dimanche 11 septembre 2022

Un boulet nommé Boeing

« Pour 2,2 milliards de dollars, t'as plus rien! » C'est ce que pourraient s'exclamer les pontes de la NASA, qui évaluent à cette somme le simple lancement du Space Launch System, la fameuse fusée SLS devant donner le coup d'envoi de la mission Artémis sur la Lune. La fusée, dont le premier étage et les moteurs sont construits par Boeing, ne cesse de subir retard sur retard, augmentant sans cesse les coûts. En faisant le choix de l'hydrogène liquide comme carburant, Boeing a pris une option de nature à faire exploser les coûts, et à ne préparer en aucun cas l'avenir. Là où son concurrent Space X, en choisissant le méthane comme carburant pour son futur Starship, mise au contraire sur la fiabilité, la réduction des coûts et l'avenir. 

Je n'ai abordé véritablement les défis du spatial, en consacrant l'article à Space X qu'une seule fois sur ce blog, en 2016. Et encore, à l'époque, j'avais privilégié l'angle de la médiatisation, qualifiant le mensonge par omission que constitue Space X dans les médias de Plus grand scandale médiatique de ces dernières années. 

Ah 2016! Que de choses se sont passées depuis! Ou, en termes plus familiers, bordel, qu'est-ce que le monde a changé en 6 ans! Nostalgie... Space X s'est mis à envoyer des astronautes sur la station spatiale internationale et à les faire revenir sur Terre. La constellation Starlink, qui n'était qu'à l'état de projet au mieux en 2016, compte maintenant plus de 3000 satellites, tous envoyés par des fusées Falcon 9 dont le premier étage s'est quasiment systématiquement reposé sur la terre ferme, ou le plus souvent sur des barges automatisées dans l'océan. Le coût de l'abonnement Starlink a été divisé par deux en France, à 50 € par mois, et il est maintenant possible de se connecter de n'importe où sur l'hexagone si l'on dispose de l'abonnement et de l'équipement approprié.

A noter que les fusées Falcon, avec leurs réacteurs Merlin, ces modèles de fiabilité, utilisent du kérosène et non de l'hydrogène liquide comme carburant. (Je ne parlerai pas ici de comburant pour limiter la complexité de l'article.)

Depuis 2016, le projet Starship a grandement avancé. Les scientifiques ont cru qu'Elon Musk était tombé sur la tête quand il a dit qu'il comptait récupérer le Starship à l'aide de bras articulés, ce qui ne s'est jamais fait dans l'histoire de la conquête spatiale. Mais en même temps, ces mêmes scientifiques spécialisés dans les technologies spatiales ont cru la même chose quand le même Musk avait parlé de faire atterrir des étages de fusées... Voire, avec Starship, une fusée entière. 

 

La leçon à en tirer? C'est peut-être en réussissant des paris impossibles qu'on fait le plus progresser la technologie. A condition toutefois que ces paris ne soient pas juste un tour de force du moment, mais qu'ils ouvrent la voie à quelque chose d'industrialisable, et donc, de nature à faire baisser drastiquement les coûts. Disruption, quand tu nous tiens...

La plupart des auteurs autoédités comme moi connaissent certains modes de pensée assez courants chez les auteurs traditionnellement édités. Le fait par exemple que parler de l'argent, c'est vulgaire, ça ne se fait pas. C'est limite salissant. Eh bien on peut se demander si chez les scientifiques spécialisés dans le spatial, on n'a pas la même dérive, en fait. 

Après tout, le spatial étant financé par la manne de l'argent public, il n'y a pas à se préoccuper d'argent, n'est-ce pas? Le rêve avant tout. Dépensons sans compter l'argent du contribuable!

Sauf que le Congrès américain, en son temps, n'a pas hésité à couper les vivres à la navette spatiale, non seulement pour des raisons de fiabilité, mais surtout pour des raisons de coût. Ce qui a entraîné la dépendance envers la technologie russe, à une certaine période, pour l'accès à la Station spatiale internationale. Eh oui, les reality checks, des fois, ça fait mal...

Revenons donc à cette histoire de carburant. L'hydrogène liquide est l'un des éléments de l'univers qu'il est le plus difficile d'isoler et de maîtriser, il ne faut donc pas s'étonner que d'énormes quantités d'hydrogène liquide utilisés comme carburant par Boeing dans la fusée SLS provoquent des fuites à répétition... ces mêmes fuites qui, si elles atteignent un certain seuil, vont provoquer des explosions. L'hydrogène liquide, qui semble à la base avoir des coûts raisonnables, dans le cadre du spatial, induit donc des coûts cachés qui sont redoutables. Et d'autant plus pour des fusées très puissantes, qui doivent se mettre en orbite autour de la lune, et qui vont donc en utiliser beaucoup plus que pour le simple envoi de satellites. Plus vous en utilisez, moins c'est maîtrisable.

Le méthane ne garantit pas l'absence d'explosion, comme on l'a vu avec l'un des essais sur le starship, mais s'avère beaucoup plus stable. Et dans le cadre de la conquête future de mars, le méthane est bien évidemment la solution à privilégier, puisqu'il sera possible d'en produire directement sur la planète rouge. L'atmosphère y étant principalement composée de CO2, grâce à l'installation de centrales solaires sur mars, il serait possible de mettre en œuvre le processus Sabatier en provoquant l'électrolyse du carbone mélangé à de l'eau glacée trouvée sur la planète. Ce qui produirait du méthane, sur place. 

Il existe même des méthodes expérimentales pour se passer d'hydrogène et convertir directement le CO2 de mars en méthane, grâce au zinc. 

L'autre alternative, l'envoi des quantités nécessaires de carburant sur place pour permettre à une fusée de redécoller s'avère prohibitif en coût, en énergie et en complexité.

Là où Space X va progressivement réduire le coût d'envoi et de réutilisation de ses Starships, à la condition bien sûr que la société parvienne à récupérer les fusées sans que l'atterrissage n'occasionne de dégâts sur les fusées Raptor, grâce aux bras articulés, là où la compagnie a fait le choix de la fiabilité du carburant, on voit donc que Boeing nous propose une technologie nettement plus aléatoire, et qui ne permettra de toute façon pas de faire redécoller les fusées sur mars. Qui prépare le mieux l'avenir, à votre avis? Alors même que la mission Artémis est censée préparer mars...

Oui, je sais Space X ne pourra pas directement accueillir ses Starships sur mars à l'aide de bras articulés, il y aura certainement des modèles intermédiaires de starships qui proposeront des pieds pour atterrir, ou amarsir, de manière classique. Mais qui peut le plus peut le moins. Si la technologie de rattrapage marche sur Terre, elle devrait aussi fonctionner à terme sur mars. 

Et les fusées Ariane, dans tout ça? Elles n'utilisent pas de méthane, mais du propergol solide, et je vous le donne en mille, de l'hydrogène liquide comme carburant. La fusée Ariane 6, qui sortira si tout va bien en 2023, bien que moins coûteuse en carburant, ne sera toujours pas réutilisable. Il en va de même, bien sûr, pour le Space Launch System.   

Pour reparler de Boeing, il nous reste tous à espérer que la Nasa ait blindé son contrat avec eux. En cas d'échecs répétés du SLS, la Nasa devrait être capable de réattribuer le contrat à un autre opérateur qui permettra de gagner du temps et de l'argent. 

Alors, bien sûr, le Starship n'est pas encore prêt. Starship qui présente à priori une triple évolution par rapport au Falcon 9: 

- il n'y a que deux étages

- les deux étages seront réutilisables

- le mécanisme de type Mechazilla, ou "chopsticks", ou bras articulés, permettra de récupérer le booster principal (premier étage)

Néanmoins, Space X a beaucoup progressé. Dans sa volonté de réduire drastiquement les coûts, l'entreprise n'est bien sûr pas non plus exempte d'erreur, comme en a témoigné un tir statique récent des six raptors de l'étage supérieur. Comme Space X avait rogné sur le déluge d'eau pour noyer les réacteurs, et comme la société n'avait pas été autorisée à débroussailler les environs en totalité, des broussailles ont pris feu, cela s'est propagé, et les pompiers ont dû s'employer à éteindre l'incendie. 

De quoi entraîner de nouveaux retards, mais Space X apprend de ses échecs et va vers toujours plus d'efficience au niveau de l'ingénierie. Et donc, il est très possible, presque prévisible en fait, si le SLS prend du retard sur plusieurs mois, que le Starship finisse par le rattraper et devienne, de loin, la meilleure option. En attendant, c'est avec un certain scepticisme que je vais assister à la prochaine tentative de lancement de la mission Artemis et du SLS le 23 (ou le 27) septembre. 

[EDIT 20/09/2022] : L'article de Numérama sur le sujet, qui ne m'a pas convaincu. C'est en effet dans les mois à venir que l'on saura si Space X a eu raison ou non de s'engager dans la voie du méthane. Et mon petit doigt me dit qu'ils sont sur la bonne voie...

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