mercredi 23 août 2017

Droits audiovisuels: la stratégie Rowling

La romancière à laquelle on doit (entre autres) les Harry Potter, J.K. Rowling, est aussi une businesswoman avisée. Elle a su faire fructifier le fruit les adaptations audiovisuelles de son œuvre avec une habileté et une volonté dignes d'une indépendante. Peut-être plus important encore, elle a su garder le contrôle créatif, ce qui compte souvent autant que l'argent pour nous autres auteurs. Attention, cet article contient un spoiler sur la saga Harry Potter.

"Monnaie de singe": c'est ainsi que, dans le milieu du cinéma, on qualifie les revenus d'auteurs, que ce soit le scénariste ou bien l'auteur d'une œuvre adaptée au cinéma. 

Vous trouvez le terme insultant pour la profession? Eh bien sachez que ce pourcentage, qui, avant amortissement du film, se situerait entre 0,5% et 1,5% des recettes en salles, d'après ce document officiel (p.59), est rarement versé. Il s'agit donc bien de monnaie de singe au sens péjoratif du terme.

Pourquoi cela? Parce que si l'auteur va en justice, les avocats de la partie adverse vont s'ingénier à lui faire perdre du temps et de l'argent en frais d'avocat, et le jeu pour récupérer ce qui est souvent une somme assez faible n'en vaut pas la chandelle.

Tenez-vous le pour dit: à partir du moment où vous pénétrez dans le milieu du cinéma, vous entrez dans un monde fondamentalement hostile aux créateurs.

Alors bien sûr, il y a d'autres modalités de versement, pour l'auteur d'un roman: 

- l'option, un document donnant une option exclusive à un producteur sur l'adaptation de votre roman, en échange d'une somme d'argent
- l'à-valoir, une somme fixe que le producteur se remboursera sur le montant de votre pourcentage, et qui vous restera due, même si le film est un échec commercial
- le pourcentage après amortissement du film, qui peut aller de 2 à 10% selon le document plutôt optimiste précité
- les autres exploitations
- les droits en cas de remake

Sans l'à-valoir, en particulier, on peut penser que le cinéma ne parviendrait pas à convaincre des éditeurs de céder des droits sur des œuvres à succès.

C'est d'ailleurs une chose à garder en tête dans vos relations avec le milieu du cinéma: ne jamais démarcher des producteurs. Attendre qu'ils viennent vers vous, afin d'être en position de force pour la négociation.

Il est en effet beaucoup plus facile de dire "non" lorsqu'on vient vous faire une proposition. C'est d'ailleurs tout l'objet de cet article (en anglais) de Kristine Kathryn Rusch, dont je recommande la lecture.

Si vous avez vraiment écrit un méga succès, qui vous a déjà rendu riche, et si vous êtes sûr du succès de l'adaptation au cinéma de votre poule aux œufs d'or, le mieux est encore de faire comme l'autrice J.K. Rowling: devenir producteur de cinéma.

C'est ce qu'elle a fait pour le tome 7 d'Harry Potter, Les Reliques de la Mort, dont elle a été la productrice des deux films. 

En y réfléchissant, je me suis demandé: mais, même riche, comment a-t-elle pu devenir productrice du film? La série Harry Potter au cinéma, c'est une franchise à succès. Les producteurs attitrés, David Heyman et David Barron, n'avaient sans doute pas très envie de partager les bénéfices au-delà des maigres revenus traditionnellement accordés à l'auteur.

Que les choses soient claires: je ne connais pas les deux David. Ce que je formule, ce n'est qu'une supposition, une conjecture que j'espère la plus éclairée possible.

D'après ce que je connais du milieu du cinéma, je suppose que Rowling est allée au rapport de force: "si je ne suis pas co-productrice, les deux derniers films ne se font pas".

Si elle a pu y parvenir, c'est parce que l'éditeur de Rowling avait dû avoir la sagesse de ne pas accorder de droit de préférence, ni encore moins d'exclusivité, aux producteurs du début. 

De la même manière, dans un contrat d'édition, je suis partisan de n'accorder des droits que sur un livre après l'autre, même dans le cadre d'une série. 

Ainsi, si quelque chose se passe mal, vous pouvez tout arrêter.

Mais bien sûr, vous me connaissez, en matière de livres, je suis plutôt partisan de l'autoédition.

A partir du deuxième roman, l'éditeur de Rowling, ou Rowling elle-même, n'a donc vendu les options d'adaptation que sur chaque roman individuellement, et pas avant de connaître le succès commercial du film précédent.

Quand Rowling a vu que le succès des films était au rendez-vous, elle était apparemment en situation de s'imposer en tant que productrice.

Ce qui me fait dire que Rowling a agi de la sorte comme une autrice indépendante, c'est qu'elle avait eu également la sagesse de se garder les droits sur les versions ebook. Quand vous allez sur un ebook Harry Potter sur Amazon, vous remarquez ainsi la mention: "Editeur: Pottermore from J.K. Rowling". 


Vous allez me dire, Rowling est un cas très particulier qui ne se reproduira probablement jamais dans le milieu de l'édition. Elle a pu imposer ses conditions dans le milieu de l'audiovisuel parce qu'elle avait connu un succès phénoménal en librairie. 

Certes, vous ne serez sans doute pas à même de négocier au même niveau. Mais cet article ne vise pas à vous faire contacter des producteurs pour adapter votre livre: ça ne marchera pas, ou bien vous êtes sûr de vous faire exploiter à mort. 

Le message que j'ai envie de faire passer est bien celui-ci: en cas de succès de votre livre, si l'on vient vous voir, c'est que l'on sera motivé par le potentiel de ce que vous avez écrit. Ce potentiel a une valeur marchande : à vous d'en tirer le meilleur profit. Si le producteur ne met pas les moyens que vous jugez appropriés, autant dire non. Un film, ça représente beaucoup de stress, donc si dès le départ, vous sentez qu'il y a un loup, autant ne pas donner suite. Une adaptation ne peut être un but en soi. Le but reste toujours le livre. 

Pour revenir à la saga Harry Potter, on s'aperçoit aussi que, dès le premier film, Rowling a su s'assurer le contrôle créatif, ou droit de regard sur le scénario. 

Tous les auteurs savent qu'adapter, c'est trahir. En d'autres termes, la liberté artistique du metteur en scène va très souvent transformer une œuvre, en faire quelque chose d'autre. Parfois, le résultat est meilleur, parfois, il est pire. 

Rowling a su faire en sorte que les adaptations soient fidèles aux romans. Elle en a profité pour faire l'éclatante démonstration envers Hollywood que ce n'est pas parce qu'une romancière se mêle du scénario d'un film que celui-ci va faire un flop.

ATTENTION SPOILER : 

Le danger pour un auteur qui tient vraiment à son livre, c'est de voir celui-ci complètement dénaturé à l'écran: imagine-t-on un film historique contre l'esclavagisme avoir pour protagoniste principal un esclave blanc dans un champ de coton du Sud américain, quand dans le livre, ce même protagoniste avait la peau noire? 

C'est un cas un peu extrême, mais vous voyez ce que je veux dire. Un simple détail peut tout changer. Si, par exemple, le personnage du professeur Rogue dans Harry Potter avait été entièrement négatif, s'il avait fait partie des méchants d'un bout à l'autre, sans être le personnage ambivalent, et au final, positif, qu'il est dans la saga, c'est tout le scénario conçu par l'autrice qui aurait été foutu en l'air. 

Donc oui, dans la mesure où l'on s'intéresse au devenir cinématographique de son livre, et à son image de marque, le contrôle créatif me semble important pour un auteur. 

"J'ai vendu mes enfants à des marchands d'esclave", telle a été la réaction de George Lucas après la sortie de Star Wars Episode 7. Il n'y a pas que l'argent...

Il est possible, pour un auteur, de s'assurer de ce contrôle créatif dès le stade de l'option, et c'est ce que je recommande. Vous pouvez télécharger un modèle d'option sur le site de la SACD.
  

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