoir des Fengirs ? Grendchko avait suffisamment de bon sens
pour éviter de faire le test. De toute façon, il soupçonnait
depuis un moment déjà que ses années de fumoir avaient amoindri
ses capacités. Il fallait bien se rendre à l’évidence, dans ses
activités courantes, il ne ramenait plus autant de crédits qu’au
début. Un changement d’orientation serait sans doute le bienvenu.
La synthèse technique trafiquée par les Fengirs semblait le
destiner à un poste de haut niveau — celui qui aurait dû être le
sien depuis le début…
Grendchko
regarda sa main. Elle ne tremblait pas. Shinaen devait avoir raison,
la compulsion venue de son corps lui réclamant le sengré, ou les
différentes autres substances dont il était coutumier, n’était
plus aussi impérieuse. Il se voyait même en pensée inhaler la
fumée sans en ressentir particulièrement les effets.
En
modifiant le contact avec l’argelen, les jours et semaines se
mirent à s’écouler plus vite. Grendchko se souvenait avoir été
spécialement désœuvré dans cette période d’attente. Il
n’aurait pas cru qu’il passait autant de temps l’esprit
déconnecté par les drogues, sa conscience se diluant dans un empire
des sens qui s’amoindrissait peu à peu. Pour ainsi dire interdit
de sortie dans ses établissements habituels, il s’était réfugié
dans une virtualité plus conventionnelle. Il avait ainsi traîné
dans les recoins de la Ruche à la recherche de rencontres sexuelles
susceptibles de l’arracher à son profond ennui. Son connecteur
synaptique n’était cependant pas l’un des plus performants, et
la satisfaction dérivée de ce loisir ne s’avérait la plupart du
temps que trop fugace. Grendchko passa donc très vite sur cette
période décevante pour en arriver au moment où Shinaen s’était
présenté à son domicile. Le Fengir était vêtu d’une tunique
blanche scintillante et d’une cape battant au vent. « Prenez
une douche, ordonna-t-il après que la porte se fut entrouverte sur
son passage — les ordinateurs domotiques étaient programmés pour
laisser aller et venir à leur guise les Fengirs dans n’importe
quel endroit, se bornant à prévenir les occupants de ce type de
visite. Si vous ne devez jamais négliger une chose à l’avenir,
c’est de soigner votre apparence en toute circonstance. »
Grendchko
grommela son acquiescement. Il s’était si bien habitué à évoluer
en marge de la société, le plus souvent parmi des aliens des
entrepôts, qu’il en avait plus ou moins oublié que ses
compatriotes, en l’absence de vêtements, indiquaient leur statut
ou leur état de santé selon la manière dont ils faisaient luire
les affleurements semblables à du silex de leur épiderme. Il se
résolut à passer dans la pièce équipée d’une douche sonique.
Au sol, le socle amovible se mit à tournoyer tandis que Grendchko
étendait les bras. Les ondes faisaient vibrer sa peau, la
débarrassant de toute impureté. Quand il revint vers Shinaen,
celui-ci lui communiqua d’un hochement de menton son approbation.
Ils sortirent en direction de la navette du Fengir.
Les
locaux de la société Transpulsion s’avéraient harmonieusement
intégrés à Eglev, l’un des noyaux secondaires dans les hautes
sphères du plus élevé des cent cinquante titans de basalte. Des
deux noyaux les plus proches auxquels celui de la compagnie était
relié, l’un abritait un astroport d’Argea et le second, un
chantier de construction. La proximité entre les trois ne devait
rien au hasard, puisque l’entreprise fabriquait des réacteurs
d’impulsion ainsi que de nombreux autres composants des vaisseaux
spatiaux nadariens. Il s’agissait de l’une des multinationales
les plus prestigieuses de la planète, sa réputation s’étendait
même au-delà de son système stellaire.
« Le
sort vous a été favorable, glissa Shinaen comme ils se
rapprochaient de l’une des plates-formes réservées aux navettes
VIP. Il se trouve que le second édile de la Transpulsion vient
d’être débarqué suite à un scandale financier. »
Grendchko
considéra le visage félin aux longs cils et sourcils frémissants.
Sous les paupières à demi-fermées luisait une étincelle
malicieuse. A l’époque où il vivait chez Penbrok, celui-ci avait
évoqué ces scandales qui survenaient de temps en temps chez les
puissants et bouleversaient l’échiquier. Selon son oncle, ils
étaient le signe d’une société corrompue. Quoi qu’il en soit,
second édile représentait un avancement appréciable par rapport à
son poste actuel de chargé de recouvrement. Une amorce de
reconnaissance non négligeable de ses immenses qualités. Il n’était
pas au bout de ses surprises, cependant.
« Rassurez-vous,
c’est vous qui dirigerez la Transpulsion en réalité. Les
décisions du premier édile ne prendront effet que si vous les
approuvez. »
Grendchko
fut pris d’une vague inquiétude à l’idée qu’il n’avait pas
le moindre commencement de début de formation ou connaissance au
sujet des deux spécialités apparaissant sur sa synthèse technique,
les transmissions interstellaires et les générateurs d’antimatière,
ni moins encore sur l’administration d’une compagnie aussi
tentaculaire que la Transpulsion. Un autre que lui, sans doute, se
serait retrouvé démuni. Ou pire, aurait paniqué. Comme à son
habitude dans ces cas-là, il balaya en pensée ses quelques
préoccupations d’un revers de main. L’important était de ne
montrer aucune faiblesse — le reste viendrait tout seul. Les
obstacles qu’il rencontrait n’étaient que des défis à relever
pour un esprit audacieux comme le sien. « Quel sera mon
salaire ? demanda-t-il.
– Je
n’ai pas les détails, répondit Shinaen. Un cristal de données
précisant toutes les particularités de votre fonction vous sera
remis à votre arrivée dans l’entreprise. Infiniment plus que vos
gages actuels d’agent de recouvrement, en tout cas. » Le ton
était aussi lourdement ironique que les paroles du Fengir.
Grendchko
n’apprécia guère de se voir ainsi rappeler sa situation. Dans son
esprit, le poste obtenu grâce à son amitié avec Kavchen n’était
que transitoire. Une occupation temporaire, en attendant mieux.
L’idée qu’il végétait depuis cinq ans déjà sans avoir
bénéficié d’aucune évolution, et n’aurait décroché aucune
opportunité de changement sans la rencontre providentielle avec le
Fengir, ne lui serait pas venue.
La
navette au fuselage tigré se posa. Un comité d’accueil formé par
trois employés de la société salua obséquieusement le Fengir et
son compagnon, et les escorta jusqu’aux gyropodes. Pourvus de
champs de force stabilisants, les appareils étaient autoguidés —
il suffisait de nommer la destination pour qu’ils s’engagent à
toute vitesse dans les couloirs réservés à leur usage. Il ne
fallut ainsi pas plus de deux minutes pour rejoindre l’objectif,
une salle située dans l’aile la plus centrale et luxueuse du
bâtiment. Sur un geste majestueux de Shinaen, la porte d’entrée
glissa silencieusement. A quelques dizaines de pas seulement, trônant
au milieu d’un bureau dernier cri se tenait un individu dont
l’allure générale se révéla étrangement familière à
Grendchko. En se rapprochant, le doute ne fut plus permis. Celui qui
le considérait en ce moment avec une expression atterrée n’était
autre qu’Olnav, premier édile et coordinateur principal de la
Transpulsion.
4.
Ymeo
Les
yeux grands ouverts diffusant une intense lueur bleutée, Olnav
dévisageait Grendchko. Une moue de mépris se forma sur ses lèvres.
Les mots qu’il allait prononcer restèrent cependant bloqués dans
sa gorge. Comme Shinaen se dirigeait vers lui de sa démarche
dangereusement souple, Olnav se ratatina dans son fauteuil antigrav.
Toute sa prestance de premier édile en titre de l’une des
compagnies les plus prestigieuses du système stellaire se décomposa,
se liquéfia comme une façade dont le crépi mal fixé se mettrait à
couler et à se répandre au sol. Même s’il devait vivre plus de
cinq cents ans, Grendchko était sûr de ne jamais oublier
l’expression de monarque déchu sur le visage de son cousin.
« Je
n’ai pas besoin de vous présenter Grendchko, susurra avec une
onctueuse férocité Shinaen, issu comme vous de la 573e strate, fils
de Balmen et nouveau second édile de la Transpulsion. »
Grendchko
retint avec difficulté le rugissement de triomphe qui ne demandait
qu’à monter dans sa gorge. Son exultation faisait rayonner sa
figure d’une joie vengeresse.
Olnav
accusa le coup. Après avoir gardé un instant les paupières
baissées, il redressa le visage en direction du Fengir. « Voilà
donc pourquoi vous teniez tant à ce que cette nomination reste une
surprise jusqu’au dernier moment, déclara-t-il d’une voix sans
timbre.
– Prenez
garde, fit Shinaen de sa voix grave, si j’étais de mauvaise
humeur, je pourrais percevoir un reproche dans vos paroles.
– Ce
n’est certainement pas le cas, protesta Olnav. Désolé si…
– Mais
je suis de bonne humeur, et je sais que je n’aurais pas besoin de
vous rappeler l’article cinq de la Réforme Anticorruption. »
Grendchko
écouta avec un regain d’intérêt. La Réforme Anticorruption
avait été mise en place au moment où l’économie de la planète
Nadar périclitait, trois siècles auparavant. Cette Réforme avait
fait des Fengirs les partenaires officiels des Nadariens, ayant un
droit de regard et même de décision sur toutes les mesures actives
de lutte contre la corruption. Il ignorait ce que prévoyait
précisément l’article cinq.
« Ce
ne sera pas nécessaire, en effet.
– Quel
dommage que Medlen ait cru bon de prendre une participation dans une
compagnie de si scabreuse réputation, Stimcortix. »
Grendchko
tressaillit. D’après ses renseignements, les Fengirs étaient en
lien avec Stimcortix. Son instinct pour les coups tordus, ainsi que
les expressions de visage de Shinaen et d’Olnav, lui suggéraient
que la culpabilité de Medlen dans cette affaire n’était
probablement pas si évidente.
« Cela
aura causé sa perte, poursuivit Shinaen. En vertu de l’article
cinq, j’aurais pu réclamer votre tête en même temps que la
sienne, mais vos collaborateurs ne tarissent pas d’éloges à votre
sujet. Dans ma magnanimité, j’ai donc choisi de vous maintenir en
place, à la simple condition que toutes vos décisions soient à
présent soumises à l’approbation de votre nouveau second édile,
l’estimé Grendchko. »
La
bouche d’Olnav s’entrouvrit, et ses lèvres se mirent à
trembler. Au cours de ses combats, Grendchko avait déjà vu
semblable expression d’hébétude s’afficher sur le visage d’un
adversaire après avoir porté un coup victorieux. « Est-ce que
ça ne risque pas de nuire à l’efficacité opérationnelle de la
compagnie ? osa malgré tout articuler le pauvre fou.
– Il
n’y a rien à craindre, rétorqua Shinaen. Nous garantissons
l’efficacité de ce formidable nouvel atout qui se tiendra à vos
côtés à la tête de la Transpulsion. » Il posa l’une de
ses mains poilues sur l’épaule de Grendchko.
« Ne
t’en fais pas, cousin, fit l’intéressé en arborant un grand
sourire. Maintenant que je suis là, tout va bien se passer.
– Je
vais vous laisser à vos nouvelles fonctions, dit Shinaen. N’ayez
pas d’inquiétude pour la suite, nous resterons en contact.
– Je
n’ai aucune inquiétude », répondit sèchement Grendchko en
haussant les épaules. La prétendue sollicitude du Fengir
l’irritait. Ce genre d’attention, c’était pour les faibles.
Shinaen
eut un sourire qui dévoila l’un de ses crocs. Hochant la tête, il
se retira.
Un
cubar ambré, aussi rare que précieux, se trouvait intégré au
bureau de basalte du second édile. Il était de tradition, pour
chaque employé, de se familiariser avec les obligations et
contingences de sa fonction en fusionnant avec le cube. En y plaçant
sa main, Grendchko s’aperçut que le travail avait été
correctement fait, le cubar ayant été purgé de l’empreinte de
son ancien propriétaire. Une longue liste de tâches lui fit
présentée. Il eut la très désagréable impression de se retrouver
dans ses premières phases d’enseignement. Son double cerveau ne
retenait que les plus basiques des notions. Dès qu’il demandait
des explications, les données qui affluaient dans son esprit
s’avéraient inintelligibles, hors de sa portée, ou dans le
meilleur des cas, ne parvenaient pas à se fixer dans sa mémoire.
Grendchko poussa un grognement de frustration et retira sa main.
Lui
restait la console holographique. En l’allumant, il eut la surprise
de découvrir dans un coin une icône à l’effigie de Shinaen.
Pouvait-il s’agir d’un canal de communication privilégié ?
Comme le Fengir venait seulement de quitter le bâtiment, Grendchko
décida de ne pas le recontacter. La liste de tâches qui
apparaissait sur l’écran d’accueil était la même, plutôt
rébarbative, que celle suggérée par le cubar.
Comme
il faisait défiler les employés sous ses ordres directs, Grendchko
s’aperçut avec soulagement qu’il retenait mieux leur nom qu’avec
le cube. Parmi les tâches à effectuer, la plupart, comme la
vérification de la pertinence des derniers achats de composants,
dépassaient son niveau de compétences, ou en tout cas supposaient
l’assimilation d’une somme particulièrement indigeste de
connaissances. Heureusement, contrairement au cubar, dont la plupart
des fonctions avancées lui étaient inaccessibles, sa console lui
donnait la possibilité, pour chaque travail, d’obtenir les
suggestions de différents spécialistes. Il décida d’y avoir
recours sans perdre son temps en apprentissage fastidieux. Après
quelques minutes passées ainsi, à recevoir des messages et à en
transmettre, il eut envie de se détendre, et se fit commander un
ballon-verre à inhaler de sengré. Shinaen lui avait
recommandé d’en suspendre la consommation — mais cela, c’était
avant qu’il devienne second édile. Il fallait bien qu’une si
haute fonction lui vaille quelques compensations, non ?
La
secrétaire qui lui apporta le verre se tenait bien droite, et il
perçut à sa démarche qu’elle n’approuvait pas sa requête. Il
la congédia d’un geste impatient de la main. Après avoir inspiré
tout son saoul et ressenti le délicieux picotement de la fumée, il
se sentit mieux. Balayant la pièce du regard, il décida de faire
entièrement modifier la décoration de son bureau. Sa première
véritable exigence à ce sujet provoqua stupeur et insubordination.
Olnav en personne se présenta devant lui. « On ne peut pas
faire retirer le bloc d’argelen ambré, expliqua-t-il. Il fait
partie intégrante de la structure.
– C’est
ce qu’on m’a dit, mais si c’est toi qui l’ordonnes, ça ne
posera pas de problèmes, non ? Tu n’as pas envie de démontrer
à tous ton autorité ?
– Désolé
de te décevoir. Je n’ai pas autorité sur les cubars. »
A
la surprise de Grendchko, Shinaen, qu’il contacta à ce sujet, lui
opposa le même refus. « Laissez-leur ces symboles du passé,
si cela peut les rassurer. Vous n’aurez de toute façon pas à y
avoir recours. Vous vous êtes déjà servi de votre console avec une
grande sagacité, à ce que je vois. C’est ce qu’on attend de
vous. » Le Fengir coupa la communication. Grendchko en fut
tellement contrarié qu’il resta pendant deux bonnes minutes
immobile, bras croisés et mâchoires serrées. Pour trouver un
dérivatif à sa colère, il consulta dans sa base de données la
liste des matériaux les plus onéreux, et passa commande, aux frais
de l’entreprise bien sûr, de plaques de platines serties de joyaux
pour décorer les murs. Ainsi, quiconque entrerait dans son bureau
saurait immédiatement qui était le vrai patron ici.
Grendchko
modifia encore le contact sur l’argelen. Il revisionna toutes ces
occasions où il s’était opposé aux décrets d’Olnav à la tête
de la compagnie, ou bien lui avait demandé de les justifier. Rien
que de revoir le visage tour à tour outragé ou accablé de son
cousin lui procurait des frissons de délice. Il évita, en revanche,
de revenir sur ces instants où il s’était aperçu que des
décisions opérationnelles avaient été validées sans son
consentement, ou même après qu’il se soit prononcé contre, par
le truchement de Shinaen ou de l’un de ses acolytes. Les Fengirs
d’un certain rang avaient en effet moyen de se servir de sa console
à distance pour imiter sa signature.
Grendchko
était tombé de haut — il ne jouait qu’un rôle auxiliaire, tout
compte fait. L’entreprise pouvait tourner sans lui. Son pouvoir se
limitait à virer telle secrétaire qui avait osé chuchoter à l’une
de ses collègues qu’elle trouvait son bureau trop clinquant, ou
bien telle autre qui refusait de se donner à lui. Avoir le plaisir
de mettre quelqu’un à la porte, de torpiller sa carrière, de
ravager ses illusions, de détruire tous ses efforts était certes
une jolie compensation. Particulièrement lorsqu’on avait poussé
pendant de longs mois cette même personne à se surpasser à coups
de petites ou grandes vexations.
Et
il y avait les cadres. Les inventifs. Les audacieux. Les laborieux.
Les ingénieux. Certains pensaient, par leurs accomplissements, avoir
attiré la lumière à eux ! Ils ignoraient que tous les hauts
faits de la Transpulsion étaient portés à son crédit, que la
seule étoile qui pouvait se permettre de briller avec un éclat
insoutenable était l’étoile Grendchko… Tous devaient pâlir
devant lui, ou bien il leur en cuirait. Shinaen n’était pas
toujours d’accord pour leur tendre des embûches, bien sûr, mais
de temps en temps, il consentait à faire un exemple. Plus la
déchéance était spectaculaire, plus la peur se répandait, plus
Grendchko se sentait auréolé d’un sentiment de gloire et
d’invincibilité.
Une
autre vision qui réjouissait son cœur était de voir les épaules
d’Olnav se voûter, sa démarche se faire plus traînante quand il
lui opposait refus sur refus, ou l’humiliait publiquement. Olnav
savait que les Fengirs ne reviendraient jamais sur leur décision de
le nommer second édile. Il était coincé.
Grendchko
en arriva à l’épisode de sa vie qu’il préférait entre tous.
Les petites ou grandes vexations quotidiennes étaient une chose,
mais ce n’était encore que le début de sa vengeance. Assis
derrière son bureau en bois de teck rehaussé de saphirs il
validait, comme souvent, les suggestions de ses conseillers en y
jetant à peine un coup d’œil. Son intérêt fut cependant éveillé
lorsqu’il aperçut le profil de la nouvelle assistante en
communication qui lui était proposée. Un champ inexploré
d’opportunités s’ouvrait à lui. D’emblée, il décida de
refuser la candidature pour s’occuper en personne du recrutement.
Pour ce type de fonction axée sur le relationnel, des femmes étaient
fréquemment privilégiées. Elles étaient chargées de mettre en
confiance les clients, de les détendre, de présenter l’entreprise
sous ses meilleurs aspects afin de préparer la négociation de
contrats.
Grendchko
avait son idée de la mission précise de sa future employée, qui
irait bien au-delà de ces simples attributions. Il avait réalisé,
depuis son accession à son poste, qu’une manière de se maintenir
au sommet de la hiérarchie sans devoir toujours dépendre
entièrement des Fengirs était de se constituer un réseau d’alliés,
des gens redevables grâce aux petites faveurs qu’il leur
accordait, et pas seulement des individus qui le craignaient. Comme
on lui proposait une fourchette de salaire pour sa future
collaboratrice, il choisit le montant maximal pour ce poste et
modifia quelque peu les critères de sélection. Il demanda ensuite à
sa secrétaire d’utiliser son cubar pour communiquer l’annonce.
Ne restait qu’à attendre le moment des premiers entretiens
d’embauche. Avoir affaire au second édile en personne de la
société ne pouvait être considéré que comme un honneur — la
première candidate le démontra amplement. Elgane eut des
difficultés à surmonter son émotion au début de leur échange
dans le bureau prévu à cet effet. Elle n’osait pas le regarder
dans les yeux, se détournait, s’efforçait de se donner une
contenance sans y parvenir.
« Comment
vous y prendriez-vous pour gagner la confiance d’un concurrent avec
lequel nous aimerions signer un contrat ? attaqua Grendchko.
– Je…
je lui ferais visiter nos chantiers de production. Je… lui
montrerais ce que nous faisons de mieux. J’essaierais… euh… de
me renseigner sur ses goûts, peut-être... »
Trop
hésitante, se dit Grendchko. Mais Elgane était un petit bout de
femme qui avait des affleurements ovales plutôt invitants. « Et
que seriez-vous prête à faire pour décrocher ce poste ?
– Euh…
qu’est-ce que vous voulez dire exactement ?
– Montrez-moi
votre motivation. Je suis le second édile de cette société. Je
n’ai pas de temps à perdre. »
Elle
demeura bouche bée, la lueur bleue dans ses yeux s’intensifiant et
diminuant tour à tour, comme hypnotisée. « Euh… je… non !
bredouilla-t-elle en se redressant soudainement sur son siège. Ce
poste n’est pas pour moi, désolé ! » Elle sortit d’un
pas vif.
Grendchko
poussa un gros soupir.
Plusieurs
imitèrent son exemple, ce jour-là, mais il y en eut d’autres qui
comprirent mieux où était leur intérêt, et qui surent procurer un
plaisir plus ou moins voluptueux à leur édile du vice. Il les
aimait soumises et dociles, avec un brin de caractère pour relever
le tout. Ymeo fut celle qui lui donna le plus de satisfaction. Sa
réponse à la question test du contrat s’avéra également la plus
convaincante.
« Je
me renseignerais à son sujet sur la Ruche. S’il apprécie la
technologie, je lui présenterais nos accomplissements les plus
aboutis, mais aussi les plus proches de sa spécialité. J’étudierais
sa personnalité pour savoir quel angle d’attaque aurait le plus de
chances de succès avec lui. S’il faut le flatter, s’il faut le
séduire ou au contraire s’il est préférable de garder ses
distances. S’il faut le provoquer, le piquer au vif ou bien feindre
l’indifférence. Je vérifierais quels sont les besoins de sa
compagnie, pour apprendre en quoi une association lui serait le plus
profitable. Je lui ferais comprendre tous les bénéfices qu’il
aurait à tirer d’une signature, tout en lui suggérant qu’il
serait désastreux que nous lui préférions son principal
concurrent. Et pendant tout ce temps, je resterais en contact
permanent avec un assistant par oreillette, au cas où il me poserait
des questions trop techniques. » Tout en parlant avec animation
de sa voix chaude et enveloppante, Ymeo modifiait subtilement ses
expressions, se fondant dans les différents personnages qu’elle
serait susceptible d’incarner. Ses yeux en amande pouvaient vous
couvrir de leur étreinte bleutée, ou au contraire montrer froideur
et dureté.
Grendchko
comprit qu’il avait affaire à une candidate aussi rusée que
sensuelle et ambitieuse, et elle ne le déçut pas quand elle accepta
langoureusement ses avances. Les caresses et baisers qu’elle lui
prodigua dépassaient facilement en audace et habileté ceux de
toutes ses concurrentes. Elle savait se faire à la fois obéissante
et fougueuse lorsqu’il le fallait. Même quand il la rudoyait un
peu, elle lui donnait toujours l’impression que c’était sa faute
à elle. Après avoir déchargé dans ses délicieux réceptacles les
fluides de ses appendices abdominaux, Grendchko lui sourit et
murmura : « Bravo mademoiselle la candidate. Vous venez de
réussir votre entretien avec les félicitations du jury. Vous allez
devenir mon assistante personnelle en communication. Vous ne
travaillerez pour personne d’autre. Si l’on vous cherche noise,
vous m’en parlez aussitôt, et je m’occupe de tout. Je suis très
fort pour régler ce genre de problème.
– Je
n’en doute pas, Monsieur.
– Les
missions que je vous donnerai seront toutes confidentielles. Pas un
mot à quiconque. Si vous les accomplissez avec autant de soin que
votre entretien d’embauche, votre avenir est assuré. Si vous vous
avisez de me trahir, je le saurais et je vous briserais aussitôt,
sans la moindre arrière-pensée. »
Elle
hocha la tête, puis baissa les yeux comme il se devait.
Par
mesure de prudence, Grendchko décida dans un premier temps de tester
sa nouvelle recrue sur une mission secondaire. Ymeo devait séduire
une ingénieure de la compagnie Rotagrav. Celle-ci avait mis au
point, semblait-il, des anneaux rotatifs plus performants. Le
dispositif permettait aux réacteurs de modifier à tout moment leur
position sur la coque d’un vaisseau afin de contrer, si le besoin
s’en faisait sentir, la précédente poussée inertielle,
autorisant l’appareil à effectuer des virages dans l’espace de
manière plus efficace et précise qu’avec de simples
rétropropulseurs. Le problème étant que cette spécialiste, une
certaine Minelle, ne stockait ses données qu’en se servant de
l’argelen.
Shinaen
avait confié à Grendchko ne pas avoir été en mesure de pirater le
schéma technique de son invention. L’échec était d’autant plus
contrariant pour lui que Rotagrav était une compagnie privée et
civile. Elle échappait donc aux dispositions du traité d’assistante
mutuelle entre Helgash 7, la planète d’origine des Fengirs,
et Nadar, lequel prévoyait la mise en commun des données
technologiques sensibles par les entreprises militaires des deux
planètes.
Il
ne fallut à Ymeo qu’une semaine pour donner satisfaction.
Grendchko écouta avec attention sa collaboratrice personnelle
retracer ses manœuvres d’approche. Comment elle s’était assurée
que Minelle avait bien l’attirance pour son propre sexe que
décrivait son dossier. Comment ensuite, grâce au soutien de
techniciens de la Transpulsion, elle s’était elle-même fait
passer pour ingénieure en freelance, et l’avait aidée à résoudre
certains problèmes sur lesquels Minelle butait afin de gagner sa
confiance. Elle n’aurait pu réussir sa mission, cependant, sans le
gant biomimétique de dernière génération dont elle avait demandé
à être équipée. Après qu’elle eût drogué sa nouvelle
partenaire, elle n’avait eu qu’à poser sa main gantée contre
celle d’une Minelle plongée dans l’inconscience. Le gant avait
alors copié les caractéristiques de l’épiderme offert,
permettant à Ymeo d’imiter la signature magnétique de sa victime
et d’accéder aux données de son cubar. Ne restait qu’à
transmettre ces données à un ingénieur de la Transpulsion connecté
à son propre bloc.
« J’en
ai eu confirmation par le responsable de la division Recherche, ta
mission est un authentique succès, fit Grendchcko en caressant la
cuisse d’Ymeo. Il est temps de passer aux choses sérieuses. Mais
d’abord, fit-il avec un sourire torve, détendons-nous un peu. »
L’expression
de contentement de la jeune femme était un acquiescement dont il
n’avait nul besoin, mais qu’il apprécia malgré tout.
5.
L’adoption
Ymeo
savait être l’espionne particulière de Grendchko beaucoup plus
que son assistante en communication. C’est pourquoi elle n’était
pas surprise que leurs contacts et leurs ébats aient lieu en dehors
des locaux de la Transpulsion depuis son recrutement, dans des
endroits discrets, à l’intérieur desquels ils n’entraient que
séparément. Cela conférait à ces moments privilégiés une
intensité qui n’était pas pour lui déplaire. Bien sûr, son
nouveau maître pouvait se montrer aussi brutal que discourtois,
voire grossier. Plus d’une fois, elle était ressortie de leurs
rencontres avec des ecchymoses, et avait dû abuser de crème
régénérante pour faire disparaître les stigmates sur sa peau.
Grendchko ne prenait véritablement du plaisir que par l’humiliation,
comme s’il avait besoin d’être rassuré en permanence. Comme si
sa personnalité ne pouvait rayonner qu’au travers de l’écrasement
de celle des autres. Son ego prenait tellement de place dans une
pièce qu’on ne pouvait exister qu’en offrant ses services, ou en
s’offrant à lui, de la manière qui le mettrait le mieux en valeur
à ses propres yeux. Il fallait apprendre à réfléchir, en quelque
sorte, à l’envers de ses intérêts, ce qui demandait une
disposition d’esprit très particulière.
Ymeo,
cependant, avait déjà vécu ce genre de relation, et était rompue
aux exigences les plus déraisonnables. Elle raffolait du parfum de
pouvoir que dégageaient des dirigeants comme Grendchko, de leur
excentricité, jusqu’à leurs coups de sang par lesquels ils
démontraient leur puissance. Devenir le bras droit de ce maître
impitoyable, celle qui lui permettait d’atteindre ses objectifs et
de briller en pleine lumière, c’était se faire l’inspiratrice
d’un destin glorieux qui la dépassait. Elle-même se plaisait dans
l’ombre. Le phare éblouissant qu’était Grendchko avait besoin
d’une obscurité impénétrable pour resplendir autant, et elle
était ces ténèbres, d’autant plus efficaces que personne ne la
remarquait ni ne se doutait de son véritable rôle. Et bien sûr,
son patron la payait généreusement, ce qui prouvait le prix qu’il
attachait à ses services.
Ymeo
n’ignorait pas que sa première mission avait été un test.
Lorsqu’elle apprit l’identité de sa cible suivante, elle eut un
frémissement d’excitation. Cette fois, on la plongeait dans le
grand bain. Elle devait de nouveau se rapprocher d’une femme —
nulle autre que la compagne d’Olnav, le premier édile de la
Transpulsion en personne. Il allait falloir opérer avec un luxe de
précautions, mais ce genre de défi faisait partie des plus
stimulants. Tilean n’avait pas du tout le même profil que son
mari, Olnav. Ce n’était pas une technicienne ni une ingénieure.
Elle assumait le rôle d’assistante aux Guides Communiants, en
venant en aide aux individus ayant du mal à se connecter à
l’argelen. Elle était absente de la Ruche, ce qui compliquait la
tâche.
Par
bonheur, Grendchko avait fourni à Ymeo une habilitation de type
Helgash 3, ainsi que les codes d’accès à une Intelligence
Synthétique fengirienne. Il y avait toujours un temps d’attente
lorsqu’elle s’y connectait, son habilitation devant être validée
à chaque fois. Elle avait appris à formuler ses demandes de manière
rigoureuse et précise. Cela pouvait aussi bien être des questions
basiques portant sur la liste des relations de sa cible et son degré
d’intimité avec chacune, ou l’historique des événements
marquants s’étant produit dans sa vie, qu’une interrogation plus
complexe du style : « comment s’y prendre pour être
acceptée dans son cercle d’amis ? »
L’Intelligence
Synthétique collecta et hiérarchisa en un temps record un grand
nombre d’informations au sujet de Tilean. L’épouse d’Olnav
était de l’ancienne école et communiait régulièrement avec
l’argelen. Son organisation Tile, un institut pour les mal-adaptés,
avait perdu toutes ses subventions gouvernementales pour cause de
résultats non probants, mais poursuivait son activité sur ses fonds
propres. Selon l’IS, Olnav lui-même finançait l’établissement
sur ses deniers. Les fonds étant bien distincts du capital de la
Transpulsion, le premier édile ne pouvait en aucun cas être accusé
de malversations. Ymeo prit soin de mémoriser l’information. Elle
ne pouvait être une alliée dévouée et vraiment utile à son
maître qu’en sachant pénétrer ses intentions. La présente
mission lui fixait pour unique directive de se lier d’amitié avec
la compagne d’Olnav, néanmoins il était évident aux yeux d’Ymeo
que Grendchko ne voulait pas que du bien au premier édile de la
Transpulsion. D’autres instructions allaient arriver tôt ou tard.
Grendchko lui avait déjà dit que c’était lui qui dirigeait
réellement la compagnie, et elle ne doutait pas de ses paroles. Lui
était véritablement l’homme de pouvoir, il n’y avait qu’à
l’approcher pour percevoir cette autorité qui rayonnait de lui de
manière magnétique. Il avait d’ailleurs utilisé le mot
« pantin » en parlant d’Olnav. Ce dernier n’était
donc qu’une marionnette dont Grendchko usait à sa guise. Jusqu’au
jour, bien sûr, où il se lasserait de son jouet…
Ymeo
passa du temps à étudier la personnalité, les centres d’intérêt,
liens personnels et professionnels, ainsi que la biographie de sa
cible. Elle décida de suivre la suggestion de l’Intelligence
Synthétique. Ymeo allait devenir la riche mère d’un orphelin,
enfant adopté depuis peu, qui souffrait justement d’une
inadaptation à l’argelen. Selon l’IS, le dirigeant de
l’Orphelinat de Yanaris, l’un des noyaux de la cité voisine de
Mustra, vivait au-dessus de ses moyens. Kalun, c’était son nom,
avait déjà accepté par le passé de louer l’un de ses
« protégés » qu’il reprenait dans un second temps, au
bout d’une certaine période. En trouver un avec une inadaptation à
l’argelen serait chose aisée.
La
somme que demanda Kalun, un vieux Nadarien voûté dont les colliers
émettaient des cliquetis à chaque mouvement, était compatible avec
les frais de service d’Ymeo pour cette mission. L’enfant avait 9
ans, âge qui correspondait aux projets d’Ymeo, et était de sexe
masculin. Seule contrainte, elle dut produire devant le fondateur de
l’orphelinat son holocode Helgash 3. Celui-ci se matérialisa
sous la forme du crâne d’un Fengir arborant une crinière fournie
découpée sur fond de la planète Helgash 3. Kalun le scanna
pour en vérifier l’authenticité.
« C’est
parfait, murmura-t-il d’un ton onctueux. Quand pouvez-vous venir
faire la connaissance de votre… enfant ?
– Dès
demain.
– Le
petit Lenak va être très impatient de vous rencontrer. Dix heures ?
– Entendu. »
Lenak
s’avéra être un gamin boudeur et renfermé sur lui-même. Quand
elle le vit pour la première fois, il sembla sortir quelque peu de
son apathie, intrigué par la nouveauté de sa présence. Pourtant,
il ne posa aucune question après que Kalun lui ait présenté sa
nouvelle mère. Le directeur de l’orphelinat remit solennellement à
cette dernière le bloc d’argelen personnel de Lenak. Le flotteur
biplace d’Ymeo était une curiosité d’un autre type pour
l’enfant. Il releva le menton et observa l’habitacle avec un
certain intérêt.
« Tu
es déjà monté dans ce genre d’appareil ? » demanda
Ymeo.
Lenak
secoua la tête.
« C’est
très pratique pour se déplacer. Tu vois, je peux te parler en face
à face, parce que le flotteur est programmable, et suit de lui-même
son chemin. Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ce que tu vois ? »
Haussement
d’épaules.
« Tu
n’es pas muet, j’espère ?
– Non,
je ne suis pas muet », articula Lenak d’un ton impatient qui
frôlait l’impertinence.
Ymeo
le fixa du regard. Lorsqu’elle lui demanda la permission de
l’appeler « Len », il se borna à hocher la tête, et
recommença quand elle voulut savoir s’il était content d’avoir
une maman. Un tel manque d’ouverture posait problème, car Ymeo
aurait besoin d’un minimum de coopération de sa part si elle
souhaitait entretenir l’illusion d’une certaine complicité entre
eux deux. Pendant tout le trajet, elle réfléchit à la question, et
finit par avoir une idée. Elle décida de la mettre en pratique un
peu plus tard tandis qu’elle achevait de faire visiter à l’enfant
sa nouvelle maison. Pour la chambre de Lenak, elle avait investi dans
un bureau qui avait été installé le matin même par le livreur,
avec son petit fauteuil et son lit à gravitation compensée.
« Et
voici ta chambre, lui indiqua-t-elle. Une chambre pour toi tout
seul ! Tu es content ?
– Oui.
– La
fenêtre donne sur les bâtiments d’Argea en contrebas. Tu ne peux
pas l’ouvrir parce que ce serait trop dangereux, mais en te
penchant comme ça, tu peux voir jusqu’à des dizaines de
kilomètres en dessous. Impressionnant, non ? »
Lenak
acquiesça.
« Nous
allons placer cela ici, dit Ymeo en posant le cubar dans un
renfoncement dédié sur le mur où était adossé le bureau. Je ne
t’ai acheté que le mobilier pour l’instant, parce que j’ai
besoin de connaître tes goûts avant toute chose. Est-ce que tu
préfères qu’on en discute, ou plutôt que je passe par ton cubar
— ton cube d’argelen ? »
Pour
toute réponse, Lenak pointa l’index vers l’objet.
« Dans
ce cas, j’ai besoin que tu apposes ta paume sur la face opposée à
la mienne. » Le renfoncement avait été prévu pour laisser
affleurer les parois du bloc, de sorte qu’Ymeo et son nouveau
« fils » purent toucher deux d’entre elles
simultanément. Ymeo fut cependant rejetée à plusieurs reprises
suite à de trop longues périodes d’inactivité de Lenak. Elle
avait beau lui expliquer dans des mots simples la procédure, qui
elle-même était basique, l’enfant éprouvait des difficultés à
se connecter à l’argelen, et donc, à réveiller le cubar et à
lui en autoriser l’accès. S’il était satisfaisant de constater
que Kalun ne l’avait pas trompée sur la marchandise — ce garçon
faisait bel et bien partie de cette sous-population d’inadaptés à
l’argelen — ces échecs à répétition devenaient rapidement
irritants. Ymeo persistait pourtant, préférant avoir recours à
l’argelen plutôt que de passer par un interrogatoire qui ne
pourrait que s’avérer laborieux. C’est pourquoi lorsqu’à la
cinquième tentative, au lieu d’éprouver le léger choc électrique
signifiant un rejet, elle ressentit dans sa paume une onde de
fraîcheur lui signalant son acceptation dans l’argelen, elle
poussa un petit cri de triomphe. « C’est très bien Len !
Je savais que tu y arriverais. » C’était évidemment un
mensonge, mais qui traduisait son soulagement.
« Tu
peux retirer ta main », lui glissa-t-elle au bout de quelques
instants. Etre relié par l’intermédiaire d’un cubar à un autre
Nadarien était une expérience intime qu’elle ne souhaitait pas
prolonger avec le garçon. Elle avait, au moment de ce contact,
ressenti l’inadaptation de son esprit à l’argelen, ce profil
assez obtus et hésitant, cette sorte de maladresse innée qui
empêchait Lenak de profiter de tout le potentiel de la connexion.
Certains Guides Communiants se disaient capables de corriger peu à
peu cette tare au cours de contacts en profondeur, mais cela ne
réussissait pas toujours. Sans doute l’institut Tile employait-il
ce type de Guides. Ymeo devrait creuser le sujet dans les jours à
venir afin de devenir à même de soutenir des conversations y ayant
trait.
Elle
ne devait pas perdre de vue, en tant que mère adoptive dévouée et
aimante, que l’inadaptation de son nouveau fils devait être sa
principale source de préoccupation. Il lui fallait se fondre dans ce
personnage inédit de maman attentive et soucieuse, ce qui ne serait
pas une mince affaire. Dans l’immédiat cependant, elle interrogea
le cube afin de découvrir les aptitudes, goûts et aspirations du
garçon dérivés de sa personnalité. Bien que Lenak ne s’y soit
connecté que trop rarement par le passé, le cube lui donna quelques
indications précieuses. Ymeo sut ainsi quels jeux de société
pourraient être appréciés par l’enfant. De cette manière, elle
pourrait commencer à tisser un lien avec lui et s’efforcer de
mieux le connaître. Il était indispensable qu’un début de
complicité puisse s’installer entre eux afin de pouvoir se faire
passer pour une mère acceptable. Cette mission demanderait plus de
patience et d’application que la précédente.
Ymeo
ne se faisait pas trop de soucis, elle savait la tâche largement à
sa portée.
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