lundi 6 août 2018

Free State of Jones

Vu hier en DVD: Free State of Jones, magnifique fresque historique que je recommande chaudement. Contrairement à de nombreux films sur l'esclavage dans le contexte de la guerre de Sécession, celui-ci s'étend plus loin que la fin de la guerre. C'est ce qui le rend intéressant à mes yeux : comment l'incroyable vent de liberté qui souffle à la fin de la guerre trouve, ou pas, son prolongement dans une réalité plus ou moins apaisée. D'autant que certaines des répliques du film ont une forte résonnance par rapport à la situation actuelle. 



L'une des répliques de Free State of Jones dont j'ai envie de me souvenir est à peu près celle-ci: "nous sommes tous, à un moment ou à un autre, l'esclave de quelqu'un d'autre". Le film a beau être historique, quand je pense au harcèlement au travail et au harcèlement sexuel, et quand je pense aussi à tous ces gens coincés dans leur boulot par la menace (le chantage?) du chômage, je me dis que cette réflexion sur la liberté et l'esclavage tombe particulièrement bien. 

Ce vent de liberté qui souffle si fort dans Free State of Jones, peut sembler paradoxal, quand le pays qui produit et réalise le film est celui qui présente l'un des taux d'incarcération de ses propres habitants les plus élevés au monde, avec un américain sur cinq en âge d'être incarcéré qui se retrouve en prison.

On peut même se demander si on a vraiment progressé depuis l'époque que décrit le film, puisqu'il y a autant de Noirs américains en prison à l'heure actuelle qu'il n'y avait d'esclaves noirs vers l'année 1862, au début du film. D'une terrible tristesse.

Mais d'un autre côté, l'ombre n'est-elle pas la plus sombre là où la lumière est la plus vive? 

Ce que montre très bien le film, c'est comment de nouvelles règles brutalement plaquées sur un système existant ont conduit à des tentatives de détournement: je veux parler de la loi des Etats du Sud sur l'apprentissage, qui n'était qu'une forme de prolongement de l'esclavage. 

Même une fois cette loi abrogée, il y a eu la ségrégation, et il a fallu de nouvelles luttes, qui se poursuivent jusqu'à aujourd'hui.

La domination économique a été, pour les Noirs qui refusaient de s'exiler vers le nord, un autre prolongement: il fallait travailler dans les champs pour ne pas connaître le chômage.

Alors oui, il y a eu un moment où toutes les conditions étaient réunies pour que de nouvelles règles soient établies, et en particulier la victoire des Etats du Nord sur ceux du Sud dans la guerre de Sécession. Mais les mentalités, elles, ont mis bien plus longtemps à progresser. On pourrait même dire que le combat pour la liberté reste plus que jamais d'actualité aux Etats-Unis. 

Les conditions idéologiques étaient réunies, mais de nombreuses mentalités étaient encore fermement ancrées dans le passé.
Cet etat de fait me fait penser à la situation économique en France. On se rend bien compte que les conditions ont changé. Certes, nous sommes sous le dogme d'une société capitaliste, et si le capitalisme est devenu un dogme, c'est parce qu'on s'efforce de l'appliquer même pour des domaines qui devraient relever du public: la santé, l'éducation, l'énergie (même les usines hydrauliques, pourtant profitables en France, sont revendues par l'Etat au privé). 

Mais la manière dont on produit les richesses est différente, les machines jouent un rôle beaucoup plus important, la finance accélère la richesse ou l'endettement, la notion même de travail s'est modifiée. Cette modification de conditions a permis l'arrivée de la notion de Revenu universel, débattue aux présidentielles. 

Cette idée du revenu universel a été rejetée, notamment par des gens qui promettaient une véritable révolution comme Mélenchon, affirmant qu'il ne fallait surtout pas ouvrir la boîte de Pandore du revenu universel. Même pour des gens qui promettent la révolution, on le voit, les mentalités restent ancrées dans le passé. 

Je pense, avec le recul, que toutes les conditions ne sont pas réunies pour l'arrivée de ce Revenu universel: il faudrait notamment arriver à autonomiser davantage chacun au niveau énergétique, et à faire en sorte que ce revenu soit plus global, tienne compte du facteur logement et énergie. J'ai lancé une piste à ce sujet dans mon précédent article. Mais on s'y achemine progressivement, cela me semble quasiment ineluctable.

Le changement de conditions climatiques dont il est question en ce moment, et la décroissance nécessaire, montrent aussi qu'il est impératif de modifier complètement les mentalités pour modifier les règles: la croissance ne peut être nécessaire et utile que si c'est une croissance verte, des emplois qui s'inscrivent dans le développement durable. Vouloir réduire le chômage pour réduire le chômage, vouloir faire baisser la dette pour des raisons uniquement économiques n'a aucun sens si le monde n'est plus viable. Les économistes se contrefoutent de l'écologie, ils vivent dans un monde de chiffres qui n'est pas le monde réel. 

Nous devons cesser de produire plus, ou de consommer plus que ce qui peut être renouvelé annuellement par la planète (le seuil annuel est dépassé depuis juin de cette année je crois). Le député de la France insoumise Eric Coquerel vient de parler sur France Info de planification écologique. Le terme peut sembler drastique. Je pense pour ma part qu'il faudra se garder de la marge de manœuvre, mais que celle-ci devient de plus en plus étroite. 

Quel est le rapport, allez- vous me demander, avec les notions de liberté et d'esclavage dans Free State of Jones ? Tout simplement que nous serons incapables de faire les bons choix tant que nous serons prisonniers d'un dogme, esclaves d'une mentalité rétrograde.

Le monde a été impacté par l'homme. A présent, le monde réagit en impactant l'homme. A nous d'en tirer les conséquences. 

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