lundi 24 février 2025

L'Essence des Sens : chapitre 35

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le trente-cinquième.

35. L’ombre et la proie 

Jaynak avait profité de chaque instant après qu’on lui ait retiré son casque d’argent. La joie de recouvrer son intégrité physique n’avait cependant été, en ce qui le concernait, que de courte durée. En tant que Nadarien, il était l’une des trois personnes sur le Rapier à pouvoir retourner sur sa planète sans souffrir des problèmes de gravitation. Son rôle allait donc être majeur dans la livraison des nanites AE au réseau de Réfractaires. Encore fallait-il modifier radicalement son apparence pour qu’il ne soit pas reconnu par l’ennemi et repris. Il était également impératif de simuler la présence en lui d’un nanite ektrim pour qu’il ne soit pas identifié en tant que Réfractaire, au cas où le parasite qu’il n’avait plus dans son cortex serait interrogé à distance. A cette fin, Hina Meili installa dans son cerveau primaire un nanite, frère jumeau de celui de Naldeia. Ce dernier produirait les réponses standards en cas de questions inopinées. 

Pour ce qui était de l’apparence physique, Shaella MacGinnis possédait le secret d’une méthode assez spéciale. La moussor était une mousse organique dont la matière première était prélevée sur une planète alien. Celle-ci était souple, mais pouvait se voir rigidifiée à différents degrés selon de subtiles altérations chimiques. D’autres modifications moléculaires déterminaient le coloris final. Elle avait la particularité précieuse de laisser respirer la peau. 

La nouvelle physionomie de Jaynak fut d’abord programmée sur un simulateur holographique. Il aurait des pommettes beaucoup plus hautes, un menton nettement plus pointu et des cuisses plus larges, entre autres. Une fois tous les détails réglés, Jaynak entra dans la cellule d’altération anatomique. Là, son corps flotta en apesanteur pendant que des machines dessinaient sur la moindre parcelle de son épiderme sa nouvelle apparence en projetant la moussor selon les doses voulues, puis en la sculptant avant de la sécher. Jaynak eut l’impression de porter un vêtement qui était une véritable prison de chair. Il se sentit plus lourd et plus emprunté en ressortant de la CMA. La moussor avait la particularité de changer son ADN en surface, mais il subsistait un point faible, ses yeux. Un appareil spécialement conçu fut alors greffé sous ses plaques oculaires. Il projetait un rayon modifiant l’éclat bleuté des yeux de Jaynak pour correspondre à son nouvel ADN superficiel. 

Jaynak retourna sur Nadar à bord d’une navette de même type que celle de Naldeia, et qui passa comme elle avec succès l’épreuve des balayages de sécurité. Pendant les trois premières semaines, Jaynak voyagea de spatioport en spatioport sur les différents continents de la planète. Parfois il livrait ses containers à des Réfractaires, à charge pour eux de les répartir ensuite au mieux. Plus rarement, il se rendait lui-même dans des usines de fabrication de sengré pour y déposer des containers de mini-drones contenant leurs nanites AE. Il lui arriva aussi de livrer des mini-drones aspirateurs de nanites accompagnés de leurs caissettes dans des Cavernes d’Ambre qui avaient commencé à appliquer la coutume de la Minute de Sengré. 

Au bout de ces trois semaines, on informa Jaynak que le noyautage des fumoirs par des membres des Réfractaires était encore insuffisant. Les moyens de ces derniers étant limités, ils se concentraient sur les établissements les plus fréquentés de la planète. Jaynak eut donc pour désagréable mission de récupérer un agent chimique spécial auprès de l’un des collègues du réseau. Puis il s’infiltra dans le domicile d’un serveur en son absence. Là, il empoisonna sa réserve d’obal. Quand l’homme tomba malade, il se trouva aussitôt un agent des Réfractaires pour le remplacer sur son poste. 

A chaque nouveau fumoir noyauté, c’étaient des réserves de sengré contaminées par les nanites AE qui pouvaient être livrées à un nouveau propriétaire, et une clientèle supplémentaire qui se voyait ainsi « traitée ». Le travail était monstrueux, sans fin. Il était impératif que le revêtement au sol de ces établissements puisse être aspiré en toute discrétion par des mini-drones, sous peine de courir le risque que soit détectée la technologie d’avant-garde introduite par la Confédération des Planètes Unies. 

Empoisonner des serveurs n’était pas vraiment du goût de Jaynak. Il se consolait en se disant que l’immense fumoir qu’il venait de contribuer à noyauter desservait l’un des camps d’entraînement les plus considérables de Fervents de la planète. Pour avoir été l’un d’eux, il savait qu’un entraînement drastique comme celui que subissaient les futurs soldats de Grendchko avait pour effet de rendre plus irrésistible encore l’envie de sengré. Ces fumoirs constituaient donc des cibles prioritaires. Si le but était de neutraliser tous les nanites ektrim, croire que l’on y parviendrait avant l’invasion de la planète Oblan était illusoire. Il fallait en conséquence hiérarchiser au mieux, ce à quoi s’employait le réseau des Réfractaires. Ce dernier, heureusement, s’agrandissait de jour en jour, ce qui permettait d’accélérer les opérations. A chaque fois qu’il pénétrait dans une base de la résistance, souvent située au cœur des Cavernes d’Ambre réparties sur toute la planète, Jaynak apercevait certains de ses collègues plongés en transe dans l’argelen, en train de guider les milliers de personnes qui accédaient à de nouvelles connaissances. Libérés de l’emprise des Fengirs, très rares étaient les Nadariens qui criaient au complot, quand le savoir leur parvenait de l’argelen et de la mémoire stockée par les ancêtres. Les pièces du puzzle historique s’assemblaient avec une logique parfaite. L’ampleur de la supercherie dont ils avaient été victimes leur était ainsi révélée, et ils prêtaient dans leur très grande majorité le serment d’assister les Réfractaires, tout en gardant le secret. 

Souvent, Jaynak guettait les nouvelles dans la Ruche, anxieux de découvrir si des individus allaient témoigner de la déviance qui se propageait chez nombre de leurs concitoyens. A chaque fois, il s’émerveillait de s’apercevoir que seule, la propagande fengirienne avait droit de cité. Les Réfractaires avaient pour consigne de demander aux gens de surtout poursuivre leurs activités et missions habituelles. De n’aider que selon les directives précises qui leur étaient transmises. En apparence, ils ne devaient modifier à aucun prix leur comportement. Il fallait croire qu’ils s’acquittaient à merveille de cette tâche. 

*** 

Ymeo épluchait comme à son habitude les millions de données en provenance des holocams de la planète, à la recherche du moindre indice, du moindre signe de la présence de Jaynak, Naldeia ou Belganov sur Quantor. L’androïde Beyl s’occupait de l’essentiel du travail, elle-même n’ayant pas la capacité de traitement suffisante pour prétendre à une quelconque exhaustivité. Les projections holo qu’elle visualisait étaient sélectionnées par des Intelligences Synthétiques. Celles-ci estimaient qu’une intuition de type organique pouvait faire la différence dans cette quête méticuleuse, pour des données spécifiques jugées plus prometteuses que les autres. 

Et comme d’habitude depuis des mois à présent, c’était un fiasco. 

Ymeo soupira. Il ne restait que trois jours avant le début de la campagne interstellaire visant à récupérer Oblan. Elle aurait tellement voulu faire ce cadeau à son Maître avant son départ ! Et pas seulement pour éviter de tâter de nouveau du redoutable fouet à électrodes du Premier Coordonnateur. Grendchko méritait vraiment ce présent. Elle ne souhaitait que le bonheur du Maître, peu importait son propre bien-être. Il le méritait cent fois, lui qui était en train de rendre sa grandeur passée à Nadar ! 

Un signal d’alerte attira son regard vers un écran. Sur celui-ci, elle aperçut la silhouette d’Yrkel s’engouffrer dans le hall d’accueil. Son adjoint était parti dans la matinée pour l’appartement de l’un de ses amis Fervents, un soldat d’infanterie. Ymeo se prit à rêver que l’individu ait repéré l’un des trois fugitifs. Tous les Fervents avaient reçu leur signalement, ce qui aurait dû améliorer la probabilité de les retrouver. 

Comme elle en avait eu l’intuition, Yrkel se présenta à son bureau moins d’une minute plus tard. L’éclat bleuté de ses yeux avait revêtu une teinte blanche, ce qui indiquait un état de choc. Elle l’interrogea du regard, et il se lança dès qu’il eut repris haleine. 

« Rezelnov s’est plongé dans l’argelen, lâcha-t-il. 

– Lui aussi a la trouille. Quelle déception. » A mesure que la date du lancement de la campagne de reconquête du Premier Coordonnateur se rapprochait, le nombre de Nadariens à se mettre à fréquenter les Cavernes d’Ambre avait explosé. Pire encore, les rapports estimaient qu’une majorité de Fervents avaient sans doute eu recours secrètement à leur cubar. Des Fervents ! Alors même que tout, dans l’enseignement du Maître, devait les tenir éloignés de cet objet rattaché à une tradition dépassée. Mais voilà, comme la glorieuse bataille que le peuple allait mener pour récupérer son dû approchait, un méprisable instinct de survie conduisait la plupart des gens à rechercher un réconfort spirituel dans l’argelen. Ils étaient si faibles, tous ! Ymeo ne concevait pas que l’on puisse être Fervent et désirer le contact avec l’argelen. C’était quasiment une trahison. 

« C’est ce que j’ai d’abord pensé, dit Yrkel. Je ne voulais pas le croire, je me disais “pas lui !” Le Rezelnov que je connaissais n’aurait jamais pu faire une chose pareille. Alors, je l’ai écouté. Il m’a dit l’avoir fait sans en avoir conscience, comme si c’était quelque chose de naturel. Pourtant, il n’avait pas touché à son cubar depuis des années, à tel point qu’il était couvert de poussière. Mais, ce qu’il m’a ensuite rapporté ! 

– Vas-y, accouche. 

– Il a été replongé dans un passé ancien. Du temps où les Fengirs étaient nos ennemis, et menaçaient notre planète. 

– Les Fengirs n’ont jamais été nos ennemis. Ils ne nous ont jamais menacés. 

– C’est ce qu’il pensait aussi. Et qu’il pense toujours, sans aucun doute ! L’argelen maudit, corrompu sans doute, lui a montré une époque où nous étions menacés par la flotte des Fengirs. Des Ektrims sont alors venus nous voir. Ils ont joué les intermédiaires en cherchant à apaiser les choses. Nos dirigeants d’alors ont accepté la présence de délégations de Fengirs. Très vite, ils bâtirent certains bâtiments dans lesquels personne n’était autorisé à entrer, sauf eux. Quelques années après, le Premier Coordonnateur de l’époque a soumis l’idée d’un traité d’alliance, d’entrée dans l’Expansion. Ceux qui s’opposaient à ce traité, ou qui cherchaient à en savoir plus sur le passé, étaient victimes de terribles maux de tête ou devenaient fous. L’idée d’accepter ce traité s’est répandue dans la société à une vitesse qui n’était pas naturelle. Ceux qui se dressaient contre les Fengirs se sont tus pour la plupart, ou sont entrés dans la clandestinité. » 

Ymeo ne put retenir un frisson devant l’ampleur du blasphème, de la trahison envers leurs alliés Fengirs. « Tissu d’inepties ! 

– Sans doute, Adepte. Mais quelqu’un a cherché à contacter Rezelnov via l’argelen. Il se proposait de lui expliquer pourquoi tant des nôtres étaient victimes de maux de tête. 

– Comment a-t-il réagi ? 

– Il a senti qu’on essayait de le manipuler et s’est déconnecté aussitôt. Mais je pense qu’il n’est pas le seul. Je pense que beaucoup d’autres ont été approchés de la sorte. Je crois que nous sommes victimes d’un immense complot des Réfractaires. 

– Hum. Dommage qu’il ne soit pas resté connecté, nous aurions pu en apprendre plus sur ce que manigancent nos ennemis. 

– Quels sont vos ordres, Adepte ? » 

Comme elle dévisageait Yrkel, une ombre voila son visage. « Nous pourrions prévenir notre Maître, bien sûr, mais un seul témoignage ne sera pas suffisant pour le faire réagir. Il nous en faut au moins deux autres pour prouver l’existence du complot. Trouve-m’en deux autres comme Rezelnov. Je te débloque un budget de 20 000 crédits pour les faire parler. Les trois devront témoigner devant notre Premier coordonnateur. Ils auront intérêt à être convaincants. » 

Yrkel s’inclina et quitta la pièce. 

Les commissures des lèvres d’Ymeo prirent un pli amer. Elle n’aimait pas ça. L’impression que l’on venait de lever le coin du voile d’un plan potentiellement létal pour le pouvoir en place jetait un froid glacial sur son cœur. Le plus troublant était de se dire que des Fervents avaient pu être persuadés de se connecter à l’argelen, et d’y chercher des réponses. Comment les Réfractaires s’y étaient-ils pris ? D’importantes sommes avaient dû changer de mains pour obtenir pareil résultat. Il lui fallait vérifier les flux financiers et, de manière générale, tout ce qu’il pouvait y avoir d’inhabituel au sujet des Fervents. Ymeo se prit à songer qu’en concentrant leurs efforts sur les trois fugitifs, les Oreilles de Grendchko avaient peut-être confondu l’ombre avec la proie. C’était là une pensée presque rebelle à l’égard du Maître, et elle en fut désorientée. 

Ce ne fut que deux jours plus tard, en milieu d’après-midi, qu’Yrkel revint avec ses trois Fervents. « J’ai eu beaucoup de mal à en trouver qui acceptent de parler, confia-t-il à Ymeo. J’ai eu droit à des regards… des regards qui me laissaient penser que c’était moi le traître. Je ne sais pas ce qu’il se passe, mais c’est grave. Et nous ne pouvons avoir ces trois-là que pendant trois heures maximum. Ensuite, ils doivent rejoindre leur unité. » 

Ymeo hocha sèchement la tête. Ce que disait Yrkel faisait sens, puisque la flotte nadarienne se mettrait en route dès le lendemain. Elle se mordit la langue en songeant à l’entretien qu’elle allait avoir avec le Maître. Devoir lui mentir afin d’obtenir audience lui était insupportable — et pourtant, il le fallait. Elle le contacta sur son canal d’urgence absolue. Il daigna lui répondre en personne. 

« Tu as donc des nouvelles de nos fugitifs, dit Grendchko la lueur dans ses yeux accompagnant la menace perceptible dans le ton de sa voix. 

– Oui, Maître. Des nouvelles d’une importance capitale. Ils ont préparé un complot qui met en péril votre règne sacré. J’aimerais vous amener trois témoins pour vous prouver ce que j’avance. 

– J’aurais préféré que tu m’apportes leur tête sur un plateau. 

– Ce n’est qu’une question de temps, Maître. Si nous prenons les dispositions nécessaires. » 

Le regard de Grendchko s’appesantit sur elle, lui promettant un univers de souffrance si elle mentait. « Soit, fit-il finalement. Amène-moi tes témoins. » 

Les coupoles dorées du Palais de la Première Strate se détachaient dans le couchant. Le flotteur d’Ymeo et de ses trois témoins s’approcha avec célérité, puis se posa. L’Adepte et les trois Fervents durent franchir plusieurs cordons de sécurité avant d’être autorisés à pénétrer dans le bureau du Premier Coordonnateur, escortés par cinq drones de surveillance-répression. 

Lorsque le Maître eut accordé son consentement, Ymeo prit la parole. Jusqu’à présent, elle n’avait pas osé lui révéler que dernièrement, une majorité de Fervents semblait se connecter à l’argelen. Quand elle le fit, Grendchko plissa dangereusement le nez. « C’est inconcevable, dit-il. Vous avez forcément fait erreur. 

– Je vous transmets les données qui prouvent mes dires sur votre tablette, Maître, dit Ymeo, qui s’attendait à ce type de réponse. Je vous implore d’écouter ce que Rezelnov, Makib et Dezev ont à vous apprendre. » 

La rude expression sur le visage de Grendchko pouvait être interprétée comme un acquiescement. Ymeo se tourna vers Rezelnov. « Vas-y, toi. » 

Le Fervent se mit à parler. Puis ce fut au tour de Makib, et Dezev. Ce dernier était celui des trois le plus en proie au doute. Il lançait des regards de droite et de gauche, ne demandant rien tant que de s’enterrer au fond d’une cavité. Comme il l’avoua, il était le seul d’entre eux à avoir accepté l’aide d’un Réfractaire. Lorsqu’il révéla l’existence d’un nanite ektrim dans le cerveau des Nadariens, Grendchko l’interrompit d’un rire lugubre. 

« Des insanités, fit-il d’un ton sinistre, une lueur mauvaise dans le regard. Tu m’as fait perdre mon précieux temps pour écouter le délire de Fervents devenus fous. Des lâches, des pleutres prêts à inventer n’importe quelle extravagance pour échapper à leur devoir. » 

Il paraissait sur le point de recourir à une mesure extrême quand une icône apparut sur sa console. « Vous avez de la chance que l’on vienne de me proposer une entrevue qui ne peut attendre, sans quoi je vous aurais tous fait désintégrer sur-le-champ. » Il se leva brusquement, attrapa Ymeo par le menton et lui plaqua le front contre le sien, produisant un son mat. « Aucun d’entre eux ne m’a parlé de nos trois fugitifs. Je saurai m’en souvenir. » 

Ymeo se ratatina littéralement. « Maître… 

– File ! Hors de ma vue, toi et tes trois déchets ! » 

Les larges mains de Grendchko se formèrent en poings qu’il appuya sur la surface de son bureau. Ses puissantes épaules vibraient de rage contenue. Ymeo et les trois Fervents ne se le firent pas dire deux fois. Ils s’inclinèrent avant de s’enfuir en courant presque. 

Grendchko mit du temps à recouvrer suffisamment de calme pour s’asseoir. Quand Shinaen pénétra de sa démarche silencieuse, souple et dangereuse dans la pièce, il était parvenu à se recomposer son expression habituelle. 

« Le moment est venu de faire le point sur nos forces en vue de notre petite excursion, commença le Fengir avec gourmandise. 

– Avec plaisir », répondit Grendchko de manière un peu trop raide. 

L’autre huma l’air un instant, les moustaches frémissantes. « Quelque chose vous contrarie ? demanda Shinaen. Vous ne me cachez rien, j’espère ? 

– Tout est parfaitement sous contrôle, assura Grendchko du ton le plus détaché possible. 

– J’y compte bien. Nous allons engager des forces importantes dans cette flotte que vous dirigerez. Si quelque chose devait arriver à nos vaisseaux, je vous tiendrais pour personnellement responsable. 

– Vous n’avez aucun souci à vous faire. Je vous en donne ma parole. »

 

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Retrouvez les cinq premiers chapitres en cliquant sur ce lien.

lundi 17 février 2025

L'Essence des Sens : chapitre 34

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le trente-quatrième.

34. Liberté de conscience

Contrairement à l’appareil de Naldeia, le vaisseau-cargo de Belganov possédait les derniers dispositifs d’occultation de la Confédération des Planètes Unies. Il pénétra l’atmosphère de Nadar de nuit. La paroi des Cavernes d’Ambre d’Argea qui lui avait laissé le passage plusieurs mois auparavant s’ouvrit devant lui, sans pour autant que l’aspect extérieur des Cavernes ne soit modifié aux yeux d’un éventuel observateur, en vertu d’une projection holographique ultra réaliste. Belganov posa son vaisseau dans l’un des hangars secrets appartenant aux Réfractaires. Dès qu’il eut mis le pied sur le sol, il fut accueilli par une délégation des siens. 

« J’ai réussi dans ma mission, leur expliqua-t-il, mais il y a un prix à payer que je n’avais pas envisagé. » Il refusa de répondre à leurs questions tant que ne serait pas convoquée l’assemblée du Haut Conseil. On décida qu’elle se tiendrait dans les deux prochaines heures, dans la salle de conférence principale de la base. Afin d’éviter la dissémination des informations, seuls les leaders de chacun des continents de Nadar y assisteraient. Le cloisonnement des données était à ce stade vital pour la réussite de l’opération. Les leaders ne communiqueraient à leurs subordonnés que le strict nécessaire. 

Le moment venu, Belganov et les autres membres du Haut Conseil s’installèrent dans la salle de conférence. Le professeur plaça sur la table devant lui une tablette qui contenait les données cruciales au sujet des nanites ektrim. Il posa sa main droite sur son cubar d’ambre, et accéda en pensée au nœud privé réservé aux participants du Haut Conseil répartis sur toute la planète. Il sentit les esprits familiers de ses pairs le rejoindre les uns après les autres. A l’aide de son cerveau primaire, il appuya sur l’une des icônes de la tablette tout en gardant la connexion au travers de l’argelen avec son cerveau secondaire. L’image aussitôt projetée devant lui était celle d’une larve argentée vaguement repoussante correspondant au nanite ektrim. Son cerveau primaire communiquait l’information au secondaire, qui la relayait telle quelle en passant par l’argelen. Lorsqu’il s’exprima, ce fut tout à la fois à voix haute et en pensée. 

« Après des années de recherche, j’ai enfin pu visualiser le nanite ektrim qui a fait l’objet de notre quête depuis si longtemps — le nanite responsable du malheur de notre peuple. C’est cette chose que vous avez sous les yeux. Mais je n’y suis pas parvenu seul. » 

Un geste du doigt, et la tablette projeta l’image suivante, celle du visage de trois humaines à la couleur de peau différente. « Lucinda Vels, de Quantor, nous avait déjà prouvé son extrême compétence et sa fiabilité. Hélas, ses talents se sont avérés insuffisants pour découvrir ce nanite. Les deux autres humaines, Kaylee Moco et Hina Meili, appartiennent à la Confédération des Planètes Unies. Sans elles, et sans l’apport de la Confédération elle-même, rien n’aurait été possible. » 

Un brouhaha de voix s’éleva dans la salle, et de pensées dans le nœud de communication. « Nous avons donc fait alliance avec la Confédération des Planètes Unies ? fut l’interrogation dominante. 

– Oui, je vous parle bien d’une alliance avec la C.P.U., répondit Belganov. J’étais le premier d’entre nous à vouloir rester neutre dans le conflit opposant la Confédération à l’Expansion. Mais j’ai compris que dans les circonstances actuelles, la neutralité n’était plus possible. Je me suis engagé en notre nom à tous en réalisant que la C.P.U. était le seul allié suffisamment puissant pour nous permettre de développer, en un temps record et de manière massive, les contre-mesures au nanite ektrim qui rend impraticable toute révolte des nôtres. Et vous savez tous à quel point le temps est un facteur crucial. Au moment où je vous parle, Grendchko bâtit une flotte visant à conquérir Oblan, et forme ses légions. Des millions des nôtres peuvent périr dans un conflit qui n’a pas lieu d’être. Une confrontation qui n’a pour objectif, dans l’esprit pervers de notre Coordonnateur, que de renforcer son ego boursouflé et sa position dominante. » 

Quelqu’un demanda si Belganov avait prémédité cette alliance et il répondit par la négative, retraçant les événements et notamment le rôle de Naldeia. Le fait d’apprendre que l’une des leurs était en réalité un agent de la Confédération suscita de nouveaux éclats, et de longues palabres s’ensuivirent. L’un des éléments décisifs que Belganov mit en avant fut le danger encouru par leurs compatriotes. « Le nanite ektrim, dit-il, peut déclencher une explosion interne et provoquer la mort de milliards de nos frères et sœurs. Le plan que nous avons conçu vise à prévenir cela. » Un grand silence suivit sa déclaration. Beaucoup de ses pairs avaient déjà envisagé une telle éventualité, et cette révélation confirmait leurs pires soupçons. Le professeur passa dans un second temps à une explication détaillée de ce qu’il avait en tête. 

C’était un énorme morceau à avaler pour les dirigeants de la résistance, bien sûr, mais à la fin de la réunion, en lisant les expressions et en guettant les pensées dans l’argelen, Belganov ne détecta aucune révolte. D’importantes interrogations subsistaient au sujet de l’efficacité des contre-mesures, et des conséquences que cela emporterait pour les citoyens. En définitive, cependant, les Réfractaires avaient vécu si longtemps en espérant se défaire du joug de l’oppresseur, et la pression mise par Grendchko était telle ces derniers temps que l’alliance avec la Confédération fut acceptée et le plan de Belganov, adopté à l’unanimité. Halnev, le Premier Guide Communiant, qui en tant que membre prépondérant des Réfractaires assistait à la réunion, fut chargé de demander officiellement à Grendchko le rétablissement de l’ancienne tradition dite de Minute de Sengré avant toute communion. 

Avant même la fin de la journée, les soutes du vaisseau-cargo de Belganov avaient été vidées. Les containers équipés de leur champ de modification cellulaire dissimulant leur véritable nature avaient été répartis entre plusieurs équipes. Ils rejoindraient les cités les plus peuplées de la planète par des moyens différents, dans la plus grande discrétion. 

Belganov s’enquit des événements depuis son départ. A son soulagement, Grendchko n’avait plus cherché à lancer d’assaut dans les Cavernes d’Ambre. Devant le risque de nouvelles perturbations des systèmes d’assistance gravitationnelle de la cité d’Argea, il avait reculé. Il déployait à présent toute son énergie dans les préparatifs de sa guerre interstellaire. Sa machine propagandiste marchait à plein régime, et tous ceux qui osaient contredire les médias officiels se voyaient attribuer le qualificatif d’« agent d’Oblan » et encouraient des peines d’emprisonnement. 

Belganov savait faire partie désormais des individus les plus recherchés de la planète. En conséquence, il était pour l’instant contraint de se terrer dans ses Cavernes, ce qui, il faut bien le dire, ne le changeait guère de sa routine habituelle — si l’on exceptait son récent voyage pour Quantor. Les Cavernes possédaient cependant un réseau de communication ultra-sécurisé, et c’est ce qui permit au professeur de se déplacer virtuellement, le lendemain, jusqu’à l’usine de Bulaseng. Située à une dizaine de kilomètres des Cavernes d’Argea, l’usine était celle qui produisait le plus de boulettes de sengré de la planète. L’une de ces boulettes correspondait à une dose de sengré appelée à se consumer dans un ballon-tube. 

A l’heure convenue en milieu d’après-midi, l’hologramme de Belganov se matérialisa en même temps que celui de Halnev devant l’un de leurs plus fidèles alliés, l’édile de l’usine Bulaseng. Un drone-cam permettait à Belganov et au Premier Guide Communiant d’observer les alentours à 360 degrés. L’engin se déplaça aux côtés de l’édile le long des cuves de séchage des feuilles de sengré tout en continuant à diffuser la projection des images de Belganov et Halnev. Ils dépassèrent ensuite les gigantesques machines transformant les énormes cubes de sengré en boulettes, pour atteindre la partie stérilisée où se pratiquaient les scans vérifiant la qualité des produits. D’immenses tapis roulants faisaient avancer en rythme les boulettes devant les scanners situés à la verticale. Ce jour-là, les dispositifs d’analyse n’étaient pas seuls. Des mini-drones en nombre conséquent, ceux-là mêmes qui avaient fait le voyage dans leurs containers sécurisés, dans les entrailles du vaisseau-cargo de Belganov, stationnaient en surplomb des tapis. A l’œil nu, on ne pouvait rien voir d’autre, bien évidemment. Mais l’augmentation située dans le cerveau de Belganov, reliée à la tablette de gestion des mini-drones fournie avec ces derniers, et que tenait l’édile de l’usine entre ses mains, apprit à Belganov ce qu’il voulait savoir. Les nanites AE, pour anti-ektrim, étaient bien largués les uns après les autres sur les boulettes au fur et à mesure que celles-ci se présentaient sous les mini-drones, à chaque arrêt des tapis roulants. Lucinda Vels, Hina Meili, Kaylee Moco et leurs équipes avaient participé à la conception des nanites, mais c’était Belganov lui-même qui avait eu l’idée de leur introduction dans le cerveau des sujets. 

Contrairement aux cerveaux humains, qui nécessitaient de sophistiquées calottes neuronales afin d’y implanter des nanites, les cerveaux primaires des Nadariens étaient plus accessibles. En tant que professeur de biologie, Belganov savait que l’unique narine de ceux de son espèce serait un point d’entrée viable pour cette technologie. Il avait donc été décidé de faire littéralement respirer l’outil de leur salut à ses compatriotes. Etait-ce ainsi que procédaient les Ektrims ? Il resterait impossible de le confirmer tant que les nanites parasites n’auraient pas livré tous leurs secrets. 

« Qui a accès à cette zone ? demanda Belganov. 

– Uniquement mes collaborateurs les plus fidèles, répondit Ugbok, l’édile de l’usine. Ils me sont entièrement dévoués. 

– Vous devrez malgré tout organiser une réception à destination des employés de l’usine, dit Belganov. Ils devront fumer vos dernières productions. 

– Entendu, dit Ugbok. 

– En plus des drones épandeurs, poursuivit le professeur, vous allez bientôt recevoir des drones aspirateurs à nanites. Vous les utiliserez après la petite fête, en toute discrétion bien entendu. Ils serviront à récupérer les nanites AE qui ne seraient pas restés dans le cerveau de vos employés. » 

Ugbok prit un air perplexe. Halnev, qui avait assisté à la réunion du Haut conseil des Réfractaires de la veille, se chargea de lui fournir les explications. « Tous nos semblables ne sont heureusement pas infectés par les parasites ektrim. Si un nanite AE ne trouve aucune cible dans un cerveau, il redescend par la narine et retombe au sol. De la même manière, si un AE s’aperçoit de la présence d’un autre nanite AE déjà actif dans le cerveau primaire, il regagnera le sol. 

– Ils sont trop petits pour pouvoir être détectés à l’œil nu ou écrasés, précisa Belganov. Vous allez aussi recevoir des caissettes spéciales pour ces nanites. Les propriétaires de fumoirs dans notre camp vous feront parvenir leurs propres caissettes une fois remplies, puisqu’eux-mêmes auront recours aux drones-aspirateurs. 

– Est-ce que ça ne risque pas de créer trop de remue-ménage ? s’inquiéta Ugbok. 

– Les caissettes, comme les mini-drones, peuvent contenir des millions de nanites. Je ne m’attends pas à ce que beaucoup de nos compatriotes ne soient pas infectés, hélas. Il faudra en réalité des mois, et sans doute des années pour que les patrons des fumoirs vous livrent leurs caissettes. 

– Il faudra juste faire passer les mini-drones pour des agents de propreté si on pose des questions », ajouta le Premier Guide Communiant. Ugbok regarda l’hologramme de Belganov droit dans les yeux. « Vous êtes vraiment sûr qu’il n’y aura aucun danger pour la santé de mes employés, professeur ? 

– J’en suis aussi sûr qu’il est possible de l’être. Voyez-vous, les drones anti-ektrim ont pour fonction principale de repérer la présence de ces parasites corticaux, de les endormir à l’aide d’ondes thêta puis de les envelopper. 

– Ils ne détruisent pas les nanites des ektrims ? s’étonna Ugbok. Ils ne les enlèvent pas des cerveaux ? 

– Ni l’un ni l’autre. Nous craignons que les Fengirs s’en aperçoivent si nous retirons ces nanites — chercher à les détruire serait de toute façon trop risqué pour les sujets. Nous préférons donc les neutraliser en toute discrétion et sans faire courir aucun danger à nos compatriotes. » 

L’édile prouva sa sagacité par sa question suivante. « Vous avez parlé de fonction principale. Quelle est la secondaire ? » 

Belganov acquiesça de la tête. « Les nanites AE sont programmés pour déclencher une compulsion chez ceux de nos semblables qui ont accès à l’argelen. Une envie irrépressible d’en savoir plus sur le passé ancien. 

– Ils voudront se connecter à l’argelen et aller dans la matrice rechercher précisément les informations historiques qui leur étaient interdites par le nanite ektrim. 

– Comme ce sont des nœuds très spécifiques de la matrice qui contiennent ces informations, nous les faisons à présent surveiller en permanence, ajouta Belganov. Les gens qui cherchent à en apprendre davantage sur cette partie de notre Histoire seront contactés au travers de l’argelen par des membres de notre réseau. 

– Ils seront très désorientés au départ, dit Halnev. Très surpris de leur liberté de pensée nouvellement acquise au sujet des Fengirs. Des révélations prodigieuses leur seront soumises. Mais très vite, ils renforceront nos rangs. Et ils le feront en toute liberté de conscience. »

 


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lundi 10 février 2025

L'Essence des Sens : chapitre 33

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le trente-troisième.

33. L’Histoire des Nadariens 

Le Tirinium était un vaisseau minier de taille restreinte, possédant toutes les accréditations requises. Naldeia avait vérifié elle-même les données d’identification, s’assurant que les équipes de la commandante McGinnis avaient bien fait leur travail. Cela n’allégeait toutefois que partiellement son anxiété, au moment où elle franchissait le Relais d’Accélération menant au système Altanis. 

La Griffe Férale était toujours à son poste. Au moment où le destroyer fengirien scanna le Tirinium, Naldeia retint son souffle. Les scanners étaient si puissants qu’ils étaient capables de détecter l’identité de Naldeia au niveau moléculaire. Heureusement pour sa passagère, le poste de pilotage projetait autour d’elle un champ de modification cellulaire dernier cri. Du moment qu’elle ne quittait pas son siège gravimétrique, le champ enverrait en retour des données concernant Naldeia correspondant aux accréditations du vaisseau. Le système, nettement plus perfectionné que ce dont disposait le Stelrec, se trouvait dupliqué dans la cargaison, si bien que le vaisseau, en théorie, pouvait passer n’importe quel produit en contrebande. Jaynak comme Belganov reviendraient de leur côté chacun avec leur vaisseau civil équipé de la même manière, fourni par la Confédération des Planètes Unies. 

Naldeia contempla par le hublot le redoutable profil de la Griffe Férale, capable d’atomiser son appareil en une fraction de seconde. Ce n’était pourtant pas la puissance de feu du destroyer qu’elle craignait le plus — à aucun prix, Naldeia ne voulait retomber entre les mains de Grendchko et de ses alliés. 

Elle ne réalisa qu’elle avait surmonté l’épreuve de l’inspection qu’au moins quinze secondes après la fin du scan. Alors, elle poussa un long soupir de soulagement, avant de mettre le cap sur Nadar. A mesure qu’elle se rapprochait, un plus grand nombre d’informations lui parvenait au travers du réseau social, la Ruche. Grendchko avait accéléré la formation de ses Fervents, et nombre d’entre eux étaient devenus des pilotes ou des soldats. Les usines et chantiers spatiaux tournaient à plein régime. Certains sur les réseaux prétendaient que d’ici à peine trois mois, sa flotte aurait atteint une taille suffisante pour qu’il puisse lancer l’invasion de la planète qu’il avait désignée pour cible, Oblan. 

Naldeia ne se rendit compte à quel point Nadar lui avait manqué qu’en se rapprochant du globe émeraude, et en sentant son cœur se serrer. La proue de son vaisseau pointa sur les titans de basalte qui abritaient la cité perchée d’Argea. Les boucliers magnétiques du Tirinium le protégèrent au moment de l’entrée dans l’atmosphère. 

Utilisant une fréquence sécurisée, Naldeia joignit son contact du spatioport chargé de l’enregistrement de la cargaison. Celui-ci répondit positivement, et elle dirigea l’approche finale sur Eglev tout en se conformant au protocole habituel. 

Depuis qu’ils existaient, les Réfractaires s’étaient assurés d’occuper peu à peu différents postes stratégiques sans faire de vague. Dans les jours à venir, la résistance nadarienne allait être sollicitée comme jamais auparavant. Le plan conçu par Shaella Mc Ginnis et Belganov reposait sur leur loyauté, et notamment sur ceux des agents des spatioports acquis à leur cause. 

Pendant l’approche finale, Naldeia revêtit sa combinaison spéciale. Sa visière projetterait l’image d’un Circanien à la peau jaune et rugueuse, et sa combinaison le même champ de modification cellulaire dont elle avait bénéficié dans le vaisseau, qui la prémunirait contre tout scan intempestif. Les Circaniens, très peu nombreux sur Nadar, se rencontraient surtout aux alentours des astroports. Leur organisme inadapté à l’atmosphère de la planète les contraignait à porter casque et combinaison. Selon le contre-espionnage des Réfractaires, Naldeia, Jaynak et Belganov faisaient partie des cibles prioritaires du moment — elle ne pouvait donc pas se permettre le moindre faux pas. 

Naldeia, qui ne s’était jamais embarrassée de vêtements, trouva la combinaison très inconfortable. Elle se sentait engoncée, et ne comprenait pas comment l’on pouvait supporter cette sorte de prison permanente. Elle effectua plusieurs mouvements, puis une série d’enjambées et de génuflexions pour s’accoutumer. 

Le vaisseau se posa sur sa plate-forme et bientôt, l’agent portuaire se présenta, flanqué de quatre droïdes. Ces derniers prirent en charge une partie de la cargaison, des conteneurs censés receler du tirinium — rien que de penser à la valeur de leur contenu réel faisait froid dans le dos. L’agent accompagna Naldeia jusqu’au hall d’entrée du spatioport. Il connaissait déjà les instructions, ce qui lui évita d’aborder le sujet. Une fois accomplies les formalités, portant un sac en bandoulière, elle longea les couloirs à destination du Fumoir de Transit. Son pas était remarquablement ferme compte tenu de ses émotions. Elle replongeait à corps perdu dans un univers d’intrigues. Si l’homme du spatioport était un agent double, par exemple, elle n’en avait peut-être que pour quelques instants encore à profiter de sa liberté si chèrement acquise. 

C’était ainsi. Elle devait tout miser de nouveau pour espérer gagner plus gros, bien plus gros pour tout son peuple. 

Le Fumoir de Transit se trouvait au milieu de l’une des allées commerçantes du spatioport. Les échoppes s’adressaient à une clientèle éclectique, venue de différents systèmes. C’est en longeant l’une de ces boutiques exhibant ses équipements hétéroclites que Naldeia aperçut le Fengir. La dominant du haut de son double mètre, tout en muscles, le pelage blanc, l’individu se dirigeait droit sur elle. 

Naldeia baissa la tête, se coulant dans son rôle d’humble Circanien vaquant à ses affaires. Pendant un instant d’horrible incertitude, elle se demanda si le Fengir n’était pas en train de la renifler. S’il ne recherchait pas son odeur de Circanien sans la trouver, ce qui lui indiquerait la supercherie. 

Le Fengir la dépassa sans s’arrêter. Naldeia redressa la tête, inspirant profondément et lâchant un soupir. Un peu plus loin, la porte d’entrée du fumoir s’ouvrit devant elle. A l’intérieur, les vapeurs épaississaient l’atmosphère. Protégée par sa combinaison, elle ne pouvait percevoir l’effluve attrayant du sengré ni aucun autre. Le barman lui lança un regard perçant. Comme elle l’ignorait pour s’avancer, sûre d’elle, vers la rangée d’alcôves du fond de la salle, il se désintéressa de son cas. Les tenanciers de ce genre d’établissements savaient qu’il valait mieux se montrer tolérants envers les aliens venus faire des affaires avec leurs clients. 

« Je serai dans l’une des alcôves quand tu arrives sur la droite », lui avait dit son contact. Naldeia jetait des regards furtifs à l’intérieur de chacune. Au bout de la troisième, elle aperçut enfin Xelnev. Il n’avait pas changé depuis l’époque où ils se côtoyaient à la Jaxan, la société de traitement des données qui travaillait étroitement avec les Fengirs. C’était sur cette collaboration proche que comptaient les Réfractaires et Shaella Mac Ginnis. Nul n’avait le droit de pénétrer dans les centres névralgiques de traitement des données fengiriens, mais les liens entre la Jaxan et ces complexes répartis dans toute la planète devraient suffire. 

Naldeia s’avança vers son ancien collègue, qui ouvrit la bouche, ébahi. 

« Tu ne mentais pas en me disant que tu viendrais en tant que Circanien. C’est très réussi. » 

Elle lui fit signe de se taire, et désactiva pendant à peine quelques secondes le champ modificateur de sa combinaison. Le visage de Naldeia apparut dans sa visière, avant d’être remplacé peu après par celui du Circanien. Elle posa son sac sur la table et fit sa proposition selon le script convenu à l’avance. « J’ai quelque chose qui devrait vous intéresser. Un merveilleux cristal mémoriel, regardez. » 

En fait de cristal, elle sortit de son sac une demi-sphère de tirinium, qu’elle plaça à son tour sur la table. L’objet n’avait rien de très remarquable, si ce n’est que lorsqu’elle appuya dessus, il disparut. Ses mains se positionnèrent là où il s’était trouvé, et elle fit le geste de le soulever, sans succès. Elle indiqua à Xelnev de faire de même, et il n’y parvint pas. En appuyant une nouvelle fois au centre de l’endroit où se situait la demi-sphère, celle-ci réapparut. Sa fonction magnétique désactivée, on pouvait de nouveau la soulever. 

« Tu la plaques sur ta cuisse et tu appuies dessus, chuchota Naldeia. Au bureau, tu attends qu’il n’y ait personne aux alentours, et tu réappuies dessus. Tu la fixes sous ta console et tu la laisses toute une semaine. La semaine écoulée, tu la récupères et la remets à ton contact du réseau. Compris ? 

– Très intéressant, fit Xelnev, jouant sa part de leur petite comédie. Voyons… 150 crédits, cela convient ? 

– Cela convient. » 

Xelnev exhiba une tablette et fit mine de la régler. Puis, il saisit la demi-sphère et la colla comme prévu sur sa cuisse — l’objet disparut aussitôt. 

Naldeia lui fit signe de la tête et se leva avant de se diriger vers la sortie. Sa tournée planétaire était encore loin d’être achevée. 

*** 

Cela faisait plusieurs jours déjà que Belganov, Naldeia et Jaynak, chacun aux commandes de son vaisseau, et à des horaires différents, avaient mis le cap sur Nadar. C’était l’une des premières missions pour lesquelles Shaella devait s’en remettre à ce point à une alliance avec des agents étrangers. C’était assurément celle pour laquelle elle ne participait pas directement sur le terrain où les enjeux étaient les plus élevés — et pas seulement parce que la cargaison transportée par les trois vaisseaux était estimée à plusieurs centaines de milliards de crédits. 

L’absence d’action pesait sur les épaules de Shaella, mais c’était ainsi. Même à l’aide de la technologie, les forces de gravitation fluctuantes auraient été pénibles à supporter pour un humain sur Nadar — à moins de se cantonner aux seuls spatioports et leurs alentours immédiats, comme le faisait Naldeia. 

La veille, le module de piratage avait envoyé son premier signal. Il avait été fixé sur un être semi-organique et minéral — un Nadarien. Le moment de vérité approchait donc, et en s’installant dans le modulosiège de son poste sur le Rapier, Shaella se connecta avec avidité par le biais de son augmentation cérébrale. 

Ça y était. Le module était toujours en mode occulté, mais cette fois sous un terminal de commande. Après vérification, le terminal en question était bien situé dans la cité d’Argea, dans l’un des bureaux de la société Jaxan comme l’avait spécifié Naldeia. 

Mentalement, Shaella sélectionna les icônes affichant le rapport d’activité du module. Oui ! Le terminal avait bien transmis un paquet de données en direction de l’un des complexes fengiriens qui étaient leur cible. Une partie du code pirate quantique autogénérant l’y avait suivi. Cela prendrait du temps, plusieurs de ces transferts pour que la totalité du code de piratage soit envoyée et s’assemble en toute discrétion. 

D’après Belganov, les complexes fengiriens de traitement de données existaient depuis les débuts de l’alliance entre les Fengirs et les Nadariens, soit trois siècles auparavant. Chargés de monitorer l’activité des nanites, ces complexes signalaient aux Fengirs toutes les déviances éventuelles parmi les Nadariens, et le moyen d’y remédier. Trop sûrs de leur supériorité, les Fengirs avaient fini par faire appel à des sociétés de prestataires nadariens pour canaliser les immenses flux de données. 

L’histoire véritable des Nadariens ne pouvait être connue dans le détail que des Réfractaires, les nanites ektrim dissuadant la plupart des habitants de la planète d’utiliser l’argelen pour remonter trop loin dans le temps. Ceux qui avaient bravé l’interdit par le passé s’étaient retrouvés avec de terribles maux de tête. S’ils persistaient dans leur erreur, ils devenaient fous ou bien sombraient dans la dépression et étaient acculés au suicide. Ce que les Fengirs décrivaient comme la période héroïque de l’alliance entre les deux civilisations correspondait en fait à un âge sombre, durant lequel les Fengirs avaient identifié des blocs d’argelen contenant des événements moins signifiants du passé des Nadariens, et avaient fortement suggéré aux Guides Communiants d’y cantonner l’apprentissage historique. Une bonne partie de la population avait connu des souffrances mentales terribles, jusqu’à ployer l’échine et se soumettre à la domination de leurs nouveaux maîtres. 

Belganov avait jugé l’hypothèse de Shaella valable. Selon elle, passés les ajustements nécessaires les premières années, le logiciel de contrôle des nanites n’avait pas évolué. Comme la technologie parasite ektrim n’avait jamais été découverte, comme nulle tentative de piratage n’avait jamais été lancée sur les complexes fengiriens, la sécurité avait dû se relâcher peu à peu. En utilisant des modules de piratage dernier cri, Shaella comptait bien infiltrer les centres de surveillance et de traitement des données issues des nanites ektrim. 

D’autres approches auraient été possibles, en théorie. Si les équipes de Kaylee, Hina et Lucinda avaient été capables de percer à jour les secrets du nanite conçu par les ektrims, il aurait peut-être été envisageable de le modifier pour l’asservir, et faire en sorte qu’il envoie de fausses informations. Malheureusement, il était issu d’une technologie si différente qu’il faudrait sans doute des années avant d’en percer tous les mystères. 

Dans l’hypothèse où l’opération principale menée par Belganov et Jaynak connaissait des ratés, si les nanites devaient envoyer des messages d’alerte aux Fengirs, le fait de s’emparer des centres de réception et de contrôle des données permettrait d’éviter la catastrophe — du moins, Shaella l’espérait-elle. Restait malgré tout l’éventualité que des milliards de nanites explosent dans les cerveaux d’autant de Nadariens, éradiquant une population entière. Si cela devait se produire, l’Expansion s’en trouverait considérablement affaiblie, mais ce serait une victoire au goût terriblement amer pour Shaella. 

Il fallait que Belganov et Jaynak réussissent.

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lundi 3 février 2025

L'Essence des Sens : chapitre 32

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le trente-deuxième.

32. La loi de l’Expansion 

Perché sur son trône dans la salle de commandement aux vastes baies donnant sur le cosmos, Grendchko surveillait les données provenant de ses consoles. Le système Ixion abritant la planète Oblan n’était plus qu’à un Relais de distance. Comme prévu, les Intelligences Synthétiques de conception fengiriennes avaient totalement dominé les protocoles automatisés du Relais d’Accélération. Son vaisseau mère, le Strator, n’avait plus qu’à s’engouffrer dans le passage, accompagné de sa flotte. 

Grendchko se dit qu’il faudrait renommer le Strator une fois acquise la victoire. Quelque chose d’un peu plus grandiloquent, qui sèmerait la terreur dans le cœur des ennemis. L’Absolu Cauchemar, par exemple. Largement modernisé à l’aide de la technologie fengirienne, le Strator faisait la fierté et l’orgueil de la flotte nadarienne depuis plusieurs décennies déjà. Pour être sûr de n’essuyer aucun refus au moment où il rebaptiserait le vaisseau, Grendchko devrait avoir obtenu une victoire décisive à la tête de sa flotte. Une victoire qui ne serait que la première d’une longue série, il n’avait aucun doute à ce sujet. 

Trois croiseurs escortés de leurs chasseurs s’engouffrèrent en premier dans le Relais. Vision glorieuse que ces énormes vaisseaux à la proue effilée, aux fuselages irisés par la lueur des tachyons, qui allaient surgir de l’autre côté accompagnés de leurs nuées et semer l’effroi sur leur passage. Le destin était en marche. Six siècles après avoir posé le pied sur Oblan, les Nadariens allaient marquer la planète de manière indélébile cette fois. Ce ne serait là que l’une de leurs innombrables conquêtes, car telle était la loi de l’Expansion. 

Le vaisseau mère Strator plongea à son tour dans le Relais d’Accélération pointant sur le système Ixion. Grendchko mit à profit le temps de répit pour faire le point sur toutes les forces rassemblées, d’après les données préalablement collectées. Les rangs des Fervents n’avaient fait que croître au cours des derniers mois. Cela se ressentait dans le nombre de vaisseaux présents, qu’il s’agisse de vastes bâtiments tels les croiseurs, destroyers et autres frégates, ou de simples chasseurs et transporteurs de troupes. Sur Nadar, personne n’avait pu contester son irrésistible montée en puissance. Les Réfractaires avaient été les premiers à se faire oublier, effrayés par la puissance démentielle rassemblée par le maître de la planète. 

Le Strator franchit l’extrémité du Relais. La majestueuse flotte se matérialisa peu à peu autour de lui. Les imposantes baies d’observation avaient dû être modifiées afin de pouvoir subir une polarisation complexe. Les quatre étoiles d’Ixion, blanche, jaune, bleue et rouge possédaient une gamme chromatique si variée et fluctuante qu’elle attaquait la rétine, forçant les habitants d’Oblan à s’équiper de lunettes spéciales. Les baies comme les cockpits des chasseurs avaient donc été améliorés pour filtrer de manière efficace le rayonnement stellaire. 

Grendchko savourait chaque seconde. Les sondes occultées envoyées en reconnaissance faisaient état de forces dix fois inférieures autour de la planète Oblan. L’effet de surprise allait être dévastateur, et l’ennemi n’aurait d’autre choix que de fuir piteusement. 

Les trois croiseurs aux avant-postes disposaient de puissants brouilleurs de signaux afin de masquer la taille de la flotte. La discrétion ne serait pas totale, mais l’ennemi ne saurait pas à quoi s’en tenir jusqu’au dernier moment. 

La flotte nadarienne s’enfonça ainsi dans le système Ixion sans rencontrer de résistance. Grendchko, qui avait espéré une victoire aussi rapide qu’écrasante, fut néanmoins déçu. Si le premier croiseur que le Strator affronta subit d’effroyables dégâts sous l’impact des torpilles à antimatière nadariennes, les vaisseaux oblanites se regroupèrent vivement et formèrent un front uni. Les Ionthunders et Skinangels évitaient avec habileté la confrontation avec les nuées de Retaliators et autres Crushers nadariens. Ils s’enfuyaient, se dispersaient puis s’assemblaient pour attaquer sur les flancs, méthode efficace qui leur permettait d’infliger des dommages non négligeables. 

Les rayons lasers et les canons à protons des croiseurs et destroyers en détruisaient bon nombre, mais souvent, les tirs se heurtaient aux boucliers renforcés des frégates ennemies. Celles-ci étaient les plus nombreuses. En mutualisant leurs champs défensifs, elles formaient un front difficile à percer. Plusieurs d’entre elles lancèrent en simultané des torpilles émettrices d’impulsions magnétiques en direction du Strator. 

Les missiles antitorpilles du vaisseau mère eurent leur système de guidage grillés par les impulsions — seuls quelques-uns atteignirent leur cible. Plusieurs des torpilles parvinrent aussi à échapper au feu roulant des lasers courte portée. Le bouclier du Strator absorba l’essentiel des explosions, mais céda en un point, et Grendchko, de même que chacun des occupants du vaisseau ressentit l’impact. Un flash orangé illumina le poste de commandement, provoquant la colère de Grendchko. 

Les dégâts ne pouvaient être que considérables pour avoir occasionné une telle secousse. Ils n’étaient cependant pas incapacitants. En coordonnant à son tour une attaque contre l’une des frégates avec plusieurs croiseurs, Grendchko parvint à enfoncer son bouclier. L’effet fut dévastateur, la frégate se faisant atomiser. Dans le silence absolu de l’espace, la terrifiante explosion concurrença un instant la lueur des étoiles les plus proches, offrant un spectacle pyrotechnique. Nombreux furent les Crushers à s’engouffrer dans la brèche, ce qui déstabilisa encore plus la défense. 

La bataille continua à faire rage pendant plusieurs heures. Les forces de Nadar remportèrent une victoire beaucoup plus coûteuse qu’anticipée. 

« Trente pour cent de nos unités perdues, maugréa Grendchko. Quelle bande de bons à rien ! » 

D’un geste sans appel, il mit rageusement fin à la holosim. Le décor stellaire s’effaça aussitôt pour laisser place à son somptueux bureau dans le Palais de la Première Strate. Tous ses alliés avaient été de véritables Nadariens connectés, l’objectif étant de s’entraîner à la conquête spatiale du système d’Ixion en temps réel. Une nouvelle séance, cette fois d’invasion planétaire, se déroulerait le lendemain. 

Grendchko, maussade, parcourut sans les voir les holotableaux accrochés aux murs, retraçant les hauts faits des ancêtres de Nadar qui s’étaient distingués. Le taux de perte allait sans doute être trop élevé au goût de Shinaen et de ses autres alliés Fengirs. La flotte n’avait cependant été composée que de Nadariens, et Grendchko ne doutait pas que sur le terrain, le résultat ne s’avère plus satisfaisant avec l’aide des Fengirs. 

Non sans lassitude, il activa sa console et se mit à parcourir les différents messages en attente. Il entreprit de régler les affaires courantes en grommelant, pour s’arrêter devant l’une des requêtes particulières. Ses doigts pianotèrent un instant sur le bois précieux de son bureau. Il désigna l’icône de son assistante personnelle, qui s’agrandit. « Faites venir Ymeo, lâcha-t-il. 

– Tout de suite, Premier Coordonnateur. » Il aurait pu la joindre directement, bien sûr. Passer par un intermédiaire était l’un de ces signes distinctifs de la perte de faveur de son espionne. S’y ajoutait le fait de l’avoir fait lanterner pendant plusieurs heures dans la salle d’attente, au vu de tous. 

La Nadarienne trentenaire apparut peu après. Elle n’avait rien perdu de ses formes envoûtantes mais son regard s’était durci ces derniers temps. De sa démarche souple, elle s’avança jusqu’à se trouver en face de son bureau, à moins de deux mètres. Elle s’inclina profondément. « Oui, Maître ? 

– J’ai reçu une requête particulière, fit-il d’un ton morose. Le Premier Guide Communiant me demande de réinstaurer la tradition de la Minute de Sengré avant toute Communion. 

– C’est très ancien, s’étonna-t-elle. Quel fizbul le pique ? 

– Sans doute l’idée de réaffirmer les bonnes vieilles traditions. Tu sais bien à quel point les gens comme Halnev sont rétrogrades. » 

Ymeo prit un air songeur. Elle avait beau n’être qu’une femelle, elle le surprenait fréquemment par ces conseils. Ce fut le cas une fois encore. « Maître, accepter pourrait jouer en notre faveur. Le sengré anesthésie les sens. Il ne favorise pas les meilleures décisions. Si nos adversaires se mettaient à le fumer en grande quantité, ils seraient plus malléables. Plus dociles. » 

Comme souvent, Grendchko décida de la priver de la satisfaction d’un compliment. « La Minute de Sengré ne permet pas l’absorption d’une grande quantité, rétorqua-t-il. 

– Mais c’est un début. Et cela pourrait nous permettre de mettre en place une campagne de communication une nouvelle fois axée sur l’aspect totalement dépassé de cette institution, qui se croit obligée de revenir à des traditions ancestrales. Cela pourrait accélérer leur chute. 

– Humpf. On verra. » Il demeura indécis quelques secondes avant de lui demander si elle avait des nouvelles des anciens Fervents nommés Jaynak et Naldeia. 

« Toujours aucune, Maître, répondit-elle en baissant les épaules, l’air désolé. Le dernier signe que l’on a d’eux reste le rapport de ce destroyer, La Griffe Férale, il y a plusieurs mois. Ils n’ont pas réapparu depuis. Ils sont très certainement toujours en dehors du système. » 

Il lui indiqua de s’approcher. Elle contourna le bureau pour le rejoindre, sans trembler. Les commissures de ses lèvres avaient leur pli résigné habituel. Une fois à portée, Grendchko s’empara de son poignet et lui tordit le bras en se levant pour la dominer de toute sa hauteur. 

Elle poussa un petit cri de douleur. Tout en maintenant sa prise, Grendchko fit glisser son tiroir et saisit son fouet à électrodes, qui s’activa en reconnaissant son ADN. « Tu n’as pas encore fini de souffrir, fit-il d’une voix rauque. Si tu les retrouves, je penserais peut-être à lever ta punition. » Il fit claquer le fouet sur elle, et elle se tordit dans des spasmes de douleur. Encore et encore, les lanières électrisées s’abattaient sur ses plaques, la parcourant d’éclairs bleutés. 

Une fois que le corps de son esclave ne fut que meurtrissures, Grendchko la viola, y prenant un voluptueux plaisir. Quand elle sortit de la pièce, ce fut toute courbée, en se traînant, comme si elle venait de prendre cinquante ans. 

Grendchko se réinstalla devant sa console en arborant un sourire épanoui. Il accéda à la requête du Premier Guide avant d’estimer qu’il avait eu son content de travail pour la journée. Le moment était venu de passer aux loisirs. 

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