dimanche 10 juin 2018

Ronron et disruption

Dans la vie courante, le fait d'être arraché de votre sommeil par un bruit soudain est l'une des choses les plus brutales et agressives qui puissent vous arriver. Rien d'étonnant à ce que la disruption, qui vient perturber le ronron habituel d'un secteur économique, soit ressentie par ceux qui en sont victimes comme cataclysmique. Et pourtant, cette disruption peut être un facteur d'innovation, voire de progrès, et avoir un effet libérateur. 

Selon la définition du terme, la disruption, au niveau marketing, est une "stratégie d'innovation par la remise en question des formes généralement pratiquées sur un marché, pour accoucher d'une "vision", créatrice de produits ou de services radicalement innovants."

Je suis le survivant d'une disruption. Celle-ci, dans mon cas, n'a pas été le fait d'une entreprise en particulier mais du phénomène global d'Internet. Le groupe de presse, Posse Press, qui m'employait au début des années 2000, offrait des sharewares dans des DVD sous blister, livrés aux lecteurs avec les revues du groupe. 

Avec la montée en puissance du haut débit, les lecteurs se sont mis à télécharger de plus en plus, et comme ils lisaient de plus en plus les articles de tests de produits sur le net, de manière gratuite, ils ont fini par se détourner des revues payantes. 

La disruption s'accompagne en effet souvent d'une baisse de coût pour le consommateur, et en cela, le phénomène du "low cost" est un phénomène essentiellement disruptif. 

Je pourrais donc avoir une dent contre ces nouvelles technologies qui m'ont forcé à opérer deux reconversions professionnelles successives. Pourtant, il me serait difficile de nier que dans le cas d'Internet, le positif l'emporte largement sur le négatif. 

L'ironie des choses, c'est qu'après avoir été victime d'une disruption, j'en ai été le bénéficiaire: en lançant la liseuse Kindle en 2007, Amazon est venu chambouler le paysage de l'édition traditionnelle. 

Nous autres auteurs, à quelques exceptions près que l'on met en vitrine, sommes traditionnellement les otages du marché du livre, les seuls acteurs qui ne sont pas considérés comme des professionnels, notamment parce que nos revenus liés à l'écriture ou à la vente de nos livres sont insuffisants, et que nous devons, dans notre grande majorité, prendre un boulot alimentaire pour faire bouillir la marmite. 

Après la révolution de l'ebook qui a véritablement débuté en 2009, en particulier aux Etats-Unis et dans une moindre mesure en France, une nouvelle catégorie d'auteurs est née, capable d'assurer sa subsistance de manière indépendante, via la vente d'ebooks. Les journalistes ont parlé d'ubérisation de l'édition. 

Cette révolution ne m'a pas permis, dans mon cas particulier, de vivre de la vente d'ebooks, mais a amené des ressources supplémentaires. Je n'ai pu manquer de ressentir l'aspect libérateur de ce qui a été, pour le monde de l'édition, une énorme perturbation. 

Il y a un domaine que l'on pourrait penser à l'abri de toute disruption. A la fois parce que ce domaine relève d'une haute technologie, inaccessible au commun des mortels, et parce qu'il est traditionnellement le domaine réservé des gouvernements. Il s'agit de la fabrication de fusées, du lancement de satellites, et, de manière plus large, de la conquête spatiale. 

Oui, vous me voyez venir avec mon Space X. La compagnie d'Elon Musk a prouvé qu'elle pouvait remettre en cause le modèle traditionnel de lancement de fusées. En parvenant à faire atterrir les premiers étages des lanceurs, Musk a prouvé qu'un autre modèle, beaucoup plus économe, était possible. 

En concevant ses entreprises autour de labo de recherche et de développement et non en rajoutant ces labos dans un deuxième temps aux entreprises, Musk a prouvé qu'on pouvait innover de manière plus pointue encore. 

Il a démontré, en cassant le secteur réservé des grands marchés de l'espace, que ceux-ci étaient dans un ronron, et gaspillaient dans une large mesure l'argent du contribuable. Pourquoi? Parce que, notamment, le fait de faire atterrir le premier étage des fusées était jugé infaisable ou trop coûteux. 

Il est venu avec un regard neuf, et a prouvé que c'était possible, d'une certaine manière, parce qu'il était trop con pour comprendre que c'était impossible. 

Combien de personnes ont dû être jugées trop stupides, parce que faisant preuve d'audace ou d'un regard neuf? Les adversaires de Napoléon auraient probablement jugé ses plans de combat complètement insensés. De même, l'idée, pour les Allemands, de passer en force avec des blindés dans la forêt des Ardennes devait sembler totalement irréaliste à l'état-major français. 

Dans le domaine scientifique, la disruption procède aussi de la remise en cause des théories existentes. Imaginez le tremblement de terre dans la communauté scientifique, quand on a été à même de prouver que la loi de Newton ne s'appliquait pas pour la planète Mercure? Que c'était Einstein qui avait raison avec sa théorie de la relativité? 

Récemment, sur Facebook, je pointais du doigt le gaspillage des briques de jus de fruit, de lait et de potage, qui conservent des gouttes de contenu aux quatre coins. Une autrice, Isabelle Grammont, est intervenue en disant: "le meilleur emballage, c'est celui qu'on ne produit pas", que je traduirais avec mes mots à moi: le meilleur emballage, c'est quand il n'y a pas d'emballage. 

Imaginez maintenant un entrepreneur qui me prenne au mot. Cet entrepreneur se mettrait à stocker le lait, les jus de fruits et autres, dans des cuves. Il installerait une tuyauterie parallèle dans chaque foyer. Cette tuyauterie serait reliée à un ou des robinets distincts des arrivées d'eau. 

Résultat des courses, la prochaine fois que vous voulez un jus d'orange, vous surfez à l'aide de l'app sur votre smartphone, achetez la quantité requise, et faites couler le robinet prévu à cet effet pour recueillir votre boisson. 

Une idée farfelue? Ou bien un regard neuf posé sur l'industrie? A l'heure où l'on parle d'un septième continent de plastique, l'emballage va devenir un secteur à fort enjeu. 

Je peux me tromper, mais je prédis que c'est l'un des secteurs qui va subir une disruption au XXIème siècle. 


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